TA Rennes, 13/10/2022, n°2000720

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 février 2020, la pharmacie de l'Université, représentée par Me Lahalle, avocat de la SELARL LEXCAP, demande au tribunal :

1°) d'annuler le contrat conclu le 12 décembre 2019 entre le centre communal d'action sociale de Saint-Brieuc et la pharmacie du Centre, ayant pour objet des prestations d'externalisation des médicaments pour deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ou, à titre subsidiaire, de résilier ce contrat ;

2°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Saint-Brieuc la somme de 3 000 euros.

Elle soutient que :

- c'est à tort qu'une procédure de passation de marché public a été mise en œuvre, alors que le contrat litigieux est un contrat de concession ; ce manquement l'a lésée dès lors qu'il n'y a pas d'équivalence entre les procédures relatives aux marchés publics et celles relatives aux concessions, qu'elle a été induite en erreur quant à la nature du contrat à conclure et, enfin, que l'absence de négociation l'a privée d'une chance d'obtenir la première place ;

- les candidatures n'ont pas fait l'objet d'un examen ; ce manquement l'a lésée dès lors qu'elle se trouvait classée en deuxième place et qu'elle aurait donc obtenu la première place si une irrégularité de la candidature de l'attributaire avait été relevée ;

- les offres n'ont pas fait l'objet d'une négociation alors que l'autorité concédante est tenue de procéder à une telle négociation ; ce manquement l'a privé d'une chance d'adapter son offre ;

- le critère du prix a fait l'objet d'une neutralisation ; ce manquement l'a lésée dès lors qu'une autre méthode de notation aurait pu lui permettre d'obtenir une note supérieure ;

- c'est à tort que le marché n'a pas fait l'objet d'un allotissement ; ce manquement l'a lésée dès lors que le classement des offres n'aurait pas été identique dans le cadre d'un périmètre de prestations réduit ;

- le cahier des charges soumis aux candidats ne précisait pas la durée du marché ; ce manquement l'a lésée dès lors qu'elle a dû présenter une offre sans information suffisante sur les critères d'appréciation des offres et la durée d'engagement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2021, le centre communal d'action sociale de Saint-Brieuc, représenté par le cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la pharmacie de l'Université sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le moyen tiré de l'erreur de qualification du contrat et les moyens tirés des manquements aux règles de passation prévues pour les contrats de concessions sont inopérants ;

- au surplus, ces moyens ne sont pas fondés.

La requête a été communiqué à la pharmacie du Centre, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A ;

- et les conclusions de M. Rémy, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre communal d'action sociale (CCAS) de Saint-Brieuc a, le 1er avril 2019, soumis à plusieurs pharmacies un cahier des charges en vue de conclure avec l'une d'elles une convention portant sur la préparation individualisée et la dispensation de médicaments et autres produits de santé aux résidents de deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD). Par courrier du 3 juin 2019, la pharmacie de l'Université a été informée que son offre avait été rejetée. La convention, objet de l'appel à concurrence, a été conclue entre le CCAS de Saint-Brieuc et la pharmacie du Centre le 12 décembre 2019.

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3121-1 du code de la commande publique : " L'autorité concédante organise librement une procédure de publicité et mise en concurrence qui conduit au choix du concessionnaire dans le respect des dispositions des chapitres I à V du présent titre et des règles de procédure fixées par décret en Conseil d'Etat. / Elle peut recourir à la négociation. () ". La requérante soutient qu'une procédure de passation propre aux marchés publics a été mise en œuvre à tort, alors que la procédure prévue en matière de concessions aurait dû l'être, de sorte que l'absence de négociation en résultant l'a privée d'une chance d'obtenir la première place. Il résulte toutefois des dispositions précitées que le recours à la négociation dans le cadre de la passation d'un contrat de concession est une faculté ouverte à l'autorité concédante et que celle-ci n'est pas tenue de procéder à une telle négociation. Contrairement à ce que soutient la requérante, le CCAS de Saint-Brieuc n'était pas tenu d'indiquer dans les documents de la consultation qu'il ne serait pas recouru à la négociation. Par ailleurs, la requérante ne fait pas valoir que l'erreur de qualification alléguée du contrat litigieux l'aurait lésée à un autre titre et se borne à soutenir, d'une part, qu'il n'existe pas d'équivalence entre les procédures relatives aux marchés publics et celles relatives aux concessions et, d'autre part, qu'elle a été induite en erreur quant à la nature du contrat à conclure. Dans ces conditions, la requérante, qui ne fait état d'aucun vice susceptible de l'avoir lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, ne peut pas utilement se prévaloir, en tout état de cause, du moyen tiré de l'erreur de qualification du contrat litigieux.

4. En deuxième lieu, en se bornant à soutenir qu'un rejet de la candidature de l'attributaire " pour un motif ou un autre (incomplétude du dossier, motif d'exclusion, capacités insuffisantes) aurait conduit à l'attribution du contrat " à son profit, sans autre précision quant aux irrégularités alléguées affectant la candidature de la pharmacie attributaire, la requérante ne peut être regardée comme faisant état de manquements ayant lésé ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine à l'occasion de la passation du contrat litigieux. Par suite, le moyen tiré de ce que les candidatures n'ont pas fait l'objet d'un examen doit être écarté.

5. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 3, le moyen tiré de ce que les offres n'ont pas fait l'objet d'une négociation alors que l'autorité concédante est tenue de procéder à une telle négociation doit être écarté.

6. En quatrième lieu, il résulte des termes du rapport d'analyse des offres que chacune des trois pharmacies soumissionnaires ont, dans leurs offres respectives, proposé de ne facturer aucun prix au CCAS de Saint-Brieuc et de se rémunérer exclusivement grâce aux versements faits par les résidents ou l'assurance-maladie. Ces trois pharmacies ont en conséquence toutes obtenu la note maximale au titre du critère de prix. Si la requérante fait valoir que l'appréciation au titre de ce critère aurait dû porter sur le coût des médicaments facturés aux résidents, elle ne justifie pas, ni même n'allègue, que son offre présentait des conditions financières de nature à lui donner l'avantage sur les autres soumissionnaires sur ce point. Dans ces conditions, la requérante ne peut être regardée comme faisant état de manquements ayant lésé ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine à l'occasion de la passation du contrat litigieux et le moyen tiré de la neutralisation du critère du prix doit être écarté.

7. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction que le contrat litigieux portait sur la préparation individualisée des médicaments délivrés aux résidents de deux EPHAD, le suivi personnalisé des traitements délivrés à ces résidents, la livraison des médicaments et leur retour éventuel à l'officine, ainsi que l'information et le conseil du personnel des EPHAD s'agissant de délivrance de ces médicaments aux résidents de même que la sensibilisation du personnel de la pharmacie aux problématiques propres aux résidents d'EPHAD. Dès lors que l'objet du contrat ne permettait pas, en tout état de cause, de le diviser en prestations distinctes, le moyen tiré de ce que ce contrat n'a pas fait l'objet d'un allotissement doit être écarté.

8. En dernier lieu, si la requérante soutient que l'absence de précision dans le cahier des charges quant à la durée d'exécution du contrat ne lui a pas permis de présenter une offre sur la base d'une information suffisante, elle ne justifie pas, ni même n'allègue, que des éléments de son offre aurait été modifiés si la durée du contrat avait été connue au cours de la procédure de passation de ce contrat. Par suite, elle ne peut utilement se prévaloir du moyen tiré de ce que la durée d'exécution du contrat n'était pas précisée dans les documents de la consultation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la pharmacie de l'Université tendant à l'annulation ou à la résiliation du contrat conclu entre le CCAS de Saint-Brieuc et la pharmacie du Centre le 12 décembre 2019 doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CCAS de Saint-Brieuc, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la pharmacie de l'Université demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la pharmacie de l'Université une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la pharmacie de l'Université est rejetée.

Article 2 : La pharmacie de l'Université versera au centre communal d'action sociale de

Saint-Brieuc la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à pharmacie de l'Université, à la pharmacie du Centre et au centre communal d'action sociale de Saint-Brieuc.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Vergne, président,

Mme Thalabard, première conseillère,

M. Blanchard, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2022.

Le rapporteur,

Signé

A. ALe président,

Signé

G.-V. Vergne

La greffière,

Signé

I. Le Vaillant

La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d'Armor en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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