CAA Bordeaux, 13/03/2023, n°22BX01866

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Gestion Coordination Construction Caraïbes (G3C) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la commune de Gourbeyre, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision de 7 944,96 euros au titre du solde du marché de démolition et de reconstruction de l'école Raymonde Augustin à Gourbeyre.

Par une ordonnance n° 2200567 du 8 juillet 2022, le juge des référés du tribunal a fait droit à la demande de la société G3C.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 juillet 2022 et le 14 octobre 2022, la commune de Gourbeyre, représentée par Me Landot et Me Karamitrou, demande au juge des référés de la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2200567 du 8 juillet 2022 ;

2°) de rejeter la demande de la société G3C ;

3°) subsidiairement, de condamner la société Sensamar à la garantir de l'intégralité des sommes auxquelles elle pourrait être condamnée ;

4°) de mettre à la charge de la partie succombante la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée, que :

- elle a été rendue avant l'expiration du délai complémentaire que le greffe du tribunal avait laissé à la commune pour présenter un mémoire en défense ; elle est, par suite, entachée d'irrégularité.

Elle soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- elle ne satisfait pas à l'exigence de motivation de la requête résultant des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- elle est tardive dès lors qu'elle a été présentée au-delà du délai de recours contentieux de deux mois, lequel a été déclenché par la notification de la décision du 14 septembre 2021 par laquelle la société Sensamar a rejeté la réclamation préalable de la société G3C ; la nouvelle demande que celle-ci a adressée à la commune le 1er mars 2022 n'a pu rouvrir le délai de recours ;

- elle n'était pas accompagnée de l'acte d'engagement de la société, si bien qu'il n'était pas possible de se prononcer sur l'étendue de ses droits contractuels.

Elle soutient, au fond, que :

- la demande de la société se heurte à une contestation sérieuse dès lors que les stipulations du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée signé entre la commune et la société Sensamar imposaient à cette dernière de régler les acomptes et le solde dus à l'entreprise sans même attendre que la commune en fasse l'avance ; il en va ainsi pour la situation n° 5 du marché dont la commune n'a jamais eu connaissance avant que la société ne saisisse le juge des référés ; il en va encore ainsi, a fortiori, pour la situation n° 6 dont la commune a fait l'avance au maître de l'ouvrage délégué ; ainsi, la créance invoquée par la société est sérieusement contestable.

Elle soutient, en ce qui concerne la responsabilité du maître de l'ouvrage délégué, que :

- celui-ci a commis plusieurs fautes dans l'exécution de sa mission de maître de l'ouvrage délégué qui justifient qu'il soit appelé en garantie par la commune ;

- ainsi, la société Sensamar a omis d'adresser à la commune la demande de paiement de la situation n° 5 présentée par la société ;

- la société Sensamar a bien reçu de la commune une avance pour procéder au paiement de la situation n° 6 et n'a pas procédé à ce paiement comme le contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée lui imposait de le faire.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 août 2022, la société Gestion Coordination Construction Caraïbes (G3C), représentée par Me Valère-Landais, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Gourbeyre la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 octobre 2022, la société Sensamar, représentée par Me Pradines, conclut :

1°) à l'annulation de l'ordonnance n° 2200567 du 8 juillet 2022 ;

2°) au rejet des conclusions d'appel en garantie présentées à son encontre par la commune de Gourbeyre.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés et que les moyens soulevés par la commune de Gourbeyre, à l'appui de son appel en garantie, doivent également être écartés comme infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné M. B A pour statuer comme juge des référés en application du livre V du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 8 septembre 2016, la commune de Gourbeyre a délégué à la société Sensamar la maîtrise d'ouvrage de l'opération de démolition et de reconstruction de l'école communale. Les travaux proprement dits ont été confiés à divers entrepreneurs, parmi lesquels la société Gestion Coordination Construction Caraïbes (G3C), titulaire du lot " charpente, couverture, fourniture et pose " selon un marché signé le 16 juillet 2020 avec le mandataire de la commune, pour un montant de 104 318,23 euros. Les travaux achevés, la société G3C a, le 9 août 2021, adressé à la société Sensamar, maître de l'ouvrage délégué, une réclamation en vue d'obtenir le paiement d'une somme de 7 944,96 euros représentant, selon elle, le solde de son marché. Le 14 septembre 2021, la société Sensamar lui a seulement répondu que la situation de travaux en attente de règlement s'élevait à la somme de 1 972,90 euros et aux intérêts moratoires correspondants. Par un courrier du 1er mars 2022, réceptionné le 15, la société G3C a sollicité de la commune de Gourbeyre le paiement de la somme de 7 944,96 euros au titre du solde de son marché. En l'absence de réponse favorable à ses demandes, la société G3C a, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande de condamnation de la commune de Gourbeyre à lui verser une provision de 7 944,96 euros.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Notification de la requête présentée au juge des référés est immédiatement faite au défendeur éventuel, avec fixation d'un délai de réponse". Il résulte de ces dispositions que le juge des référés ne peut, sans commettre d'irrégularité, statuer avant l'expiration du délai qu'il a imparti au défendeur pour produire un mémoire.

3. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 1er juillet 2022, le greffe du tribunal administratif de la Guadeloupe a accordé à la commune de Gourbeyre un délai d'un mois pour présenter son mémoire en défense. Ainsi, en rendant son ordonnance dès le 8 juillet 2022, soit avant l'expiration du délai imparti, le premier juge a entaché sa décision d'irrégularité.

4. Il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée et de statuer par la voie de l'évocation sur la demande de la société G3C.

Sur les conclusions de la société G3C tendant au versement d'une provision :

5. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Une obligation dont l'existence soulève une question de droit présentant une difficulté sérieuse ne peut être regardée comme une obligation dont l'existence n'est pas sérieusement contestable.

6. Aux termes de l'article 8 du contrat par lequel la commune a délégué à la société Sensamar la maîtrise d'ouvrage des travaux : " Conformément aux dispositions des articles 3 et suivants de la loi précitée du 12 juillet 1985 [relative à la maîtrise d'ouvrage déléguée], la collectivité donne mandat au mandataire pour exercer, en son nom et pour son compte, les attributions suivantes : () versement () de toutes les sommes dues à des tiers () suivi du chantier sur les plans technique, financier et administratif () ". Aux termes de l'article 15 du même contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée : " Le montant des dépenses à engager par le mandataire pour le compte de son mandant est provisoirement évalué à 3 000 000 d'euros HT () Ces dépenses comprennent notamment :() 2. Le coût des travaux de construction de l'ouvrage incluant notamment toutes les sommes dues aux maitres d'œuvre pendant la phase des travaux et entreprises à quelque titre que ce soit () 6. Et en général, les dépenses de toute nature se rattachant à () l'exécution des travaux () ". Aux termes de l'article 17 du marché : " () B. La collectivité avancera au mandataire les fonds nécessaires aux dépenses à payer ou lui remboursera les dépenses payées. 1°/ Avance par la collectivité : La collectivité s'oblige à mettre à la disposition du mandataire les fonds nécessaires au paiement des dépenses à payer, antérieurement à ce paiement () 2°/ Remboursement par la collectivité. Toutefois, la collectivité pourra demander au mandataire d'assurer le préfinancement d'une partie des dépenses dans la limite de 25 % (). La collectivité s'oblige à rembourser au mandataire au plus tard dans les trois mois du règlement de la dépense par le mandataire () ". Enfin, le document intitulé " cahier des charges de la mission du mandataire " comporte en annexe une " liste des tâches résultant des attributions confiées au mandataire " dont le point 7 est ainsi rédigé : " () Paiement des soldes () ".

7. En l'état de l'instruction, il apparait, au regard des stipulations précitées du contrat de maîtrise d'ouvrage déléguée, que le paiement des dépenses liées au travaux prévus au marché incombe à la société Sensamar, maître de l'ouvrage délégué, y compris dans l'hypothèse où les fonds ne lui ont pas été avancés par la commune. Dans ces conditions, et quand bien même l'obligation de payer invoquée par la société G3C n'apparait pas, par elle-même, sérieusement contestable dès lors qu'elle constitue la contrepartie de prestations qu'elle a réalisées en application du marché, la créance dont elle se prévaut, à l'encontre de la commune de Gourbeyre, ne peut être regardée comme n'étant pas sérieusement contestable. Au demeurant, il résulte de l'instruction que la somme de 1 972,90 euros, faisant partie du solde réclamé par la société G3C, a été réglée à cette dernière par la société Sensamar le 12 avril 2022. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la commune, la demande de provision présentée par la société G3C doit être rejetée.

Sur l'appel en garantie formé par la commune de Gourbeyre :

8. La présente ordonnance ne mettant à la charge de la commune aucune somme à titre de provision, ses conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société Sensamar doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la société G3C tendant à ce que la commune de Gourbeyre, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la société G3C la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Gourbeyre et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2200567 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe du 8 juillet 2022 est annulée.

Article 2 : La demande de provision présentée en première instance par la société G3C et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : La société G3C versera à la commune de Gourbeyre la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la commune de Gourbeyre est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Gourbeyre, à la société Gestion, Coordination, Construction Caraïbes et à la société Sensamar.

Fait à Bordeaux, le 13 mars 2023.

Le juge des référés,

Frédéric A

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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