CAA Marseille, 17/04/2023, n°21MA02261
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société CEJIP a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, d'annuler le décompte de pénalités de retard d'un montant de 60 000 euros émis à son encontre par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), d'annuler le refus de la région PACA du 1er octobre 2019 de retirer ce décompte et de condamner la région PACA à lui verser la somme de 60 000 euros majorée des intérêts moratoires à compter de la date de sa réclamation et, à titre subsidiaire, de ramener le montant des pénalités à de plus justes proportions.
Par un jugement n° 1910092 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de décharge des pénalités en tant qu'elles concernent les pénalités de 18 000 euros relatives aux absences du 31 mai 2019, a mis à la charge de la région PACA le versement des intérêts moratoires au taux légal sur la somme de 18 000 euros pour la période du 9 août 2019 au 6 mai 2020 et a rejeté le surplus de la demande de la société CEJIP.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 juin et 15 novembre 2021, la société CEJIP, représentée par la SELARL Abeille et associés, demande à la Cour :
A titre principal :
1°) d'annuler le jugement attaqué, en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à être remboursée des pénalités de retard et l'a condamnée à verser la somme de 2 000 euros à la région PACA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner la région PACA à lui verser une somme de 42 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable ;
A titre subsidiaire :
1°) d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande de modération des pénalités de retard ;
2°) de modérer les pénalités qui lui ont été appliquées ;
En tout état de cause, de mettre à la charge de la région PACA le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la mise à sa charge des pénalités restantes de 42 000 euros en application de l'article 7 du cahier des clauses administratives particulières est injustifiée car l'inexécution de la prestation ne lui est pas imputable, la région s'étant ingérée dans la sélection des agents que recrutait la société CEJIP et ayant refusé de nombreuses candidatures sans motif valable, ce qui n'était pas prévu par le cahier des clauses techniques particulières ;
- elle a dû faire face à un cas de force majeure, en raison de l'absence injustifiée de sept agents, de l'absence pour accident de travail de neuf agents et pour congés maladie de quinze agents et l'ampleur du phénomène de ces absences est irrésistible ;
- les pénalités appliquées revêtent un caractère manifestement excessif alors notamment qu'elles représentent 89 % de son résultat annuel.
Par des mémoires, enregistrés au greffe de la Cour les 19 octobre 2021 et 17 janvier 2022, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par le cabinet Ernst et Young, demande à la Cour de rejeter la requête de la société CEJIP et de mettre à sa charge le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 17 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 18 avril 2022 à midi.
Vu :
- le jugement attaqué ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Durand, pour la société CEJIP.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte du 6 juin 2017, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) a conclu avec la société CEJIP un marché portant sur la surveillance des bâtiments de la région pour une période allant du 9 juillet 2017 au 8 juillet 2019. Par un courrier du 11 juin 2019, en application de l'article 7 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) de ce marché prévoyant des pénalités en cas d'absence d'agent sur site, la région a appliqué à la société CEJIP des pénalités de 60 000 euros pour le mois de mai 2019. Le 26 juillet 2019, la région PACA a émis un titre exécutoire du même montant. Par un jugement n° 1910092 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins de décharge des pénalités de 18 000 euros relatives aux absences du 31 mai 2019, pour lesquelles la région avait donné gain de cause à la société CEJIP mais a mis à la charge de la région le versement des intérêts moratoires au taux légal sur cette somme pour la période du 9 août 2019 au 6 mai 2020, et a rejeté le surplus des conclusions. La société CEJIP relève appel de ce jugement, en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tendant à la décharge des pénalités.
Sur la régularité du jugement :
2. A supposer que la société CEJIP invoque l'insuffisante motivation du jugement sur sa réponse au moyen tiré de l'existence d'un cas de force majeure, ce moyen d'irrégularité doit être écarté dès lors que la réponse du tribunal au point 7 permettait de comprendre les raisons pour lesquelles il estimait que les conditions de la force majeure n'étaient pas réunies.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne les conclusions principales :
3. D'une part, aux termes de l'article 7 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicables au marché en litige : " Les pénalités s'appliquent à des retards dans l'exécution ou une exécution non conforme au cahier des clauses techniques particulières (CCTP). Ces pénalités sont calculées de la manière suivante : / absence d'agent sur le site / [] 500 € / heure d'absence d'un agent si non-remplacement dans un délai de 2 heures et uniquement par un agent ayant le même cadre d'emploi / [] Il n'y a pas lieu d'appliquer ces pénalités si la défaillance résulte de la force majeure, de la faute ou du fait de la Région ". Et l'article 5.5 du CCAP précise en outre que : " S'agissant des prestations forfaitaires, le marché donne lieu au versement d'acomptes mensuels. Le montant à facturer chaque mois est le douzième du forfait annuel. Seront déduites le cas échéant, les réfactions et pénalités ".
4. D'autre part, selon l'article 4 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) : " Les personnels affectés aux prestations, objet de ce marché, doivent posséder au minimum les qualifications suivantes : - habilitation H0B0 (tous agents confondus) - qualification SSIAP 1 et attestation recyclage (APS rondier) + PS2 (APS incendie) - qualification SSIAP 2 et attestation de recyclage (chef d'équipe et suivant les fonctions) - qualification SSIAP 3 et attestation de recyclage (chef de site et suivant les fonctions) ". L'article 5 du CCTP précise en outre que : " Dans le cadre de la prise de fonction pour tout nouvel arrivant et/ou changement de cadre d'emploi d'un agent, celui-ci devra être reçu en entretien par le représentant du titulaire et le responsable du marché ou son représentant. / A l'issue de cet entretien, l'agent devra obligatoirement effectuer en doublure sur site, le temps de formation. [] A l'issue de cette formation la Région peut effectuer une évaluation du niveau de connaissances des agents en présence du titulaire. Si les résultats de cette évaluation sont insuffisants, la Région se réserve le droit de demander au titulaire la présentation d'un nouvel agent en remplacement ".
5. Suite à la facture 0F190274 émise le 31 mai 2019 par la société CEJIP, par courrier du 11 juin 2019, la région a notifié à celle-ci le décompte des pénalités pour exécution non conforme pour un montant de 60 000 euros hors taxes dans les conditions prévues par l'article 7 du CCAP cité au point 3. Ce montant a été réduit par la région à 42 000 euros hors taxes, sur réclamation de la société CEJIP, alors qu'il a été constaté que les effectifs mis en place pour le 31 mai 2019 correspondaient bien à ceux prévus par le CCTP. Sept pénalités, pour un montant de 42 000 euros hors taxes, ont donc été appliquées pour cause d'absence d'un opérateur vidéo HDR pour les 10, 15, 21, 27, 28 et 29 mai 2019 et d'absence d'un chef d'équipe le 20 mai 2019.
Quant à l'imputabilité de l'exécution non conforme :
6. En l'absence de stipulation contraire du cahier des clauses administratives particulières du marché, les pénalités sont dues de plein droit et sans mise en demeure préalable du cocontractant, dès constatation de l'absence par le pouvoir adjudicateur.
7. La société CEJIP soutient que les faits reprochés ne lui seraient pas imputables.
8. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que la région lui aurait imposé des contraintes de recrutement au-delà de ce qui était prévu par les stipulations contractuelles, qui soient à l'origine des absences en cause. Si l'article 5 du CCTP cité au point 4 prévoit que dans le cadre de la prise de fonction " tout nouvel arrivant [] devra être reçu en entretien par le représentant du titulaire et le responsable du marché ou son représentant. " et que " la Région se réserve le droit de demander au titulaire la présentation d'un nouvel agent en remplacement " et si la société CEJIP soutient que la région se serait opposée en amont au recrutement de nouveaux agents, notamment au motif qu'ils n'étaient pas sapeurs-pompiers volontaires, ou qu'elle aurait fait obstacle au recrutement d'un opérateur vidéo et d'un chef d'équipe, elle ne l'établit pas en se bornant à se prévaloir d'attestations de son personnel, établies dans le cadre de la présente instance, ou de courriels du 20 janvier 2018 mentionnant seulement que deux candidats sur trois n'ont pas été retenus car ils ne correspondaient pas aux attentes du client, sans plus de précision. Les courriels des 14 décembre 2017 et des 12 et 16 juillet 2018 qui se réfèrent à une " validation du client " ne sont pas non plus suffisants pour démontrer que la région aurait imposé à la société CEJIP des exigences qui n'étaient pas prévues au contrat. Si la société fait état de soixante-sept candidatures présentées en janvier 2019, elle ne démontre pas qu'elles auraient été écartées pour des motifs étrangers au contrat. Par ailleurs, le courriel de la société du 24 septembre 2018 qui rappelle ses difficultés de recrutement tout en soulignant, de manière générale, les exigences de la région, n'est pas non plus de nature à démontrer que la région lui aurait imposé des contraintes au-delà de ce qui est prévu au contrat. Enfin, les circonstances que la société CEJIP ait fait diligence et se soit montrée réactive pour pallier les absences et qu'elle ait été félicitée par les services de la région concernant les " mouvements du 31 janvier 2019 " demeurent à cet égard sans incidence, alors que les absences ne sont pas contestées.
9. D'autre part, la société CEJIP soutient qu'elle a dû répondre à des demandes exceptionnelles, mais elle ne justifie que d'une seule demande, pour une prestation sur la commune du Puy-Sainte-Réparade, le 24 mai 2019, ce qui n'est pas davantage de nature à caractériser un comportement de la région excluant l'application des pénalités alors que l'article 11-2 du CCTP stipule qu' " il sera possible d'étendre les prestations à la demande du service de sécurité de la région, en supplément des prestations permanentes, pour des besoins ponctuels et de courte durée ". Si la société requérante soutient que cette demande est intervenue tardivement, il résulte des pièces du dossier qu'elle a été sollicitée par un courriel du 22 mai 2019 à 11 heures 34 pour une intervention le 24 mai 2019 à 18 heures dans le cadre d'une " manifestation de haute importance ", ce qui correspond aux modalités énoncées par l'article 11-2 en vertu duquel les commandes sont émises au maximum 72 heures avant le début de la manifestation, ce délai pouvant toutefois être réduit en cas d'absolue nécessité.
10. Il résulte de ce qui précède que la société CEJIP ne démontre pas l'existence d'une faute ou d'un fait de la région qui exclurait l'application des pénalités de l'article 7 du CCAP cité au point 3.
Quant à l'existence d'un cas de force majeure :
11. Le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution, sauf en cas de force majeure. L'événement de force majeure, qui exonère de sa responsabilité la personne qui l'a subi, suppose l'intervention d'un événement extérieur aux parties, imprévisible dans sa survenance et irrésistible dans ses conséquences.
12. La société CEJIP soutient que l'application des pénalités est injustifiée car elle aurait dû faire face à un cas de force majeure en raison de l'absence injustifiée de sept agents, de l'absence pour accident de travail de neuf agents et pour congés maladie de quinze agents. Elle ne démontre toutefois pas que ces circonstances étaient extérieures aux parties alors qu'il résulte de l'instruction, notamment du courriel du 24 septembre 2018 du directeur " stratégie et développement " de la société, que ces difficultés existaient bien avant la période litigieuse du mois de mai 2019 et que la société était déjà confrontée à des problèmes de gestion des ressources humaines dès 2018. En outre, en se bornant à faire état de difficultés générales sans produire un état précis de ses effectifs, des agents indisponibles en raison de congés maladie ou d'accidents du travail et de ceux susceptibles de les remplacer, la société ne justifie pas du caractère irrésistible de l'évènement. A cet égard, s'il ressort du courriel du 3 juillet 2019 que la société CEJIP s'est heurtée à des difficultés pour recruter du personnel, elle ne justifie pas qu'elle était dans l'impossibilité totale de procéder au remplacement d'un opérateur vidéo HDR et d'un chef de site. Dans ces conditions, la société CEJIP n'est pas non plus fondée à soutenir qu'il n'y aurait pas lieu d'appliquer les pénalités en raison de l'existence d'un cas de force majeure.
En ce qui concerne les conclusions subsidiaires aux fins de réduction des pénalités :
13. Lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat. Il peut, à titre exceptionnel, être saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations. Il appartient au titulaire du marché qui saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, de fournir tous les éléments relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent, selon lui, un caractère manifestement excessif. Lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif, compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée.
14. Par suite, à l'appui de ses conclusions tendant à leur modulation, la société CEJIP ne peut utilement soutenir que les pénalités qui lui ont été infligées par la région représentent 89 % de son résultat annuel, ce critère n'étant pas de ceux pris en compte ainsi qu'il a été dit au point précédent.
15. La société CEJIP n'est pas non plus fondée à soutenir que le montant unitaire des pénalités excède les pratiques observées dans des marchés comparables, en produisant notamment les CCAP d'autres administrations, alors qu'il résulte de l'instruction que le montant des pénalités qui lui ont été appliquées de 42 000 euros hors taxes représente seulement 2,6 % du montant du marché pour la tranche allant du 9 juillet 2018 au 8 juillet 2019 d'1 605 858,45 euros hors taxes. Dans ces conditions, et compte tenu notamment de la gravité des faits ayant justifié l'infliction des sanctions, le caractère manifestement excessif des pénalités en litige n'est pas établi par la société CEJIP.
16. Il résulte de ce qui précède que les conclusions principales et subsidiaires de la société CEJIP doivent être rejetées.
Sur les frais de justice en première instance :
17. La société CEJIP ne démontre pas que les premiers juges, qui ont mis à sa charge la somme de 2 000 euros, ont fait une appréciation excessive des frais exposés par la région PACA et non compris dans les dépens.
Sur les frais liés au litige d'appel :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par la société CEJIP. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société la somme de 2 000 euros à verser à la région PACA sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société CEJIP est rejetée.
Article 2 : La société CEJIP versera à la région PACA une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société CEJIP et à la région Provence Alpes-Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 avril 2023.0