CAA Nancy, 22/12/2022, n°21NC02104
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Valenti a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre communal d'action sociale (CCAS) de Val de Meuse à lui verser la somme de 271 300 euros toutes taxes comprises (TTC) correspondant au solde du décompte général du lot n° 2 "gros œuvre" du marché public de travaux d'extension et de restructuration de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Val de Meuse, assortie des intérêts de retard au taux contractuel de 7 % à compter du 18 octobre 2018 et de leur capitalisation, et de mettre à la charge du CCAS de Val de Meuse le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2000227 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de la société Valenti et mis à sa charge le versement d'une somme de 1 500 euros au CCAS de Val de Meuse en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 juillet 2021 et 25 août 2022, la société Valenti, représentée par Me Barberousse demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de de Châlons-en-Champagne du 11 mai 2021 ;
2°) de condamner le CCAS de Val de Meuse à lui verser la somme de 271 300 euros toutes taxes comprises TTC correspondant au solde du décompte général du lot n° 2 "gros œuvre" du marché public de travaux d'extension et de restructuration de l'EHPAD de Val de Meuse, assortie des intérêts de retard au taux contractuel de 7 % à compter du 18 octobre 2018 et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du CCAS de Val de Meuse le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, dès lors que l'article 50.1.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) ne prévoit pas que le mémoire en réclamation doit parvenir respectivement au représentant du pouvoir adjudicateur et au maître d'œuvre dans le délai de 45 jours, seule une copie devant être adressée à ce dernier, la circonstance qu'en l'espèce le maître d'œuvre a reçu cette copie après ce délai, alors que le mémoire en réclamation était parvenu dans le délai au maître d'ouvrage, est sans incidence la recevabilité de ce dernier ; le décompte général n'a donc pas acquis un caractère définitif ;
- elle a valablement notifié son mémoire en réclamation au CCAS de Val de Meuse ; si la Solorem était bien le mandataire du maître d'ouvrage, la convention de mandat, qui au demeurant n'habilitait pas la Solorem à établir les décomptes des marchés de travaux, ne lui était pas opposable ; en méconnaissance de l'article 3.3 du CCAG Travaux, elle n'a pas été informée de la personne physique habilitée à représenter le mandataire du maître d'ouvrage, de sorte qu'en application de l'article 1.2 du CCAP c'est le signataire de l'acte d'engagement qui doit être regardé comme son représentant ;
- le décompte général doit être modifié en y ajoutant à son crédit la somme de 200 968,28 euros hors taxes (HT) au titre des incidences financières résultant du décalage du planning prévisionnel des opérations de travaux et en y soustrayant la somme de 159 216,75 euros qui a été mise à son débit au titre des pénalités qui lui ont été infligées à tort ;
- le décompte général doit être fixé au montant de 1 868 544,47 euros TTC et le CCAS doit être condamné à lui verser la somme de 260 710,79 euros TTC en règlement du solde ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2021 le CCAS de Val de Meuse, représenté par Me Banel conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Valenti le versement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picque, première conseillère,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Caille, représentant la société Valenti et de Me Dreyfus-Gelin représentant le centre communal d'action sociale de Val de Meuse.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre communal d'action sociale (CCAS) de Val-de-Meuse a confié à la société anonyme d'économie mixte " Haute-Marne Aménagement " un mandat de maîtrise d'ouvrage pour l'extension et la restructuration d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) situé à Montigny-le-Roi. Agissant au nom et pour le compte du maître d'ouvrage, la société d'équipement vosgienne, venant aux droits de la société anonyme d'économie mixte "Haute-Marne Aménagement", a confié à la société Valenti, par un acte d'engagement du 14 juillet 2012, le lot n° 2 "gros œuvre" du marché public de travaux pour un montant de 1 576 747,12 euros toutes taxes comprises (TTC). Les travaux ont été réceptionnés par tranches avec des réserves définitivement levées le 13 décembre 2017. Après s'être vue communiquer le projet de décompte final de la société Valenti, la société lorraine d'économie mixte d'aménagement urbain (SOLOREM), venant aux droits du précédent mandataire du maître d'ouvrage, lui a transmis, par un courrier du 2 mai 2019, le décompte général qui fixe le montant des travaux à 1 474 245 euros TTC et fait apparaître, au débit de cette société, un solde de 144 177,89 euros TTC. Le mémoire en réclamation de la société Valenti en date du 24 juin 2019 a été rejeté par la SOLOREM le 6 août 2019. La société Valenti a demandé au tribunal de fixer le décompte général à la somme de 1 868 544,47 euros TTC et de condamner le CCAS à lui verser la somme de 271 300 euros TTC au titre du solde de ce décompte. Elle relève appel du jugement du 11 mai 2021 par lequel les premiers juges ont rejeté cette demande comme irrecevable au motif que le décompte général avait acquis un caractère définitif.
Sur les fins de non-recevoir contractuelles opposées à la demande de la société Valenti :
2. D'une part, aux termes des stipulations de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), dans leur version applicable au présent litige auquel les stipulations particulières du contrat ne dérogent pas : "Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général ()". Les stipulations de l'article 13.4.4 du même cahier ajoutent que : "Dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le titulaire renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer." Enfin, l'article 50.1.1 du même cahier précise que : "Si un différend survient () entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général. ()".
3. D'autre part, selon l'article 2 du CCAG auquel l'article 2 du CCAP ne déroge pas sur ce point : " () Le représentant du pouvoir adjudicateur est le représentant du maître de l'ouvrage, dûment habilité par ce dernier à l'engager dans le cadre du marché et à le représenter dans l'exécution du marché ". L'article 3 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique alors en vigueur dispose que : " Dans la limite du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle qu'il a arrêtés, le maître de l'ouvrage peut confier à un mandataire, dans les conditions définies par la convention mentionnée à l'article 5, l'exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions suivantes de la maîtrise d'ouvrage : () 4° () gestion du contrat de travaux ; 5° Versement de la rémunération de la mission de maîtrise d'œuvre et des travaux ; 6° Réception de l'ouvrage et accomplissement de tous actes afférents aux attributions mentionnées ci-dessus. () ".
4. Enfin, selon la convention de mandat conclue entre le CCAS de Val-de-Meuse et la société anonyme d'économie mixte Haute-Marne Aménagement, à laquelle s'est substituée la SOLOREM par l'avenant n° 3 à ce contrat, signé le 20 octobre 2016 : " Conforment aux dispositions des articles 3 et suivants de la loi précitée du 12 juillet 1985, la collectivité donne mandat à la société pour exercer, au nom et pour son compte, les attributions suivantes : () versement de la rémunération de la mission de maîtrise d'œuvre et du prix des travaux () ; suivi du chantier sur les plans technique, financier et administratif () ".
5. En premier lieu, il résulte des stipulations citées au point 2 que, dans le cas d'un différend sur le décompte général du marché, le titulaire doit transmettre un mémoire en réclamation au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date à laquelle ce dernier lui a notifié le décompte général et en adresser une copie au maître d'œuvre. Le respect de ce délai, à l'égard tant du représentant du pouvoir adjudicateur, que du maître d'œuvre, est une formalité substantielle. Par suite, à défaut de transmission au maître d'œuvre du mémoire en réclamation de la société Valenti dans le délai de quarante-cinq jours prévu par l'article 50.1.1 du CCAG-Travaux, le décompte général est devenu définitif.
6. Au surplus, en second lieu, il résulte des dispositions citées au point 3 que le législateur a entendu faire produire au mandat ainsi institué et réglementé tous les effets du principe de représentation du mandant par le mandataire, dans l'exercice et dans la limite des attributions confiées à ce dernier par la convention de mandat.'Selon la convention conclue entre le CCAS de Val de Meuse et la société anonyme d'économie mixte Haute-Marne Aménagement, à laquelle s'est substituée la SOLOREM, la collectivité avait donné mandat à son cocontractant d'exercer au nom et pour son compte les attributions relatives au versement du prix des travaux, au suivi financier du marché et à la réception de l'ouvrage. A la date de la réclamation, la SOLOREM était donc le représentant du pouvoir adjudicateur au sens des dispositions précédemment citées du CCAG Travaux sans que la société requérante ne puisse utilement invoquer l'inopposabilité de la convention de maîtrise d'ouvrage. Or, il résulte de l'instruction que la société Valenti a reçu le décompte général transmis par la SOLOREM, le 10 mai 2019. Dès lors, le délai de quarante-cinq jours prévu par les stipulations citées au point 3 expirait le 24 juin 2019. Si la société a fait transmettre sa réclamation au CCAS le 24 juin 2019, par voie d'huissier, il résulte de l'instruction que celle-ci n'est parvenue à la SOLOREM que le lendemain, soit au-delà du délai de 45 jours. Le CCAS est donc également fondé à soutenir que, à la date à laquelle la société Valenti a notifié son mémoire en réclamation au représentant du pouvoir adjudicateur, le décompte général en litige était devenu définitif.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Valenti n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande comme irrecevable. La requête de la société Valenti doit, par suite, être rejetée, dans toutes ses conclusions y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de mettre à sa charge la somme demandée par le CCAS au titre des frais d'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Valenti est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du centre communal d'action sociale de Val-de-Meuse sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Valenti et au centre communal d'action sociale de Val-de-Meuse.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- Mme Picque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 202La rapporteure,
Signé : A.-S. PicqueLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : M. A
La République mande et ordonne au préfet de la Meuse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. A.