CAA Versailles, 16/09/2022, n°22VE00578

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ser Construction a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Bois-Colombes à lui verser une provision de 716 763 euros TTC assorties des intérêts moratoires et de leur capitalisation en règlement du lot n° 1 " clos ouvert " attribué le 28 décembre 2015 au groupement dont elle est mandataire.

Par une ordonnance n° 1907611 du 24 février 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune de Bois-Colombes à verser à la société Ser Construction une provision de 716 763 euros TTC assortie des intérêts moratoires au taux légal majoré de huit points à compter du 12 mars 2019 avec capitalisation des intérêts à compter du 12 mars 2020, en subordonnant le versement de cette provision à la constitution d'une garantie bancaire par la société Ser Construction.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 mars 2022, la commune de Bois-Colombes, représentée par Me Frölich, avocat, demande à la cour :

1°)d'annuler cette ordonnance ;

2°)à titre principal, de rejeter la demande présentée par la société Ser Construction devant le tribunal administratif, ou, à titre subsidiaire, de conditionner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ;

3°)de mettre à la charge de la société Ser Construction la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

-l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de fait en ce qu'elle a considéré que la commune avait levé toutes les réserves correspondant aux travaux non réalisés de la phase n°1 visés par l'article 41.5 du CCAG, dès lors que le procès-verbal de réception de la phase n° 3 visait des annexes listant des réserves propres aux phases n° 1, 2 et 3 ;

-elle est entachée d'erreur de qualification juridique des faits, la réserve n° 287 devant être qualifiée de travaux inexécutés au sens de l'article 41.5 du CCAG ;

-la créance est sérieusement contestable dès lors qu'aucun décompte général et définitif tacite n'est intervenu ; l'existence d'un marché de substitution fait obstacle à la mise en œuvre du mécanisme d'intervention d'un décompte général et définitif tacite ; la phase n°1 des travaux a été réceptionnée " avec " et " sous réserves " de l'exécution de travaux et prestations énumérés dans deux annexes ; que ces réserves ayant elle-mêmes été annexées au procès-verbal de la phase n° 3, la réception globale a été faite " sous réserve " au sens de l'article 41.5 du CCAG Travaux ; la réserve n° 287 correspondant à des travaux non réalisés et non à de simples imperfections n'ayant pas été levée et ayant donné lieu à un marché de substitution, le titulaire n'était pas fondé à notifier son projet de décompte final au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre avant la levée des réserves dans le cadre de ce marché de substitution ;

-la société Ser Construction n'a pas respecté la procédure de règlement financier des marchés publics telle que prévue à l'article 13 du CCAG Travaux ; elle a transmis un projet de décompte final incomplet et a elle-même reconnu que ce décompte n'incluait pas le montant des travaux pour la levée de la réserve n° 287 ; son décompte général se bornait à renvoyer au décompte final pour le projet d'état de solde ; ce projet d'état de solde ne mentionnait pas le montant de l'avance forfaitaire à rembourser ; le décompte général ne comportait pas le calcul de l'actualisation ou de la révision des prix ; le décompte général était donc incomplet ; le délai de dix jours de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux n'a pu courir ; en tout état de cause, le maître d'ouvrage a rappelé que les travaux se poursuivaient dans un courrier du 10 janvier 2019, soit dans le délai de dix jours après le renvoi du projet de décompte général par le titulaire par un courrier du 3 janvier 2019 ; le maître d'ouvrage ayant notifié un décompte général par un courrier du 20 mars 2019, le titulaire a présenté un mémoire en réclamation qui fait état de travaux supplémentaires n'ayant fait l'objet ni d'avenant ni d'ordre de service et qui ne sont pas indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art ; le délai supplémentaire dont la société entend être indemnisée avait été accepté par elle ; les pénalités appliquées à la société sont justifiées ; les autres postes de réclamations invoqués par la société dans son mémoire en réclamation ne sont pas fondés ;

-à titre subsidiaire, la créance réclamée est sérieusement contestable ; les sommes mentionnées dans le décompte général du titulaire au titre des travaux supplémentaires auraient dû faire l'objet d'un mémoire en réclamation ; la demande de provision ne résulte que de son mémoire en réclamation du 3 avril 2019 qui n'est pas justifié ; la plupart des travaux ne sont pas indispensables ; ayant signé l'avenant n° 2 recalant le planning, elle peut obtenir une indemnité au titre d'un délai supplémentaire ou des difficultés d'interface avec le lot VRD ; les pénalités appliquées au titulaire sont fondées ; le titulaire entend faire payer à la commune une somme qu'elle ne doit pas ;

-à titre infiniment subsidiaire, la société Ser Construction ne démontre pas sa solvabilité en se prévalant de son chiffre d'affaires ; sa santé financière est préoccupante ; il s'agit d'une très petite entreprise ; son taux de marge est relativement faible.

Par un mémoire en défense et des pièces complémentaires, enregistrés respectivement les 4 et 5 mai 2022, la société Ser Construction, représentée par Me Soland, avocate, demande à la cour :

1°)de rejeter la requête ;

2°)d'annuler l'article 2 de l'ordonnance du 24 février 2022 ;

3°)de mettre à la charge de la commune de Bois-Colombes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

-à titre principal, la commune n'est pas recevable à reprendre devant la cour les points autres que le point 7 de l'ordonnance attaquée dès lors qu'elle ne formule de critiques qu'à l'égard de ce point ; les autres points ont autorité de la chose jugée ;

-à titre subsidiaire, l'ordonnance attaquée n'est pas entachée d'erreur de fait, les réserves de la phase n° 1 n'ayant pas été reprises dans celles de la phase n° 3 ou d'erreur de qualification juridique des faits, les réserves relevant de l'article 41.5 du CCAG Travaux ayant été levées et la réserve n° 287 ayant été désignée par erreur parmi les " travaux non réalisés " dans les OPR du 22 septembre 2017 ;

-au fond, le point 8 et une partie du point 9 de l'ordonnance attaquée sont revêtus de l'autorité de la chose jugée ;

-les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

-il n'y a pas lieu de subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie bancaire dès lors que le résultat net négatif de la société provient des pénalités indûment prélevées par la commune, qu'il n'y a eu aucun licenciement ni perte de capital social dans la société, que son chiffre d'affaires est en hausse depuis de nombreuses années ; les circonstances que la société n'emploie que huit salariés, qu'elle intervient sur un marché très concurrentiel et que son taux de marge est relativement faible sont sans lien avec sa solvabilité ; si une garantie apparaît nécessaire, le versement de la provision doit être fait sur un compte séquestre de la CARPA.

Par une décision en date du 1er septembre 2022, le président de la cour administrative d'appel de Versailles, a désigné M. Camenen, président assesseur de la 5ème chambre, pour statuer en qualité de juge des référés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux modifié par l'arrêté du 3 mars 2014 ;

-le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 28 décembre 2015, la commune de Bois-Colombes a confié à un groupement ayant pour mandataire la société Ser Construction la réalisation du lot n° 1 " clos ouvert " de l'opération de reconstruction du complexe sportif Albert-Smirlian et de réaménagement de la Sauvegarde. La société Ser Construction a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Bois-Colombes, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, à lui verser une provision de 716 763 euros TTC au titre du solde du marché. La commune de Bois-Colombes fait appel de l'ordonnance du 24 février 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser cette provision à la société Ser Construction. Par la voie d'appel incident, la société Ser Construction demande l'annulation de cette ordonnance en tant qu'elle a subordonné le versement de la provision à la constitution d'une garantie bancaire.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Si la commune de Bois-Colombes soutient que l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de fait sur le contenu des annexes du procès-verbal de réception de la phase n° 3 et d'une erreur de qualification juridique des faits relative à la réserve n° 287, de tels moyens sont relatifs au bien-fondé de cette ordonnance et sont sans influence sur sa régularité. Ils doivent, par suite, être écartés.

Sur le bien-fondé de la provision :

3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. ()".

4. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.

5. La commune de Bois-Colombes soutient que la créance dont se prévaut la société Ser Construction est sérieusement contestable au motif qu'elle ne peut pas se prévaloir de l'existence d'un décompte général et définitif tacite.

6. Aux termes de l'article de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables au marchés publics de travaux (CCAG Travaux) dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées () ". Aux termes de son article 13.3.2 : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3 / Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus ". Aux termes de son article 13.3.3 : " Le maître d'œuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final () ". Aux termes de son article 13.4.1 : " Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : - le décompte final ; - l'état du solde () ; - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde () Le maître d'œuvre transmet le projet de décompte général au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai compatible avec les délais de l'article 13.4.2 ". Aux termes de son article 13.4.2 : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire () ". Aux termes de son article 13.4.4 : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. / Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde () ". Aux termes de son article 41.5 : " S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès-verbal des opérations préalables à la réception prévu à l'article 41. 2 ". Aux termes de son article 41.6 : " Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44.1. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, le maître de l'ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse ". Et aux termes de son article 42.4 : " Dans tous les cas, le décompte général est unique pour l'ensemble des travaux, la notification de la dernière décision de réception partielle faisant courir le délai prévu à l'article 13.3.2 ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3.2.9 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché en litige : " Conformément à l'article 13.3 du CCAG, le projet de décompte final devra être remis par le titulaire au maître d'œuvre et au pouvoir adjudicateur dans un délai de 30 jours à compter de la date de notification par le maître d'ouvrage de la décision de réception (avec ou sans réserve). / Conformément à l'article 13.3.2 du CCAG, si la réception est prononcée " sous réserves " le titulaire devra remettre au maître d'œuvre son projet de décompte dans un délai de 30 jours à compter de la levée des réserves () ". Aux termes de son article 9.2.1 : " La date de réception des travaux sera unique à la fin des travaux de l'ouvrage. / Ces dispositions sont applicables également aux réceptions partielles ". Aux termes de son article 9.2.4 : " Par dérogation à l'article 41 du CCAG Travaux, en fonction de la nature des réserves à lever, le délai maximum de levée des réserves sera fixé dans le procès-verbal de réception du lot et pourra, en fonction de la décision du maître d'ouvrage, être inférieur au délai maximum visé à l'article 41.6 du CCAG Travaux () Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé ci-dessus en tenant compte de l'utilisation par le public de l'équipement. / Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, le maître de l'ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse () ".

7. Il résulte de l'instruction que la réception des travaux de la troisième et dernière phase du marché a été fixée au 26 juillet 2018 par une décision du 7 août 2018. A la suite de cette réception, la société Ser Construction a établi et transmis son projet de décompte final. Le représentant du pouvoir adjudicateur ne lui ayant pas notifié le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire a notifié au représentant du pouvoir adjudicateur, par deux courriers des 12 décembre 2018 et 3 janvier 2019, un projet de décompte général signé et en a adressé copie au maître d'œuvre par courrier du 25 janvier 2019 reçu le 28 janvier 2019. La commune de Bois-Colombes soutient que ce projet de décompte n'a pu devenir le décompte général et définitif du marché.

8. En premier lieu, la commune de Bois-Colombes soutient que le titulaire ne pouvait transmettre son projet de décompte final dans le délai de trente jours suivant la réception des travaux mais devait attendre la levée de la réserve n° 287, dès lors que la réception des travaux n'avait pas été faite " avec réserves " mais " sous réserve ", les réserves des deux premières phases ayant été reprises lors de la réception de la troisième et dernière phase. Toutefois, si la réception de la phase n° 1 est effectivement intervenue " avec " et " sous réserves ", il résulte de la décision du 7 août 2018 que la réception des travaux de la phase n° 3 a seulement été prononcée " avec " les réserves suivantes : " le titulaire doit remédier, avant le 27 août 2018, aux imperfections et malfaçons indiquées aux annexes n° 1 et n° 2 jointes au présent document. / Toutefois, il est proposé que la réserve n° 17 de l'annexe 2 soit levée, si le titulaire du marché public accepte avant le 22 août 2018 une réfaction égale au prix de base à 1 406 € HT " et " les installations de chantier seront repliées et les terrains et les lieux seront remis en état selon l'annexe n° 2 jointe au présent document, avant le 27 août 2018 ". La commune se borne d'ailleurs à évoquer une réception " avec réserve " pour la phase n° 3 dans son courrier du 20 novembre 2018. Contrairement à ce qu'elle fait valoir, la réserve n° 287 ne figurait pas dans les annexes 1 et 2 jointes à la décision de réception de la phase n° 3 et produites par la société Ser Construction en première instance. En effet, il résulte de l'instruction, en particulier des mentions figurant sur les documents produits par la commune qu'ils ne constituaient pas les annexes 1 et 2 à la décision de réception du 7 août 2018 mais les annexes au procès-verbal des opérations préalables à la réception du 22 septembre 2017 afférentes à la phase n° 1 des travaux. Ainsi, le procès-verbal de réception de la phase n° 3 ne saurait être regardé comme ayant repris les réserves effectuées lors de la réception de deux premières phases. En tout état de cause, si l'annexe 1 dont se prévaut la commune mentionne effectivement la réserve n° 287 comme faisant partie des travaux non réalisés et non des imperfections à corriger, la commune a elle-même rectifié cette erreur en la qualifiant de réserve au sens de l'article 41.6 du CCAG Travaux dans son courrier du 10 janvier 2019 ou dans son courrier du 14 mars 2019. En outre, il résulte de l'instruction, ainsi que l'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, que dans sa décision EXE9 du 14 mars 2018, le maître d'ouvrage, suivant les propositions du maître d'œuvre, a reconnu que les travaux et prestations ayant fait l'objet de réserves au sens de l'article 41.5 du CCAG Travaux lors de la réception de la phase n° 1 avaient été exécutées, le titulaire devant seulement corriger les imperfections et malfaçons mentionnées en annexe, au nombre desquelles figurait la réserve n° 287. Dès lors, contrairement à ce que soutient la commune, la décision de réception de la dernière phase des travaux a seulement été prononcée " avec réserves " et même en l'absence de levée de la réserve n° 287, le délai imparti au titulaire pour transmettre son projet de décompte final a commencé à courir à compter de la date de notification de cette décision de réception.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 48.4 du CCAG Travaux : " En cas de résiliation aux frais et risques du titulaire, les mesures prises en application de l'article 43.8 sont à la charge de celui-ci. Pour l'achèvement des travaux conformément à la réglementation en vigueur, il est passé un marché avec un autre entrepreneur. Ce marché de substitution est transmis pour information au titulaire défaillant. Par exception aux dispositions de l'article 13.4.2, le décompte général du marché résilié ne sera notifié au titulaire qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. ".

10. La commune de Bois-Colombes soutient que l'existence d'un marché de substitution ferait obstacle à l'intervention du décompte général et définitif tacite dont se prévaut la société Ser Construction. Toutefois, si la commune s'est prévalue des stipulations précitées de l'article 48.4 du CCAG Travaux dans ses courriers des 10 janvier 2019 et 14 mars 2019 pour contester l'existence d'un décompte tacite, il ne résulte pas de l'instruction que le marché litigieux aurait été résilié, cette résiliation étant d'ailleurs formellement contestée par la société Ser Construction. En outre, si le maître de l'ouvrage peut faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse, les travaux ayant fait l'objet de réserves au sens des stipulations précitées de l'article 41.6 du CCAG Travaux qui ne sont pas faits dans le délai prescrit, cette circonstance ne fait pas obstacle à la naissance d'un décompte tacite. Par suite, la commune ne peut utilement se prévaloir de l'existence d'un marché de substitution pour remédier à une imperfection ou malfaçon ayant fait l'objet d'une réserve, en l'occurrence la réserve n° 287, pour contester l'existence d'un décompte tacite.

11. En troisième lieu, si la commune de Bois-Colombes soutient que le projet de décompte final transmis par la société Ser Construction était incomplet, elle ne conteste pas que le maître d'œuvre ayant sollicité plusieurs documents complémentaires, elle a transmis ces éléments par un courrier du 26 octobre 2018 reçu le 7 novembre 2018. Si la société Ser Construction a ensuite indiqué, dans un courrier du 15 février 2019, qu'il conviendra de déduire de son décompte la facture de l'entreprise chargée de lever la réserve n° 287, d'un montant de 8 976 euros TTC, cette circonstance ne permet nullement d'établir que le décompte final transmis par le titulaire était incomplet et qu'aucun décompte tacite n'était susceptible de naître après son envoi.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 13.2.1 du CCAG Travaux : " A partir du décompte mensuel, le maître d'œuvre détermine le montant de l'acompte mensuel à régler au titulaire. Le maître d'œuvre dresse à cet effet un état d'acompte mensuel faisant ressortir : a) Le montant de l'acompte mensuel établi à partir des prix initiaux du marché : ce montant est la différence entre le montant du décompte mensuel dont il s'agit et celui du décompte mensuel précédent ; b) Le montant de la TVA ; c) Le montant des pénalités, le cas échéant ; d) L'effet de l'actualisation ou de la révision des prix ; les parties de l'acompte actualisables ou révisables sont majorées ou minorées en appliquant les coefficients prévus. Si, lors de l'établissement de l'état d'acompte, les index de référence ne sont pas tous connus, cet effet est déterminé provisoirement à l'aide des derniers coefficients calculés et il est fait mention de cette circonstance dans l'état d'acompte ; e) Le cas échéant, le montant de l'avance à attribuer au titulaire ; f) Le cas échéant, le montant de l'avance à rembourser par le titulaire ; g) Le montant de la retenue de garantie s'il en est prévu une par les documents particuliers du marché et qu'elle n'a pas été remplacée par une autre garantie. / Le montant de l'acompte mensuel total à régler au titulaire est la somme des postes a et b ci-dessus, augmentée, le cas échéant, du montant des postes d et e et diminuée, le cas échéant, de la somme des montants des postes c, f et g. ".

13. Il résulte de l'instruction que le projet de décompte général établi par la société Ser Construction contient un projet d'état de solde hors révision de prix définitive qui renvoie au projet décompte final pour les informations mentionnées aux points a), b), c), e), f) et g) de l'article 13.2.1 du CCAG travaux. Toutefois, le projet décompte final ayant été joint au projet de décompte général, cette motivation par référence n'entache pas d'irrégularité la procédure d'établissement du décompte.

14. En cinquième lieu, si la commune de Bois-Colombes fait grief à la société Ser Construction de ne pas avoir indiqué le montant de l'avance forfaitaire à rembourser dans son projet de décompte général, elle n'apporte aucune précision sur le montant de cette avance et la société Ser Construction fait valoir, sans être contestée, que cette avance avait été remboursée depuis 2017. Ainsi, l'absence de mention de cette avance dans le projet de décompte général n'entache pas davantage d'irrégularité l'établissement du décompte.

15. En sixième lieu, la commune de Bois-Colombes soutient que le projet de décompte final transmis par la société Ser Construction est également irrégulier en ce que le projet d'état de solde mentionne que " le point d) sera calculé par la MOE comme stipulé au CCAP " et ne contient ainsi pas l'effet de l'actualisation ou de la révision des prix. Toutefois, les stipulations de l'article 3.2.7 du CCAP relatives aux acomptes mensuels attribuent le calcul des révisions au maître d'œuvre, le titulaire étant seulement invité à inclure ses propres calculs dans son projet de décompte. Par suite, le titulaire ne pouvant être regardé comme étant tenu de procéder aux calculs des révisions de prix dans son projet de décompte, l'absence de ces calculs n'a pu l'entacher d'irrégularité.

16. En septième lieu, à la suite de l'envoi de son projet de décompte général par le titulaire, la commune, dans un courrier du 10 janvier 2019, a rappelé à ce dernier qu'elle avait décidé de poursuivre les travaux à ses frais et risques et que le décompte général lui serait notifié après le règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux. Toutefois, en l'absence de notification au titulaire du décompte général dans ce délai de dix jours prévu par les stipulations précitées de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux, ce courrier de la commune n'a pu faire obstacle à la naissance d'un décompte tacite.

17. En huitième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier des mentions non contestées du courrier de la société Ser Construction du 18 septembre 2018 notifiant son projet de décompte final ou de son courrier du 3 avril 2019, qu'elle a joint un mémoire en réclamation pour les prestations complémentaires dues au groupement. Ainsi, l'absence d'un tel mémoire n'a pu, en tout état de cause, faire obstacle à la naissance ultérieure d'un décompte tacite. De plus, si elle a également présenté un tel mémoire en réclamation à la suite de la notification par la commune de son décompte général postérieurement à la naissance d'un décompte tacite, cette circonstance n'est pas davantage de nature à remettre en cause le caractère général et définitif de ce décompte qui fonde la provision allouée à la société Ser Construction.

18. Enfin, la commune de Bois-Colombes ne peut utilement faire valoir que les sommes réclamées par le titulaire dans son projet de décompte général ne seraient pas justifiées notamment au motif que les travaux supplémentaires figurant dans ce décompte ne correspondaient pas à des travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ou que les pénalités appliquées au titulaire étaient justifiées, dès lors que sa créance a pour seul fondement l'existence d'un décompte général et définitif tacite. Elle ne saurait davantage utilement se prévaloir du principe selon lequel une personne ne peut être condamnée au versement d'une somme qu'elle ne doit pas.

19. Il résulte de ce qui précède que le décompte du marché est devenu définitif de façon tacite à l'expiration d'un délai de dix jours courant à compter de la date de notification de projet de décompte général par le titulaire, soit à compter du 28 janvier 2019. La créance dont se prévaut la société Ser Construction n'est donc pas sérieusement contestable.

20. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir et l'exception de chose jugée invoquée par la société Ser Construction que la commune de Bois-Colombes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser à la société Ser Construction la provision de 716 763 euros TTC au titre du solde du marché.

Sur la garantie :

21. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés () peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ".

22. D'une part, eu égard au montant de la provision qui lui a été allouée et à sa situation financière, la société Ser Construction n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a conditionné le versement de la provision à la constitution d'une garantie.

23. D'autre part, en se bornant à soutenir qu'une garantie bancaire l'exposerait à des frais importants et que toutes les banques n'offrent pas cette prestation, la société Ser Construction n'établit pas qu'il y aurait lieu de verser la provision accordée sur un compte séquestre de la caisse des règlements pécuniaires des avocats.

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Ser Construction, qui n'est pas la partie perdante, verse à la commune de Bois-Colombes une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Bois-Colombes le versement de la somme de 2 000 euros à la société Ser Construction sur ce même fondement.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la commune de Bois-Colombes est rejetée.

Article 2 : La commune de Bois-Colombes versera la somme de 2 000 euros à la société Ser Construction au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Bois-Colombes et à la société Ser Construction.

Fait à Versailles le 16 septembre 2022.

Le président assesseur de la 5ème chambre,

Juge des référés

G. CAMEMEN

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

A lire également