TA Bastia, 06/12/2022, n°2001162

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 octobre 2020 et le 14 avril 2021, M. C B, représenté par Me Thibaudeau, demande au tribunal :

1°) de condamner solidairement la commune de Rogliano et la SAS Entreprise Natali à lui verser la somme de 20 292,50 euros en réparation du préjudice corporel que lui a causé sa chute, le 6 août 2017, dans le port de Macinaggio ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Rogliano et de la SAS Entreprise Natali la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le requérant soutient que :

- la responsabilité de la commune de Rogliano est engagée en raison du défaut d'entretien normal d'un ponton situé dans le port de Macinaggio ;

- la responsabilité de la société Entreprise Natali est engagée en ce qu'elle n'a pas assuré la sécurité du chantier de création de l'appontement en cause ;

- le préjudice qu'il a subi à la suite de sa chute se traduit par des frais d'assistance par une tierce personne de 1 080 euros, un déficit fonctionnel temporaire pour un montant de 3 012,50 euros, des souffrances endurées à hauteur de 8 000 euros, un déficit fonctionnel permanent à hauteur de 2 200 euros, un préjudice esthétique définitif pour 1 000 euros et un préjudice d'agrément à hauteur de 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2020, la SAS Entreprise Natali, représentée par Me Guillet, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à ce que la société PECC 2B soit appelée à la cause et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. B en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, à titre subsidiaire, à ce que l'indemnité versée à M. B se limite à la somme de 10 672,50 euros. Elle soutient que le dommage subi par M. B résulte de l'ouvrage réalisé par la société PECC 2B dans le caniveau technique du ponton pour l'installation de l'alimentation électrique et de l'eau potable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 janvier 2021, la commune de Rogliano, représentée par Me Seffar, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à ce que la SAS Entreprise Natali soit déclarée responsable des préjudices subis par M. B, à titre subsidiaire, à ce qu'en cas de condamnation solidaire avec la société Entreprise Natali, elle soit garantie de toute condamnation, plus subsidiairement, à la condamnation solidaire de la société Entreprise Natali et de la société PECC 2B à la relever et à la garantir de toute condamnation et, enfin, à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B, de la société Entreprise Natali et de la société PECC Haute-Corse en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux entiers dépens. La commune soutient que la société Entreprise Natali, représentant le groupe solidaire des entrepreneurs, est responsable vis-à-vis d'elle des fautes commises par son sous-traitant, la société PECC 2B.

Par un mémoire, enregistré le 29 décembre 2021, la société PECC 2B, représentée par Me Gaillard, conclut, à titre principal, au rejet de toutes les demandes dirigées contre elle et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la société Entreprise Natali en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, à titre subsidiaire, à ce que l'indemnité versée à M. B se limite à la somme de 8 888 euros. Elle soutient que :

- le tribunal n'est pas compétent pour connaître d'un litige opposant deux personnes unies par un contrat de droit privé, en l'occurrence l'appel en garantie formé par le titulaire du marché public à l'encontre du sous-traitant ;

- la SAS Natali est responsable de la chute subie par M. B, dès lors qu'il lui incombait de fixer les plaques des caniveaux techniques.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance n° 1800927 du 9 décembre 2019, par laquelle le président du tribunal a taxé les frais de l'expertise réalisée par le docteur A à la somme de 1 170 euros.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jan Martin, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Castany, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Santoni, substituant Me Thibaudeau, avocat de M. B.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 août 2017, M. B, alors âgé de 67 ans, a glissé sur un ponton situé sur le port de Macinaggio, dans la commune de Rogliano, se bloquant ensuite une jambe dans le caniveau technique de ce ponton alors découvert, avant de chuter dans l'eau. La victime ayant souffert d'une quadruple fracture tibia-péroné et d'une luxation de la hanche, a alors notifié, les 17 et 18 juillet 2020, respectivement à la commune de Rogliano et à la SAS Entreprise Natali, alors titulaire du marché public de création de cet appontement, une réclamation préalable restée sans réponse. Par la présente requête, M. B demande au tribunal de condamner solidairement la commune de Rogliano et la SAS Entreprise Natali à lui verser la somme de 20 292,50 euros en réparation du préjudice corporel que lui a causé cette chute.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Les juridictions administratives ne sont pas compétentes pour connaître des actions en garantie engagées par les titulaires de marché public à l'encontre de leurs sous-traitants, avec lesquels ils sont liés par des contrats de droit privé. Par suite, la demande de la SAS Entreprise Natali tendant à ce que son sous-traitant, la société PECC 2B, soit condamnée à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au titre des opérations d'approvisionnement du chantier en eau potable et en électricité ne peuvent qu'être rejetées comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur la responsabilité :

3. Il appartient à l'usager, victime d'un dommage survenu sur une voie publique, de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre l'ouvrage public et le dommage dont il se plaint. La collectivité en charge de l'ouvrage public doit alors, pour que sa responsabilité ne soit pas retenue, établir que l'ouvrage public faisait l'objet d'un entretien normal ou que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.

4. Il résulte de l'instruction, notamment du compte-rendu de réunion du chantier de création de l'appontement du port de Macinaggio du 8 août 2017 et de l'attestation, en date du 10 août 2017, du chef du centre de secours de la commune de Sisco, que la chute dont M. B a été victime le 6 août 2017, alors qu'il marchait sur ce ponton récemment ouvert au public, est survenue à la suite d'une glissade de ce dernier, suivie d'une chute dans le caniveau technique de ce ponton qui n'était ni recouvert ni signalé, entraînant un blocage de la jambe de la victime, avant que cette dernière ne tombe à l'eau, entraînant une quadruple fracture du tibia-péroné et une luxation de la hanche. Il n'est pas contesté en défense que l'absence de fermeture de ce caniveau et de signalisation des travaux constitue un défaut d'entretien normal de la voie publique.

5. L'usager d'une voie publique est fondé à demander réparation du dommage qu'il a subi du fait de l'existence ou du fonctionnement de cet ouvrage ou du fait des travaux publics qui y sont réalisés, tant à la collectivité gestionnaire de la voie qu'à l'auteur des travaux dommageables. Dès lors, M. B est fondé à obtenir la mise en jeu de la responsabilité solidaire tant de la commune de Rogliano, maître d'ouvrage, que de la SAS Entreprise Natali, titulaire du marché public de création de cet ouvrage public.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire du docteur A, transmis au tribunal le 3 décembre 2019, que M. B a eu besoin, à la suite de l'accident du 6 août 2017, d'une aide par une tierce personne à hauteur de trois heures par jour, du 18 août 2017 au 7 septembre 2017. Par suite, il sera fait une juste appréciation des frais engagés pour l'assistance par une tierce personne à domicile en les évaluant, selon un taux moyen horaire de 18 euros, compte tenu du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut augmenté des charges sociales, à 1 134 euros.

En ce qui concerne les préjudices personnels temporaires :

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que M. B a d'abord subi un déficit fonctionnel temporaire total durant 13 jours, à compter de l'accident du 6 août 2017, puis de 75 % durant 20 jours, puis de 50 % durant 90 jours, ensuite de 25 % durant 56 jours, puis de 10 % durant 318 jours et enfin de nouveau de 25 % durant 16 jours jusqu'au 5 janvier 2019, date de consolidation de son état de santé résultant de cet accident. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à 1 835 euros.

8. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que les souffrances endurées par la victime à la suite de sa chute du 6 août 2017 s'élèvent à 3 sur une échelle de 7. Dès lors, le montant de l'indemnité s'élève au titre de ce chef de préjudice doit être fixé à 4 800 euros.

En ce qui concerne les préjudices personnels permanents :

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que M. B subit un déficit fonctionnel permanent qui s'élève à 2 %, se traduisant par une gêne au-dessus du genou résultant de l'accident du 6 août 2017. Eu égard à l'âge de la victime de 68 ans, à la date de la consolidation de son état de santé, il sera fait une juste appréciation du montant ce préjudice en le fixant à 2 200 euros.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que M. B subit un préjudice esthétique permanent, se traduisant par une cicatrice au genou résultant de l'accident du 6 août 2017, qu'il y a lieu d'indemniser à hauteur de 750 euros.

11. En troisième et dernier lieu, M. B soutient qu'il pratiquait plusieurs activités sportives à la date de l'accident, ainsi que l'établissent les attestations qu'il produit faisant état d'une pratique régulière du VTT, de la randonnée et de la course à pied. Ainsi, eu égard au déficit fonctionnel permanent de 2 % subi par la victime, il y a lieu de fixer le montant de l'indemnité relative à ce chef de préjudice à une somme de 100 euros.

12. Il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à demander la condamnation solidaire de la commune de Rogliano et de la SAS Entreprise Natali à lui verser une somme de 10 819 euros.

Sur l'appel en garantie de la commune de Rogliano :

13. La fin des rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d'un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation. Il résulte de l'instruction que la réception des travaux réalisés par la SAS Entreprise Natali sur l'appontement en cause a fait l'objet de réserves, le 28 juillet 2017, de la part de la commune de Rogliano, maître d'ouvrage. Selon le compte-rendu de chantier cité au point 4, la SAS Entreprise Natali était chargée de fixer correctement les plaques du caniveau technique dans lequel M. B a chuté. Dans ces conditions, la commune de Rogliano est fondée à demander que la SAS Entreprise Natali soit condamnée à la garantir de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre.

Sur les frais liés à l'instance :

14. En premier lieu, il y a lieu de mettre l'intégralité des frais et honoraires de l'expertise confiée au docteur A, liquidés et taxés à la somme globale de 1 170 euros par l'ordonnance du juge des référés du tribunal du 9 décembre 2019, à la charge définitive solidaire de la SAS Entreprise Natali et de la commune de Rogliano.

15. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B et de la société PECC 2B, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Rogliano, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Entreprise Natali la somme demandée par la commune de Rogliano au même titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de la SAS Entreprise Natali et de la commune de Rogliano une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B à ce titre. Les dispositions précitées font également obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B la somme que demande la SAS Entreprise Natali à ce titre. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Entreprise Natali une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société PECC 2B au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la SAS Entreprise Natali tendant à ce que son sous-traitant, la société PECC 2B, soit condamnée à la garantir sont rejetées comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître

Article 2 : La SAS Entreprise Natali et la commune de Rogliano sont solidairement condamnées à verser à M. B une somme de 10 819 euros.

Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise confiée au docteur A, liquidés et taxés à la somme de 1 170 euros par l'ordonnance du 9 décembre 2019, sont mis à la charge définitive solidaire de la SAS Entreprise Natali et de la commune de Rogliano.

Article 4 : La SAS Entreprise Natali et la commune de Rogliano verseront solidairement à M. B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La SAS Entreprise Natali est condamnée à garantir la commune de Rogliano des condamnations prononcées aux articles 2, 3 et 4.

Article 6 : La SAS Entreprise Natali versera à la société PECC 2B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent jugement sera notifié à M. C B, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme, à la commune de Rogliano, à la SAS Entreprise Natali et à la société PECC 2B.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pierre Monnier, président ;

M. Jan Martin, premier conseiller ;

M. Hanafi Halil, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2022.

Le rapporteur,

signé

J. MARTIN

Le président,

Signé

P. MONNIER

La greffière,

Signé

H. MANNONI

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Corse en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

H. MANNONI

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