TA Bastia, 10/11/2022, n°2000774

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 août 2020, le 24 mai 2022 et le 14 septembre 2022, la commune de Propriano, représentée par Me Savelli, demande au tribunal :

1°) de condamner l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, la SARL Sud Polyester, M. A C, la société Mutuelle des architectes français assurances et la SA Socotec à lui verser la somme de 126 142 euros à titre d'indemnité en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, ainsi que les intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la requête et la capitalisation de ces intérêts ;

2°) de mettre les dépens à la charge solidaire des défendeurs ;

3°) de mettre à la charge solidaire des défendeurs la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande est recevable dès lors que le maire a qualité pour agir au nom de la commune ;

- le revêtement polyester de la piscine municipale présente des désordres résultant d'un phénomène d'osmose qui n'était pas apparent lors de la réception des travaux ;

- le maître d'œuvre, l'entrepreneur et le contrôleur technique en sont responsables ;

- les défauts d'exécution et de conseil, ainsi que le caractère évolutif des désordres rendent l'ouvrage impropre à sa destination et relèvent de la responsabilité décennale des constructeurs ;

- le gel de couverture fait indissociablement corps avec les ouvrages de fondation et sa pose constitue un ouvrage ;

- l'entrepreneur qui connaissait, ainsi que le maître d'œuvre, le problème technique lié au support, a accepté celui-ci sans émettre aucune réserve ;

- la preuve d'une cause étrangère n'est pas rapportée ;

- l'entrepreneur ne peut se prévaloir d'une clause de limitation de sa garantie, réputée non écrite en vertu de l'article 1792-5 du code civil ;

- le manquement aux diligences normales engage leur responsabilité contractuelle pendant dix ans à compter de la réception des travaux en vertu des dispositions de l'article 1792-4-3 du code civil ;

- elle n'a pas manqué à son obligation d'entretien ;

- les travaux de reprise sont évalués à 76 412 euros hors taxes ;

- la fermeture de la piscine pendant la durée des travaux de reprise entraînera un préjudice de jouissance.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 novembre 2020 et le 8 juillet 2022, la SARL Sud Polyester, représentée par Me Deur, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire :

- à ce que les indemnités susceptibles d'être mises à sa charge soient ramenées à de plus justes proportions ;

- à ce que M. A C, la société Mutuelle des architectes français assurances et la SA Socotec soient condamnés à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

- à défaut, à ce que sa part de responsabilité soit limitée à 10 % et à ce que celle de M. A C et de la SA Socotec soient fixées respectivement à 75 % et 15 % ;

3°) à ce que les dépens soient mis à la charge de la commune de Propriano ou, à défaut, à la charge de M. A C et de la SA Socotec.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable pour défaut de qualité du maire pour agir ;

- les conclusions tendant à la condamnation d'une enseigne ne sont pas recevables ;

- elle n'est pas soumise à la garantie décennale dès lors qu'elle était sous-traitante de l'entrepreneur individuel ;

- sa responsabilité ne peut être recherchée sur un fondement contractuel dès lors qu'en sa qualité de sous-traitante, elle n'a conclu aucun contrat avec la commune ;

- le marché a exclu l'application de la garantie décennale ;

- la commune ne peut se prévaloir utilement de l'article 1792-5 du code civil ;

- la responsabilité décennale des constructeurs ne peut être invoquée dès lors que les travaux d'application du produit hydrofuge ne constituent pas un ouvrage et que les désordres sont esthétiques, ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage et n'altèrent pas l'utilisation de la piscine ;

- en retenant l'offre de l'entrepreneur, le maître de l'ouvrage et le maître d'œuvre ont expressément admis que les travaux réalisés n'étaient pas soumis à la garantie décennale ;

- le délai de deux ans de la garantie de bon fonctionnement a expiré ;

- à supposer que soit établie une faute de sa part, le délai de garantie de droit commun de cinq ans a expiré ;

- la responsabilité contractuelle ne peut être recherchée dès lors que la réception des travaux a été prononcée sans réserves ;

- le maître d'ouvrage est responsable de l'impropriété de la dalle du fond de piscine support de la résine puis de la couche de gel dont le cloquage est dû à un phénomène d'osmose ;

- elle n'a commis aucune faute technique dans la mise en œuvre du gel ;

- la charge des travaux de cuvelage du bassin ne lui incombe pas ;

- la commune est responsable d'un défaut d'entretien ;

- la commune a fait intervenir d'autres entrepreneurs dont les interventions peuvent avoir causé le phénomène d'osmose ;

- la garantie du maître d'œuvre lui est due eu égard à sa responsabilité pour avoir admis que le gel de couverture pouvait être posé sur un bassin non étanche et sans cuvelage préalable ;

- la garantie du contrôleur technique lui est due faute de réserves ou de conseils alors qu'il disposait d'une mission complète ;

- le préjudice de jouissance n'est pas établi.

Par un mémoire enregistré le 18 janvier 2021, M. A C, représenté par Me Vaccarezza, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Propriano au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) à titre subsidiaire :

- à ce que la SARL Sud Polyester et la SA Socotec soient condamnées à le garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

- à ce que la partie perdante lui verse la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'expert n'a pas procédé à un examen visuel de l'état du fond de la piscine et n'a pas fait procédé à la vérification de remontées d'humidité par la dalle béton d'origine ;

- les désordres ne relèvent pas de la responsabilité décennale des constructeurs ;

- le délai de la garantie de bon fonctionnement a expiré ;

- d'autres entreprises sont intervenues avant la signature des marchés ;

- la commune a manqué à son obligation d'entretien de la piscine ;

- la responsabilité de l'entrepreneur est engagée pour avoir accepté de travailler sur la dalle support ;

- la responsabilité du contrôleur technique est engagée eu égard à son niveau de compétences supérieur à celui d'un architecte ;

- le préjudice de jouissance n'est pas établi.

Par un mémoire enregistré le 23 mai 2022, la SAS Socotec Construction, représentée par Me Gasquet-Seatelli, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire :

- à ce que la part de responsabilité susceptible d'être mise à sa charge soit limitée et au rejet de la demande de condamnation solidaire ;

- à ce que la SARL Sud Polyester et M. A C soient condamnés à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

3°) à ce que la partie perdante lui verse la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité n'est pas engagée dès lors qu'elle a émis des avis suspendus ou défavorables qui n'ont pas été levés en l'absence d'informations sur le revêtement du bassin ;

- aucune construction solidaire ne peut être prononcée à son encontre eu égard à son statut particulier par rapport aux autres constructeurs ;

- la responsabilité du maître d'œuvre ayant une mission complète est engagée ;

- la SARL Sud Polyester est responsable du fait d'une mauvaise exécution des travaux ;

- le préjudice de jouissance n'est pas établi.

La requête a été communiquée à l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, représentée par Mme D B, et à la société Mutuelle des architectes français assurances, qui n'ont pas produit de mémoire.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de la commune tendant à la condamnation de l'assureur du maître d'œuvre, s'agissant de sommes dues par un assureur au titre d'un contrat de droit privé.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance du 18 janvier 2018, par laquelle le président du tribunal a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. E.

Vu :

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F,

- les conclusions de M. Halil, rapporteur public,

- et les observations de Me Seatelli-Gasquet, représentant la SAS Socotec Construction.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Propriano a lancé au cours de l'année 2003 une procédure d'appel d'offres ouvert avec variantes pour la réhabilitation de la piscine municipale qui avait été construite dans les années 1970 à 1980 et dont le revêtement du bassin de natation avait été refait par la pose d'une coque en résine polyester en 1998. Le lot n° 14, relatif au revêtement du bassin, a été attribué à la SARL RAC par acte d'engagement signé le 23 décembre 2003. Un nouvel appel d'offres a été organisé en 2005 pour l'exécution de travaux complémentaires, prévoyant notamment un lot n° 3-14 pour le revêtement polyester du bassin et annexes. Par un marché conclu le 8 août 2005 dans le cadre de la réhabilitation et mise aux normes de la piscine, l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, dont Mme B était l'exploitante, s'est vu confier la reprise du revêtement de l'ensemble du bassin. Immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 11 mai 2006 et locataire gérante du fonds de commerce exploité à l'enseigne Polyester Service Diffusion, la SARL Sud Polyester a réalisé les travaux. Ceux-ci ont fait l'objet d'une réception le 27 février 2008 avec effet au 31 mars 2007. Des cloques étant apparues au fond du bassin, le juge des référés du tribunal, saisi par la commune, a prescrit une expertise par une ordonnance n° 1700332 du 22 mai 2017. L'expert a déposé son rapport le 4 janvier 2018. La commune de Propriano demande au tribunal de condamner M. A C, maître d'œuvre, la société Mutuelle des architectes français assurances, son assureur, l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, la SARL Sud Polyester et la SA Socotec, contrôleur technique, à lui verser la somme de 126 142 euros à titre d'indemnité en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur les conclusions dirigées par la commune de Propriano contre la société Mutuelle des architectes français assurances :

2. Il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé et à raison du fait dommageable commis par son assuré, alors même que l'appréciation de la responsabilité de cet assuré dans la réalisation du fait dommageable relève du juge administratif.

3. S'il appartient au juge administratif de connaître de l'action engagée par la commune de Propriano à l'encontre des participants à l'opération de réhabilitation de la piscine municipale, il résulte de ce qui a été indiqué au point précédent que les conclusions dirigées par la commune de Propriano à l'encontre de la société Mutuelle des architectes français assurances, assureur de M. C, sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la SARL Sud Polyester :

4. D'une part, le conseil municipal de la commune de Propriano a, par une délibération du 24 mai 2020 prise en application des dispositions de l'article L. 2122-22, 16° du code général des collectivités territoriales, chargé son maire d'intenter les actions en justice au nom de la commune. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par la SARL Sud Polyester et tirée du défaut de qualité du maire de Propriano pour agir au nom de la commune doit être écartée.

5. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. () " La requête présentée par la commune de Propriano indique le nom de chacun des défendeurs dont elle demande la condamnation au versement d'une indemnité. Il suit de là que, alors même que l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion est dépourvue de la personnalité morale, la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête ne satisfait pas aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative doit être écartée.

Sur la responsabilité contractuelle :

6. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure.

7. Il résulte de l'instruction que le maître d'ouvrage a signé le 27 février 2008 le procès-verbal de réception des travaux exécutés par l'entreprise Polyester Service Diffusion, à l'exception de la fourniture du dossier des ouvrages exécutés, exception qui est étrangère aux désordres dont la commune de Propriano demande l'indemnisation dans la présente instance et qui sont relatifs à la réalisation même des travaux par cet entrepreneur. Cette réception a mis fin aux rapports contractuels avec l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion dont la responsabilité ne peut dès lors être recherchée sur un fondement contractuel.

8. La responsabilité du maître d'œuvre pour manquement à son devoir de conseil, qui est fondée sur la même cause juridique que la responsabilité contractuelle, peut être engagée, même lorsque la réception a été prononcée, dès lors qu'il s'est abstenu d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. La seule circonstance que le maître d'ouvrage ait connaissance des désordres affectant l'ouvrage avant sa réception ne saurait exonérer le maître d'œuvre de son obligation de conseil lors des opérations de réception.

9. La réception de l'ouvrage met également fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage. Les désordres n'étant pas apparents lors de la réception des travaux, la responsabilité du maître d'œuvre ne saurait dès lors être recherchée au titre d'un manquement à son obligation de conseil lors des opérations de réception.

10. Il ne ressort pas de la convention conclue entre la commune et la SAS Socotec Construction que le contrôleur technique aurait eu pour mission de conseiller le maître de l'ouvrage lors de la réception des travaux. La convention de contrôle technique stipule au demeurant que la mission s'achève à la remise du rapport final, lequel a été établi le 7 novembre 2007.

Sur la responsabilité décennale :

11. Le document " description des travaux ", établi le 6 août 2005 par l'entreprise Polyester Service Diffusion et revêtu de la signature du maire de Propriano et de la mention manuscrite " bon pour accord ", précise " gel coat garantie 2 saisons ". Ce document n'est toutefois pas au nombre des pièces contractuelles du marché dont la liste figure à l'article 3 du cahier des clauses administratives particulières. Par ailleurs, l'article 7 de ce cahier prévoit expressément, en son paragraphe 07.01.02, une garantie de dix ans pour les dommages qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage, pour ceux qui affectent l'un des éléments constitutifs de l'ouvrage et rendent celui-ci impropre à sa destination, ainsi que pour ceux qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un bâtiment lorsque ces éléments font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert. Il suit de là que la SARL Sud Polyester n'est pas fondée à prétendre que le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur auraient entendu écarter l'application de la garantie décennale aux travaux de réhabilitation de la piscine municipale.

12. Le délai de la garantie décennale a commencé à courir à compter du 31 mars 2007, date de la réception des travaux. La commune de Propriano a interrompu ce délai en saisissant le juge des référés du tribunal, le 28 mars 2017, d'une demande tendant à ce que soit prescrite une expertise. Le délai de dix ans a recommencé à courir à compter du 22 mai 2017, date de l'ordonnance n° 1700332 du juge des référés. Ce délai n'avait donc pas expiré à la date du 4 août 2020 à laquelle la commune a introduit la requête tendant à la condamnation des constructeurs à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis. L'exception de prescription opposée par la SARL Sud Polyester doit être écartée.

13. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

14. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés, que le fond du bassin de la piscine présente des taches de rouille évoluant en boursouflures, qui étaient visibles sans que la vidange de la piscine fût nécessaire pour les besoins des opérations d'expertise. Le caractère évolutif des taches et cloques affectant le revêtement polyester de la totalité du fond du bassin est de nature à rendre la piscine impropre à sa destination en raison du risque de coupures que présentent les bords des cloques crevées pour les usagers du bassin dont la profondeur varie de 0,80 mètre à 2 mètres. Par ailleurs, le revêtement en polyester posé lors des travaux de réhabilitation est indissociable de l'ouvrage constitué par le bassin de la piscine. Il suit de là que les désordres constatés sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs.

Sur l'imputabilité des désordres :

15. Il résulte de l'instruction et tout particulièrement du rapport d'expertise que la dalle en béton conservée en fond de piscine est posée à même la terre naturelle, laquelle constitue une source d'humidité à l'origine d'une corrosion de l'armature métallique et que, par pression osmotique, des particules de rouille s'incrustent dans la partie du revêtement polyester collée au béton, d'où l'apparition de taches, et des cloques se forment en fond de bassin. Il ressort du rapport de l'expert que les désordres constatés sont similaires à ceux qui affectaient le précédent revêtement-coque en résine polyester isophtalique armée de fibres de verre réalisé en 1998 et que le maître d'œuvre avait mentionnés dans la note générale insérée au point n° 1400 " revêtement bassin et pédiluve " de la description sommaire des ouvrages à destination des candidats au lot n° 14 de l'appel d'offres organisé en 2005. Les désordres résultent de ce que les travaux de réhabilitation du bassin de natation ont été exécutés sans qu'ait été au préalable réalisée l'étanchéité de la dalle de fond du bassin de manière à isoler le revêtement en polyester des remontées d'humidité depuis le sol. Les désordres sont ainsi de nature à engager la responsabilité des personnes ayant participé à la réalisation des ouvrages en vertu d'un contrat de louage conclu avec la commune.

16. Ainsi qu'il a été indiqué au point 1, la commune de Propriano a conclu un marché public de travaux avec l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion. Si la SARL Sud Polyester a pris le fonds de commerce en location-gérance au cours de l'année 2006, il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait conclu un avenant ou un contrat avec cette société pour prendre acte de sa substitution à l'entreprise individuelle. Ainsi et bien qu'elle ait réalisé les travaux, la SARL Sud Polyester n'a, en l'absence de lien contractuel avec le maître de l'ouvrage, pas la qualité de constructeur, la réception des travaux ayant au demeurant été prononcée à l'égard de l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion représentée par Mme B. Il suit de là que les conclusions de la requête doivent être rejetées en tant qu'elles sont dirigées par la commune de Propriano à l'encontre de la SARL Sud Polyester.

17. Il ne résulte pas de l'instruction que, eu égard à ce qui a été indiqué au point 15, un défaut d'entretien de la piscine, à le supposer établi, soit à l'origine des désordres constatés. Il suit de là qu'aucune faute ne peut être reprochée à ce titre à la commune de Propriano, maître de l'ouvrage.

18. La circonstance que la commune ait fait intervenir au cours de l'année 2015 d'autres entrepreneurs pour effectuer ponctuellement des travaux de reprise de certains des désordres ne présente pas davantage un caractère fautif alors au demeurant qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces travaux ponctuels de reprise des désordres soient à l'origine du phénomène d'osmose mentionné au point 15.

19. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 15 à 18 que la commune de Propriano est fondée à demander la condamnation solidaire de M. C, de Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, et de la SAS Socotec Construction, qui ne justifie pas d'une différence de statut par rapport aux autres débiteurs, à réparer les conséquences dommageables des désordres affectant le revêtement du bassin de natation.

Sur les préjudices :

20. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que les travaux nécessaires à une remise en état du bassin de natation conforme aux règles de l'art comprennent la dépose du revêtement polyester existant, la mise en œuvre d'un enduit de cuvelage étanche en fond de bassin puis la pose d'un revêtement par stratification d'une résine et de fibres de verre, pour un montant de 76 412 euros hors taxes qu'il y a lieu de mettre à la charge solidaire de M. C, de Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion et de la SA Socotec.

21. L'indisponibilité de l'équipement pour une longue durée et la fermeture au public de la piscine sont susceptibles d'engendrer une perturbation du service public, de nature à constituer pour la collectivité un trouble de jouissance. La durée d'exécution des travaux de réfection du revêtement du bassin préconisés par l'expert est fixée à cinq semaines. Le préjudice de jouissance présente un caractère certain et en lien direct avec les désordres constatés. L'indemnité due à ce titre doit être fixée à la somme de 10 000 euros.

22. Il résulte de ce qui a été indiqué aux points 20 et 21 que la commune de Propriano est fondée à demander la condamnation solidaire de M. C, de Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion et de la SAS Socotec Construction à lui verser la somme de 86 412 euros à titre d'indemnité en réparation des préjudices qu'elle a subis.

23. La commune de Propriano a droit aux intérêts de la somme de 86 412 euros à compter de la date d'enregistrement de sa requête au greffe du tribunal. La capitalisation des intérêts a été demandée le 4 août 2020. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 4 août 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les appels en garantie :

24. En se bornant, sans avoir recherché lui-même l'incidence que pouvait avoir la dalle en béton du fond de la piscine dans la dégradation du revêtement changé en 1998, à proposer une solution de remplacement de celui-ci par un nouveau revêtement par stratification résine et fibre de verre et à laisser le soin aux entrepreneurs d'analyser le problème et de proposer leurs propres conclusions en ce qui concerne la ou les solutions à mettre en œuvre, M. C a commis une faute dans la conception des travaux de réhabilitation de la piscine. Il y a lieu de fixer à 50 % sa part de responsabilité dans la survenue des désordres.

25. Ainsi qu'il a été indiqué au point 16, Mme B, entrepreneure individuelle à l'enseigne Polyester Service Diffusion, qui a seule contracté avec la commune de Propriano, est responsable des travaux de revêtement alors même qu'ils ont été exécutés par la SARL Sud Polyester, en l'absence de tout lien contractuel entre celle-ci et le maître de l'ouvrage. L'entrepreneure, dont l'attention avait été appelée par la note générale mentionnée au point 15 sur les désordres affectant le précédent revêtement en polyester, s'est bornée à appliquer la solution technique proposée par le maître d'œuvre sans justifier avoir procédé à une analyse des causes des désordres antérieurs, ni signaler au maître de l'ouvrage et au maître d'œuvre le risque de réitération de ces désordres en l'absence de cuvelage étanche de la dalle en béton du fond du bassin, ni émettre aucune réserve sur le procédé proposé par le maître d'œuvre. Il y a lieu de fixer à 40 % sa part de responsabilité.

26. Il résulte de l'instruction que le contrôleur technique s'est abstenu d'émettre un avis sur la solution technique arrêtée par l'entrepreneur et sur son aptitude à prévenir la réitération des désordres qui avaient justifié la réfection du revêtement du bassin de natation. Si le contrôleur technique a suspendu son avis le 22 novembre 2005 sur le document d'exécution faute d'avoir reçu des informations suffisantes relatives notamment à la préparation du support du revêtement polyester à poser et si, en l'absence de communication de ces informations, il a repris ce point dans son rapport final du 7 novembre 2007, il ne s'est toutefois pas prononcé sur la qualité du support lui-même. Il n'a pas non plus appelé l'attention du maître de l'ouvrage sur le risque de réitération des désordres faute de traitement préalable de la dalle de fond du bassin notamment au regard d'éventuelles infiltrations, traitement auquel ne peut être assimilé, en l'absence de toute précision de la part d'un technicien averti, la préparation du support du revêtement polyester à poser. Il suit de là que le contrôleur technique a, eu égard à la mission qui lui incombe, manqué à son obligation de conseil au maître de l'ouvrage. Sa part de responsabilité doit être fixée à 10 %.

27. Il résulte de ce qui précède, d'une part, que les conclusions présentées par M. C et par la SAS Socotec Construction à l'encontre de la SARL Sud Polyester doivent être rejetées et que, d'autre part, M. C n'est fondé à appeler la SAS Socotec Construction à le garantir qu'à hauteur de 10 % de la condamnation solidaire mise à sa charge au point 24 et que la SAS Socotec Construction est fondée à demander à ce que M. C la garantisse à hauteur de 90 % du montant de la condamnation solidaire mise à sa charge au point 26.

Sur les dépens :

28. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée le 22 mai 2017 par le juge des référés du tribunal administratif qui ont été liquidés et taxés à la somme de 5 640,23 euros par ordonnance du 11 janvier 2018, solidairement à la charge de M. C, de Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, et de la SAS Socotec Construction.

Sur les frais liés au litige :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de M. C, de Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, et de la SAS Socotec Construction, parties tenues aux dépens, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Propriano et non compris dans les dépens.

30. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. C et la SAS Socotec Construction doivent dès lors être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la requête dirigées contre la société Mutuelle des architectes français assurances sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 2 : M. C, Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, et la SAS Socotec Construction sont condamnés solidairement à verser à la commune de Propriano la somme de 86 412 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 2020. Les intérêts échus à la date du 4 août 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : M. C est condamné à garantir la SAS Socotec Construction à hauteur de 90 % des condamnations solidaires prononcées à son encontre par l'article 2.

Article 4 : La SAS Socotec Construction est condamnée à garantir M. C à hauteur de 10 % des condamnations solidaires prononcées à son encontre par l'article 2.

Article 5 : Une somme de 5 640,23 euros correspondant aux frais d'expertise est mise à la charge définitive et solidaire de M. C, de Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, et de la SAS Socotec Construction.

Article 6 : La somme de 1 500 euros, à verser à la commune de Propriano au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est mise solidairement à la charge de M. C, de Mme B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, et de la SAS Socotec Construction.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Propriano, à Mme D B pour l'entreprise individuelle Polyester Service Diffusion, à la SARL Sud Polyester, à M. A C, à la société Mutuelle des architectes français assurances et à la SAS Socotec Construction.

Copie en sera transmise à M. E, expert.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président,

- Mme Castany, première conseillère,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022.

Le président-rapporteur,

Signé

T. FL'assesseure la plus ancienne

dans l'ordre du tableau,

signé

C. CASTANY

La greffière,

Signé

H. MANNONI

La République mande et ordonne au préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

H. MANNONI

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