TA de La Réunion, 29/07/2022, n°2200790

Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 juin 2022, le 25 juillet 2022 et le 27 juillet 2022, la société Réunionnaise de Bureautique (SRB), représentée par Me Hourcabie, demande au juge des référés :
1°) d'annuler, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à compter de la phase d'analyse des offres la procédure de passation en vue de la conclusion de l'accord-cadre ayant pour objet la location, la mise en service, la gestion et la maintenance des moyens d'impression, de numérisation et des prestations associées pour les établissements du groupement hospitalier de territoire de la Réunion ;
2°) d'annuler la décision de rejet de son offre ;
3°) de mettre à la charge du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de la Réunion la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :

  • elle justifie d'un intérêt à agir en qualité de concurrent évincé ;
  • le pouvoir adjudicateur ne l'a pas suffisamment informée des motifs de rejet de son offre et des éléments de comparaison avec l'offre retenue, afin de lui permettre d'exercer utilement son recours ; le pouvoir adjudicateur aurait dû lui communiquer spontanément l'intégralité du rapport d'analyse des offres ;
  • le pouvoir adjudicateur aurait dû solliciter de la part de l'attributaire des précisions sur son offre et suspecter, compte tenu de la différence de prix avec celle des autres candidats, une offre anormalement basse ; l'offre retenue était anormalement basse ;
  • l'attributaire ne disposait pas des capacités techniques financières et professionnelles pour garantir la bonne exécution du marché eu égard notamment au montant maximum de l'accord-cadre et à l'importance des investissements nécessaires au démarrage du marché ;
  • le CHU de la Réunion a dénaturé son offre et celle de la société attributaire en leur attribuant respectivement une note de 50 points sur 50 et de 49 points sur 50 alors que la société attributaire ne pouvait compte tenu de sa taille, de son expérience et de ses moyens techniques, humains ou financiers présenter une offre avec des prestations équivalentes ; les logiciels proposés par la société attributaire, notamment de gestion des impressions, comportent moins de la moitié des fonctionnalités proposés par le logiciel qu'elle a proposé qui garantissait au demeurant une pleine compatibilité avec l'ensemble des équipements ; le CHU de La Réunion a nécessairement neutralisé les principaux sous-critères de la valeur technique ;
  • l'offre de la société attributaire aurait dû être écartée comme étant irrégulière en l'absence de présentation des documents exigés par le règlement de consultation dans les délais requis et dès lors que des machines proposées ne respectent pas toutes les prescriptions techniques exigées par le cahier des clauses techniques particulières.
    Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 juillet 2022 et le 26 juillet 2022, le CHU de la Réunion, représenté par Me Rayssac, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SRB au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Il fait valoir que :
  • la société requérante ne justifie pas que les manquements qu'elle invoque sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser ;
  • les moyens soulevés ne sont pas fondés.
    Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 juillet 2022 et le 27 juillet 2022, la société CBL Repro, attributaire du marché, représentée par Me Belloteau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Réunionnaise de Bureautique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
    Vu les autres pièces du dossier.
    Vu :
  • le code de la commande publique ;
  • le code de justice administrative.
    Le président du tribunal a désigné M. Riou, premier conseiller, en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, pour statuer sur les référés précontractuels.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 27 juillet 2022 à 10h00.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique :
  • le rapport de M. Riou, juge des référés,
  • les observations de Me Hourcabie, représentant la société Réunionnaise de Bureautique,
  • les observations de Me Legris, représentant le Centre Hospitalier Universitaire de La Réunion,
  • et les observations de M. A, gérant de la société CBL Repro.
    A l'issue de l'audience, la clôture de l'instruction a été prononcée.
    Une note en délibéré de la SRB a été enregistrée le 27 juillet 2022 après l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié 13 juillet 2021, le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de La Réunion a lancé une consultation pour la passation d'un accord-cadre à bons de commande ayant pour objet la location, la mise en service, la gestion et la maintenance des moyens d'impression, de numérisation et des prestations associées pour les établissements du Groupement Hospitalier de Territoire de la Réunion, d'une durée d'un an, reconductible quatre fois, avec une tranche ferme et une tranche optionnelle. L'offre de la Société Réunionnaise de Bureautique (SRB), classée en deuxième position avec une note de 91,91/100 n'a pas été retenue et l'accord-cadre a été attribué à la société CBL Repro classée en première position avec une note de 97/100. Informée le 13 juin 2022 du rejet de son offre, la SRB demande au juge du référé précontractuel, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure de passation de ce marché.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "  Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (). Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". L'article L.551-2 du même code précise : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne l'information de la SRB :

4. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 de ce code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

5. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles R. 2181-3 et R. 2181-4 précités du code de la commande publique a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

6. Il résulte de l'instruction que le CHU de la Réunion a adressé le 13 juin 2022 à la SRB une décision de rejet de son offre qui mentionne le nombre total de points qui lui a été attribué, son rang de classement, le nom de l'entreprise retenue, la note globale attribuée à celle-ci, les notes obtenues par chacun de ces deux candidats au titre de chaque critère et sous-critère, ainsi que des extraits des appréciations relevant du rapport d'analyse technique des offres. Par courrier du 22 juin 2022, le CHU de la Réunion a précisé à la société requérante la méthode de notation mise en œuvre, les modalités d'appréciation du critère prix de l'offre de la société attributaire ainsi que des indications sur la solution logicielle proposée par cette dernière. En outre, le CHU de la Réunion a précisé dans son mémoire en défense le montant global de l'offre financière de la société CBL Repro. Il s'ensuit que la SRB a été suffisamment informée du déroulement de la procédure de mise en concurrence, des principales caractéristiques de l'offre retenue, et de ses avantages relatifs, notamment en terme de prix. Enfin, si la SRB dénonce l'absence de communication par le pouvoir adjudicateur de l'intégralité du rapport d'analyse des offres finales, les dispositions du code de la commande publique sur l'information des candidats évincés ne prévoient pas, à ce stade de la procédure de passation, d'obligation en ce sens. Dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que les dispositions précitées des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique ont été méconnues.

En ce qui concerne le caractère prétendu anormalement bas de l'offre de la société attributaire :

7. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État ". Selon l'article R. 2152-3 de ce même code : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; (). ". Enfin, aux termes de l'article R. 2152-4 de ce code : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse () Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés () ". Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats dans le cadre de l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.

8. La SRB soutient que l'offre de la société CBL Repro était anormalement basse dès lors que l'écart entre le montant de l'offre de la société attributaire qui s'élevait à 2 599 085,60 euros hors taxe et celui de son offre qui s'élevait à 3 257 778 euros hors taxe était supérieur à 20 % et devait être encore plus important en comparaison avec l'offre des deux autres soumissionnaires. Toutefois, cet écart de prix entre l'offre de l'attributaire et celui des offres concurrentes n'est pas à lui seul de nature à faire suspecter l'existence d'une offre anormalement basse. En outre, si au cours de la négociation l'offre financière de la société CBL Repro a été réduite de 4 089 096,66 euros hors taxe à 2 599 085,60 euros hors taxe cette circonstance n'est pas non plus de nature à révéler à elle seule, que le prix des prestations de l'offre finale était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. A cet égard, il n'est pas contesté qu'au cours de la négociation le pouvoir adjudicateur a apporté des précisions sur ses besoins, ce qui a permis à la société attributaire de présenter une nouvelle offre de prix à la baisse et adaptée aux différents équipements exigés notamment en proposant notamment des modèles d'imprimantes " jets d'encre " moins onéreux que des imprimantes " laser " au titre de la catégorie 3 bis et de supprimer des lecteurs de badges pour certains modèles. De plus, en se bornant à rappeler que l'accord-cadre implique dès sa première année d'exécution des prestations de fourniture d'un nombre important de matériels d'impression et d'installation de logiciel, elle n'apporte pas ainsi d'élément suffisamment précis de nature à démontrer en quoi le prix de l'offre de l'attributaire ne permettait pas une bonne exécution du marché, par rapport, notamment, aux besoins prévisibles de la collectivité, à la taille de l'entreprise, ou encore à ce que requiert l'exécution technique du type de prestations en cause. Enfin, l'argument de la requérante selon lequel, compte tenu des politiques des prix homogènes des fabricants et du contexte économique marqué par des pénuries de matériels, il n'existerait aucune possibilité pour les opérateurs de pratiquer des différences de prix notables, demeure largement théorique. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le CHU de la Réunion était tenu de solliciter la société CBL Repro afin qu'elle lui fournisse des précisions sur le prix de l'offre finale qu'elle proposait. Elle n'établit pas non-plus que le prix proposé par la société CBL Repro serait manifestement sous-évalué par rapport aux conditions d'une bonne exécution du marché et que son offre serait anormalement basse.

En ce qui concerne les capacités techniques, financières et professionnelles de l'attributaire :

9. Aux termes de l'article R. 2143-3 du code de la commande publique : " Le candidat produit à l'appui de sa candidature ()  2° Les renseignements demandés par l'acheteur aux fins de vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles du candidat. ". Aux termes de l'article R. 2143-12 du même code : " Si le candidat s'appuie sur les capacités d'autres opérateurs économiques, il justifie des capacités de ce ou ces opérateurs économiques et apporte la preuve qu'il en disposera pour l'exécution du marché. Cette preuve peut être apportée par tout moyen approprié. ". L'article R. 2144-1 du code prévoit que : " L'acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, y compris en ce qui concerne les opérateurs économiques sur les capacités desquels le candidat s'appuie. Cette vérification est effectuée dans les conditions prévues aux articles R. 2144-3 à R. 2144-5. ". Aux termes de l'article R. 2142-13 du code de la commande publique : " L'acheteur peut imposer des conditions garantissant que les opérateurs économiques possèdent les ressources humaines et techniques et l'expérience nécessaires pour exécuter le marché en assurant un niveau de qualité approprié. () ". Aux termes des dispositions de l'article R. 2142-14 de ce même code : " L'acheteur peut exiger que les opérateurs économiques disposent d'un niveau d'expérience suffisant, démontré par des références adéquates provenant de marchés exécutés antérieurement. Toutefois, l'absence de références relatives à l'exécution de marchés de même nature ne peut justifier, à elle seule, l'élimination d'un candidat ".

10. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le pouvoir adjudicateur doit contrôler les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l'attribution d'un marché public. Les documents ou renseignements exigés à l'appui des candidatures doivent être objectivement rendus nécessaires par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser. Il en résulte, d'autre part, que le juge du référé précontractuel ne peut censurer l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les niveaux de capacité technique exigés des candidats à un marché public, ainsi que sur les garanties, capacités techniques et références professionnelles présentées par ceux-ci que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste.

11. D'une part, il ne résulte d'aucune pièce du marché que le CHU de la Réunion aurait exigé que les candidats réalisent un chiffre d'affaires annuel minimal. Par suite, la circonstance alléguée par la société requérante que la société attributaire n'aurait jamais réalisé un chiffre d'affaire annuel excédant le montant du marché en cause est sans incidence. Il en va de même de la circonstance que la société attributaire n'aurait remporté au cours des dix-huit mois aucun marché public dès lors que l'absence ou l'insuffisance de références relatives à l'exécution de marchés de même nature, ne peut justifier à elle seule l'éviction d'un candidat.

12. D'autre part, la SRB soutient que la société attributaire ne disposerait pas en propre de salariés et d'équipements en nombre suffisant pour garantir l'exécution du marché. Il résulte toutefois de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté que la société attributaire emploie des techniciens disposant de qualification professionnelle pour assurer la mise en service, la gestion et la maintenance des moyens d'impressions qu'elle propose. En outre, alors que le périmètre des prestations dans le cadre du marché litigieux a été réduit par rapport au marché en cours d'exécution qui prévoit l'affectation de deux techniciens, les moyens humains dont justifie la société attributaire qui n'exclue pas au demeurant des recrutements, apparaissent suffisants. Enfin, alors même que l'exécution de l'accord-cadre, en particulier lors de son démarrage, implique des investissements importants, il ne résulte pas de l'instruction que la société attributaire ne disposerait manifestement pas des garanties financières suffisantes. Dans ces conditions, l'appréciation des capacités économiques et financières, techniques et professionnelles de la société attributaire faite par le CHU de la Réunion n'apparaît entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la régularité de l'offre de l'attributaire :

13. D'une part, si la requérante soutient que l'offre de la société attributaire aurait dû être écartée comme irrégulière dès lors que la société proposerait dans son offre des catégories 1 et 1bis des imprimantes " jet d'encre " au lieu d'imprimantes " laser ", cette allégation manque en fait. En outre, s'agissant de la catégorie 3bis, il résulte de l'instruction et notamment des précisions apportées au cours de l'audience par le pouvoir adjudicateur que les équipements proposés à ce titre par la société attributaire satisfont pleinement à ses besoins. Si la requérante soutient que les caractéristiques techniques d'un modèle d'équipement proposé par la société attributaire n'est pas conforme aux exigences minimum prévues au cahier exigées par le cahier des clauses techniques particulières (CCTP), il résulte de l'instruction que s'agissant du volume d'impression mensuel un volume inférieur est simplement recommandé par le fournisseur ce qui ne signifie nullement que le volume d'impression mensuel envisagé et au demeurant largement surévalué ne pourrait être en théorie atteint. S'agissant du volume d'impression maximum ou de la durée de vie de l'équipement, il ne résulte pas de l'instruction que le délai de 3 ans exigé alternativement avec un nombre d'impressions de 10 000, n'est pas garanti.

14. D'autre part, la requérante soutient que l'offre de la société attributaire serait irrégulière en raison d'une incompatibilité du logiciel de gestion des impressions avec les futurs équipements acquis dans le cadre du renouvellement du marché en litige, cette allégation est purement éventuelle, notamment eu égard aux évolutions technologiques. Au demeurant, cette allégation est contestée par le CHU de La Réunion notamment dans sa réponse à la demande de précision de la SRB sur les motifs qui ont conduit au choix de l'attributaire et qui précise que " la solution logicielle proposée par l'attributaire prend en charge plusieurs fournisseurs et environnements de parcs d'imprimantes différents ". Au surplus, il est constant que le CCTP n'exigeait pas de proposer une solution logicielle " multimarques " pour la gestion des impressions. Dans ces conditions, la SRB n'est pas fondée à soutenir que l'offre de l'attributaire était irrégulière.

En ce qui concerne l'appréciation de valeur technique et la dénaturation des offres :

15. D'une part, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution () ". Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularités si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

16. D'autre part, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il est en revanche tenu de vérifier, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé, ainsi, à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

17. En l'espèce il résulte de l'article 13 du règlement de la consultation que l'offre économiquement la plus avantageuse est appréciée au regard de la valeur technique pour 50 % qui est subdivisée en cinq sous-critères : " a. services associés () 15 points ; b. remplacement des équipements actuels, mise en production des nouveaux équipements dès notification de l'accord-cadre : 10 points ; c. sécurisation informatique : 10 points ; d. simplicité du changement des cartouches () : 5 points ; e. les logiciels : 5 points ". La SRB soutient que le CHU de La Réunion a nécessairement dénaturé son offre et celle de la société attributaire dès lors qu'elles ont obtenu respectivement des notes de 50/50 et de 49/50 au titre de leurs valeurs techniques, soit des notes équivalentes.

18. Toutefois, alors que la SRB fonde essentiellement son argumentaire sur sa taille, ses moyens techniques, humains et financiers, ainsi que sur son expérience qu'elle estime supérieure de celle de la société attributaire, il n'appartient pas au juge des référés précontractuels de se prononcer sur les mérites comparés de son offre et de celle de la société attributaire. En particulier, la SRB qui a obtenu la note maximale au titre de la valeur technique de son offre soutient qu'elle était supérieure en raison du logiciel d'impression qu'elle proposait. Toutefois, à supposer même que ce logiciel garantit une compatibilité avec toutes les machines photocopieurs et un nombre plus important de fonctionnalité, la SRB ne justifie nullement ni même n'allègue que celui proposé par la société attributaire ne satisferait pas aux besoins du pouvoir adjudicateur. En outre, aucun élément ne vient établir que le CHU de La Réunion aurait neutralisé les sous-critères de la valeur technique alors que la motivation des notes obtenues à ce titre par la SRB et la société CBL Repro, indiquée dans le lettre de rejet de l'offre adressée le 13 juin 2022 à la SRB, n'est pas contestée. Dans ces conditions, les moyens tirés de la neutralisation du critère de la valeur technique et de la dénaturation des offres doivent être écartés.

19. Il résulte de ce qui précède que les conclusions d'annulation de la procédure de passation du marché ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés aux litiges :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CHU de La Réunion, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

21. Il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Réunionnaise de Bureautique (SRB) le versement d'une somme de 1 000 euros au CHU de La Réunion et à la société CBL Repro chacun.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la SRB est rejetée.
Article 2 : La SRB versera au CHU de La Réunion et à la société CBL Repro chacun la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Réunionnaise de Bureautique, au Centre Hospitalier Universitaire de la Réunion et à la société CBL Repro.
Fait à Saint-Denis le 29 juillet 2022.
Le juge des référés,
S. RIOU
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
P/La greffière en chef,
La greffière,
S. BALOUKJY

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