TA Lille, 13/05/2024, n°2403577


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 5 avril 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) F.I.M.J, représentée par son gérant, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure d'attribution du marché public relatif à la location et la maintenance de matériel informatique pour la commune d'Ostricourt.

Elle soutient que :

- l'offre de la société attributaire paraît anormalement basse compte tenu de l'écart de points. Il est probable que l'offre retenue ne réponde pas au cahier des charges soumis, ce qui a pour effet de faire baisser le coût ;

- s'agissant des délais d'intervention, elle a proposé le minimum requis et obtenu la note de 10/10 ce qui laisse supposer que l'attributaire n'a pas respecté ces minima ;

- la société attributaire n'a vraisemblablement pas prévu de contrat de maintenance.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 avril 2024, la commune d'Ostricourt, représentée par Me Fillieux, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société F.I.M.J à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que l'acte d'engagement a été signé par le maire de la commune d'Ostricourt le 29 mars 2024.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 22 avril 2024, la société M.S.I, représentée par Me Colson, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société F.I.M.J à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que l'acte d'engagement a été signé par le maire de la commune d'Ostricourt le 29 mars 2024.

Par un mémoire en réplique enregistré le 22 avril 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) F.I.M.J, représentée par Me Coquerel, demande sur le terrain du référé contractuel, régi par les articles L. 551-13 et suivants du code de justice administratif :

1°) de suspendre, pour la durée de l'instance, l'exécution du marché relatif à la location et la maintenance de matériel informatique pour la commune d'Ostricourt ;

2°) de prononcer la nullité du contrat ou, subsidiairement, de prononcer la résiliation du marché conclu le 29 mars 2024, en application des articles L. 551-18 et suivants du code de justice administrative ;

3°) très subsidiairement, de prononcer à l'encontre de la commune d'Ostricourt des pénalités financières à hauteur de 20 % du montant HT du contrat global ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Ostricourt la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est recevable à présenter des conclusions à fin d'annulation du contrat sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : l'introduction du référé précontractuel le 5 avril 2024 et la notification de son recours la veille à la commune d'Ostricourt ont été effectuées dans le délai de standstill que la commune avait entendu respecter dans le cadre du présent marché. Faute pour la commune d'Ostricourt d'avoir respecté le délai de 11 jours suivant la notification de rejet de son offre, qui suspendait la signature du marché jusqu'au 6 avril 2024, en signant ce marché dès le 29 mars 2024, elle est bien fondée à solliciter l'annulation du contrat dans le cadre de conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-18 du code de justice administrative ;

- la société attributaire a présenté une offre anormalement basse dès lors qu'elle n'intègre pas dans le coût facturé, d'une part un réel service de dépannage sur site pourtant prévu par le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) mais un simple service hotline, d'autre part la fourniture des logiciels et la réinstallation des applicatifs pourtant indispensables à l'exécution des prestations du marché, et irrégulière dès lors qu'elle n'a pas intégré dans son offre l'installation des licences Oracle et SQL ni le prix de ces licences qui sont pourtant nécessaires au fonctionnement des applicatifs utilisés, ni la réinstallation des applications métiers, alors en outre que la société M.S.I n'est pas titulaire des droits pour installer et intervenir sur ces logiciels ;

- la société attributaire n'a pas présenté une offre conforme aux besoins du marché dès lors qu'elle ne propose pas de maintenance effective du matériel informatique ;

- aucune raison d'intérêt général ne se heurte au prononcé de la nullité du contrat ou sa résiliation dès lors qu'elle a conclu le 3 avril 2024 avec la commune d'Ostricourt, soit postérieurement à la signature du marché avec la société M.S.I, un avenant pour la poursuite du contrat de location du matériel et logiciels informatiques jusqu'au 31 août 2024.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 avril 2024, la société M.S.I, représentée par Me Colson, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société F.I.M.J à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

- à titre principal, qu'aucun des moyens invoqués par la requérante (offre anormalement basse et irrégulière) ne se rattache à l'un des moyens possiblement invocables dans le cadre d'une procédure de référé contractuel formé contre une procédure adaptée ;

- à titre subsidiaire, l'offre de la société F.I.M.J était irrégulière en ce qu'elle s'est contenté d'indiquer les exigences minimales techniques figurant à l'article 5.1 du CCTP, ce qui ne constitue nullement un élément d'appréciation de son offre ;

- l'offre de la société M.S.I n'était pas anormalement basse : elle installe systématiquement un logiciel dans chaque PC permettant de prendre le contrôle à distance sur une machine (logiciel Team Viewer), ce qui constitue bien plus qu'une hotline. La maintenance du matériel n'a pas à être facturée puisque les matériels sont sous garantie constructeur. Elle propose pour chaque matériel une extension de garantie - intervention sur site - dans le délai convenu selon le critère A, B ou C qui figurent à l'article 5.1 du CCTP. Elle propose un réel service de dépannage sur site et de maintenance. Les candidats n'étaient pas tenus de fournir des logiciels métiers puisqu'ils sont déjà installés par le prestataire actuel. Ils sont tenus de les réinstaller, comme le prévoit le CCTP et ce que prévoit l'offre de la société M.S.I. ;

- l'offre de la société M.S.I n'est pas irrégulière dès lors qu'elle satisfait pleinement aux exigences de la commune fixées dans le CCTP et notamment la réinstallation des logiciels métiers, ce qui ne suppose aucun agrément de l'éditeur de ces logiciels.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 avril 2024, la commune d'Ostricourt, représentée par Me Fillieux, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société F.I.M.J à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

- à titre principal, que la procédure de référé contractuel n'est pas ouverte à la société F.I.M.J : compte tenu de la nature de la procédure, à savoir un marché à procédure adaptée, elle n'était tenue qu'au respect des articles L. 551-4 ou L. 551-9 du code de justice administrative, ce qu'elle a fait. Le marché a été signé avant la saisine du tribunal administratif. Aucune pièce du marché ne prévoit de délai de suspension entre la notification du rejet des offres et la signature du marché ;

- à titre subsidiaire, les conditions du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 ne sont pas remplies ;

- l'offre de la société F.I.M.J n'était pas anormalement basse et répondait en tout point aux exigences de la consultation ;

- l'offre de la société F.I.M.J était régulière.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. A pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue le 24 avril 2024 en présence de Mme Blanc, greffière, M. A a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Coquerel, avocat représentant la société F.I.M.J, qui a développé son argumentation écrite, faisant valoir que la commune d'Ostricourt n'a pas respecté le délai de 11 jours qu'elle s'était imposé dans le courrier de notification de la décision de rejet de l'offre ;

- les observations de Me Dantec, avocat substituant Me Fillieux, représentant la commune d'Ostricourt, qui a développé son argumentation écrite, faisant valoir qu'aucune pièce du marché ne prévoit de délai de suspension entre la notification du rejet des offres et la signature du marché. Une telle mention résulte d'une erreur dans le choix du modèle cerfa utilisé pour la notification du rejet de l'offre ;

- les observations de Me Colson, avocat représentant la société M.S.I, qui a repris ses énonciations écrites.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Ostricourt a lancé une consultation en vue de la passation, selon une procédure adaptée, d'un marché de prestations de services divers intitulé " marché de location et de maintenance de matériel informatique ". Le 27 mars 2024, la société F.I.M.J qui avait candidaté, a été informée, par courrier électronique, que son offre n'était pas retenue et que le marché était attribué à la société M.S.I. Après avoir demandé au juge des référés, statuant par application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative d'annuler la procédure de passation de ce marché, la société F.I.M.J, prenant acte de ce que sa requête avait été enregistrée au greffe du tribunal postérieurement à la signature du contrat le 29 mars 2024, a saisi le juge des référés sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, aux fins de suspendre, pour la durée de l'instance, l'exécution du marché relatif à la location et la maintenance de matériel informatique pour la commune d'Ostricourt, de prononcer la nullité du contrat ou bien de prononcer la résiliation du marché, en application des articles L. 551-18 et suivants du code de justice administrative ou subsidiairement, de prononcer à l'encontre de la commune d'Ostricourt des pénalités financières à hauteur de 20 % du montant HT du contrat global.

Sur les conclusions présentées au titre du référé précontractuel :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".

3. Il résulte des termes de l'article L. 551-1 du code de justice administratif que le juge du référé précontractuel ne peut être saisi qu'avant la conclusion du contrat.

4. Il est constant que l'acte d'engagement du marché en litige, pour l'attribution duquel la société F.I.M.J avait présenté une offre, a été signé avec la société M.S.I le 29 mars 2024, soit antérieurement à l'enregistrement de sa requête tendant à l'annulation de la procédure de passation sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Il s'ensuit que les conclusions présentées sur ce fondement sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre du référé contractuel :

5. Aux termes de l'article L.551-4 du code de justice administrative : " Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ". Aux termes de l'article L. 551-13 du même code : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section ". En vertu des dispositions de l'article L. 551-18 du même code, le juge du référé contractuel " prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsqu'ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ". Aux termes de l'article L. 551-20 du même code : " Dans le cas où le contrat a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière ". Aux termes de l'article R. .2181-1 du code la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. ". Aux termes de l'article R. 2181-2 du même code : " Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l'acheteur. / Lorsque l'offre de ce soumissionnaire n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l'acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché. ". Aux termes de R. 2182-1 du même code : " Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, un délai minimal de onze jours est respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux articles R.2181-1 et R.2181-3 et la date de signature du marché par l'acheteur. / Ce délai minimal est porté à seize jours lorsque cette notification n'a pas été transmise par voie électronique ".

6. Il résulte des dispositions précitées, d'une part, que les marchés passés selon une procédure adaptée ne sont pas soumis à l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, la décision d'attribution avant la signature du contrat, d'autre part que l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, c'est-à-dire de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. Le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 551-18 du même code, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, alors qu'un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé.

7. En l'espèce, la commune d'Ostricourt n'était pas tenue de notifier à l'intéressée avant la signature du contrat, la décision d'attribution de ce marché passé selon une procédure adaptée. Il suit de là que, quand bien même la société F.I.M.J ferait valoir que la lettre de notification du rejet de son offre datée du 21 mars 2024 mentionnerait l'existence d'un délai de suspension de 11 jours avant la signature du marché, elle ne saurait demander pour ce motif que le juge prononce la nullité du contrat en application du 3ème alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative. Egalement, les manquements tenant à ce que la société M.S.I aurait déposé une offre anormalement basse et une offre irrégulière n'intégrant pas la réinstallation des logiciels Oracle et SQL, invoqués par la société F.I.M.J, ne sont pas au nombre des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l'article L. 551-18 du code de justice administrative. Dès lors, la société requérante n'est pas recevable à demander que le juge prononce la résiliation du contrat ou une pénalité financière à l'encontre de la commune d'Ostricourt, sur le fondement des dispositions des articles L. 551-19 et L. 551-20 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la société F.I.M.J au titre de l'article L. 551-13 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune d'Ostricourt, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, verse une somme à la société F.I.M.J au titre desdites dispositions. Il y a lieu, en revanche, de condamner sur ce même fondement la société F.I.M.J à verser à la commune d'Ostricourt la somme de 1 500 euros et à la société M.S.I la somme de 1 500 euros.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société F.I.M.J est rejetée.

Article 2 : La société F.I.M.J versera à la commune d'Ostricourt une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société F.I.M.J versera à la société M.S.I une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société F.I.M.J, à la commune d'Ostricourt et à la société M.S.I.

Fait à Lille, le 13 mai 2024.

Le juge des référés,

Signé

M. A

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,