TA Limoges, 17/11/2022, n°2200528

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 13 avril 2022, la SAS Spie Industrie et Tertiaire, représentée par la SELARL Interbarreaux Racine, agissant par Me Hounieu, avocat, demande au juge des référés :

1°) de condamner le centre hospitalier Esquirol à lui verser une provision d'un montant de 280 089,92 euros, outre intérêts au taux légal majoré de huit points, et capitalisation desdits intérêts à compter du 29 septembre 2022, en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier Esquirol une somme de 40 euros à lui verser au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Esquirol une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

La SAS Spie Industrie et Tertiaire soutient que :

- sa demande, fondée sur un décompte de marché public général et définitif tacite, entre dans le champ de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ;

- sur le caractère non sérieusement contestable : la SAS Spie Industrie et Tertiaire justifie d'un décompte général définitif au terme de la procédure fixée par les articles 13.3 et suivants du cahier des clauses administratives générales (CCAG) " Travaux " de 2009 dans sa version modifiée par l'arrêté du 3 mars 2014 ; ce décompte fait apparaître un solde de marché que le centre hospitalier Esquirol ne lui a pas réglé ;

- sur la détermination du montant de la provision : la SAS Spie Industrie et Tertiaire justifie du montant de sa créance à hauteur de 280 089,92 euros ; en application du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013, le centre hospitalier Esquirol lui est redevable des intérêts au taux légal majorés de 8 points à compter du 29 septembre 2021, ainsi que de l'indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros ; à compter du 29 septembre 2022, la SAS Spie Industrie et Tertiaire est fondée à obtenir la capitalisation de ces intérêts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2022, le centre hospitalier Esquirol, représenté par Lexcase société d'avocats, agissant par Me Apelbaum et Büsch, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Spie Industrie et Tertiaire la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le centre hospitalier Esquirol soutient que la créance dont se prévaut la SAS Spie Industrie et Tertiaire est sérieusement contestable :

- dans son principe, dès lors qu'aucun décompte général et définitif n'a pu intervenir tacitement au terme du marché, celui-ci n'étant pas soumis au régime du CCAG de 2009 modifié en 2014 mais à celui du CCAG de 2009 tel qu'issu de l'arrêté du 8 septembre 2009 qui ne prévoit pas la procédure dont se prévaut la SAS Spie Industrie et Tertiaire ;

- subsidiairement dans son montant, dès lors que le centre hospitalier Esquirol ne peut, en vertu du principe faisant obstacle à ce qu'une collectivité publique soit condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas, supporter la charge d'un préjudice né de retards d'exécution de travaux qui ne résultent pas de son fait ; en tout état de cause, le montant réclamé est largement surévalué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 10 mai 2022 par lequel M. Daniel Josserand-Jaillet, président honoraire du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a été inscrit sur la liste des magistrats honoraires prévue à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative.

Par un arrêté du 1er septembre 2022, M. Daniel Josserand-Jaillet, président de tribunal administratif honoraire, a été désigné par le président du tribunal pour exercer les pouvoirs du juge des référés.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin de provision :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

2. Le 5 avril 2016, le centre hospitalier Esquirol a conclu avec la société SPIE Ouest-Centre, aux droits de laquelle a succédé la SAS Spie Industrie et Tertiaire, un marché public de travaux d'électricité dans le cadre de la restructuration et de l'aménagement d'un bâtiment, pour un montant initial de 349 885,06 euros HT. Ce montant a été porté à 438 101,18 euros HT en vertu d'avenants successifs. L'achèvement, initialement fixé au 11 juillet 2017, a finalement été reporté jusqu'au 10 décembre 2019, et le procès-verbal de réception a été notifié le 25 janvier 2021 à la SAS Spie Industrie et Tertiaire, qui a adressé le 22 mars 2021 au maître-d'œuvre son projet de décompte final révélant un solde de 280 089,92 euros TTC, comportant une demande de rémunération complémentaire de 264 720,95 euros. Après avoir adressé, selon la procédure fixée par les articles 13.3 et suivants du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux (CCAG " Travaux ") de 2009 dans sa version modifiée par l'arrêté du 3 mars 2014, un projet de décompte général pour le même montant, la SAS Spie Industrie et Tertiaire demande au juge des référés la condamnation du centre hospitalier Esquirol à lui verser une somme de 280 089,92 euros TTC en principal à titre de provision sur le règlement définitif du marché.

3. A l'appui de sa demande, la SAS Spie Industrie et Tertiaire fait valoir que la créance dont elle se prévaut envers le centre hospitalier Esquirol est née de sa mise en œuvre de la procédure prévue par le CCAG Travaux dans sa version issue de l'arrêté du 3 mars 2014.

4. Aux termes de l'article 13.3.1 de celui-ci, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final (). / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire () ". Aux termes de l'article 13.3.2 : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux () ". Aux termes de l'article 13.3.4 : " En cas de retard dans la transmission du projet de décompte final et après mise en demeure restée sans effet, le maître d'œuvre établit d'office le décompte final aux frais du titulaire. Ce décompte final est alors notifié au titulaire avec le décompte général tel que défini à l'article 13.4 ". L'article 13.4.2 stipule que : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après:/ - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire () ". Aux termes de l'article 13.4.3 : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties () ". Aux termes de l'article 13.4.4 : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé (). / Si, dans [un] délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif () ".

5. Il résulte de l'instruction que la SAS Spie Industrie et Tertiaire a, ainsi qu'elle le soutient, notifié son projet de décompte final au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur le 22 mars 2021, sans que le centre hospitalier Esquirol ne lui ait notifié avant le 21 avril 2021 son décompte général. La SAS Spie Industrie et Tertiaire justifie également avoir notifié le 29 juillet 2021 son projet de décompte général signé, rappelant les dispositions de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux précitées, sans que le centre hospitalier Esquirol lui notifie de décompte général avant le 9 août 2021, puis avoir mis le centre hospitalier Esquirol en demeure de lui régler la somme de 280 089,92 euros en principal à ce titre par un courrier daté du 7 mars 2022.

6. Toutefois, sans qu'aucune disposition générale ni principe général l'impose, il ne ressort d'aucun des documents du marché produits à l'instance par les parties que celles-ci se soient contractuellement placées sous le régime des dispositions précitées au point 4 lors de la conclusion du marché ou de l'un de ses avenants. Le centre hospitalier Esquirol fait en revanche valoir, dans ses écritures contentieuses en défense, que le marché en litige, pour son règlement définitif, est placé sous le régime issue du CCAG Travaux de 2009, mais dans sa version résultant de l'arrêté du 8 septembre 2009. Cette version ne prévoit pas la procédure qu'a suivie la SAS Spie Industrie et Tertiaire, mais, dans son article 13.4.2, que " si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire, dans les délais stipulés ci-dessus, le décompte général signé, celui-ci lui adresse une mise en demeure d'y procéder. L'absence de notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la mise en demeure, autorise le titulaire à saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord ". Ces stipulations, si elles ouvrent au titulaire du marché une voie de recours contre le maître d'ouvrage pour le règlement définitif, n'ont en revanche pas par elles-mêmes pour portée de faire naître une créance au bénéfice de l'une des parties.

7. La seule circonstance que la SAS Spie Industrie et Tertiaire, pour sa demande au maître d'ouvrage, se soit placée sous le régime du CCAG Travaux dans sa version issue de l'arrêté du 3 mars 2014 ne saurait établir que les parties au contrat avaient entendu, lors de sa conclusion, placer leur relation contractuelle sous ce régime.

8. Dans ces conditions, la créance dont se prévaut la SAS Spie Industrie et Tertiaire ne peut être regardée, en l'état de l'instruction, comme établie dans son existence avec un degré suffisant de certitude et par suite comme non sérieusement contestable, au sens des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, ni dans son principe ni dans son quantum.

9. Par suite, les conclusions de la SAS Spie Industrie et Tertiaire tendant à la condamnation du centre hospitalier Esquirol à lui verser la somme de 280 089,92 euros en principal à titre de provision ne sont pas fondées et doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que le centre hospitalier Esquirol soit condamné à lui verser les intérêts moratoires sur cette somme ainsi que l'indemnité forfaitaire de recouvrement ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. D'une part, la SAS Spie Industrie et Tertiaire, partie perdante dans la présente instance, ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SAS Spie Industrie et Tertiaire une somme de 1 500 euros à verser au centre hospitalier Esquirol sur le fondement des mêmes dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la SAS Spie Industrie et Tertiaire est rejetée.

Article 2 : La SAS Spie Industrie et Tertiaire versera au centre hospitalier Esquirol une somme de mille cinq cents euros (1 500 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Spie Industrie et Tertiaire et au centre hospitalier Esquirol.

(nom)GHELLAMGGGG

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 202 Le juge des référés,

D. JOSSERAND-JAILLET

La République mande et ordonne

à la préfète de la Haute-Vienne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

Pour expédition conforme

Le Greffier en Chef,

S. CHATANDEAU

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