TA Lyon, 02/02/2023, n°2102451
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires enregistrés les 7 avril 2021, 30 mai 2022 et 10 janvier 2023, la société Cars B et M. C B, représentés par Me Brillier-Laverdure, demandent au tribunal :
1°) de condamner le département de la Loire à verser à la société Cars B la somme de 608 878,40 euros et à M. B la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 6 août 2020 par laquelle le département de la Loire a refusé d'accepter la société Cars B en qualité de sous-traitant de la société Transarc Aquilon pour l'exécution de deux lots d'un accord-cadre de transports scolaires ;
2°) de mettre à la charge du département de la Loire la somme de 2 000 euros à verser à chacun au titre des frais du litige.
Ils soutiennent que :
- en refusant d'accepter la société Cars B en qualité de sous-traitant de la société Transarc Aquillon, le département de la Loire a commis une erreur d'appréciation et a porté une atteinte disproportionnée au principe d'égal accès à la commande publique et à la liberté de commerce et de l'industrie ;
- ils ont été privés de la garantie, prévue à l'article L. 2141-11 du code de la commande publique, de présenter des observations ;
- la société Cars B a subi un préjudice financier qu'elle évalue à la somme de 588 878 euros et un préjudice moral lié à l'atteinte portée à son image qu'elle évalue à la somme de 20 000 euros ;
- M. B est fondé à demander la condamnation du département à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral lié à l'atteinte portée à sa réputation et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis.
Par trois mémoires en défense, enregistrés les 12 juillet 2021, 9 juin et 27 juin 2022, le département de la Loire, représenté par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Cars B et de M. B à raison de 2 000 euros chacun.
Il fait valoir que :
- la décision du 6 août 2020 est dépourvue d'objet dès lors que la société Cars B n'était plus sous-traitante de la société Transarc Aquilon depuis le 4 août précédent ;
- il n'a commis aucune faute ;
- le préjudice invoqué n'est pas établi.
Un mémoire en défense présenté le 11 janvier 2023 par le département de la Loire n'a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- les conclusions de M. Reymond-Kellal, rapporteur public,
- et les observations de Me Brillier-Laverdure et M. B pour la société Cars B et M. B et celles de Me Debaty pour le département de la Loire.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 10 février 2020, le département de la Loire a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un accord-cadre mono-attributaire de transports scolaires, exécuté par émission de bons de commande et réparti en lots, chacun des lots faisant l'objet d'un accord-cadre séparé. Le 19 juin 2020, le département a attribué les lots n°s 4, 5 et 16 à la société Transarc Aquilon, qui l'a saisi le 19 juillet 2020 d'une demande d'acception de la société Cars B en qualité de sous-traitant des lots n°s 5 et 16. Par une décision du 6 août 2020, le département de la Loire a rejeté sa demande au motif que M. B, gérant de la société Cars B, qui est membre du conseil départemental de la Loire, se trouverait en situation de conflits d'intérêts. La société Cars B et M. B demandent l'indemnisation de leurs préjudices respectifs subis du fait de l'illégalité fautive de la décision du 6 août 2020.
2. D'une part, aux termes de l'article 24 de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE : " Conflits d'intérêts / Les États membres veillent à ce que les pouvoirs adjudicateurs prennent les mesures appropriées permettant de prévenir, de détecter et de corriger de manière efficace des conflits d'intérêts survenant lors des procédures de passation de marché, afin d'éviter toute distorsion de concurrence et d'assurer l'égalité de traitement de tous les opérateurs économiques./ La notion de conflit d'intérêts vise au moins toute situation dans laquelle des membres du personnel du pouvoir adjudicateur ou d'un prestataire de services de passation de marché agissant au nom du pouvoir adjudicateur qui participent au déroulement de la procédure ou sont susceptibles d'en influencer l'issue ont, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou un autre intérêt personnel qui pourrait être perçu comme compromettant leur impartialité ou leur indépendance dans le cadre de la procédure de passation de marché. ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : " Les membres du Gouvernement, les personnes titulaires d'un mandat électif local ainsi que celles chargées d'une mission de service public exercent leurs fonctions avec dignité, probité et intégrité et veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d'intérêts. Les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes exercent également leurs fonctions avec impartialité. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique applicable au litige : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. / Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché. ". Aux termes de l'article L. 2141-11 du même code : " L'acheteur qui envisage d'exclure un opérateur économique en application de la présente section doit le mettre à même de présenter ses observations afin d'établir dans un délai raisonnable et par tout moyen qu'il a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements précédemment énoncés et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement. ". Aux termes de l'article L. 2141-14 du même code : " Lorsque le sous-traitant à l'encontre duquel il existe un motif d'exclusion est présenté au stade de la procédure de passation d'un marché, l'acheteur exige son remplacement par un autre opérateur économique qui ne fait pas l'objet d'un motif d'exclusion, dans un délai de dix jours à compter de la réception de cette demande par le candidat ou le soumissionnaire, sous peine d'exclusion de la procédure. ".
4. En premier lieu, la société Cars B, qui n'était pas candidate à l'attribution des lots n°s 5 et 16 et n'a pas été présentée comme sous-traitant au stade de la procédure de passation des accords-cadres, ne peut utilement se prévaloir avec M. B des dispositions précitées des articles L. 2141-11 et L. 2141-14 du code de la commande publique pour soutenir que le département de la Loire était tenu de solliciter les observations de la société Cars B sur une éventuelle situation de conflits d'intérêts avant de demander à la société Transarc Aquilon de la remplacer par un autre sous-traitant.
5. En second lieu, l'article 6.1.3 du règlement de la consultation imposait aux candidats d'indiquer dans leur offre l'identité de leurs éventuels sous-traitants et les capacités techniques et financières de ceux-ci. En dépit de ces stipulations et alors même qu'il résulte de l'instruction que les sociétés Transarc Aquilon et Cars B avaient coutume de travailler ensemble, le département de la Loire n'a pas été informé de la sous-traitance des lots n°s 5 et 16 par la société Cars B au moment de la présentation des offres de la société Transarc Aquilon mais n'en a été informé, comme exposé au point 1, que le 19 juillet 2020, soit après l'attribution des lots. Dans ces conditions, le département n'a pas été mis en mesure de prendre des dispositions d'organisation interne permettant d'éviter, pendant la procédure de passation, tout risque de conflit d'intérêts lié au mandat de conseiller départemental de M. B et à sa qualité de gérant de la société Cars B. Prévenu de ce risque de conflit d'intérêts seulement six semaines avant le début de l'exécution des prestations fixé au 1er septembre 2020, le département de la Loire a pu légalement rejeter la demande de sous-traitance par la société Cars B dès lors que c'était à cette date le seul moyen de faire obstacle à un conflit d'intérêts qu'il n'était plus temps de prévenir par d'autres moyens. Dans ces circonstances très particulières et dès lors que cette opposition du département de la Loire n'empêche pas la société Cars B de se porter à l'avenir candidate, en qualité de titulaire ou de sous-traitante, aux procédures initiées par le département, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ce dernier aurait porté une atteinte disproportionnée à la liberté de commerce et de l'industrie et au principe d'égal accès à la commande publique.
6. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'illégalité fautive de la part du département, les conclusions indemnitaires de la société Cars B et de M. B doivent être rejetées.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du département de la Loire, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Cars B et de M. B la somme de 700 euros à verser chacun au département de la Loire au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B et de la société Cars B est rejetée.
Article 2 : La société Cars B et M. B verseront la somme de 700 euros chacun au département de la Loire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Cars B, à M. C B et au département de la Loire.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, présidente,
M. Bertolo, premier conseiller,
Mme Conte, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe du tribunal le 2 février 2023.
La rapporteure,
C. A
La présidente,
C. Michel
La greffière,
K. Schult
La République mande et ordonne au préfet de la Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Un greffier,