TA Lyon, 22/12/2022, n°2007287

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 octobre 2020 et 15 août 2021, la société Cigede, représentée par Me Py, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le marché public de prestations intellectuelles relatif à une mission de repérage d'amiante et de plomb avant la démolition d'immeubles existants conclu le 30 septembre 2019 avec la société AC Environnement par l'office public du logement à Roanne (OPHEOR) ;

2°) de condamner l'OPHEOR à lui verser une somme de 7 451,20 euros en réparation des préjudices subis du fait de son éviction ;

3°) de mettre à la charge de l'OPHEOR une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le nombre minimum de prélèvements fixé par l'OPHEOR est un critère de sélection qui n'a pas été porté à la connaissance des candidats et qui est en outre contraire à la règlementation sur le repérage de l'amiante ;

- le critère de la valeur technique a été présenté de manière imprécise dans le règlement de la consultation ;

- c'est à tort que l'OPHEOR a écarté son offre comme inappropriée.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2020, l'OPHEOR, représenté par Me Nugue, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Cigede sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, faute d'être accompagnée de pièces jointes numérotées et recensées dans un inventaire conforme à l'article R. 412-2 du code de justice administrative ;

- les moyens ne sont pas fondés ;

- sa responsabilité ne peut être engagée, faute pour la société requérante d'avoir établi un lien de causalité entre le manquement et les préjudices allégués.

La société AC Environnement, régulièrement mise en cause, n'a pas produit d'observations en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- l'arrêté du 26 juin 2013 relatif au repérage des matériaux et produits de la liste C contenant de l'amiante et au contenu du rapport de repérage ;

- l'arrêté du 16 juillet 2019 relatif au repérage de l'amiante avant certaines opérations réalisées dans les immeubles bâtis ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de M. Reymond-Kellal, rapporteur public,

- les observations de Me Larcher, avocat de la société Cigede, et celles de Me Moutte, avocat de l'OPHEOR.

Considérant ce qui suit :

1. L'office public du logement à Roanne (OPHEOR) a lancé une procédure de mise en concurrence en vue de la passation, dans le cadre d'une procédure adaptée, d'un accord-cadre à bons de commande relatif au lot n° 1 de missions de diagnostics avant démolition d'immeubles existants, portant sur le repérage d'amiante et de plomb. L'OPHEOR a retenu l'offre de la société AC Environnement avec laquelle elle a conclu le marché le 30 septembre 2019. L'offre présentée par la société Cigede a été écartée comme inappropriée au motif qu'elle ne comportait pas suffisamment de prélèvements par microscopie électronique à transmission analytique (META) permettant d'évaluer la quantité d'amiante contenu dans le bâti des deux immeubles concernés. La société Cigede demande l'annulation de ce marché et la condamnation de l'OPHEOR à lui verser la somme de 7 451,20 euros en réparation de ses préjudices.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. En cours d'instance, la société Cigede a régularisé sa requête par la production d'un inventaire correspondant aux dispositions de l'article R. 412-2 du code de justice administrative. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense sur le fondement de ces dispositions doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. Il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

4. En premier lieu, le règlement de consultation du marché en litige prévoyait trois critères de sélection : un critère du prix pondéré à 60 %, un critère de la valeur technique pondéré à 20 % et un critère de la qualité du rapport de diagnostic d'amiante pondéré à 20 %. Le critère de la valeur technique était décrit ainsi : " 1. Description sommaire de la méthodologie adoptée par le candidat pour l'exécution de ses prestations. 2. Indication précise des moyens humains déployés pour la réalisation de la prestation (nombre d'employés par nature de prestation, organisation hiérarchique) ". Il résulte de l'instruction que, pour apprécier le critère de la valeur technique, l'OPHEOR a comparé le nombre de prélèvements META proposés par chacun des candidats. Le faible nombre de prélèvements proposés par la société Cigede, 138 contre 584 pour l'entreprise retenue, a conduit l'OPHEOR à regarder l'offre de la société Cigede comme inadaptée aux besoins du marché consistant à dépister l'amiante dans le bâti de deux immeubles de 38 logements. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par la société Cigede, le nombre de prélèvements META n'était pas un critère de sélection devant faire l'objet d'une information préalable aux candidats mais un simple élément d'appréciation du critère de la valeur technique, lequel critère a été porté à la connaissance des candidats de manière suffisamment précise dans le règlement de la consultation.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2152-4 du code de la commande publique : "Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu'elle n'est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation". Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 16 juillet 2019 relatif au repérage de l'amiante avant certaines opérations réalisées dans les immeubles bâtis, qui est applicable aux prestations en cause : "Le donneur d'ordre ne doit pas imposer dans sa commande la méthodologie de repérage. Il ne peut déterminer le nombre d'investigations approfondies, de sondages, de prélèvements et d'analyses devant être effectués par l'opérateur de repérage". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 juin 2013 relatif au repérage des matériaux et produits de la liste C contenant de l'amiante et au contenu du rapport de repérage : "Dans un premier temps, l'opérateur de repérage recherche les matériaux et produits de la liste C de l'annexe 13-9 du code de la santé publique. A cette fin, l'opérateur de repérage examine de façon exhaustive toutes les parties d'ouvrages qui composent les différentes parties de l'immeuble bâti et réalise ou fait réaliser pour cela les démontages et investigations approfondies destructives nécessaires. Il définit les zones présentant des similitudes d'ouvrage. La définition de zones présentant des similitudes d'ouvrage permet d'optimiser les investigations à conduire en réduisant le nombre de prélèvements qui sont transmis pour analyse". Aux termes de l'article 5 du même arrêté : "Dans un second temps, en prenant en compte les zones de similitudes d'ouvrage, l'opérateur de repérage identifie et localise, parmi les matériaux et produits mentionnés à l'article 4, ceux qui contiennent de l'amiante. A cette fin, il conclut, pour chacun des matériaux et produits repérés, en fonction des informations et des moyens dont il dispose et de sa connaissance des matériaux et produits utilisés, quant à la présence d'amiante dans ces matériaux et produits. En cas de doute, il détermine les matériaux et produits dont il convient de prélever et d'analyser un ou des échantillons pour pouvoir conclure quant à la présence d'amiante".

6. Il résulte des dispositions des arrêtés précités relatifs aux travaux de diagnostic de l'amiante ainsi que des stipulations de l'article 2 du cahier des clauses techniques particulières applicable au marché, que les prélèvements META devaient être réalisés seulement si l'analyse du bâti et les sondages réalisés les rendent nécessaires. Compte tenu de l'incertitude, inhérente au marché, relative à la quantité d'amiante contenue dans le bâti et, par ricochet, au nombre de prélèvements nécessaires, l'OPHEOR ne pouvait se fonder sur la seule estimation du nombre de prélèvements proposée par la société Cigede pour considérer son offre comme n'étant manifestement pas en mesure de répondre aux besoins du marché. Par suite, c'est à tort que l'OPHEOR a écarté l'offre de la société Cigede comme inappropriée.

7. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'analyse des offres, que si l'offre de la société Cigede n'avait pas été écartée comme inappropriée, elle aurait obtenu la note de 68,69 points sur 100 soit une note supérieure à celle obtenue par l'attributaire. L'irrégularité commise par l'OPHEOR est donc en lien direct avec l'intérêt lésé de la société Cigede. Toutefois, le marché en cause signé le 30 septembre 2019 est désormais entièrement exécuté, comme l'OPHEOR l'a indiqué en réponse à une mesure d'instruction du tribunal, si bien qu'il n'y a pas lieu de le résilier. Par ailleurs, l'irrégularité commise n'a pas entraîné un vice de consentement de la personne publique ni n'a affecté le bien-fondé des prestations de service faisant l'objet du contrat. En l'absence de toutes circonstances particulières révélant notamment une volonté de la personne publique de favoriser un candidat, elle n'est pas d'une gravité telle qu'elle justifierait la résolution du marché. Par suite, les conclusions à fin d'annulation du marché doivent être rejetées, l'irrégularité commise ouvrant seulement un éventuel droit à indemnisation de la société Cigede.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

8. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation des préjudices nés de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

9. Ainsi qu'il a été dit précédemment, l'offre de la société Cigede aurait obtenu une note plus élevée que celle de l'attributaire si elle n'avait pas été écartée à tort comme inappropriée, si bien que la société Cigede avait des chances sérieuses de remporter le marché en litige. Elle a donc droit à l'indemnisation de son manque à gagner, lequel inclut comme il a été dit ci-dessus les frais de présentation de son offre. Le marché était rémunéré pour partie par application d'un prix forfaitaire et, selon les stipulations de l'article 4.2.1. du cahier des clauses administratives particulières, par application d'un prix unitaire aux prestations ayant fait l'objet de bons de commande émis en fonction des besoins, sans minimum en valeur ou en quantité garanti par l'acheteur. Dans ces conditions, le préjudice subi par la société Cigede ne présente un caractère certain qu'en ce qui concerne la rémunération de la partie forfaitaire du marché. Il résulte de l'attestation comptable versée à l'instance, qui est suffisamment probante, que la société Cigede a subi une perte de marge bénéficiaire d'un montant de 616 euros sur la partie forfaitaire du marché. Il y a lieu, dès lors, de condamner l'OPHEOR à verser cette somme à la société Cigede en réparation de ses préjudices.

Sur les frais du litige :

10. Il y a lieu de mettre à la charge de l'OPHEOR, partie perdante pour l'essentiel, la somme de 1 200 euros à verser à la société Cigede sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu en revanche de faire droit aux conclusions présentées par l'OPHEOR sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : L'OPHEOR est condamné à verser la somme de 616 euros à la société Cigede en réparation de ses préjudices.

Article 2 : L'OPHEOR versera la somme de 1 200 euros à la société Cigede sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Cigede, à l'Office public du logement à Roanne et à la société AC Environnement.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, où siégeaient :

Mme Michel, présidente,

M. Bertolo, premier conseiller,

Mme Conte, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2022.

La rapporteure,

C. A

La présidente,

C. Michel

La greffière

K. Schult

La République mande et ordonne à la préfète de la Loire en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice, à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

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