TA Marseille, 03/01/2023, n°2104131

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 7 mai 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 18 juillet 2022, la société Sigec, représentée par Me Barbeau-Bournoville, demande au tribunal :

1°) de condamner la commune d'Aubagne à lui verser la somme de 28 817 euros, en réparation des préjudices subis du fait de son éviction irrégulière du marché de renouvellement de l'application de gestion de la petite enfance et des activités périscolaires et extrascolaires, assortie des intérêts à taux légal et de leur capitalisation, dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de la commune d'Aubagne le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'irrégularité commise dans la procédure de passation du marché est la cause directe de son éviction ;

- elle avait une chance sérieuse de remporter le marché ;

- elle a droit à la réparation de ses préjudices en raison de son éviction irrégulière du marché ;

- son préjudice s'élève à la somme totale de 28 817 euros, composée de 3 250 euros hors taxes au titre des frais de présentation de son offre, 6 338 euros hors taxes au titre de son préjudice commercial et d'atteinte à sa réputation, 6 550 euros hors taxes au titre des honoraires d'avocat qu'elle a engagés, et 12 676 euros hors taxes au titre de son manque à gagner.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2022, la commune d'Aubagne conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Sigec en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'irrégularité commise est sans lien avec les préjudices allégués ;

- les préjudices dont elle demande réparation ne sont pas établis.

Par ordonnance du 10 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au même jour en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A ;

- les conclusions de M. Grimmaud, rapporteur public ;

- les observations de Me Barbeau-Bournoville, représentant la société requérante et de Me Anton, représentant la commune d'Aubagne.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 27 février 2018, la commune d'Aubagne a engagé une procédure de passation, selon une procédure adaptée, d'un marché ayant pour objet le renouvellement de l'application de gestion de la petite enfance et des activités périscolaires et extrascolaires et comportant deux tranches optionnelles. La commune d'Aubagne a attribué le marché à la société Arpège. La société Sigec, candidate évincée, a formé un recours devant le tribunal aux fins d'annuler le contrat du 5 juin 2018 conclu entre la commune d'Aubagne et la société Arpège. Le tribunal a fait droit à cette demande par un jugement n°1806220 du 26 novembre 2019. Par un courrier du 9 février 2021, la société Sigec a adressé une demande à la commune d'Aubagne aux fins d'être indemnisée des préjudices subis en raison de son éviction irrégulière du marché, demande à laquelle la commune n'a pas répondu. La société Sigec demande au tribunal de condamner la commune d'Aubagne à lui verser une somme de 28 817 euros.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation.

3. L'entreprise candidate à l'attribution d'un marché public qui a été irrégulièrement évincée de ce marché qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter a droit à être indemnisée de son manque à gagner. Ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise. Il inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

4. Il résulte du jugement n°1806220 du tribunal du 26 novembre 2019 que l'offre de la société attributaire, qui ne comportait pas d'infocentre basé sur le logiciel BO tel qu'exigé par le règlement de consultation, était incomplète et, par suite, irrégulière. Elle devait donc être écartée par le pouvoir adjudicateur.

5. Il résulte de l'instruction que la société Sigec a été classée deuxième sur trois sociétés ayant présenté une offre, avec une note de 76,30/100 contre 83/100 attribuée à la société Arpège, attributaire du marché. Compte-tenu de ce classement et du vice relevé au point précédent, qui aurait dû conduire le pouvoir adjudicateur à déclarer irrégulière l'offre de la société Arpège, la société Sigec est fondée à soutenir qu'elle avait une chance sérieuse d'emporter le marché de renouvellement de l'application de gestion de la petite enfance et des activités périscolaires et extrascolaires.

6. La société Sigec a donc droit à être indemnisée de son manque à gagner, qui doit être déterminé en prenant en compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise. Il résulte de l'instruction que le marché est constitué d'une offre de base dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire, et de deux tranches optionnelles, que l'acheteur se réserve la possibilité d'affermir ou non. Il y a donc lieu de retenir, s'agissant du prix de l'offre de la société requérante, la somme de 78 029 euros hors taxes correspondant au prix global et forfaitaire de l'option de base, et non celui de 86 229 euros hors taxes, lequel inclut les prestations optionnelles. Si la commune d'Aubagne fait valoir qu'elle n'a pas poursuivi l'exécution du marché à la suite de son annulation par le tribunal et a passé des commandes auprès de la plateforme UGAP, ce qu'elle n'établit pas au demeurant, cette circonstance est en tout état de cause sans influence sur le calcul du manque à gagner de la société requérante. La société Sigec établit que pour les années 2016, 2017 et 2018, son taux de marge nette est en moyenne de 14,7 %, pour un chiffre d'affaires réalisé uniquement dans la fourniture de logiciel faisant l'objet du marché en litige. En appliquant au prix de l'offre proposée par la société un taux de marge nette de 14,7 %, il sera, dès lors, fait une exacte appréciation du manque à gagner de l'entreprise en le fixant à 11 470 euros hors taxes.

7. Les frais de présentation de l'offre de la société Sigec sont intégrés dans ses charges. En conséquence, elle n'est pas fondée à solliciter une indemnisation à ce titre dès lors que ce préjudice est compris dans le manque à gagner indemnisé au point précédent.

8. En soutenant qu'elle a été privée d'une référence en matière de logiciel de gestion des services communaux et que la commune d'Aubagne a communiqué autour du lancement de son nouveau site internet, la société Sigec n'établit pas que son éviction irrégulière de l'attribution du marché aurait porté une atteinte à sa réputation ou lui aurait causé un préjudice commercial. Par suite, sa demande à ce titre doit être rejetée.

9. Lorsque le requérant fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement. Il n'en va autrement que dans le cas où le demandeur ne pouvait légalement bénéficier de ces dispositions.

10. La société Sigec ayant pu bénéficier de ces dispositions lors de l'instance n° 1806220, les frais exposés pour sa défense ont fait l'objet d'une appréciation dans ce cadre qui exclut toute demande indemnitaire de ce chef sur un autre fondement juridique. Par ailleurs, sa demande tendant à être indemnisée à hauteur des frais d'avocat exposés dans le cadre de la présente instance, pour 2 500 euros hors taxes, en sus de sa demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit, pour le même motif, être rejetée.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Sigec est fondée à demander la condamnation de la commune d'Aubagne à lui verser la somme de 11 470 euros hors taxes.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

12. La société Sigec a droit au paiement des intérêts au taux légal sur la somme de 11 470 euros à compter du 10 février 2021, date de réception de sa demande indemnitaire.

13. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 7 mai 2021. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 10 février 2022, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions à fin d'astreinte :

14. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Sigec tendant à ce que le versement de la condamnation soit assorti d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Sigec, qui n'a pas la qualité de partie perdante, au titre des frais exposés par la commune d'Aubagne non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Aubagne la somme de 2 500 euros à verser à la société Sigec au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La commune d'Aubagne est condamnée à verser la somme de 11 470 euros hors taxes à la société Sigec, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 février 2021. Les intérêts échus à la date du 10 février 2022 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La commune d'Aubagne versera la somme de 2 500 euros à la société Sigec au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Sigec et à la commune d'Aubagne.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Gonneau, président,

Mme Simeray, première conseillère,

Mme Devictor, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 janvier 2023.

La rapporteure,

Signé

C. ALe président,

Signé

P-Y. Gonneau

La greffière,

Signé

A. Martinez

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,

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