TA Martinique, 23/12/2022, n°2200146

Vu la procédure suivante :

Par un déféré, enregistré le 8 mars 2022, et un mémoire complémentaire, enregistré le 25 août 2022, le préfet de la Martinique demande au tribunal d'annuler l'accord-cadre à bons de commandes n° 2021-ODY-0029 portant sur la fourniture et la livraison de bouteilles d'eau de source conclu le 19 juillet 2021 par l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI avec la Société Martiniquaise des Eaux de Source (SARL SOMES).

Il soutient que :

- l'article L. 2521-1 du code de la commande publique, qui concerne uniquement le service public de transport de voyageurs par chemin de fer, ne permet pas aux entités adjudicatrices de production d'eau potable de déroger aux obligations de publicité et de mise en concurrence ;

- la procédure de passation, sans publicité ni mise en concurrence préalable, méconnaît l'article R. 2122-11 du code de la commande publique dès lors que le prix du contrat ne caractérise pas une occasion particulièrement avantageuse se présentant sur une période très courte ;

- elle méconnait l'article R. 2122-8 du même code dès lors que le contrat, qui ne fixe aucun maximum, doit être réputé comme excédant le seuil de 40 000 euros hors taxes au-delà duquel une procédure formalisée est requise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2022, l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI conclut au rejet du déféré et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le marché pouvait être conclu sans publicité ni mise en concurrence dès lors qu'il n'excède pas le seuil de 40 000 euros hors taxes prévu à l'article R. 2122-8 du code de la commande publique ;

- le marché pouvait également être conclu sans publicité ni mise en concurrence en application du 2° de l'article R. 2122-11 du même code, compte-tenu de ce qu'il a bénéficié d'une occasion particulièrement avantageuse survenue sur le marché ;

- les moyens soulevés par le préfet de la Martinique ne sont pas fondés.

La procédure a été régulièrement communiquée à la Société Martiniquaise des Eaux de Source (SARL), qui n'a produit aucune observation, malgré une lettre de mise en demeure qui lui a été adressée par courrier du 8 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de M. Lancelot, rapporteur public,

- et les observations de Me Bel, avocate de l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement signé le 19 juillet 2021 et notifié le 21 juillet 2021, l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI a conclu avec la Société martiniquaise des eaux de source (SARL SOMES), sans publicité ni mise en concurrence préalable, un accord-cadre à bons commandes n° 2021-ODY-0029 portant sur la fourniture et la livraison de bouteilles d'eau de source. A la suite de sa transmission au contrôle de légalité, le 19 octobre 2021, le préfet de la Martinique a formé le 17 décembre 2021 un recours gracieux afin que le président de l'établissement prononce la résolution du contrat et lance une nouvelle procédure de passation. Ce recours a toutefois été rejeté par décision du 7 janvier 2022. Par le présent déféré, le préfet de la Martinique demande au tribunal administratif d'annuler l'accord-cadre à bons de commandes de fourniture et de livraison de bouteilles d'eau de source conclu le 19 juillet 2021 entre l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI et la SARL SOMES.

Sur la validité de l'accord-cadre litigieux :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l'Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l'excès de pouvoir jusqu'à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet.

3. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

4. En premier lieu, d'une part, l'article L. 2500-1 du code de la commande publique dispose : " Sans préjudice de dispositions législatives spéciales, les catégories de marchés publics mentionnés au titre Ier sont soumises aux règles particulières définies au titre II. " Il résulte de ces dispositions que, sous réserve de dispositions législatives spéciales, les catégories de marchés publics mentionnés au titre Ier du livre V de la deuxième partie du code de la commande publique sont, à l'exception de ceux portant sur le service public de transport de voyageurs par chemin de fer, soumis aux règles particulières définies aux articles L. 2521-1, L. 2521-2, L. 2521-3, L. 2521-4 et L. 2521-5 du même code, qui prévoient une exclusion des règles de publicité et de mise en concurrence définies par le code.

5. D'autre part, en application de l'article L. 2514-1 du code de la commande publique, bénéficient de l'exclusion aux règles de publicité et de mise en concurrence instituée par le chapitre Ier du titre II du livre V de la deuxième partie de ce code, " les marchés publics conclus par une entité adjudicatrice pour l'achat d'eau, lorsque cette entité exerce l'une des activités relatives à l'eau potable mentionnées au 1° de l'article L. 1212-3. " L'article L. 1212-3 du même code dispose : " Sont des activités d'opérateur de réseaux : / 1° La mise à disposition, l'exploitation ou l'alimentation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution : / () c) D'eau potable. / L'alimentation de réseaux comprend la production, la vente en gros et la vente de détail. / Sont également considérées comme des activités d'opérateurs de réseaux lorsqu'elles sont liées aux activités mentionnées au présent 1°, l'évacuation ou le traitement des eaux usées ainsi que les projets de génie hydraulique, d'irrigation ou de drainage, pour autant que le volume d'eau utilisé pour l'alimentation en eau potable représente plus de 20 % du volume total d'eau utilisé pour ces projets ; () ".

6. Il résulte des dispositions précitées que l'exclusion aux règles de publicité et de mise en concurrence instituée par les règles particulières définies aux articles L. 2521-1, L. 2521-2, L. 2521-3, L. 2521-4 et L. 2521-5 du code de la commande publique s'applique à l'ensemble des marchés publics mentionnés au titre Ier du livre V de la deuxième partie de ce code, à l'exception de ceux portant sur le service public de transport de voyageurs par chemin de fer, et non aux seuls marchés publics portant sur ce service public comme le soutient à tort le préfet de la Martinique. En l'espèce, il résulte des stipulations de l'accord-cadre litigieux, notamment du point 3 de l'acte d'engagement et des points 1. et 9. du cahier de clauses particulières, que cet accord-cadre a pour objet l'achat par la régie ODYSSI de packs de bouteilles d'eau de source destinés à être livrés dans les secteurs touchés par des coupures d'alimentation en eau potable afin d'être distribués aux usagers du service public de distribution d'eau potable impactés par ces coupures d'alimentation du réseau d'eau potable. Dans ces conditions, alors qu'il est constant que l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI constitue un établissement public à caractère industriel et commercial chargé de la gestion et de l'exploitation du service d'eau potable sur le territoire de la communauté d'agglomération du centre et de la Martinique (CACEM), l'accord-cadre litigieux signé le 19 juillet 2021 doit être regardé comme conclu par une entité adjudicatrice pour l'achat d'eau en application de l'article L. 2514-1 cité précédemment du code de la commande publique. Il s'ensuit que la passation de ce contrat était exclue des procédures de publicité et de mise en concurrence préalable, en application des articles L. 2521-1 et suivants du même code. Le moyen du préfet tiré de ce que ces dispositions ne permettaient pas à l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI de déroger aux obligations de publicité et de mise en concurrence n'est dès lors pas fondé. Il doit, par suite, être écarté.

7. En deuxième lieu, l'article R. 2122-8 du code de la commande publique dispose : " L'acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 40 000 euros hors taxes ou pour les lots dont le montant est inférieur à 40 000 euros hors taxes et qui remplissent la condition prévue au b du 2° de l'article R. 2123-1 () ". L'article R. 2122-11 du même code dispose : " Une entité adjudicatrice peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables : / () 2° Ayant pour objet l'achat de fournitures qu'il est possible d'acquérir en profitant d'une occasion particulièrement avantageuse qui se présente dans une période de temps très courte et pour lesquelles le prix à payer est considérablement plus bas que les prix normalement pratiqués sur le marché. "

8. Il résulte de ce qui a été dit précédemment au point 6. que l'accord-cadre litigieux signé entre la régie ODYSSI et la SARL SOMES le 19 juillet 2021 relève des règles particulières définies aux articles L. 2521-1 à L. 2521-5 du code de la commande publique, lesquelles prévoient une exclusion aux règles de publicité et de mise en concurrence définies par le même code. Il s'ensuit que ni les dispositions de l'article R. 2122-8 du code de la commande publique, ni celles de l'article R. 2122-11 du même code ne sont applicables à l'accord-cadre litigieux. Les moyens soulevés par le préfet de la Martinique tirés de la méconnaissance de ces dispositions sont dès lors inopérants. Ils doivent, par suite, être écartés.

9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préfet de la Martinique n'est pas fondé à contester la validité de l'accord-cadre à bons de commande litigieux conclu le 19 juillet 2021 entre l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI et la SARL SOMES. Son déféré doit, par suite, être rejeté.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le déféré du préfet de la Martinique est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au préfet de la Martinique, à l'établissement de la régie communautaire de l'eau et de l'assainissement - ODYSSI et à la Société Martiniquaise des Eaux de Source (SARL).

Copie sera adressée pour information au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Rouland-Boyer, présidente,

M. de Palmaert, premier conseiller,

M. Phulpin, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 décembre 2022.

Le rapporteur,

V. B

La présidente,

H. Rouland-BoyerLa greffière,

M. A

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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