TA Montpellier, 01/12/2022, n°2025765
Vu la procédure suivante :
Par ordonnance n° 462171 du 4 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, transmis au tribunal administratif de Montpellier la requête présentée par la société Distribution Services Industriels.
Par une requête et deux mémoires enregistrés le 13 novembre 2020, le 8 février 2022 et le 5 août 2022, la société Distribution Services Industriels, représentée par la SCP Cantier et Associés, demande au tribunal :
1°) de condamner le syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne à lui verser une somme de 138 935 euros, majorée des intérêts de retard à compter du 7 avril 2016 et capitalisation de ceux-ci ;
2°) de mettre à la charge du syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- son action n'est pas prescrite ;
- sa demande est recevable car elle a préalablement saisi le syndicat mixte ainsi que le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends ;
- le montant minimum non atteint dans les lots n° 4 et n° 5 du marché à bons de commandes relatifs à l'entretien des espaces verts autour des ouvrages d'assainissement lui a causé un préjudice de 138 935 euros correspondant à la marge bénéficiaire qu'elle aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter ainsi qu'à des achats de matériels inutiles et des recrutements de personnels surabondants.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 22 octobre 2021 et le 9 mars 2022, le syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne, représentée par la SELARL Steering, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Distribution Services Industriels une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en vertu des articles 37 et 38 du cahier des clauses administratives générales car la société requérante n'a pas présenté de mémoire en réclamation dans les deux mois suivants la naissance du différend et elle n'a pas fourni dans un délai de 15 jours suivant la fin du marché les justificatifs des frais et investissements dont elle souhaite obtenir le remboursement ;
- le préjudice allégué n'est pas établi car les éléments apportés sont insuffisamment probants et la société n'établit pas que ses frais et investissements étaient spécifiques aux lots en litige ni qu'ils n'ont pu être amortis ou, le cas échéant, réalloués vers d'autres prestations de services ou activités.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,
- et les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne (SMEA) a conclu avec la société Distribution Services Industriels (DSI) cinq marchés à bons de commandes en vue d'assurer l'entretien des espaces verts autour d'ouvrages d'assainissements sur une période de quatre ans, courant de 2012 à 2015. Par courrier notifié le 28 juillet 2020, la société DSI demandait au SMEA une indemnisation à hauteur de 138 935 euros compte tenu de ce que le montant minimum prévu pour les lots 4 et 5 de ce marché n'avait pas été atteint. Par la présente requête, elle sollicite la condamnation du SMEA à lui verser la somme demandée.
Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :
2. Aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de fournitures courantes et de services alors en vigueur et relatif aux différends entre les parties : " 37. 1. Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. 37. 2. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. 37. 3. Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation. Commentaires : Le pouvoir adjudicateur ou le titulaire peut soumettre tout différend qui les oppose au comité consultatif de règlement amiable des litiges, dans les conditions mentionnées à l'article 127 du code des marchés publics ". L'article 127 du code des marchés publics, dans sa version alors en vigueur prévoyait que : " La saisine d'un comité consultatif de règlement amiable interrompt le cours des différentes prescriptions. La saisine du comité suspend les délais de recours contentieux jusqu'à la décision prise par le pouvoir adjudicateur après avis du comité ".
3. En l'espèce, la société DSI a initialement saisi le SMEA d'une demande indemnitaire par courrier du 11 mars 2016. Par courrier du 7 avril 2016, le SMEA indiquait refuser le montant demandé et invitait la société à saisir le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends ou litiges. Ce comité a proposé, dans un avis du 19 septembre 2018, que soit versée une indemnité de 100 000 euros. Par un courrier notifié le 28 juillet 2020, la société DSI réitérait sa demande indemnitaire.
4. D'une part, contrairement à ce que fait valoir le SMEA en défense, il résulte du déroulement des faits en litige que le différend ne peut être regardé comme établi entre les parties le 7 avril 2016, au sens des dispositions de l'article 37 précité, dans la mesure où le SMEA ne s'est pas opposé de façon explicite et non équivoque au versement d'une indemnité. Dès lors, il ne pouvait être exigé de la société DSI qu'elle réitère sa demande indemnitaire dans un délai de deux mois suivant la réponse formulée le 7 avril 2016 alors qu'elle avait été invitée à saisir le comité consultatif de règlement amiable des litiges.
5. D'autre part, en faisant valoir que le différend doit être regardé comme établi lorsque la société DSI a eu communication des observations qu'il a formulées devant le comité consultatif de règlement amiable des litiges, le SMEA ôte à l'avis de ce comité toute utilité alors que l'article 127 du code des marchés publics, alors en vigueur, prévoit qu'il appartient au pouvoir adjudicateur de prendre une décision postérieurement à l'avis rendu. Dès lors, il ne pouvait être exigé de la société DSI qu'elle présente un mémoire en réclamation dans les deux mois suivants la communication des observations présentées par le SMEA devant le comité consultatif de règlement amiable des différends. La fin de non-recevoir tirée de la forclusion contractuelle de la présente demande, compte tenu d'une réclamation présentée plus de deux mois après la naissance du différend, doit être écartée.
6. L'article 38 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de fournitures courantes et de services alors en vigueur relatif aux marchés à bons de commande comportant un minimum prévoit que : "Lorsqu'au terme de l'exécution d'un marché à bons de commande le total des commandes du pouvoir adjudicateur n'a pas atteint le minimum fixé par le marché, en valeur ou en quantités, le titulaire a droit à une indemnité, égale à la marge bénéficiaire qu'il aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre ce minimum. Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter au pouvoir adjudicateur toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché".
7. Alors au demeurant que les marchés en litige n'ont pas fait l'objet d'une résiliation, il ne résulte pas des dispositions de cet article que l'absence de présentation par le titulaire du marché des justifications nécessaires à la fixation de son indemnité dans le délai requis serait sanctionnée par l'irrecevabilité de son action. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'il était respectivement prévu un montant minimum de prestations pour les lots n° 4 et n° 5 en litige égal à 230 000 euros hors taxes et 165 000 euros hors taxes alors que le montant réellement atteint a été de 100 652,20 euros toutes taxes comprises et 50 482,12 euros toutes taxes comprises, soit un total hors taxes pour ces deux lots de 125 945,43 euros et une différence totale de 269 054,07 euros hors taxes. La société requérante demande que lui soit versée la marge bénéficiaire à laquelle elle pouvait prétendre sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre le minimum des deux lots, par application d'un taux de 3,4%, correspondant à la moyenne de la marge bénéficiaire qu'elle a réalisée en 2010 et 2011. Si le SMEA s'oppose au versement de cette indemnité, elle ne conteste pas utilement les modalités de sa fixation alors que la société DSI a versé aux débats son bilan et compte de résultats pour l'année 2011 sur lequel apparaît également les éléments de l'exercice précédent. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner le SMEA à verser à la société DSI une somme de 9 147,84 euros.
10. En deuxième lieu, d'une part, la société DSI fait état d'achats de divers matériels, acquittés en 2012, lors de la première année du marché conclu avec le SMEA, à hauteur de 106 249,01 euros toutes taxes comprises, en produisant les factures afférentes. Bien que le matériel en litige soit en lien avec l'activité d'entretien d'espaces verts, il n'est pas établi que ces achats auraient été spécifiquement réalisés pour assurer l'exécution des lots n° 4 et n° 5, alors que la société DSI s'était vue attribuer par le SMEA d'autres lots et qu'elle n'établit pas l'absence de prestation d'entretien d'espaces verts, par ailleurs, permettant le réemploi et l'amortissement des dépenses ainsi faites. Dès lors, les dépenses en litige ne constituent pas des frais et investissements engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, susceptibles d'ouvrir droit à indemnisation pour la société DSI.
11. D'autre part, la société requérante soutient avoir recruté huit personnes afin de réaliser les prestations confiées par le SMEA alors que seules trois personnes ont été maintenues après le 30 juin 2013, et qu'elle ne pouvait réorienter les personnes ainsi recrutées de façon superflue du fait de leur qualité de travailleur handicapé. Toutefois, si la société DSI fait état d'un préjudice de 24 994,59 euros correspondant à 2 281 heures rémunérées, elle ne justifie pas des modalités de détermination de ce quantum d'heures alors qu'elle les attribue à trois contrats de travail à durée déterminée dont le renouvellement a été prononcé en fin d'année 2012 compte tenu d'un " accroissement temporaire de travail ". Dans ces conditions, et alors que la société DSI, dont le chiffre d'affaires est supérieur à 10 millions d'euros, n'établit pas qu'elle était dans l'impossibilité de réaffecter le personnel ainsi recruté sur des activités similaires ou, le cas échéant, distinctes, le préjudice allégué par la société DSI n'est pas établi.
12. Dès lors, il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner le SMEA à verser à la société DSI une somme de 9 147,84 euros en réparation du préjudice subi.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
13. La société DSI a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 9 147,84 euros à compter du 7 avril 2016, ainsi qu'elle le demande, dans la mesure où, à cette date, le SMEA avait reçu sa demande indemnitaire.
14. Aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Ainsi, et en l'espèce, la société DSI est en droit de prétendre à la capitalisation des intérêts sur les sommes en cause à compter du 13 novembre 2020, date à laquelle elle a été demandée, puis à chaque nouvelle échéance annuelle intervenue depuis lors.
Sur les frais du litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par le SMEA au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens soit mise à la charge de la société DSI, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SMEA une somme de 1 500 euros à verser à la société DSI, au titre des frais exposés par elle en défense, sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne est condamné à verser à la société Distribution Services Industriels une somme de 9 147,84 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 avril 2016. Les intérêts échus à la date du 13 novembre 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne versera une somme de 1 500 euros à la société Distribution Services Industriels sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par le syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié au syndicat mixte des eaux et de l'assainissement de la Haute-Garonne et à la société Distribution Services Industriels.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.
La rapporteure,
A. Lesimple Le président,
E. Souteyrand
La greffière,
M-A. Barthélémy
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Montpellier, le 1er décembre 2022.
La greffière,
M-A. Barthélémy