TA Montpellier, 29/12/2022, n°2001965

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête et trois mémoires complémentaires enregistrés sous le n° 2001962, le 6 mai 2020, le 15 mars 2021, le 18 janvier 2022 et le 19 janvier 2022, la société SADE Compagnie Générale de Travaux Hydrauliques (SADE), représentée par la SELARL Donat et Associés, demande au tribunal :

1°) d'annuler le titre de recettes d'un montant de 52 595,22 euros émis le 5 mars 2020 par la commune de Talairan à son encontre correspondant aux pénalités de retard mises à sa charge dans le cadre de l'exécution du marché de réalisation d'une station d'épuration ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Talairan une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales sont méconnues car le titre ne comporte pas la signature ni le nom de l'ordonnateur et il n'est pas établi que le bordereau du titre aurait été porté à sa connaissance ;

- le titre de recette ne comprend pas les bases de liquidation en méconnaissance du décret n° 2012-1246 ;

- le titre exécutoire est irrégulier car la créance n'est pas certaine et exigible dans la mesure où le décompte général du marché n'est pas définitif ;

- les sommes demandées ne sont pas exigibles car le retard sanctionné par les pénalités en litige est dû aux intempéries, au retard pris par d'autres sociétés et à la réalisation de travaux complémentaires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2020, la commune de Talairan, représentée par la SCP Territoires Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société SADE une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société SADE ne sont pas fondés.

II. Par une requête et deux mémoires complémentaires enregistrés sous le n° 2001965, le 7 mai 2020, le 15 mars 2021 et le 19 janvier 2022, la société SADE Compagnie Générale de Travaux Hydrauliques (SADE), représentée par la SELARL Donat et Associés, demande au tribunal :

1°) d'annuler le titre de recettes d'un montant de 12 240 euros émis le 6 mars 2020 par la commune de Talairan à son encontre correspondant aux pénalités pour non-respect de la clause sociale mises à sa charge dans le cadre de l'exécution du marché de réalisation d'une station d'épuration ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Talairan une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales est méconnu car le titre ne comporte pas la signature ni le nom de l'ordonnateur et il n'est pas établi que le bordereau du titre aurait été porté à sa connaissance ;

- le titre de recette ne comprend pas les bases de liquidation en méconnaissance du décret n° 2012-1246 ;

- le titre exécutoire est irrégulier car la créance n'est pas certaine et exigible dans la mesure où le décompte général du marché n'est pas définitif ;

- les sommes demandées ne sont pas exigibles car la commune s'est abstenue de toute mise en demeure préalable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2020, la commune de Talairan, représentée par la SCP Territoires Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société SADE une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société SADE ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- les observations de Me Aniel, représentant la société SADE Compagnie Générale de Travaux Hydrauliques et celles de Me d'Audigier représentant la commune de Talairan.

Considérant ce qui suit :

1. La société SADE Compagnie Générale de Travaux Hydrauliques (SADE) s'est vue confier la réalisation d'une station d'épuration par la commune de Talairan par un marché notifié le 18 avril 2018, d'un montant initial de 510 801 euros HT, porté, par la suite, à 565 537 euros HT compte tenu d'un avenant notifié le 18 juillet 2018. La réception des travaux a été notifiée le 2 octobre 2019 avec une date d'achèvement des travaux fixée au 2 aout 2019.

2. Par la requête enregistrée sous le n° 2001962, la société SADE demande l'annulation du titre exécutoire émis par la commune de Talairan le 5 mars 2020 et mettant à sa charge une somme de 52 595,22 euros au titre de pénalités de retard. Par une requête enregistrée sous le n° 2001965, cette même société demande l'annulation du titre exécutoire émis le 6 mars 2020 par la commune d'un montant de 12 240 euros pour non-respect de la clause sociale prévue par le marché.

Sur la jonction des requêtes :

3. Les requêtes susvisées présentées par la même société requérante concernent un unique marché et présentent à juger des questions semblables. Elles ont fait l'objet d'une instruction commune et il y a donc lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation des titres exécutoires :

4. A titre liminaire, le cahier des clauses administratives particulières du marché prévoit l'application de plusieurs " pièces générales ", dont le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux (CCAG) approuvé par arrêté du 8 septembre 2009 et précise, pour chacune, que les " pièces " les plus récentes prévalent sur les plus anciennes. Dans ces conditions, il y a lieu de faire application du CCAG dans sa version modifiée par l'arrêté du 3 mars 2014.

5. D'une part, il résulte de la combinaison de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales et des articles 23, 24 et 28 du décret du 7 novembre 2012, relatif à la gestion budgétaire et comptable publique que l'émission d'un titre de recettes ayant force exécutoire est réservée au recouvrement des créances publiques liquides et exigibles.

6. D'autre part, il résulte de l'instruction et du cahier des clauses administratives particulières du marché que la commune de Talairan et la société SADE n'ont pas entendu déroger aux dispositions du CCAG applicable qui prévoient que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution de ce marché est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l'établissement du décompte définitif, détermine leurs droits et obligations définitifs.

7. Le CCAG prévoit en son article 13.4.3 que : " Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. Ce décompte lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde. En cas de contestation sur le montant des sommes dues () Ce désaccord est réglé dans les conditions mentionnées à l'article 50 du présent CCAG ". Les stipulations de l'article 50 prévoient que : " () Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre () le titulaire rédige un mémoire en réclamation. () Après avis du maître d'œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6. Pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire dispose d'un délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le représentant du pouvoir adjudicateur () ou de la décision implicite de rejet (), pour porter ses réclamations devant le tribunal administratif compétent ". Les articles 50.3 à 50.6 sont relatifs aux procédures de médiation, d'arbitrage et contentieuse.

8. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la commune de Talairan a adressé à la société SADE, par courrier du 16 décembre 2019, un projet de décompte général. La société SADE a alors formulé le 13 janvier 2020, un mémoire en réclamation que la commune affirme avoir réceptionné le 16 janvier 2020. En l'absence de réponse de la commune dans un délai de trente jours, une décision implicite de rejet est née le 16 février 2020, confirmée par une décision expresse en date du 14 avril 2020. Dans ces conditions, si le décompte général avait bien été établi lorsque les titres exécutoires en litige ont été émis, le 5 et le 6 mars 2020, celui-ci n'avait pas acquis de caractère définitif, en application des dispositions ci-dessus citées. Dès lors, les créances en litige, dont la commune de Talairan a réclamé le paiement, n'étaient pas exigibles, faute de décompte général définitif, et ne pouvaient valablement donner lieu à l'émission d'un titre exécutoire.

9. Enfin, et en tout état de cause, si les parties ne s'accordent pas sur la version du CCAG qu'il convient d'appliquer, les modifications de l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du CCAG travaux, induites par l'arrêté du 3 mars 2014, sont sans influence sur la solution du présent litige, dans les circonstances de l'espèce.

10. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, il y a lieu de prononcer l'annulation des titres émis les 5 et 6 mars 2020 par la commune de Talairan, d'un montant respectif de 52 595,22 euros et 12 240 euros.

Sur les frais du litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la commune de Talairan au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de la société SADE, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Talairan la somme demandée par la société SADE sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Les titres exécutoires émis les 5 et 6 mars 2020 par la commune de Talairan à l'encontre de la société SADE, d'un montant respectif de 52 595,22 euros et 12 240 euros, sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Talairan sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société SADE Compagnie Générale de Travaux Hydrauliques et à la commune de Talairan.

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

M. Nicolas Huchot, premier conseiller,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2022.

La rapporteure,

A. Lesimple Le président,

E. Souteyrand

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet de l'Aude en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 29 décembre 2022.

La greffière,

M-A. Barthélémy

N° 2001962,

A lire également