TA Orléans, 26/08/2022, n°2202716

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 et 23 août 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Hexactitude, représentée par Me Perriez, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision du 29 juillet 2022 ainsi que toutes celles qui se rapportent à la passation de marché engagée par la commune de Blois ayant pour objet la location, le transport, le montage, et le démontage de structures pour manifestations sur le parvis de la Halle aux Grains de la commune de Blois ;

2°) d'enjoindre à la commune de reprendre, si elle entend la poursuivre, la procédure de passation litigieuse au stade de l'analyse des offres en y incluant l'offre de la société Hexactitude ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Blois la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune de Blois a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation et a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en écartant son offre comme anormalement basse : le prix global et forfaitaire n'était pas anormalement sous-évalué ; attributaire en 2020 et classé seconde en 2021 pour un prix légèrement supérieur à celui de la société attributaire, la société requérante a opté dans le cadre du marché en litige pour une solution technique avec l'objectif de réduire les coûts : un châssis plancher auto-lestant permettant de diminuer le coût du transport et de la main d'œuvre ; les solutions techniques peuvent permettre de justifier les prix proposés ; le prix proposé n'était pas de nature à compromettre l'exécution du marché.

Par un mémoire enregistré le 19 août 2022, la commune de Blois, représentée par Me Thierry, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'offre de la société Hexactitude est inférieure de 9 000 euros aux précédentes offres de la société en 2020 et 2021 pour des prestations identiques ; l'offre ne semble pas tenir compte du contexte économique et de l'inflation sur les matières premières alors que la logistique décrite dans l'offre implique l'emploi de véhicules poids-lourds avec des lieux de stockage relativement éloignés de Blois induisant d'importants frais de carburants bien plus importants qu'en 2020 ;

- les justifications apportées par la société sont insuffisantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme B, en application de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, en qualité de juge des référés présentés sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 de ce code.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 24 août 2022 à 14 heures, la juge des référés a présenté son rapport et entendu les observations :

- de Me Perriez et de M. A, associé de la société, représentant la société Hexactitude. Me Perriez persiste dans les conclusions et moyens exposés dans la requête et dans le mémoire en réplique en mettant l'accent sur la faible importance relative du coût du transport et de l'inflation sur les matières premières dans le prix global et forfaitaire proposé par la société, sur la présence de la majorité du matériel nécessaire à la prestation du marché à 25 km de Blois et non pas dans les entrepôts plus éloignés, sur l'insuffisance de précisions de la demande d'explications quant au prix formulée en mai 2022 par la commune de Blois mettant la société dans l'incapacité de répondre pertinemment à la demande de la commune et sur l'absence de risque d'inexécution d'un marché que la société connaît pour avoir été titulaire des prestations en 2020 ;

- de Me Thierry, représentant la commune de Blois qui maintient ses écritures en défense et précise que la demande formulée par la commune en mai 2022 était dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d'Etat, c'est-à-dire que c'est à la société de justifier que l'offre n'est pas anormalement basse et pas à la collectivité de lister précisément les éléments justificatifs sollicités.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Blois a lancé, en avril 2022, un avis d'appel public à la concurrence en vue de la passation d'un marché à procédure adaptée ayant pour objet la location, le transport, le montage, et le démontage de structures pour manifestations sur le parvis de la Halle aux Grains de la commune de Blois. L'offre de la société Hexactitude ayant été regardée comme anormalement basse, par un courrier du 25 mai 2022, la commune de Blois a demandé à la société d'apporter toute justification permettant d'établir la viabilité économique de l'offre présentée. La société Hexactitude a répondu par une lettre du 30 mai 2022. Toutefois,

la commune de Blois a regardé les explications apportées comme insuffisantes et par lettre

du 29 juillet 2022 a rejeté l'offre de la société comme anormalement basse de nature à compromettre l'exécution du marché. Par la présente requête, la société Hexactitude demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la lettre du 29 juillet 2022 et toutes les décisions afférentes à la procédure de passation en litige.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public () ".

Aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages () ". Selon l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements.

Dès lors, il appartient au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : "Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché". Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : "L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Lorsque une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat". Aux termes de l'article R. 2152-3 dudit code : "L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1o Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; / 2o Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; / 3o L'originalité de l'offre ; / 4o La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; / 5o L'obtention éventuelle d'une aide d'État par le soumissionnaire".

Aux termes de l'article R. 2152-4 du même code : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants : / 1o Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ; / () ".

5. Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.

6. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société Hexactitude est sensiblement inférieure à l'estimation de prix attendu pour la prestation par la commune de Blois. Par ailleurs, alors que l'objet du marché en litige a également fait l'objet de procédures de passation et d'attributions en 2020 et 2021 et que les prestations sollicitées par la commune n'ont pas évolué, l'offre de la société requérante est également inférieure au prix qu'elle proposait en 2020, année où elle fut attributaire et en 2021, d'environ 9 000 euros, dans un contexte non contesté d'inflation sur les matières premières qui sont parties intégrantes du prix global et forfaitaire. Pour justifier le prix proposé dans la passation en litige, la société Hexactitude met en avant la circonstance, d'une part, qu'elle emploierait désormais un châssis plancher auto-lestant permettant de réduire les coûts de main d'œuvre et de transport, d'autre part, que le prix qu'elle a proposé tient compte des investissements en matériel déjà réalisés en 2020 pour l'exécution de la prestation identique, investissement qu'elle n'aura dès lors plus à réaliser. Elle soutient également que l'impact de l'augmentation du coût des carburants est faible au regard de la proximité des entrepôts. Elle n'assortit toutefois ses allégations d'aucune pièce justificative, alors que, par ailleurs, la commune conteste la nouveauté alléguée de la solution technique qui avait été présentée dans la réponse apportée par la société à la mise en concurrence de 2021. Il résulte de ces éléments que la commune de Blois n'a pas, en écartant l'offre de la SAS Hexactitude comme anormalement basse et de nature à compromettre l'exécution du marché, commis une erreur manifeste d'appréciation.

7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Hexactitude aux fins d'annulation de la procédure de passation engagée par commune de Blois, doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

8. Les conclusions présentées par la société Hexactitude ne peuvent qu'être rejetées, la commune de Blois n'étant pas la partie perdante dans la présente instance.

9. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Hexactitude une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par la commune de Blois et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Hexactitude est rejetée.

Article 2 : La société Hexactitude versera à la commune de Blois la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Hexactitude et à la commune de Blois.

Fait à Orléans, le 26 août 2022.

La juge des référés,

Armelle B

La République mande et ordonne au préfet de Loir-et-Cher en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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