TA Paris, 10/01/2023, n°2226284
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 décembre 2022 et 4 janvier 2023, la société Project Services, représentée par Me Auger, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures, sur le fondement des dispositions des articles L. 551-5 et suivants du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre à la régie autonome des transports parisiens (RATP), si elle entend poursuivre la procédure de passation relative au marché de transfert des activités électropneumatiques et hydrauliques de l'atelier de maintenance de Saint-Fargeau et les activités supplémentaires électroniques de l'atelier de Saint-Ouen vers le site de Vaugirard, de la reprendre au stade de l'examen des offres, après avoir écarté celle de la société Bouygues Energies et Services ;
2°) de mettre à la charge de la RATP la somme de 4 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que
- la RATP était tenue d'écarter l'offre de la société Bouygues Energies et Services dès lors qu'elle ne détient pas la licence des transporteurs routiers permettant d'effectuer des prestations de transfert ; le vice n'est pas susceptible d'être couvert dans le cadre de l'exécution du marché ; il appartenait à la société Bouygues Energies et Services de répondre à l'offre dans le cadre d'un groupement avec un cotraitant détenant la licence de transport.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 décembre 2022 et 4 janvier 2023, la RATP conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est fondée à tort sur les dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative et qu'il n'appartient pas au juge des référés de procéder à l'annulation de la décision se rapportant à la passation du contrat ;
- le moyen de la requête n'est pas fondé.
Par un mémoire, enregistré le 4 janvier 2023, la société Bouygues Energies et Services, représentée par Me Gonthier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Project Services la somme de 4 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est fondée à tort sur les dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative et qu'il n'appartient pas au juge des référés de procéder à l'annulation de la décision se rapportant à la passation du contrat ;
- le moyen de la requête n'est pas fondé.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Le Roux, vice-présidente de section, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- et les observations de Me Auger, représentant la société Project Services, celles de Mme B, représentant la RATP et celles de Me Gonthier, représentant la société Bouygues Energies et Services maintenance industrielle.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 11 janvier 2022, la RATP a lancé une procédure négociée de passation relative au marché de transfert des activités électropneumatiques et hydrauliques de l'atelier de maintenance de Saint-Fargeau et les activités supplémentaires électroniques de l'atelier de Saint-Ouen vers le site de Vaugirard. Par un courrier du 9 décembre 2022, la RATP a rejeté l'offre de la société Project Services et lui a précisé que l'offre de la société Bouygues Energies et Services avait été retenue.
2. Aux termes de l'article L. 551-5 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les entités adjudicatrices de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-6 du même code dispose que : "Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations en lui fixant un délai à cette fin. Il peut lui enjoindre de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat ou à la constitution de la société d'économie mixte à opération unique. Il peut, en outre, prononcer une astreinte provisoire courant à l'expiration des délais impartis []".
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-5 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. L'article L. 1212-1 du code de la commande publique prévoit que sont des entités adjudicatrices les "pouvoirs adjudicateurs qui exercent une activité d'opérateur de réseau définie à l'article 1212-3". L'article L. 1212-3 du même code liste expressément parmi les activités d'opérateur de réseau : "Les activités d'exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public dans le domaine du transport par chemin de fer, tramway, trolleybus, autobus, autocar, câble ou tout système automatique, ou les achats destinés à l'organisation ou à la mise à la disposition d'un exploitant de ces réseaux".
5. Il est constant que la RATP, établissement public industriel et commercial, relève des dispositions de L. 1212-1 du code de la commande publique dans la mesure où elle exerce une activité d'opérateur de réseaux destinés à fournir un service public dans le domaine du transport par chemin de fer, tramway, trolleybus, autobus, autocar, câble ou tout système automatique aux usagers en Ile-de-France. Elle a donc la qualité d'entité adjudicatrice.
6. Si la RATP et la société Bouygues Energies et Services font valoir que la requête de la société Project Services est irrecevable dès lors qu'elle est fondée à tort sur les dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative et qu'il n'appartient pas au juge des référés de procéder à l'annulation de la décision se rapportant à la passation du contrat, la société requérante a, en cours d'instance, modifié ses conclusions et ne demande plus, sur le fondement des dispositions des articles L. 551-5 et suivants du code de justice administrative que d'enjoindre à la RATP, si elle entend poursuivre la procédure de passation relative au marché de transfert des activités électropneumatiques et hydrauliques de l'atelier de maintenance de Saint-Fargeau et les activités supplémentaires électroniques de l'atelier de Saint-Ouen vers le site de Vaugirard, de la reprendre au stade de l'examen des offres, après avoir écarté celle de la société Bouygues Energies et Services, en raison de son irrégularité. La fin de non-recevoir opposée par la RATP et par la société Bouygues Energies et Services doit, par suite, être écartée.
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : "L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées". Aux termes de l'article R. 2152-1 du même code : "Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. / Dans les autres procédures, les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées". L'article R. 3211-7 du code des transports dispose : " L'entreprise qui souhaite exercer la profession de transporteur public routier de marchandises ou de déménagement, ou de loueur de véhicules industriels avec conducteur destinés au transport de marchandises, formule une demande d'autorisation en ce sens auprès du préfet de la région où elle a ou souhaite avoir son siège ou, pour une entreprise n'ayant pas son siège en France, son établissement principal. / () Le préfet de région délivre à l'entreprise une autorisation d'exercer la profession lorsqu'elle satisfait aux exigences d'établissement, d'honorabilité professionnelle, de capacité financière et de capacité professionnelle prévues aux articles R. 3211-19 à R. 3211-42".
8. S'il est constant que la licence de transport ne fait pas partie des pièces exigées des sociétés candidates, il appartient à la RATP, entité adjudicatrice, dans le cadre de la procédure de passation d'un marché public portant sur des activités de transport dont l'exercice est réglementé, de s'assurer que les soumissionnaires remplissent les conditions requises pour les exercer. Toutefois, lorsque les prestations qui font l'objet du marché n'entrent qu'en partie seulement dans le champ d'activités réglementées, les opérateurs économiques peuvent présenter leur candidature et leur offre sous la forme d'un groupement conjoint, dans le cadre duquel l'un des cotraitants possède les qualifications requises.
9. Il est constant que les prestations prévues dans le cadre de la procédure de passation du marché en litige comportent, pour partie "la manutention, le chargement, le transport et le déchargement de l'ensemble des éléments à transférer". Il est tout aussi constant que la société Bouygues Energies et Services ne dispose pas d'une licence de transport. Si la RATP et la société Bouygues Energies et Services font valoir que la société attributaire du marché conclura un contrat de sous-traitance, en cours d'exécution du marché, pour assurer les prestations de transport, ce sous-traitant dont l'identité n'est pas connue, n'est pas partie au marché et le champ précis de son intervention n'est pas défini. Dans ces conditions, la RATP ne pouvait retenir l'offre de la société Bouygues Energies et Services pour un marché nécessitant, même à titre subsidiaire, la réalisation de prestations de transport qui était irrégulière et l'est demeurée à la fin de la négociation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Project Services est fondée à demander la suspension de la décision de la RATP attribuant à la société Bouygues Energies et Services le marché de transfert des activités électropneumatiques et hydrauliques de l'atelier de maintenance de Saint-Fargeau et les activités supplémentaires électroniques de l'atelier de Saint-Ouen vers le site de Vaugirard et d'enjoindre à la RATP, si elle entend poursuivre la procédure de passation relative au marché, de la reprendre au stade de l'examen des offres, après avoir écarté celle de la société Bouygues Energies et Services qui ne peut pas être régularisée.
11. Il y a lieu de mettre à la charge de la RATP la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Project Services et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la société Bouygues Energies et Services.
O R D O N N E :
Article 1er : La décision de la RATP attribuant à la société Bouygues Energies et Services le marché de transfert des activités électropneumatiques et hydrauliques de l'atelier de maintenance de Saint-Fargeau et les activités supplémentaires électroniques de l'atelier de Saint-Ouen vers le site de Vaugirard est suspendue et il est enjoint à la RATP, si elle entend poursuivre la procédure de passation relative à ce marché, de la reprendre au stade de l'examen des offres, après avoir écarté celle de la société Bouygues Energies et Services.
Article 2 : La RATP versera à la société Project Services la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Bouygues Energies et Services présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Project Services, à la RATP et à la société Bouygues Energies et Services.
Fait à Paris, le 10 janvier 2023.
Le juge des référés,
M.-O. A
La greffière,
A. Chapalain
La République mande et ordonne au ministre chargé des transports en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.