TA Polynésie f, 14/05/2024, n°2300287


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 juillet et 22 septembre 2023, la société Boyer, représentée par la Selarl Centaure avocats, demande au tribunal :

1°) de constater l'invalidité du décompte général du marché de travaux de réparation du quai de Uturoa du 21 novembre 2022 établi par la Polynésie française et notifié le 19 décembre suivant, ensemble la décision implicite de rejet du mémoire en réclamation contestant ledit décompte ;

2°) de réformer ce décompte ;

3°) de constater le caractère infondé et irrégulier des pénalités infligées à la société Boyer et de la décharger de ces pénalités ou, à tout le moins, de les moduler à hauteur maximale de 1 F CFP ;

4°) de fixer le montant du décompte pour le marché susvisé à la somme totale, en prix de base, sauf à parfaire, à 9 727 435 F CFP HT (soit 10 992 002 F CFP TTC) ;

5°) de fixer, compte tenu de l'absence de sommes acquittées par la maîtrise d'ouvrage, le solde dudit marché à la somme totale précitée, en prix de base, sauf à parfaire, à 9 727 435 F CFP HT (soit 10 992 002 F CFP TTC) en sa faveur ;

6°) de condamner la Polynésie française à lui payer ladite somme de 9 727 435 F CFP HT (soit 10 992 002 F CFP TTC), augmentée, à compter du 9 janvier 2023, des intérêts moratoires capitalisés ;

7°) de " juger " que les sommes dues par la Polynésie française porteront intérêts moratoires au taux d'intérêt légal en vigueur à la date du 9 janvier 2023, majoré de deux points de pourcentage (article A. 411-6 du code polynésien des marchés publics) et qu'ils feront l'objet d'une capitalisation annuelle jusqu'au paiement complet ;

8°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 600 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la recevabilité de ses demandes :

- la demande de rémunération des bollards n'est pas irrecevable dès lors que son mémoire en réclamation précise la quantité de bollards fournis et posés, le sous-détail de prix sur ce point ayant été également produit en pièce jointe du mémoire, et les éléments de calculs ont été auparavant transmis à l'administration lors de la remise du projet de décompte final ainsi qu'à l'appui de son mémoire en réclamation ;

- les pénalités, qui constituent des sanctions contractuelles et non pas des modalités d'exécution des prestations qui constituent l'objet du marché, n'ont pas vocation à être appliquées à travers l'émission d'ordres de service ; dès lors, l'invocation en défense du régime des ordres de service et de l'absence de réserve à un ordre de service par la société Boyer ne saurait permettre d'établir la moindre irrecevabilité pour contester les pénalités ; la Polynésie française n'a fait le choix définitif d'appliquer des pénalités qu'au stade de la procédure d'élaboration du décompte, en adressant un décompte général avec un montant de pénalités ; le montant des pénalités visé dans le décompte général n'a aucun rapport avec le montant annoncé dans l'ordre de service de l'administration (1 025 825 et 629 000 F CFP), le montant des pénalités n'étant pas identique entre l'ordre de service et le décompte, aucune forclusion ne peut, en tout état de cause, être caractérisée ;

En ce qui concerne la prise en compte des quantités de travaux effectivement réalisés :

- la Polynésie française refuse, de façon injustifiée, de prendre en compte les quantités effectivement réalisées des prestations se rapportant au prix 42 " Fourniture, transport et pose de bollard 5t en inox " ; l'ensemble des bollards a été fourni, 11 ont été posés et 19 remis à la direction de l'équipement de Raiatea ; le décompte doit être corrigé pour bien tenir compte des travaux effectivement réalisés suivant les quantités renseignées dans son projet de décompte final, s'agissant des quantités de bollards posés et des quantités de bollards simplement fournis ; l'administration a expressément confirmé, en juillet 2023, qu'elle avait bien conservé le restant des bollards et qu'ils étaient entreposés à la direction de l'équipement de la subdivision des îles-sous-le-vent ; l'administration sait pertinemment qu'elle est en possession des bollards et refuse pourtant de les payer ; il revient ainsi au tribunal de condamner la Polynésie française à régler les prestations réalisées suivant le montant de 4 315 635 F CFP HT (29,763 x 145 000) figurant dans son projet de décompte augmenté de la TVA et des intérêts capitalisés le moment venu ;

En ce qui concerne les pénalités :

- les pénalités d'un montant " astronomique " de 1 025 825 F CFP avec le seul motif " 308 jours de pénalité retard " sont inapplicables ;

- la Polynésie française a nécessairement renoncé à l'application des pénalités de retard en acceptant des prolongations de délai ou en prononçant la suspension des travaux ;

- le maître d'ouvrage ne justifie pas du bien-fondé des pénalités qui lui sont infligées ; il se borne à en indiquer le montant dans son décompte général, sans plus d'explication ; aucun " article du marché ", ni du CCAG, n'est visé dans le décompte général de l'administration s'agissant des pénalités appliquées ; la note de calcul jointe au projet de décompte produite par la Polynésie française est insuffisante pour établir le bien-fondé des pénalités en cause ;

- les retards ne lui sont pas imputables d'autant que la crise de la Covid-19 a considérablement perturbé le bon déroulement du chantier du fait, notamment, des difficultés d'approvisionnement concernant des matériaux nécessaires à la réalisation des travaux en litige et du fait d'un surcroît de travail lors des périodes de reprise d'activité ; une circulaire n° 1768PR du 18 mars 2020 a d'ailleurs rappelé que la crise sanitaire était constitutive d'un cas de " force majeure " ; du jour au lendemain, il lui a été demandé de reprendre le chantier alors qu'elle était dans l'incertitude la plus totale et qu'elle était confrontée à de très importantes difficultés notamment d'approvisionnement et de personnels en raison des effets de l'épidémie ; elle a réussi toutefois à mener à bien le chantier en cause et à le livrer dans l'intérêt premier de la Polynésie française, elle est donc fondée à solliciter une décharge totale des pénalités ;

- plus subsidiairement, le montant des pénalités de retard est manifestement excessif ; le montant total précité de 1 025 825 F CFP représente 14,64 % du montant total des travaux du marché retenu par le maître d'ouvrage ; si la décharge de ce poste n'était pas prononcée, le montant des pénalités ne devrait pas dépasser une somme symbolique de 1 F CFP.

Par des mémoires en défense enregistrés les 4 septembre et 16 octobre 2023, la Polynésie française conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et subsidiairement, à ce que le montant des indemnisations sollicitées par la société Boyer soit minoré.

Elle fait valoir, à titre principal, que la requête est irrecevable dès lors que les réclamations relatives aux travaux réalisés sont irrecevables au regard du contenu imprécis du mémoire en réclamation du 9 janvier 2023 et que la société requérante est forclose à saisir la juridiction en contestation des pénalités de retard qui lui ont été infligées au travers du décompte général et, à titre subsidiaire, que les moyens présentés dans la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 16 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 octobre 2023 à 11h00 (heure locale).

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Graboy-Grobesco,

- les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteure publique,

- les observations de Me Blanchard représentant la société Boyer et celles de Mme A pour le Port autonome de Papeete.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence n° 26/19/MAPA/MET du 22 novembre 2019, la Polynésie française a lancé une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché public simple de travaux de réparation du quai d'Uturoa situé sur l'île de Raiatea. Par une décision du 19 février 2020, l'autorité compétente a attribué le marché à la société Boyer pour un montant total de 9 991 800 F CFP HT, soit 11 290 734 F CFP. Ledit marché a été notifié à l'entreprise titulaire le 11 mars 2020. Par un ordre de service n° 987/22 du 15 septembre 2022, notifié le 26 septembre suivant, l'autorité compétente a prononcé la réception des travaux avec effet au 23 décembre 2021 avec maintien d'une réserve. Par un courrier du 23 septembre 2022, la société Boyer a transmis son projet de décompte final. Par un ordre de service n° 1277/22 du 21 novembre 2022, signifié à la société Boyer le 19 décembre suivant, la Polynésie française a notifié à la société requérante le décompte général du marché faisant état d'un montant total rectifié de 5 980 975 F CFP HT. Le 9 janvier 2023, la société Boyer a adressé au maître d'ouvrage un mémoire en réclamation exposant notamment son refus de signer le décompte général et réitérant ses précédentes réclamations. Le silence gardé par la Polynésie française sur ce mémoire en réclamation pendant un délai de trente jours a emporté rejet de celui-ci à la date du 10 février 2023. Par la présente requête, la société Boyer demande, notamment, que le tribunal fixe le montant du décompte pour le marché en litige à la somme totale de 9 727 435 F CFP HT (soit 10 992 002 F CFP TTC) et à ce que le solde de ce marché soit fixé aux mêmes sommes.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense par la Polynésie française :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 50.1.1 du CCAG-Travaux, applicable au marché en l'espèce : " Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre ou entre le titulaire et l'autorité compétente, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire à l'autorité compétente et en adresse copie au maître d'œuvre. / Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. / Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. ".

3. La Polynésie française fait valoir que les conclusions présentées par la société Boyer portant sur la contestation des quantités de travaux réellement effectués sont irrecevables dès lors que le mémoire en réclamation du 9 janvier 2023 qu'elle a adressé à la Polynésie française ne mentionne pas le montant des sommes réclamées au titre des quantités de travaux qu'elle estime avoir réalisés et ne précise pas les bases de calcul permettant de déterminer ce montant. Toutefois, en l'espèce, le mémoire en réclamation expose les motifs du différend du titulaire du marché et précise la " quantité de bollards fournis et posés ". Ce mémoire, accompagné de plusieurs pièces jointes dont un document ayant pour objet le " sous-détail de prix fourniture et pose de bollard 5 T en inox ", lequel précise les montants correspondants des quantités de travaux et en comporte les bases de calcul, est ainsi suffisamment motivé.

4. En second lieu, aux termes de l'article 2-6° du CCAG-Travaux : " L'ordre de service est la décision du maître d'œuvre ou de l'autorité compétente qui précise les modalités d'exécution de tout ou partie des prestations qui constituent l'objet du marché. ". L'article 3.8.1 de ce CCAG précise que " Les ordres de services sont écrits ; ils sont signés par le maître d'œuvre ou l'autorité compétente, datés et numérotés. Le titulaire en accuse réception datée. ". L'article 3.8.2 du même document stipule que " lorsque le titulaire estime que les prescriptions d'un ordre de service appellent des réserves de sa part, il doit, sous peine de forclusion, les notifier au maître d'œuvre ou à l'autorité compétente selon le cas, dans un délai de quinze jours, décompté ainsi qu'il est précisé à l'article 3.2. "

5. La Polynésie française soutient qu'à la suite de l'ordre de service n° 438/21 du 6 avril 2021, notifié à la société Boyer le lendemain et signé par celle-ci sans aucune réserve, qui rappelait à l'entreprise titulaire qu'elle encourrait des pénalités de retard d'un montant de 629 000 F CFP à la date du 29 mars 2021, la société requérante n'a émis aucune observation et qu'elle est ainsi réputée avoir accepté les termes de cet ordre de service, ce qui a pour conséquence d'entraîner la forclusion de la contestation des pénalités de retard. Toutefois, les ordres de service n'ayant vocation qu'à préciser les modalités d'exécution des prestations, comme indiqué au point précédent, la Polynésie française ne peut utilement faire valoir que, dès lors que la société Boyer n'a pas contesté l'ordre de service susvisé dans le délai de quinze jours prévu par les stipulations précitées, sa contestation des pénalités de retard est forclose.

6. En conséquence de ce qui précède, les fins de non-recevoir opposées en défense par la Polynésie française doivent être écartées.

Sur le règlement financier du marché :

7. Aux termes des stipulations de l'article 19.1.1 du CCAG Travaux applicable au présent marché : " Le délai d'exécution du marché comprend la période de préparation définie à l'article 28.1 et le délai d'exécution des travaux défini ci-dessous. Un ordre de service de l'autorité compétente précise la date à partir de laquelle démarre la période de préparation. / Le délai d'exécution des travaux est celui imparti pour la réalisation des travaux incombant au titulaire, y compris le repliement des installations de chantier et la remise en état des terrains et des lieux. Un ordre de service de l'autorité compétente précise la date à partir de laquelle démarre le délai d'exécution des travaux. / En dehors des cas de tranches conditionnelles, le titulaire ne peut se prévaloir d'aucun préjudice si la date, fixée par ordre de service, pour le début de la période de préparation lorsqu'il en existe une, ou de début d'exécution des travaux n'est pas postérieure de plus de six mois à celle de la notification du marché. ". L'article 19.2.1 de ce même document précise qu'" en dehors des cas prévus aux articles 19.2.2 et 19.2.3, la prolongation du délai d'exécution ne peut résulter que d'un avenant. ". Aux termes de l'article 19.2.2 du CCAG précité : " Une prolongation du délai de réalisation de l'ensemble des travaux ou d'une ou plusieurs tranches de travaux ou le report du débit des travaux peut être justifié par : - un changement du montant des travaux ou une modification de l'importance de certaines natures d'ouvrages ; - une substitution d'ouvrages différents aux ouvrages initialement prévus ; - une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier ; - un ajournement de travaux décidé par l'autorité compétente ; - un retard dans l'exécution d'opérations préliminaires qui sont la charge du maître de l'ouvrage ou de travaux préalables qui font l'objet d'un autre marché. / L'importance de la prolongation ou du report est proposée par le maître d'œuvre après avis du titulaire, et décidée par l'autorité compétente qui la notifie au titulaire. ".

8. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

En ce qui concerne la prise en compte des quantités de travaux effectivement réalisés :

9. Comme indiqué au point 1, le marché en litige porte sur des travaux de réparation du quai d'Uturoa sur l'île de Raiatea. Ces travaux se sont imposés à la suite des dégâts que ce quai a subis du fait de l'accident survenu, le 1er juin 2019, avec le navire de croisière " Wind Spirit ". En vertu de l'article 1.4 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du présent marché, les travaux à réaliser consistent à réparer les ouvrages en béton abîmés par l'accident ci-dessus évoqué, à reconstruire le platelage en bois et leurs supports abîmés et remplacer les bollards également détériorés du fait de cet accident. Cet article du CCTP précise également que " l'entrepreneur devra réaliser tous les travaux nécessaires au parfait achèvement des ouvrages, quand bien même ils ne seraient pas expressément mentionnés dans son offre, dès lors qu'ils sont nécessaires au travail requis dans les règles de l'art " et que " les travaux comprennent toutes les fournitures et mises en œuvre nécessaires à la complète réalisation des opérations () ". Outre les installations et travaux préparatoires, la réparation des ouvrages en béton et la construction d'un nouveau platelage en bois, comme indiqué plus haut, le CCTP précise que les opérations prévues consistent également à équiper le quai par la fourniture et la pose de " bollards de 5 tonnes neuf en inox ".

10. Aux termes de l'article 04.01 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable en l'espèce : " Les travaux seront exécutés dans le délai global fixé par l'acte d'engagement. / Ce délai global comprend la période de préparation du chantier, dont tous les transports maritimes nécessaires à l'amenée de tous les matériels et matériaux sur l'île concernée par les travaux. / Les délais d'exécution prennent leur origine à compter de l'ordre de service de démarrage des travaux. ". L'article 04.02.02 de ce document stipule que, dans le cas de " raisons indépendantes de la volonté de l'entreprise ", " le titulaire devra alors présenter à la personne responsable du marché une demande écrite, accompagnée d'une proposition de planning réactualisé, indiquant les raisons précises, avec tous les justificatifs nécessaires, faisant obstacle à l'exécution du marché dans le délai contractuel. (). ".

11. Aux termes de l'article LP. 216-1 du code polynésien des marchés publics : " Les prix des prestations faisant l'objet d'un marché sont soit des prix unitaires appliqués aux quantités réellement livrées ou exécutées, soit des prix forfaitaires appliqués à tout ou partie du marché, quelles que soient les quantités livrées ou exécutées. () ".

12. L'article 11.2.2 du CCAG-Travaux stipule que " dans le cas d'application d'un prix unitaire, la détermination de la somme due s'obtient en multipliant ce prix par la quantité de natures d'ouvrages exécutée ou par le nombre d'éléments d'ouvrage mis en œuvre ".

13. L'article 03.03 du CCAP précité, en ce qu'il est relatif au " mode d'évaluation des ouvrage " énonce que " les prestations faisant l'objet du marché seront réglées par application des quantités réellement exécutées aux prix unitaires dont le contenu est défini dans le bordereau des prix unitaires. ". Selon l'article 03.05.1 de ce même document : " () Les décomptes sont établis à partir des travaux réellement exécutés ou à partir d'une estimation de quantités réalisées, établie contradictoirement avec le maître d'œuvre et par référence au détail quantitatif-estimatif. () ".

14. En l'espèce, il est mentionné sur le document intitulé " sous-détail de prix 42 ", remis par l'entreprise attributaire, la " fourniture " de 30 bollards 5 T pour un prix de 3 300 000 F CFP, dont 11 bollards 5 T ont été posés et 19 ont été remis à la direction de l'équipement de Raiatea. Le procès-verbal des opérations préalables à la réception des ouvrages du 28 juillet 2022 précise que les " travaux et prestations prévus au marché ont été exécutés ". Dans un courrier du 23 septembre 2022, la société Boyer a indiqué au directeur de l'équipement que son projet de décompte final ne tenait pas compte des quantités finales " erronées " calculées par le maître d'œuvre dès lors que l'ensemble des bollards avait été fourni dont 11 posés et 19 remis à la direction de l'équipement de Raiatea, à la demande du maître d'œuvre. La Polynésie française fait valoir que la société Boyer ne produit aucune preuve démontrant qu'elle aurait effectivement livré 19 bollards à la subdivision des Iles-Sous-Le-Vent de la direction de l'équipement. Toutefois, il résulte de l'instruction que la direction de l'équipement a confirmé, par un courriel et une photographie du 17 juillet 2023 qu'elle avait conservé le " surplus des bollards " à la suite des travaux de réparation en litige et que ces équipements étaient entreposés dans ses locaux. La réception et la conservation de ces bollards restants ont d'ailleurs été également confirmées par un courriel du 17 août 2023 accompagné de photographies. Si ces éléments du dossier sont produits en cours d'instance, ils révèlent cependant une situation antérieure existante s'agissant des 19 bollards effectivement remis à l'administration par la société Boyer dont certains ont d'ailleurs été utilisés, depuis, par la direction de l'équipement. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à réclamer la somme de 2 717 000 F CFP HT au titre des 19 bollards livrés, correspondant au prix de la fourniture seule, tel qu'il figure sans le sous-détail du prix 42, affecté du coefficient multiplicateur de 1,3 retenu par la société Boyer et non discuté par la Polynésie française.

En ce qui concerne les pénalités :

15. Aux termes de l'article 19.2.2 du CCAG Travaux : " Une prolongation du délai de réalisation de l'ensemble des travaux ou d'une ou plusieurs tranches de travaux ou le report du début des travaux peut être justifié par : - un changement du montant des travaux ou une modification de l'importance de certaines natures d'ouvrages ; - une substitution d'ouvrages différents aux ouvrages initialement prévus ; - une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier ; - un ajournement de travaux décidé par l'autorité compétente ; - un retard dans l'exécution d'opérations préliminaires qui sont à la charge du maître de l'ouvrage ou de travaux préalables qui font l'objet d'un autre marché. / L'importance de la prolongation ou du report est proposée par le maître d'œuvre après avis du titulaire, et décidée par l'autorité compétente qui la notifie au titulaire. ". L'article 19.2.3 du même CCAG énonce que " dans le cas d'intempéries entraînant un arrêt de travail sur les chantiers, les délais d'exécution des travaux sont prolongés. Les intempéries sont constatées contradictoirement ou par tout moyen de mesure et de contrôle défini par les documents particuliers du marché. Sont considérées comme intempéries, les conditions atmosphériques et les inondations lorsqu'elles rendent dangereux ou impossible l'accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir. () ".

16. L'article 20.1 du CCAG précité : " En cas de retard imputable au titulaire dans l'exécution des travaux, qu'il s'agisse de l'ensemble du marché ou d'une tranche pour laquelle un délai d'exécution partielle ou une date limite a été fixée, il est appliqué une pénalité journalière de 1/3000 du montant HT de l'ensemble du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande. Ce montant est celui qui résulte des prévisions du marché, c'est-à-dire du marché initial éventuellement modifié ou complété par les avenants intervenus ; il est évalué à partir des prix initiaux du marché hors TVA définie à l'article 13. 1. 1. ". Selon l'article 20.1.1 de ce même document : " Les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre. ".

17. L'article 19.1 du CCAP Travaux applicable stipule que " le délai d'exécution du marché comprend la période de préparation définie à l'article 28.1 - et le délai d'exécution des travaux défini ci-dessous. Un ordre de service de l'autorité compétente précise la date à partir de laquelle démarre la période de préparation et un ordre de service précise la date de la fin de la période de préparation. / Le délai d'exécution des travaux est celui imparti pour la réalisation des travaux incombant au titulaire, y compris le repliement des installations de chantier et la remise en état des terrains et des lieux. Un ordre de service de l'autorité compétente précise la date à partir de laquelle démarre le délai d'exécution des travaux. ". L'article 19.2 de ce CCAP précise que : " en dehors des cas prévus aux articles 19.2.2 et 19.2.3 du CCAG Travaux, la prolongation du délai d'exécution ne peut résulter que d'un avenant. / En vue de l'application éventuelle de l'article 19.2.3 du CCAG Travaux, le délai d'exécution des travaux sera prolongé d'un nombre de jours égal à celui pendant lequel un au moins des phénomènes naturels (vent, pluie ou houle) aura engendré un arrêt de chantier. Cet arrêt de chantier pour intempéries sera consigné dans le compte rendu de chantier et les jours d'intempéries seront notifiés par ordre de service. / Les samedis, dimanches et jours fériés ou chômés compris dans la période d'intempéries sont ajoutés pour le calcul de la prolongation du délai d'exécution. ".

18. Aux termes de l'article 04.03 du CCAP précité applicable au marché : " Les pénalités journalières pour retard sur l'exécution des travaux sont fixées à un trois millièmes (1/3000ème) du montant hors taxes du marché éventuellement augmenté des avenants avec, par dérogation au paragraphe 20.1 du CCAG-T, un minimum journalier de 20 000 F CFP. / Ces pénalités sont encourues d'office, sans mise en demeure préalable à la simple constatation du retard par rapport au délai d'exécution du marché tel que défini à l'article 04.01 ci-dessus. / La répartition de ces dépenses étant à l'appréciation du maître d'œuvre. ".

19. Il est toujours loisible aux parties de s'accorder, même sans formaliser cet accord par un avenant, pour déroger aux stipulations du contrat initial, y compris en ce qui concerne les pénalités de retard. En accordant à son cocontractant des reports successifs de délais, une administration peut ainsi être réputée avoir renoncé à lui infliger des pénalités de retard.

20. La société Boyer fait valoir qu'au seul motif indiqué de " 308 jours de pénalité retard ", les pénalités d'un montant " astronomique " de 1 025 825 F CFP sont inapplicables. Toutefois, les pénalités de retard ne procèdent pas d'une décision individuelle autonome, mais constituent seulement un élément indissociable du décompte général du marché, qui n'a pas à être motivé. Le moyen à le supposer soulevé en ce sens par la société requérante ne peut, dès lors, qu'être écarté.

21. Par un ordre de service n° 347/20 du 1er avril 2020, l'autorité compétente a notifié à la société Boyer une suspension de travaux du marché en litige, sur la demande de celle-ci, à compter du 20 mars 2020. Par un ordre de service n° 734/20 du 23 juillet 2020, la société requérante a été informée de la reprise des travaux, laquelle est intervenue le 27 juillet suivant. Par un ordre de service n° 189/21 du 19 février 2021, la date de fin de délai contractuelle du marché a été reportée au 18 février 2021. Il s'ensuit que la Polynésie française doit être réputée avoir implicitement mais nécessairement renoncé à infliger des pénalités de retard seulement avant la date précitée du 18 février 2021. La fiche de délai d'exécution n° 2 et finale versée aux débats mentionne une date d'achèvement des travaux au 23 décembre 2021. Or, il résulte de l'instruction que les pénalités de retard inscrites au décompte général du marché en litige portent sur la période du 18 février 2021 au 23 décembre suivant. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en accordant une suspension de délai, l'administration doit nécessairement être regardée comme ayant abandonné les pénalités pour l'ensemble de la période en question, doit être écarté.

22. Si la société Boyer fait valoir que le décompte général qui lui a été notifié ne précise pas le fondement contractuel des pénalités appliquées et qu'aucun article notamment du CCAG n'est visé dans le décompte général de l'administration, il ne résulte d'aucune disposition réglementaire ou contractuelle que l'autorité compétente soit tenue d'apporter ces précisions dès lors que les pénalités sont encourues d'office dès qu'un retard dans les délais d'exécution du marché, comme en l'espèce, est constaté conformément aux stipulations précitées de l'article 04.03 du CCAP applicable au marché. Il ressort au demeurant des pièces versées aux débats que la société requérante a été destinataire de l'ordre de service n° 438/21 du 6 avril 2021 l'informant notamment des pénalités de retard qu'elle encourrait pour un montant de 629 000 F CFP à la date du 29 mars 2021. Par ailleurs, si la société Boyer soutient également que la note de calcul jointe au projet de décompte produite par la Polynésie française est insuffisante pour établir le bien-fondé des pénalités en litige, elle ne remet pas utilement en cause, le mode de calcul contractuel utilisé par l'administration et la période précitée du 18 février au 23 décembre 2021, correspondant à 308 jours, sur laquelle les pénalités ont été appliquées.

23. Si la société requérante soutient que les retards rencontrés dans l'exécution du marché ne lui sont pas imputables en ce qu'ils sont en réalité dus à la survenance et aux conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19 qui a perturbé le bon déroulement du chantier au regard de la pénurie de main-d'œuvre, d'un surcroît de travail et d'une désorganisation de l'entreprise au moment de la cessation des mesures de confinement ou encore notamment, des difficultés d'approvisionnement et d'acheminement, il résulte de l'instruction que la Polynésie française a consenti une suspension des travaux pour ce motif durant la période comprise entre le 20 mars et le 27 juillet 2020. Par ailleurs, la société requérante ne démontre pas qu'elle a informé les autorités compétentes de la Polynésie française ou de la direction de l'équipement de difficultés en lien direct avec la crise de la Covid-19 rencontrées dans l'exécution du marché en litige après cette période de suspension des travaux accordée en 2020. Par suite, la société Boyer n'est pas fondée à demander, à ce titre, à être exonérée totalement des pénalités qui lui ont été infligées.

24. En l'espèce, le montant total des pénalités appliquées par la Polynésie française de 1 025 825 F CFP pour la période susmentionnée ne présente pas, eu égard au montant initial du marché hors TVA, évalué à 9 991 800 F CFP, un caractère manifestement excessif. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de modulation présentée par la société requérante.

25. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la somme de 2 717 000 F CFP HT doit être portée au crédit de la société Boyer. Le solde du marché doit ainsi être arrêté à la somme de 8 697 975 F CFP HT, soit 9 828 712 F CFP TTC. La Polynésie française n'ayant acquitté aucune somme au titre de l'exécution du marché, il y a lieu de la condamner à verser à la société Boyer la somme totale de 9 828 712 F CFP TTC.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

26. D'une part, aux termes de l'article LP. 411-16 du code polynésien des marchés publics : " L'acheteur public est tenu de procéder au mandatement des acomptes et du solde dans un délai qui ne peut dépasser trente jours en précisant toutefois que pour certains marchés, un délai plus long peut être fixé par arrêté pris en conseil des ministres, en raison du contexte géographique d'application. Ce délai ne peut être supérieur à soixante jours. / () Pour le paiement du solde du marché, le délai de mandatement court à compter de la date de réception par l'autorité compétente ou par toute autre personne désignée par le marché du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicable ou le cas échéant à compter de la date à laquelle le décompte général est devenu définitif dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicable. / () ". Lorsque le décompte général fait l'objet d'une réclamation, le délai de paiement du solde doit être regardé comme ne commençant à courir qu'à compter de la réception de cette réclamation par le maître d'ouvrage.

27. D'autre part, selon l'article A. 411-6 de ce code : " Conformément au dernier alinéa de l'article LP 411-16 et aux dispositions de l'article LP 411-18, le défaut de mandatement des acomptes et du solde dans le délai précisé au marché fait courir au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant des intérêts moratoires dont le taux est égal au taux d'intérêt légal en vigueur à la date à laquelle les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de deux points de pourcentage. ".

28. En l'espèce, la Polynésie française a reçu le 10 janvier 2023 la réclamation formulée par la société Boyer contre le décompte général. Par suite, la société requérante est fondée à demander à ce que la présente condamnation porte intérêts au taux légal, majoré de deux points de pourcentage en application de l'article A. 411-6 du code polynésien des marchés publics, à compter du 10 février 2023, soit 30 jours après la réception de sa réclamation préalable, avec capitalisation de ces intérêts à compter du 10 février 2024.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 200 000 F CFP au titre des frais exposés par la société Boyer et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le décompte général du marché en litige est arrêté à la somme de 8 697 975 F CFP HT, soit 9 828 712 F CFP TTC.

Article 2 : La Polynésie française versera à la société Boyer la somme de 9 828 712 F CFP TTC. Cette somme portera intérêts au taux légal majoré de deux points à compter du 10 février 2023, avec capitalisation de ces intérêts à compter du 10 février 2024.

Article 3 : La Polynésie française versera la somme de 200 000 F CFP à la société Boyer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Boyer et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Devillers, président,

M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,

M. Boumendjel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2024.

Le rapporteur,

M. Graboy-Grobesco

Le président,

P. Devillers

La greffière,

D. Oliva-Germain

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,