TA Rennes, 06/07/2023, n°2100615

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 5 février 2021, le 11 janvier 2022 et le 12 juin 2023, la société Konstruktif MP, représentée par Me Christophe David, avocat, demande au tribunal :

1°) de condamner la communauté d'agglomération Quimperlé Communauté à lui verser la somme de 13 200 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux de 7 %, applicable aux marchés publics de travaux, à compter du 30 septembre 2020, en réparation des préjudices subis dans l'exécution des travaux de sous-traitance pour la construction d'un centre nautique et la réhabilitation de l'office du tourisme situé au Pouldu, à Clohars-Carnoët ;

2°) de mettre à la charge de Quimperlé Communauté le paiement d'une somme de

3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Maison Bois Ouest, attributaire du lot n°3 " Charpente Ossature bois " du marché de construction d'un centre nautique et de réhabilitation de l'office de tourisme sur le territoire de la commune de Clohars-Carnoët, lui a confié une mission de sous-traitance portant sur la réalisation des études d'exécution par un devis du 27 août 2019 d'un montant de

12 600 euros hors taxe ;

- Quimperlé Communauté ne pouvait ignorer son intervention en tant que sous-traitant, dès la période de préparation, bien que la société Maison Bois Ouest n'a pas transmis l'acte spécial de sous-traitance signé au maître d'ouvrage, puisque l'ensemble des plans d'exécution relatifs aux travaux du lot n°3 portait son cartouche et qu'elle a participé aux réunions de chantier ;

- le maître d'ouvrage, qui était informé de son intervention en qualité de sous-traitant pour la réalisation des plans d'exécution, n'a jamais entrepris de régulariser la situation ;

- elle a engagé ses travaux en pensant bénéficier du statut de sous-traitant déclaré et pouvoir ainsi bénéficier tant du paiement direct que de la possibilité de solliciter l'indemnisation des travaux supplémentaires indispensables qu'elle a été contrainte de mettre en œuvre ;

- Quimperlé Communauté a commis une faute quasi-délictuelle de nature à engager sa responsabilité, en s'abstenant de mettre en demeure, en application de l'article 14-1 de la loi du

31 juillet 1975, la société Maison Bois Ouest de régulariser la situation de son sous-traitant ;

- le sous-traitant déclaré est en droit de se faire indemniser des travaux supplémentaires, incluant les prestations intellectuelles, indispensables à la réalisation des travaux dans les règles de l'art en agissant directement contre l'acheteur public ;

- le fait que les travaux aient été réalisés sans ordre de service, en exécution d'un marché à caractère forfaitaire, est sans incidence ;

- les études établies par le maître d'œuvre étaient entachées de nombreuses erreurs, incohérences et aberrations qui ont rendu nécessaire, pour réaliser les plans d'exécution, un travail de reprise en profondeur des études de conception ;

- l'étude structure s'est révélée inaboutie, particulièrement s'agissant de la structure des acrotères par profils métalliques, de la conception des pieds de poteaux métalliques de la " lanterne ", de la structure métallique de la lanterne, de l'insuffisance des plans et coupes sur la lanterne, du caractère irréalisable du principe constructif retenu pour les charpentes, des dimensionnements des éléments porteurs, de l'insuffisance de tenue structurelle des consoles métalliques, des hypothèses prises en compte pour le pré-dimensionnement de la structure de la casquette n°1, de l'absence d'éléments de conception dans le dossier de consultation des entreprises (DCE) s'agissant de la casquette n°2, de la nécessité de pallier l'erreur de conception initiale de la charpente, de l'incohérence entre les plans structure et les plans architecte et des multiples incohérences entre les plans ;

- elle a été contrainte, pour pouvoir réaliser la prestation qui lui a été confiée, de reprendre, sur de nombreux points, une conception initiale défaillante et de nombreux plans affectés d'incohérences ou irréalisables, ce qui a porté le nombre d'heures travaillées de 182 à 498 heures et a bouleversé l'équilibre de son contrat ;

- elle est bien fondée à demander au maître d'ouvrage l'indemnisation à hauteur de 11 000 euros hors taxe des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation des travaux qu'elle a été contrainte de réaliser pour pouvoir engager ses propres prestations ;

- le caractère forfaitaire du marché ne fait pas obstacle à son droit à indemnisation sur le fondement des travaux supplémentaires indispensables ;

- les difficultés rencontrées ont fait l'objet d'échanges avec la maîtrise d'œuvre et la maitrise d'ouvrage, qui étaient donc informées des insuffisances des études de conception initiale ;

- sa demande ne porte pas sur les plans d'exécution prévus au marché mais sur la rémunération de certaines études de conception et de dimensionnement, incombant au maître d'œuvre et fournies au DCE, qui ont dû être entièrement refaites préalablement à la réalisation des plans d'exécution pour permettre la réalisation de ces derniers ;

- si l'acheteur entretient la confusion s'agissant de l'étendue des études d'exécution mises à la charge de l'entreprise, l'arrêté du 21 décembre 1993 fixe, pourtant, de manière précise les limites des études qui peuvent être demandées aux entreprises, tout comme le décret

n°93-1268 du 29 novembre 1993, s'agissant des études de projet " PRO " ;

- l'exonération partielle de la responsabilité du maître d'ouvrage ne saurait être retenue, dès lors qu'elle n'a commis aucune faute et qu'en tout état de cause, sa faute éventuelle n'a causé aucun préjudice au maître d'ouvrage.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 décembre 2021 et le 2 décembre 2022, la communauté d'agglomération Quimperlé Communauté, représentée par Me Nicolas Josselin, du cabinet d'avocats Valadou-Josselin et associés, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société Konstruktif le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le devis signé le 27 août 2019 entre la société Konstruktif et la société Maison Bois Ouest ne lui a jamais été transmis et ne saurait valoir acte de déclaration de sous-traitance ;

- l'acte de sous-traitance dont la société Konstruktif entend se prévaloir, qui ne mentionne pas la nature des prestations sous-traitées et ne comporte pas sa signature, n'a été signé par la société attributaire du lot n°3 du marché que le 18 décembre 2019, soit postérieurement à la réalisation des études d'exécution ;

- aucune faute ne peut lui être reprochée s'agissant de la situation de la société Konstruktif ;

- dans l'hypothèse où une faute de la maîtrise d'ouvrage est susceptible d'être retenue, ce qui implique de démontrer non seulement que l'intervention du sous-traitant sur le chantier ne pouvait être ignorée mais aussi l'existence d'une collaboration effective ou de relations directes dans l'exécution des travaux, le sous-traitant commet une faute en ne demandant pas la régularisation de sa situation ;

- dans l'hypothèse où le tribunal considérerait que sa faute est susceptible d'être engagée, il ne pourra que procéder à un partage de responsabilité, eu égard à la faute commise par la société Konstruktif, qui ne s'est pas assurée de la régularité de sa situation ;

- la société Konstruktif ne peut se prévaloir d'aucun préjudice puisque le montant prévu par le devis signé avec la société Maison Bois Ouest a été intégralement réglé ;

- la société Konstruktif ne peut prétendre à un droit au paiement direct par le maître d'ouvrage, faute d'avoir été acceptée et d'avoir vu ses conditions de paiement agréées ;

- la société Konstruktif n'a pas respecté la procédure applicable en matière de paiement direct qui suppose d'adresser, d'une part, la demande de paiement au titulaire du marché et, d'autre part, cette demande à l'acheteur, accompagnée des copies des factures transmises au titulaire du marché ;

- les travaux dont la société Konstruktif sollicite le paiement n'ont pas le caractère de travaux supplémentaires, dès lors que ceux-ci étaient prévus au marché, qu'ils n'ont pas été commandés par ordre de service et qu'en tout état de cause, il n'est pas démontré qu'ils auraient été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art ;

- il appartenait aux candidats au marché de contrôler les informations du dossier de consultation des entreprises et de signaler, avant la remise de leur offre, les erreurs ou aberrations éventuellement constatées ;

- la société requérante ne produit aucune pièce justifiant le quantum de sa demande d'indemnisation.

La procédure a été communiquée à la société Maison Bois Ouest, qui n'a fait valoir aucune observation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Thalabard,

- les conclusions de M. Rémy, rapporteur public,

- et les observations de Me de Lorgeril, représentant la société Konstruktif.

Considérant ce qui suit :

1. En 2019, la communauté d'agglomération Quimperlé Communauté (Finistère) a décidé d'entreprendre la construction d'une base nautique et la réhabilitation de l'office de tourisme communautaire situé au Pouldu, sur le territoire de la commune de Clohars-Carnoët. La maîtrise d'œuvre de ce projet a été confiée à un groupement d'entreprises, dont le cabinet Martial était le mandataire. Le marché de travaux ayant été décomposé en 13 lots, le lot n°3 " Charpente - Ossature bois " portant sur un montant de 203 510,72 euros hors taxe a été attribué à la société Maison Bois Ouest. Par l'acceptation d'un devis du 27 août 2019 d'un montant de 12 600 euros hors taxe, la société Maison Bois Ouest a décidé de sous-traiter les études d'exécution lui incombant à la société Konstruktif. Après exécution de ses prestations, la société Konstruktif a, par courrier du 30 septembre 2020, adressé à Quimperlé Communauté une demande d'indemnisation à hauteur de 11 000 euros hors taxe, au titre des travaux supplémentaires réalisés et indispensables à la réalisation des prestations qui lui avaient été commandées. Cette réclamation n'ayant fait l'objet d'aucune réponse, la société Konstruktif demande la condamnation de Quimperlé Communauté, sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle, à lui verser la somme 13 200 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts applicables, en réparation du préjudice résultant des travaux supplémentaires qu'elle a été contrainte d'assumer.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance : " L'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. () ". L'article 5 de cette loi prévoit que : " Sans préjudice de l'acceptation prévue à l'article 3, l'entrepreneur principal doit, lors de la soumission, indiquer au maître de l'ouvrage la nature et le montant de chacune des prestations qu'il envisage de sous-traiter, ainsi que les sous- traitants auxquels il envisage de faire appel. / En cours d'exécution du marché, l'entrepreneur principal peut faire appel à de nouveaux sous-traitants, à la condition de les avoir déclarés préalablement au maître de l'ouvrage. ". Selon l'article 6 de cette même loi : " Le sous-traitant direct du titulaire du marché qui a été accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l'ouvrage, est payé directement par lui pour la part du marché dont il assure l'exécution. () ". Enfin, aux termes de l'article 14-1 de ladite loi : " Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : / - le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés ; (). ". Il résulte de ces dispositions que le maître d'ouvrage qui, ayant eu connaissance d'une sous-traitance irrégulière, s'abstient de toute mesure propre à y mettre fin, commet une faute de nature à engager sa responsabilité.

3. La société Konstruktif soutient que Quimperlé Communauté ne pouvait ignorer son intervention sur le chantier de construction du centre nautique et de réhabilitation de l'office du tourisme et que cette collectivité a commis une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle en négligeant de mettre en demeure la société Maison Bois Ouest, attributaire du lot n°3 du marché, de s'acquitter de ses obligations à son égard afin de lui permettre de prétendre, directement auprès du maître d'ouvrage, à l'indemnisation des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation dans les règles de l'art des prestations qui lui avaient été commandées.

4. Il résulte de l'instruction que, dès la deuxième réunion de chantier qui s'est tenue le 10 septembre 2019 et à laquelle le maître d'ouvrage était représenté par quatre personnes, la société Konstruktif a été identifiée comme étant le Bureau d'études technique (BET) du lot n°3 du marché en litige. Compte tenu de la nature des prestations attendues de ce bureau d'études techniques ainsi que du fait que les plans d'exécution du lot n°3 comportaient le cartouche de la société Konstruktif, Quimperlé Communauté avait nécessairement connaissance de l'intervention de cette société en qualité de sous-traitante de la société Maison Bois Ouest, attributaire du lot relatif aux charpentes. S'il est constant que le maître d'ouvrage n'a pas mis en demeure l'entrepreneur principal ou son sous-traitant de s'acquitter de leurs obligations conformément aux dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1975, il résulte du compte rendu de la deuxième réunion de chantier que l'équipe de maîtrise d'œuvre a alors enjoint toutes les entreprises à respecter la législation du travail notamment en matière de sous-traitance. Si la société requérante fait valoir qu'elle n'a découvert que tardivement que l'acte spécial de sous-traitance établi n'avait pas été transmis à Quimperlé Communauté, elle produit une copie du formulaire DC4 de déclaration de sous-traitant qui n'a été renseigné par la société Maison Bois Ouest que le 18 décembre 2019, soit postérieurement à la réalisation des prestations qui lui avaient été confiées au titre du lot n°3, et qu'elle ne justifie même pas avoir elle-même signé. Dans ces conditions, la faute de Quimperlé Communauté à ne pas avoir veillé au respect de la réglementation applicable en matière de sous-traitance, susceptible d'engager sa responsabilité quasi-délictuelle, est atténuée par le propre manque de diligence de la société Konstruktif qui a directement concouru à la situation qu'elle dénonce dans le cadre de la présente instance.

5. En tout état de cause, il appartenait à la société requérante, lorsqu'elle a constaté que les études préalables de conception et de dimensionnement relevant de la maitrise d'œuvre ne lui permettaient pas d'assurer les travaux confiés en tant que sous-traitant, de se tourner prioritairement vers la société Maison Bois Ouest, titulaire du marché principal, pour que celle-ci sollicite du maître d'œuvre des études plus complètes, et en cas de carence de ce maître d'œuvre, se tourne vers le maître d'ouvrage. Il lui était également loisible de refuser les travaux proposés en sous-traitance si elle estimait que les documents de travail fournis étaient insuffisants pour qu'elle assure ses propres prestations dans le cadre de la mission proposée. En s'engageant d'elle-même dans des travaux supplémentaires sans saisir préalablement son commanditaire, la société requérante est seule à l'origine du préjudice qu'elle invoque. Il ne peut être considéré que le préjudice dont elle demande réparation, consistant dans le coût qu'elle a exposé pour des travaux d'ingénierie non prévus au marché serait la conséquence directe d'un défaut de régularisation de sa situation de sous-traitant imputable partiellement à la faute commise de la communauté de communes.

6. En outre, il ne résulte ni des arguments exposés par la société requérante, ni des pièces de l'instruction que la société Konstruktif serait dans l'impossibilité de recouvrer les sommes dont elle estime devoir être indemnisée, compte tenu de la nécessité d'apporter des corrections aux études de conception figurant dans le dossier de consultation des entreprises avant de pouvoir entreprendre les études d'exécution, auprès de son cocontractant, la société Maison Bois Ouest, dont il n'est pas soutenu qu'elle aurait été vainement sollicitée ou qu'elle serait défaillante.

7. Ainsi, la société Konstruktif n'établit ni le caractère certain du préjudice dont elle demande réparation, ni que ce préjudice aurait pour cause directe et certaine la faute qu'elle reproche à Quimperlé Communauté. Elle n'est, dès lors, pas fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle de cette collectivité. Il en résulte que les conclusions présentées par la société Konstruktif à fin d'indemnisation par Quimperlé communauté des prestations supplémentaires exécutées, dans le cadre de la mission de sous-traitance confiée par l'entreprise attributaire du lot n°3 du marché litigieux, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Konstruktif MP est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération Quimperlé Communauté au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Konstruktif MP, à la société Maison Bois Ouest et à communauté d'agglomération Quimperlé Communauté.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Vergne, président,

Mme Thalabard, première conseillère,

M. Blanchard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.

La rapporteure,

signé

M. Thalabard

Le président,

signé

G.-V. VergneLa greffière,

signé

I. Le Vaillant

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.