TA Strasbourg, 07/12/2022, n°2205382

Vu la procédure suivante :

Avant appel :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 décembre 2016 et 19 février 2018, la société Sogea Est BTP, représentée par la SELARL GMR Avocats, a demandé au tribunal :

1°) à titre principal, de condamner la commune d'Audun-le-Tiche à lui verser la somme totale de 408 840,30 euros HT, soit 488 973 euros TTC, assortie des intérêts moratoires au taux de 8 % à compter du 1er juillet 2012 et de la capitalisation de ces intérêts à compter de la date d'enregistrement de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Egis Villes et Transports, venant aux droits de la société Lorraine d'Ingénierie, à lui verser la somme totale de 160 248,93 euros TTC, assortie des intérêts à taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) en toute hypothèse, de mettre à la charge de la commune d'Audun-le-Tiche la somme de 5 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et de mettre à la charge de la société Egis Villes et Transports, si sa responsabilité était retenue, la somme de 1 500 euros à lui verser au titre des mêmes dispositions.

Elle a soutenu que :

- la société Jadot, à laquelle elle s'est substituée depuis, a dû réaliser, dans les conditions du marché, des quantités supplémentaires de travaux qui ont été, à tort, exclues du décompte général pour un montant total de 274 852,90 euros HT ;

- la société Jadot a dû réaliser des travaux supplémentaires, pour un montant total de 96 955,90 euros HT ;

- la prolongation du délai d'exécution du chantier a entraîné pour la société Jadot des frais supplémentaires pour un montant total de 37 031,50 euros HT ;

- ces prix sont actualisables en vertu de l'article 3.3 du C.C.A.P ;

- elle a droit aux intérêts moratoires sur ces sommes à compter du 1er juillet 2012, ainsi qu'à leur capitalisation à compter de l'enregistrement de sa demande ;

- si le tribunal juge que les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché ne sont pas imputables, en tout ou partie, au maître d'ouvrage, mais à son maître d'œuvre, la somme de 133 987,40 euros HT, soit 160 248,93 euros TTC devra être mise, en tout ou partie, à la charge de ce dernier.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2017, la commune d'Audun-le-Tiche, représentée par la SCP Gasse-Carnel-Gasse, a conclu au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Sogea Est BTP la somme de 2 500 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune d'Audun-le-Tiche a soutenu qu'aucun des moyens soulevés par la société Sogea Est BTP n'est fondé.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que, la société Sogea Est BTP n'étant pas le mandataire du groupement, elle n'aurait pas qualité à agir pour contester le décompte général du lot n° 1.

La société Sogea Est BTP y a répondu par un mémoire enregistré le 10 décembre 2018.

La société Sogea Est BTP a également déposé une note en délibéré, qui a été enregistrée le 18 janvier 2019.

La procédure a été communiquée à la société Egis Villes et Transports qui n'a pas présenté d'observations.

Par un jugement n° 1606723 du 6 février 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société Sogea Est BTP.

Par un arrêt n° 19NC01153 du 21 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement et renvoyé la société Sogea Est BTP devant le tribunal administratif de Strasbourg pour qu'il soit statué sur sa demande.

Après appel :

Par courrier du 24 août 2022, la société Sogea Est BTP, la commune d'Audun-le-Tiche et la société Egis Villes et Transports ont été informées de ce que, par l'arrêt susvisé, l'affaire a été renvoyée au tribunal administratif de Strasbourg et enregistrée, le 18 août 2022, sous

le n° 2205382, de ce que l'affaire était en état d'être rejugée, et de ce qu'elles pouvaient présenter des observations complémentaires jusqu'au 12 septembre 2022.

L'instruction a été close le 12 septembre 2022 à midi.

Le 20 octobre 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction, la commune d'Audun-le-Tiche, représentée par Me Mertz, a déposé un mémoire, qui n'a pas été communiqué.

La société Sogea Est BTP et la société Egis Villes et Transports n'ont pas présenté de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 16 novembre 2022 :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de M. Boutot, rapporteur public,

- et les observations de :

* Me Perriez, représentant la société Sogea Est BTP,

* Me Mertz, représentant la commune d'Autun-le-Tiche.

Le 22 novembre 2022, la société Sogea Est BTP a déposé une note en délibéré, dont le tribunal a pris connaissance.

Considérant ce qui suit :

1. Le 18 novembre 2009, la commune d'Audun-le-Tiche a notifié à un groupement conjoint composé de la société Jadot et de la société Eurovia Lorraine, mandataire, un marché relatif à la "poursuite de l'aménagement urbain de la traverse de la commune", comprenant notamment des travaux de voirie, d'assainissement et d'eau potable. La maîtrise d'œuvre des travaux a été confiée à la société Lorraine d'Ingénierie, aux droits de laquelle est ensuite venue la société Egis Villes et Transports. Un décompte général a été établi à la suite de la réception des travaux et notifié le 30 octobre 2012 au mandataire du groupement, qui l'a refusé.

Le 13 décembre 2012, la société Eurovia Lorraine a transmis au maître d'ouvrage un mémoire en réclamation concernant la partie du décompte général relative aux prestations de la société Jadot. Cette réclamation ayant été expressément rejetée le 11 mars 2013, la société Sogea Est BTP, entretemps venue aux droits de la société Jadot, a demandé au tribunal de condamner la commune d'Audun-le-Tiche à lui verser la somme totale de 408 840,30 euros HT, soit 488 973 euros TTC au titre du solde de sa part du marché, après l'avoir réintégrée dans le décompte général. A titre subsidiaire, elle a demandé que la somme totale de 133 987,40 euros HT, soit 160 248,93 euros TTC soit mise, en tout ou partie, à la charge du maître d'œuvre.

2. Par un jugement n° 1606723 du 6 février 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société Sogea Est BTP comme étant irrecevable, au motif qu'un entrepreneur membre d'un groupement ne peut demander la condamnation du maître d'ouvrage à payer le solde des seuls travaux qu'il aurait effectués. Par un arrêt n° 19NC01153 du 21 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Nancy, considérant que le tribunal ne pouvait pas se fonder sur ce motif pour rejeter comme irrecevable la demande de la société Sogea Est BTP, a annulé ce jugement et a renvoyé la société Sogea Est BTP devant le tribunal administratif de Strasbourg pour qu'il soit statué sur sa demande.

Sur les conclusions indemnitaires dirigées contre la commune d'Audun-le-Tiche :

3. Aux termes de l'article 3.2.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché (CCAP), relatif au "contenu des prix unitaires" : " () Les prix définis au bordereau des prix unitaires comporteront toutes les sujétions et travaux indiqués au devis programme, au CCAP et au CCTP, ainsi que l'ensemble des opérations pour obtenir un travail complètement achevé et répondant à sa destination ". Aux termes de l'article 3.2.3 du CCAP, relatif au "mode de rémunération des travaux" : "Les ouvrages et prestations faisant l'objet du marché seront réglés aux métrés après exécution par application des prix unitaires du devis quantitatif et estimatif dont la définition est donnée dans le bordereau des prix unitaires. / Les métrés et attachements seront réalisés contradictoirement par le maître d'œuvre et l'entreprise". Et aux termes de l'article 3.4 du même document, relatif aux "travaux non prévus et modifications au projet" : "() En aucun cas il ne sera tenu compte des travaux qui auraient pu être exécutés sans ordre de service. / L'entrepreneur ne pourra élever aucune réclamation dans le cas où les quantités de travaux à exécuter seraient inférieures ou supérieures à celles figurant au devis quantitatif ou dans la décomposition du prix global et forfaitaire. Le maître d'ouvrage se réserve le droit, ainsi de modifier l'importance des travaux sans que cela donne droit à réclamation de la part de l'entreprise dans le respect des dispositions du CCAG. / En ce qui concerne les ouvrages non prévus ne rentrant dans aucune des catégories du bordereau des prix unitaires, les prix seront débattus directement entre le BET et l'entrepreneur. / Le ou les prix nouveaux éventuel(s) sera(ont) notifié(s) à l'entreprise par ordre de service qui disposera (sic) d'un délai de huit jours pour contester s'il (re-sic) le juge utile le prix proposé. Après ce délai, le prix nouveau est réputé être accepté par l'entrepreneur ".

4. Il résulte de ces stipulations que, sauf en ce qui concerne la prestation de sécurité et signalisation et la prestation d'installation de chantier, pour lesquelles le bordereau des prix unitaires prévoit une rémunération forfaitaire (prix 1.02 et 1.03), le droit à rémunération du titulaire est calculé par application des prix unitaires aux quantités effectivement réalisées, sans que le maître d'ouvrage puisse lui opposer les prévisions du devis quantitatif et estimatif qui seraient inférieures à ces quantités.

5. Il en résulte également qu'une modification de la nature des travaux initialement prévus doit donner lieu à la fixation d'un prix pour la prestation modifiée.

6. Enfin, dans le cas où le maître d'ouvrage ou le maître d'œuvre ont eu connaissance de l'existence de travaux non prévus mais indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, et ne se sont pas opposés à leur réalisation, à plus forte raison dans le cas où des travaux de cette nature ont été demandés à l'entreprise, même autrement que par un ordre de service, le maître d'ouvrage ne saurait, de bonne foi, se prévaloir des stipulations de l'article 3.4 du CCAP précité pour refuser de prendre en compte ces travaux.

En ce qui concerne les quantités effectivement réalisées :

S'agissant des travaux de reconnaissance par sondages :

7. Selon le bordereau des prix unitaires, le prix 1.01 rémunère la " réalisation de sondages en vue de la réalisation des travaux de réseaux. Les sondages ont pour objectif de repérer et confirmer la présence de réseaux existants. L'entreprise reportera sur le plan d'implantation les ouvrages repérés en x, y et z en précisant la nature de l'ouvrage, les diamètres, les profondeurs, les ouvrages spéciaux, dalots, chambres, vannes, etc., et seront dessinés à l'échelle". Le prix comprend notamment le "remblaiement de la tranchée par couche de 0,20 m maximum soigneusement compactée", soit en matériaux d'apport (prix 1.01 a), soit en matériaux du site (prix 1.01 b). Le prix 1.01 a) est de 65,13 euros HT par m3.

8. Alors que, dans le décompte général en litige, ont été retenus 100 m3 de remblaiements en matériaux d'apport, la requérante fait valoir que le volume total de ces remblais s'est élevé à 527,96 m3, en raison de la découverte en cours d'exécution des travaux de nombreux branchements et réseaux non répertoriés. Elle réclame la différence entre le prix correspondant à ce volume et celui retenu dans le décompte général, soit 27 873 euros HT.

9. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'un volume total de de 100 m3 de remblaiements en matériaux d'apport, supérieur aux prévisions du devis quantitatif et estimatif qui les chiffrait à seulement 80 m3, a déjà été retenu dans le décompte général. Les quantités supplémentaires alléguées n'ont pas fait l'objet du mesurage contradictoire avec le maître d'œuvre prévu par l'article 3.2.3 du CCAP précité, et ainsi que le fait observer la commune, la requérante ne produit pas le plan d'implantation prévu le bordereau des prix unitaires précité. Aucun des éléments qu'elle apporte, en particulier pas le rapport de l'expertise privée qu'elle a diligentée, réalisée postérieurement aux travaux, sans constat sur place et de manière non contradictoire au vu des pièces fournies par la requérante, ni ses plans, peu lisibles et dépourvus d'information intelligible sur les sondages, ni les situations mensuelles établies par ses soins, ne permet de vérifier l'importance des quantités supplémentaires alléguées, lesquelles sont contestées par la commune. Dans ces conditions, la réclamation de la requérante à ce titre ne peut qu'être rejetée.

S'agissant des travaux de raccordement sur existants :

10. Selon le bordereau des prix unitaires, le prix 4.16 rémunère, au prix unitaire de 500 euros HT, la "réalisation d'un raccordement sur une conduite ou regard existants ()". Alors que, dans le décompte général en litige, ont été retenus 17 raccordements réalisés par la société Jadot, pour la somme totale de 8 500 euros HT, la requérante soutient que le nombre total de raccordements réalisés s'est élevé à 153. Moyennant un prix unitaire qu'elle propose de réduire à 300 euros HT, elle réclame un complément de rémunération de 37 400 euros HT.

11. Toutefois, aucun des éléments qu'elle apporte, en particulier pas le rapport de l'expertise privée qu'elle a diligentée qui a été réalisée, postérieurement aux travaux, sans constat sur place et de manière non contradictoire au vu des pièces fournies par la requérante, ni ses plans, peu lisibles et dépourvus d'information intelligible sur les raccordements sur existants, ne permet de vérifier la réalité, encore moins l'importance, des quantités supplémentaires alléguées, lesquelles sont contestées par la commune. Dans ces conditions, la réclamation de la requérante à ce titre ne peut qu'être rejetée.

S'agissant des autres quantités non prises en compte :

12. La requérante sollicite un complément de rémunération d'un montant total de 138 057,74 euros HT au titre de diverses prestations réalisées dans des quantités supérieures à celles admises dans le décompte général. Toutefois, elle se borne à produire, sous la forme d'un tableau récapitulatif, une liste de ces prestations mentionnant les quantités supplémentaires alléguées, sans fournir le moindre élément permettant d'en vérifier la réalité, en particulier pas le mesurage contradictoire avec le maître d'œuvre prévu par l'article 3.2.3 du CCAP précité.

Dans ces conditions, sa réclamation à ce titre ne peut qu'être rejetée.

En ce qui concerne la modification des travaux de remblayage des tranchées :

13. Selon le bordereau des prix unitaires, le prix 4.01 c) rémunère, à raison

de 18 euros HT par m3, la "réalisation du remblayage de tranchée en concassé de carrière 6/15 ()". Dans le décompte général, la commune a appliqué ce prix à un volume de remblayage de tranchée de 1 589 m3, pour un montant total de 28 602 euros HT.

14. Or, il résulte de l'instruction que, le 7 avril 2010, le maître d'œuvre a transmis à la requérante une coupe de la chaussée, avec la mention "bon pour exécution" accompagnée de sa signature, sur laquelle le matériau de remblaiement de tranchée est constitué de laitier 0/50 en lieu et place du concassé de carrière initialement prévu. Si la commune fait valoir que la requérante a elle-même sollicité ce changement, il résulte de l'instruction que cette demande n'a pas concerné les matériaux utilisés pour le remblayage de tranchée, mais ceux utilisés pour la réfection de la couche de forme de la voirie, qui constitue une prestation distincte dans le bordereau des prix unitaires (prix 4.20). Dans ces conditions, et contrairement à ce que soutient la commune, la requérante est fondée à demander un complément de rémunération au titre du changement de matériau de remblaiement.

15. Selon la requérante, 1 131,62 m3 de laitier 0/50 ont été mis en œuvre pour les fouilles d'assainissement, et 461,25 m3 pour les fouilles d'eau potable, aux tarifs unitaires, respectivement de 53 euros HT et 42 euros HT. Ni ces volumes, dont le total est au demeurant légèrement inférieur à celui retenu dans le décompte général, ni ces tarifs unitaires, qui sont voisins de ceux figurant dans le devis quantitatif et estimatif et dans le bordereau des prix unitaires, en particulier le prix 2.07, ne sont contestés. Il en résulte que la rémunération due au titre de cette prestation modifiée s'établit à la somme totale de 83 960,86 euros HT.

Le complément de rémunération de 49 802,12 euros HT réclamé par la requérante n'excédant pas la différence entre cette somme et celle admise par la commune, il y a lieu de le retenir et de le réintégrer dans le décompte général.

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

S'agissant des travaux relatifs aux regards traversants :

16. La requérante fait valoir qu'elle a réalisé un total de 254 regards traversants, entrées de regards traversants, sorties de regards traversants et de regards vers la conduite, que ces prestations n'étaient pas prévues par le marché, mais qu'elles étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art. Elle sollicite à ce titre une rémunération complémentaire de 26 550 euros HT.

17. Toutefois, aucun des éléments qu'elle apporte, en particulier pas le rapport de l'expertise privée qu'elle a diligentée, qui a été réalisée, postérieurement aux travaux, sans constat sur place et de manière non contradictoire au vu des pièces fournies par la requérante, ni ses plans, peu lisibles et dépourvus d'information intelligible sur les prestations en cause, ne permet de vérifier la réalité, encore moins l'importance, des quantités supplémentaires alléguées, lesquelles sont contestées par la commune. Dans ces conditions, la réclamation de la requérante à ce titre ne peut qu'être rejetée.

S'agissant des enquêtes de branchement :

18. La requérante soutient que, pour réaliser ses plans d'exécution, elle a dû effectuer 117 enquêtes de branchement, prestations qui ne figuraient pas dans son marché et incombaient au maître d'œuvre, et qu'elle chiffre au prix unitaire de 150 euros HT, soit 17 550 euros HT au total. Toutefois, la requérante ne produit aucun élément permettant de vérifier qu'elle a effectivement réalisé ces prestations. Au surplus, alors qu'il résulte de l'instruction que le maître d'œuvre lui a fourni des fiches de branchement, elle n'indique pas en quoi ces éléments auraient été insuffisants. Dans ces conditions, sa réclamation à ce titre ne peut qu'être rejetée.

S'agissant des travaux engendrés par le carneau non répertorié :

19. La requérante fait valoir que la découverte, en juin 2010, d'un carneau non répertorié, a provoqué un arrêt du chantier qui a immobilisé ses équipes et ses moyens matériels pendant cinq jours, et a conduit le maître d'œuvre à modifier le tracé d'une canalisation. Elle réclame à ce titre une somme totale de 20 105 euros HT en faisant valoir que les travaux non prévus qu'elle a dû réaliser étaient indispensables pour réaliser l'ouvrage selon les règles de l'art.

20. Mais, d'une part, l'immobilisation alléguée de ses moyens humains et matériels ne saurait, par elle-même, être assimilée à l'exécution de travaux indispensables pour réaliser l'ouvrage selon les règles de l'art, et ne peut donc pas être indemnisée à ce titre. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que les travaux effectivement réalisés ont été plus importants que ceux qu'aurait nécessité la mise en œuvre du tracé initial. Dans ces conditions, la réclamation de la requérante à ce titre ne peut qu'être rejetée.

S'agissant des travaux engendrés par le réseau France Télécom :

21. Il résulte de l'instruction, en particulier des comptes rendus du chantier établis par le maître d'œuvre, que la rencontre, en juin 2010, du réseau France Télécom à une profondeur différente de celle répertoriée, cumulée avec l'impossibilité de modifier le tracé de la canalisation, a contraint la requérante à réaliser des travaux de démolition du massif en béton du réseau pour permettre le passage de la conduite, d'étaiement de ce réseau et de reconstitution du massif en béton. Dans ces conditions, ces travaux doivent être regardés comme ayant été indispensables pour réaliser l'ouvrage selon les règles de l'art. La requérante en chiffre le montant à la somme de 8 705 euros HT, dont elle justifie par le sous-détail annexé à son projet de décompte final, et qui n'est d'ailleurs pas contestée. Par suite, il y a lieu de retenir ce montant et de le réintégrer dans le décompte général.

S'agissant des travaux de dévoiement du réseau d'eau potable existant :

22. Il résulte de l'instruction, en particulier des comptes rendus du chantier établis par le maître d'œuvre, que la rencontre, en mai 2010, du réseau d'eau potable à un emplacement différent de celui figurant dans les pièces du marché a contraint la requérante à le modifier en cinq endroits différents afin de le maintenir en service et permettre le passage de la conduite d'assainissement projetée. Dans ces conditions, ces travaux doivent être regardés comme ayant été indispensables pour réaliser l'ouvrage selon les règles de l'art. La requérante en chiffre le montant à la somme de 9 351,50 euros HT, dont elle justifie par le sous-détail annexé à son projet de décompte final, et qui n'est d'ailleurs pas contestée. Par suite, il y a lieu de retenir ce montant et de le réintégrer dans le décompte général.

S'agissant des travaux relatifs aux enrobés de voirie provisoires :

23. Il résulte de l'instruction, en particulier des comptes rendus du chantier établis par le maître d'œuvre, qu'à la suite d'une modification du phasage des travaux, la requérante est intervenue à sept reprises à la demande du maître d'œuvre pour procéder à la mise en œuvre d'enrobés provisoires sur la voirie. Eu égard à la nature même des travaux en cause, ces interventions ne sauraient se rattacher, comme le voudrait la commune, à l'obligation, imposée à la requérante par l'article 7.4 du cahier des clauses administratives particulières, de " laisser à ses frais dans un état de parfaite propreté, tant pendant les travaux qu'à la fin de ceux-ci, les différentes chaussées de voies publiques et privées contiguës au chantier ". Au contraire, le marché ne prévoyant que la réalisation de revêtements définitifs, et non d'enrobés provisoires, ces travaux présentent le caractère de travaux supplémentaires. En outre, il résulte de l'instruction, en particulier des comptes rendus du chantier, qu'ils étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art. Par suite, la requérante est fondée à demander une rémunération complémentaire à ce titre.

24. La requérante chiffre ce complément à la somme totale de 22 400 euros HT, soit 3 200 euros HT pour chacune de ses sept interventions. Toutefois, il ressort du sous-détail des prix annexé au projet de décompte final que le m² d'enrobé provisoire à froid y est valorisé à la somme de 120 euros HT, alors que, dans le prix 2.15 du bordereau des prix unitaires, relatif aux revêtements définitifs, l'enrobé de chaussée est valorisé à la somme de 11,96 euros HT par m² et l'enrobé de trottoir, à la somme de 12,73 euros HT par m². En l'absence de tout élément permettant d'expliquer cet écart de prix, il sera fait une juste appréciation du prix unitaire de l'enrobé provisoire en le fixant, par référence à celui de l'enrobé définitif, à la somme

de 12 euros HT par m². Dès lors que les sept interventions ont donné lieu à la mise en œuvre d'un total de 35 m² d'enrobés provisoires, il s'ensuit que le complément de rémunération dû à la requérante doit être fixé à la somme totale de 18 620 euros, à réintégrer dans le décompte général.

S'agissant des travaux relatifs à la mise en œuvre d'un blindage coulissant et d'un captage des eaux souterraines :

25. Il résulte de l'instruction, en particulier des comptes rendus du chantier établis par le maître d'œuvre, que la découverte de deux sources en août 2010 a contraint la requérante à procéder à la pose d'un drain et d'un blindage coulissant. Ces travaux doivent être regardés comme ayant été indispensables pour réaliser l'ouvrage selon les règles de l'art.

26. La requérante chiffre le coût des travaux de pose du drain à la somme de 3 500,40 euros HT, dont elle justifie par le sous-détail annexé à son projet de décompte final, et qui n'est d'ailleurs pas contestée. Par suite, il y a lieu de retenir ce montant et de le réintégrer dans le décompte général.

27. La requérante chiffre le coût des travaux de blindage coulissant à la somme totale de 15 344 euros HT, résultant de l'application à une superficie de 1 120 m² d'un tarif unitaire au m² de 13,70 euros. Cependant, le prix 4.01 du bordereau des prix unitaires rémunère la " fourniture et mise en place de blindage quel que soit le type " au prix de 1 euros HT le m².

Par suite, et dès lors que la quantité supplémentaire de blindage mise en œuvre n'est pas contestée, la requérante est seulement fondée à réclamer un complément de rémunération de 1 120 euros HT à ce titre.

En ce qui concerne l'ajournement des travaux et l'allongement de leur délai d'exécution :

28. La requérante demande réparation, à hauteur d'un montant total de 37 031,50 euros HT, des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'ajournement des travaux et de l'allongement de la durée du chantier, qui n'a pris fin que le 20 octobre 2011 alors que, selon le délai contractuel d'exécution, les travaux auraient dû être achevés dès le 1er février 2011.

29. D'une part, il est constant que les travaux ont été suspendus durant l'hiver

2010-2011 à la demande du département, gestionnaire de la voirie. La requérante fait valoir que, pendant cette période, elle a supporté la charge de la garde du chantier et de sa sécurisation par une signalisation provisoire. Toutefois, c'est le groupement titulaire qui, le 15 octobre 2010, a fait part à la commune de la demande du département et lui a annoncé un " temps sans activité " de deux mois. Dès lors que la commune n'a pas elle-même décidé de cette suspension des travaux, qu'elle a seulement acceptée, elle ne saurait être tenue d'en réparer les conséquences préjudiciables. Au surplus, la requérante n'apporte aucun élément permettant de vérifier la réalité de la charge ainsi alléguée, alors que la commune soutient, sans qu'elle ne la contredise, que l'installation de chantier était repliée et qu'aucune signalisation n'était en place pendant cette période.

30. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que l'allongement de la durée du chantier serait imputable à une faute de la commune, en particulier à une mauvaise définition de ses besoins. En outre, si cet allongement de la durée du chantier affecte les deux prestations du marché rémunérées par un prix forfaitaire (1.02 et 1.03), il ne résulte pas de l'instruction, alors que celles-ci ne totalisent que 65 468,39 euros HT au sein du montant prévisionnel global de 1 601 361,93 euros HT fixé dans le devis quantitatif et estimatif, qu'il ait provoqué un bouleversement de l'économie générale du marché.

31. Il résulte de ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à demander une indemnisation au titre de l'ajournement des travaux et de l'allongement de la durée du chantier.

En ce qui concerne l'actualisation des prix :

32. Aux termes de l'article 3.3.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché : " Les prix sont fermes, non révisables et actualisables en application et dans les conditions définies aux articles 3.3.2, 3.3.3, 3.3.4 et 3.3.5 ". Aux termes de l'article 3.3.2 du même document : " Les prix du présent marché sont réputés établis sur la base des conditions économiques du mois précédent la date d'établissement des prix. Ce mois est appelé " mois zéro ", soit juillet 2009 ". Il résulte de ces stipulations que l'actualisation ne s'applique qu'aux prix du marché, qui figurent dans le devis quantitatif et estimatif et dont la définition est donnée dans le bordereau des prix unitaires.

33. Parmi les compléments de rémunération retenus aux points 15, 21, 22, 24, 26 et 27, seul celui correspondant aux travaux de blindage coulissant est calculé selon les prix du marché. Dès lors, en application, à la somme de 1 120 euros HT, du coefficient d'actualisation de 1,004 résultant, en l'espèce, de la formule de calcul définie par l'article 3.3.5 du CCAP, la requérante est seulement fondée à réclamer une somme supplémentaire de 4,5 euros HT au titre de l'actualisation.

34. Il résulte de ce qui précède que la société Sogea Est BTP est seulement fondée à demander que la somme totale de 91 103,52 euros HT soit réintégrée dans le décompte général du marché, que le solde de sa part de ce marché soit fixé à cette somme, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée au taux alors en vigueur, soit 108 959,81 euros TTC, et que la commune d'Audun-le-Tiche soit condamnée à lui payer cette somme.

En ce qui concerne les intérêts moratoires et la capitalisation de ces intérêts :

S'agissant des intérêts moratoires :

35. Aux termes de l'article 98 du code des marchés publics, alors en vigueur, auquel renvoie l'acte d'engagement du marché : " Le délai global de paiement d'un marché public ne peut excéder : / 1° 30 jours () pour les collectivités territoriales () ". Aux termes de l'article 5 du décret du 21 février 2002 susvisé, alors en vigueur : " I. - Le défaut de paiement dans les délais prévus par l'article 98 du code des marchés publics fait courir de plein droit, et sans autre formalité, des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire (). / Les intérêts moratoires courent à partir du jour suivant l'expiration du délai global jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse. / Les intérêts moratoires appliqués aux acomptes ou au solde sont calculés sur le montant total de l'acompte ou du solde toutes taxes comprises, diminué de la retenue de garantie, et après application des clauses d'actualisation, de révision et de pénalisation. () / II. - 1° Le taux des intérêts moratoires est référencé dans le marché. / 2° Pour les organismes soumis aux délais de paiement mentionnés au 1° de l'article 98 du code des marchés publics, qu'il soit ou non indiqué dans le marché, le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points ".

36. Par ailleurs, il résulte du I de l'article 1er du décret du 21 février 2002 susvisé, alors en vigueur, que, " pour les marchés de travaux, le point de départ du délai global de paiement du solde est la date de réception du décompte général et définitif par le maître d'ouvrage ". Pour l'application de ces dispositions, lorsqu'un décompte général fait l'objet d'une réclamation par le cocontractant, le délai de paiement du solde doit être regardé comme ne commençant à courir qu'à compter de la réception de cette réclamation par le maître d'ouvrage.

37. Enfin, les intérêts moratoires doivent être calculés en appliquant le taux contractuel qui était en vigueur à la date où ils ont commencé à courir.

38. Il résulte de l'instruction que la réclamation contre le décompte général a été reçue par la commune le 13 décembre 2012. Le délai global de paiement a commencé à courir à cette date et a expiré le 12 janvier 2013. Par suite, la requérante est fondée à demander les intérêts moratoires sur la somme de 108 959,81 euros TTC à compter du 13 janvier 2013. Ces intérêts doivent être calculés en appliquant un taux égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le 1er janvier 2013, majoré de sept points.

S'agissant de la capitalisation des intérêts :

39. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

40. La capitalisation des intérêts moratoires a été demandée par la requérante

le 21 décembre 2016, date à laquelle ces intérêts, qui couraient depuis le 13 janvier 2013, étaient dus pour au moins une année entière. Par suite, la requérante est fondée à demander la capitalisation des intérêts échus à la date du 21 décembre 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les conclusions indemnitaires dirigées contre la société Egis Villes et Transports :

41. Il ne résulte pas de l'instruction que le maître d'œuvre de l'opération aurait commis une faute, ni à plus forte raison que cette faute serait à l'origine directe des difficultés rencontrées par la requérante dans l'exécution de ses travaux. Par suite, la requérante n'est pas fondée à rechercher la responsabilité quasi-délictuelle du maitre d'œuvre à raison de ces difficultés.

Sur les frais de l'instance :

42. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Sogea Est BTP, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Audun-le-Tiche la somme de 2 000 euros à verser à la société Sogea Est BTP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1 : La commune d'Audun-le-Tiche est condamnée à verser à la société Sogea Est BTP la somme de 108 959,81 € (cent huit mille neuf-cent-cinquante-neuf euros et quatre-vingt-un cts) TTC. Cette somme sera augmentée des intérêts moratoires à compter du 13 janvier 2013, calculés par application d'un taux égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le 1er janvier 2013, majoré de sept points. Les intérêts échus seront capitalisés à la date du 21 décembre 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 2 : La commune d'Audun-le-Tiche versera à la société Sogea Est BTP la somme de 2 000 (deux mille) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Sogea Est BTP, à la commune d'Audun-le-Tiche et à la société Egis Villes et Transports.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Rees, président,

Mme Merri, première conseillère,

Mme Dobry, conseillère,

Rendu public, par mise à disposition au greffe, le 7 décembre 2022.

Le président-rapporteur,

P. A

L'assesseur le plus ancien

dans l'ordre du tableau,

D. MERRI

La greffière,

M.-C. SCHMIDT

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

A lire également