TA Strasbourg, 19/10/2022, n°1907671

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 octobre 2019 et le 24 janvier 2020, la société Onyx Est, représentée par l'AARPI Frêche et Associés, demande au tribunal :

1°) d'annuler le marché public portant sur la collecte séparative des déchets ménagers et assimilés sur le territoire de la communauté de communes du pays de Bitche conclu

le 1er août 2019 entre la société Eco déchets environnement et la communauté de communes du pays de Bitche ;

2°) de mettre à la charge de la communauté de communes du pays de Bitche la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la communauté de communes a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne recourant pas à la procédure de vérification des offres anormalement basses vis-à-vis de l'offre présentée par la société Eco déchets environnement ;

- elle a méconnu les dispositions de l'article L. 2191-5 du code de la commande publique interdisant les paiements différés ;

- elle a méconnu le principe de transparence des procédures d'attribution des marchés et les dispositions de l'article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales dès lors que : l'attributaire n'a pas été choisi par la commission d'appels d'offres ; la copie du rapport d'analyse des offres a été irrégulièrement communiqué à la requérante ; le rapport d'analyse des offres a été signé par le directeur du bureau d'étude qui assistait la communauté de communes du pays de Bitche dans la passation du marché, alors qu'il aurait dû l'être par le responsable du service chargé de l'analyse des offres au sein de la collectivité ;

- elle a méconnu les dispositions des articles L. 2121-12, L. 2121-13 et L. 5211-1 du code général des collectivités territoriales dès lors que certains conseillers communautaires n'ont pas bénéficié d'une information complète en amont du conseil de communauté au cours duquel la délibération autorisant la signature du contrat a été votée, n'ayant notamment pas reçu l'étude du bureau technique ;

- elle a méconnu le principe d'égalité entre les candidats dès lors que la première tranche optionnelle du marché a été abandonnée en cours de procédure ;

- elle a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats dès lors que la méthode de notation du critère technique et celle du critère prix ont eu pour effet de neutraliser l'appréciation de la valeur technique des offres au profit de leur prix ;

- ces irrégularités impliquent l'annulation du marché.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2020, la communauté de communes du pays de Bitche, représentée par le cabinet Landot et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Onyx Est en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, la requérante n'est pas susceptible d'avoir été lésée par les manquements invoqués et les moyens sont inopérants ;

- à titre infiniment subsidiaire, si un moyen était considéré comme fondé et en rapport direct avec l'éviction de la requérante, l'annulation du contrat porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, de sorte que la poursuite du contrat devrait être décidée sous réserve d'éventuelles mesures de régularisation.

Par ordonnance du 13 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juillet 2022.

La procédure a été communiquée à la société Eco déchets environnement, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de M. Boutot, rapporteur public,

- et les observations de :

* Me Cavaillon, avocate de la société Onyx Est,

* Me Kluczynski, avocat de la communauté de communes du pays de Bitche.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes du pays de Bitche a publié le 10 avril 2019 au journal officiel de l'Union européenne un avis de marché en vue de la passation d'un marché public portant sur la collecte séparative des déchets ménagers et assimilés sur son territoire, selon une procédure d'appel d'offres ouvert. La société Onyx Est a présenté une offre qui a été classée deuxième et n'a donc pas été retenue. Le marché public, dont la société Onyx Est demande à présent l'annulation, a été conclu le 1er août 2019 entre la communauté de communes du pays de Bitche et la société Eco déchets environnement, et l'avis d'attribution du marché a été publié le 7 août 2019.

Sur la validité du contrat :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

En ce qui concerne le caractère anormalement bas de l'offre de la société Eco déchets environnement :

3. L'article L. 2152-5 du code de la commande publique dispose que : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. " L'article L. 2152-6 du même code dispose en outre que : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses./Lorsque une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre./Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. "

4. Quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé.

5. Il résulte de l'instruction que la société Onyx Est a présenté une offre à un prix hors taxe de 8 255 912,24 euros et que la société Eco déchets environnement a présenté une offre à un prix hors taxe de 7 171 238,00 euros, soit une différence d'environ 13% entre les deux offres.

La société Onyx Est soutient qu'un tel écart aurait dû entraîner une demande de précisions et de justifications en vertu des textes précités, dès lors que le cahier des clauses administratives particulières prévoyait la reprise de l'ensemble des personnels affectés au précédent marché ayant un objet similaire, de sorte qu'il s'agissait de dépenses incompressibles, représentant une part prépondérante du coût du marché. Toutefois, la société Onyx Est ne produit aucun élément de nature à établir la part prépondérante des dépenses de personnels dans le coût du marché. Dès lors, le seul constat d'une différence d'environ 13% entre les deux offres ne suffisait pas à faire apparaître l'offre de la société Eco déchets environnement comme susceptible d'être anormalement basse, et la communauté de communes du pays de Bitche n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne demandant pas à cette dernière des précisions et justifications sur le montant de son offre. Le moyen doit par conséquent être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'interdiction de paiement différé :

6. Aux termes de l'article L. 2191-5 du code de la commande publique : " Tout paiement différé est interdit dans les marchés passés par l'Etat, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements. "

7. La société requérante fait valoir qu'en prévoyant la mise à disposition d'un terrain à la société attributaire du marché en vertu d'une convention d'occupation temporaire du domaine public et le retour des éventuelles constructions qui y seraient érigées à la communauté de commune à l'issue du marché, la communauté de communes du pays de Bitche aurait instauré un paiement différé en méconnaissance des dispositions précitées. L'article 7.2.6 du cahier des clauses techniques particulières prévoyait, pour le garage des véhicules, la possibilité de mettre à disposition de la société attributaire du marché un terrain, en vertu d'une convention d'occupation temporaire du domaine public dont le projet était annexé à l'acte d'engagement. Ce projet prévoyait notamment, à son article 9, que le montant de la redevance pourrait " être revu lors de la mise au point du marché avec le titulaire qui sera en charge des travaux. " Il résulte de ces éléments que les travaux susceptibles d'intervenir dans le cadre de la mise à disposition d'un terrain destiné au garage des véhicules n'étaient pas inclus dans le marché litigieux mais devaient, le cas échéant, faire l'objet d'une convention distincte selon des conditions financières à déterminer. Ces travaux n'étaient, en outre, pas imposés par le pouvoir adjudicateur, mais laissés à la seule initiative du titulaire du marché selon ses besoins. Dès lors, la société Onyx Est n'est pas fondée à soutenir qu'en prévoyant la mise à disposition d'un terrain et le retour à la collectivité des éventuelles constructions qui y seraient érigées, la communauté de communes du pays de Bitche aurait instauré, par l'intermédiaire des paiements prévus dans le cadre du marché litigieux, un mécanisme de paiement différé des travaux réalisés sur ce terrain. Le moyen ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne le jugement des offres :

8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1414-2 du code général des collectivités territoriales : " Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée (), le titulaire est choisi par une commission d'appel d'offres composée conformément aux dispositions de l'article L. 1411-5. () ".

9. Il ne résulte pas de l'instruction que le choix de l'attributaire indiqué dans le rapport d'analyse des offres aurait été arrêté avant la séance de la commission d'appels d'offres, ni par suite que cette dernière n'aurait pas procédé à ce choix.

10. En deuxième lieu, la circonstance que le rapport d'analyse des offres a été préparé par le directeur du bureau d'étude en charge de l'analyse des offres est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure.

11. En troisième lieu, la transmission du rapport d'analyse des offres au candidat évincé n'étant prévue par aucun texte ni soumise à aucun formalisme, la société requérante ne peut pas utilement se prévaloir de l'irrégularité de la copie du rapport d'analyse des offres qui lui a été adressée.

En ce qui concerne l'information insuffisante des conseillers communautaires :

12. Aux termes de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales, applicable aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale par application de l'article L. 5211-1 du même code : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal./Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l'ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur. " Selon l'article L. 2121-13 du même code, également applicable aux établissements publics de coopération intercommunale : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. "

13. Le conseil de communauté a autorisé le président de la communauté de communes du pays de Bitche à signer le marché litigieux par délibération du 11 juillet 2019.

14. Si la société Onyx Est fait état d'un enregistrement audiovisuel dans lequel un conseiller communautaire se plaint de ne pas avoir reçu, en amont de la séance du conseil de communauté du 11 juillet 2019, l'étude produite par le bureau d'étude dans le cadre de l'analyse des offres, elle n'établit pas ni même n'allègue que la convocation du conseil de communauté en date du 4 juillet 2019 aurait été irrégulière ou incomplète au regard des dispositions précitées. En outre, la communauté de communes du pays de Bitche affirme sans être contredite qu'aucun élu n'a demandé à consulter ou recevoir cette étude en amont de la séance. Enfin, il est constant qu'était présente à la séance du conseil de communauté au cours de laquelle la délibération a été votée une représentante du bureau d'étude afin de présenter l'analyse des offres. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les conseillers communautaires auraient reçu une information insuffisante concernant la passation du marché litigieux et le choix de la société attributaire. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats du fait de l'abandon d'une tranche optionnelle :

15. Si la délibération du conseil de communauté autorisant le président de la communauté de communes du pays de Bitche à signer le marché litigieux ne mentionne pas la première tranche optionnelle de celui-ci, il résulte de l'instruction que cette première tranche optionnelle, d'un montant nul dans l'offre de la société attributaire, a été prise en compte tant au stade de l'analyse des offres que dans l'acte d'engagement, de sorte qu'elle n'a pas été abandonnée en cours de procédure comme le prétend la société Onyx Est. Le moyen doit, par conséquent, être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité de traitement des candidats du fait de la méthode de notation des offres :

16. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a retenus et rendus publics. Toutefois, une méthode de notation est entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

17. Il résulte de l'instruction que la communauté de communes du pays de Bitche a retenu une méthode de notation pour le critère du prix attribuant automatiquement la note maximale au candidat ayant présenté l'offre la moins-disante, alors qu'il n'a pas retenu une méthode analogue, valorisant le candidat le mieux classé, pour l'appréciation du critère de la valeur technique. Toutefois, la seule circonstance que les méthodes de notation mises en œuvre par l'acheteur soient susceptibles d'aboutir à une différenciation plus grande des candidats sur certains seulement des critères de jugement des offres ne saurait être regardée comme privant ceux-ci de leur portée ou comme neutralisant leur pondération. En outre, il n'est pas établi en l'espèce que le l'écart minime entre la note technique de la société requérante et celle de la société attributaire soit le résultat d'une distorsion liée à la méthode de notation et non le simple reflet de l'appréciation portée sur la valeur technique de ces deux offres. Par conséquent, le moyen doit être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la société Onyx Est n'est pas fondée à demander l'annulation du marché public portant sur la collecte séparative des déchets ménagers et assimilés sur le territoire de la communauté de communes du pays de Bitche conclu le 1er août 2019 entre la société Eco déchets environnement et la communauté de communes du pays de Bitche.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes du pays de Bitche, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Onyx Est au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

20. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Onyx Est une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la communauté de communes du pays de Bitche et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de société Onyx Est est rejetée.

Article 2 : La société Onyx Est versera à la communauté de communes du pays de Bitche une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la communauté de communes du pays de Bitche est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Onyx Est, à la communauté de communes du pays de Bitche et à la société Eco déchets environnement.

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Rees, président,

Mme Merri, première conseillère,

Mme Dobry, conseillère.

Rendu public, par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2022.

La rapporteure,

S. A

Le président,

P. REES

La greffière,

M.-C. SCHMIDT

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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