Tribunal administratif de Marseille, 10/08/2022, n°2205896

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 juillet 2022 et 6 août 2022, la société Autocars Peirani, représentée par le cabinet Volta avocats, agissant par Me De Baecke, demande au Tribunal, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

  • d'annuler, au stade de l'examen des offres, la procédure de passation lancée par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pour l'attribution du lot n° 2 " secteur de l'Escarène " d'un marché portant, à titre principal, sur l'exécution de services de transport scolaires dans le département des Alpes-Maritimes ;
  • d'enjoindre à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, à titre principal, de reprendre à ce stade la procédure de passation du lot et d'évaluer son offre, à titre subsidiaire, de permettre à l'ensemble des soumissionnaires de compléter leur offre financière ;
  • de mettre à la charge de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle soutient que :
  • son offre a été rejetée à tort comme étant incomplète au seul motif que le bordereau de prix n'aurait été rempli que partiellement, alors que son offre de prix répondait précisément aux prescriptions du dossier de la consultation ; il est normal qu'elle n'ait renseigné que les rubriques du bordereau de prix correspondant aux véhicules mobilisés par son offre ;
  • au vu des effectifs à transporter, et des capacités des véhicules prescrits par l'autorité organisatrice de transport, le chiffrage de l'utilisation d'une partie de ces véhicules n'était pas requis par le dossier de la consultation ; son offre suffisait à couvrir les besoins de la Région ; le détail quantitatif estimatif ne comportait que les seules rubriques nécessaires à la réponse du besoin de la Région exprimé dans les fiches descriptives du lot n° 2 ; une telle exigence, qui n'était en tout état de cause pas exprimée de manière explicite et n'était pas justifiée par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution, est de nature à méconnaître le principe de liberté d'accès à la commande publique ;
  • ce manquement a lésé ses intérêts dès lors que son offre n'a pas été évaluée ni classée.
    Par deux mémoires en défense, enregistrés les 28 juillet 2022 et 8 août 2022, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par la SELARL Cabanes avocats, agissant par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
    Elle fait valoir que :
  • son offre, qui ne renseignait que 9 des 18 prix du bordereau des prix unitaires, était irrégulière conformément aux dispositions des articles L. 2152-2, R. 2152-1 et R. 2152-2 du code de la commande publique, à la jurisprudence applicable et aux pièces contractuelles du marché en cause ;
  • il n'appartient pas à un candidat de remettre en cause les exigences fixées par le règlement de la consultation, qui étaient parfaitement claires, et de ne répondre qu'à une partie des demandes du dossier de consultation ;
  • les effectifs d'élèves à transporter, fixés par l'annexe 1 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) qui n'a pas valeur contractuelle, ne sont que prévisionnels et sont susceptibles d'évoluer à la baisse ou à la hausse en fonction de la fréquentation des lignes ; en renseignant à l'annexe 1 du CCTP des effectifs prévisionnels, la Région n'a pas entendu figer le nombre d'élèves à transporter sur les quatre années de la durée du marché et la capacité des autocars que le titulaire devra mobiliser ; il ressort des articles 2 et 4.4 du CCTP que ces données n'étaient fournies qu'à titre indicatif et que les services à fournir sont susceptibles d'évoluer pendant la durée du marché.
    La présidente du Tribunal a désigné M. Danveau, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référés.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique du 8 août 2022 à 14h45 en présence de M. Marcon, greffier d'audience :
  • le rapport de M. A ;
    -les observations de Me Aleksandrowicz substituant Me De Baecke, pour la société Autocars Peirani, qui a repris et développé ses écritures en insistant sur la régularité de l'offre de la société requérante qui répondait en intégralité aux besoins exprimés par la Région ;
  • les observations de Me Mc Donagh substituant Me Cabanes, pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui a confirmé ses écritures, s'agissant particulièrement du caractère clair et explicite des documents du dossier de la consultation.
    La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.
    Vu les autres pièces du dossier.
    Vu :
  • le code de la commande publique ;
  • le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. "

2. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur a lancé, sous la forme d'une procédure d'appel d'offres ouvert, une consultation pour l'attribution d'un accord-cadre portant sur l'exécution de services de transport affectés à titre principal aux transports scolaires dans le département des Alpes-Maritimes, le lot n° 1 portant sur le secteur de l'Estéron et le lot n° 2 sur le secteur de l'Escarène. Par courrier du 7 juillet 2022, la société Autocars Peirani a été informée du rejet de son offre déposée au titre du lot n° 2 du marché, qui a été écartée comme irrégulière au motif que la société n'avait pas complété neuf prix sur les dix-huit prix que comportait le bordereau des prix unitaires. Dans le cadre de la présente instance, la société Autocars Peirani demande, par la voie du référé précontractuel, l'annulation de la procédure de passation du lot n° 2 et sollicite qu'il soit enjoint à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur de reprendre la procédure de passation en cause et d'analyser son offre.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".

4. Un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation.

5. Aux termes de l'article 3.B du règlement de la consultation, le pli à remettre par les candidats doit comprendre notamment un dossier d'offre comportant le bordereau de prix unitaires " dûment complété ", lequel a valeur contractuelle en vertu de l'article 3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP). L'article 2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) précise, s'agissant de la consistance des services, que les fiches descriptives des courses pour chaque lot, jointes en annexe 1 du CCTP, et concernant notamment l'effectif prévu des élèves à transporter et les types et capacités des véhicules à utiliser, ne sont fournies qu'à titre indicatif, et que " toute latitude est laissée à l'autorité organisatrice pour en modifier la consistance sous réserve que ces modifications demeurent liées à l'objet même du marché et qu'elles n'aient point pour effet d'en bouleverser l'économie générale. ". Par ailleurs, l'article 4.4 du CCTP portant sur la modification des services stipule que " Les services sont susceptibles d'évoluer pendant la durée du marché. Le transporteur doit étudier toutes les demandes qui lui sont faites par la Région. Il doit soumettre à la validation de la Région des propositions de modifications et ajustements : / () - Sur le matériel roulant et les capacités de transport, notamment en cas de surnombre répété ou de faible fréquentation. / Il lui appartient de le faire à chaque fois que les circonstances le nécessitent. ".

6. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société requérante a été écartée comme irrégulière au motif que le bordereau de prix unitaires qu'elle a fourni présentait neuf lignes non complétées, correspondant à trois prix kilométriques et aux prix journaliers de mise à disposition d'un véhicule, non accessible aux personnes à mobilité réduite, de moins de 8 places, d'autocars, également non accessibles aux personnes à mobilité réduite, de 48 à 59 places et de plus de 60 places, d'un véhicule de moins de huit places comportant un emplacement réservé aux personnes à mobilité réduite et d'autocars de 44 à 57 places et de plus de 58 places, comprenant également un tel emplacement. Or, les stipulations précitées du règlement de la consultation et du CCTP faisaient obligation, s'agissant du lot en litige, de produire le bordereau de prix unitaires, dont toutes les rubriques devaient être en conséquence impérativement servies, les documents de la consultation étant obligatoires dans toutes leurs mentions. La société requérante ne peut par suite prétendre qu'il appartenait à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur de préciser expressément que toutes les lignes du bordereau de prix unitaires devaient être renseignées. Elle ne pouvait davantage déduire du détail quantitatif estimatif et des fiches descriptives des lignes de transport du lot n° 2, qui n'avaient pas de valeur contractuelle à l'inverse du bordereau des prix unitaires, que le renseignement de certaines rubriques du bordereau des prix unitaires, pièce constitutive du marché, était inutile et n'avait aucune incidence sur la régularité de son offre. A cet égard, les stipulations du marché mentionnaient que les fiches descriptives en cause, mentionnant des capacités de véhicules et des effectifs d'élèves à transporter, ne présentaient qu'un caractère indicatif et portaient sur des effectifs prévisionnels, lesquels sont susceptibles d'évoluer en raison d'aléas d'exécution ou de l'évolution de la fréquentation des lignes au cours de la durée d'exécution du marché, fixée à deux ans renouvelables une fois. Dans ces conditions, les moyens tirés du manque de précision des documents de la consultation et de la méconnaissance du principe de liberté d'accès à la commande publique ne peuvent qu'être écartés. L'offre de la société Autocars Peirani étant irrégulière, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pouvait l'écarter sans être tenue de l'inviter à régulariser son offre, dès lors qu'il ne s'agit là que d'une simple faculté pour l'acheteur public de demander une telle régularisation.

7. Il résulte de ce qui précède que la société requérante ne pouvant se prévaloir d'aucun manquement aux obligations de mise en concurrence susceptible de l'avoir lésée, sa demande ne peut qu'être rejetée en toutes ses conclusions.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Autocars Peirani non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Autocars Peirani une somme de 1 500 euros au bénéfice de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Autocars Peirani est rejetée.
Article 2 : La société Autocars Peirani versera à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Autocars Peirani, à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et au groupement UTP.
Fait à Marseille, le 9 août 2022.
Le magistrat désigné,
Signé
N. A
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour le greffier en chef,
Le greffier

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