TA Besançon, 09/11/2022, n°2101978
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2021, la société La ferme du lama bleu demande au juge des référés :
1°) de condamner la Ville de Paris à lui verser la somme de 25 270,20 euros à titre de provision ;
2°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La ferme du lama bleu soutient que :
- elle a accueilli, à compter du 20 juillet 2020, le jeune A B qui lui a été confié par la Ville de Paris pour un montant journalier de 218 euros ;
- elle a adressé à la Ville de Paris, via courriers et Chorus, les factures n°1221/A1223/1225Bis/1225F/1230Bis/A1235Bis/A1243Bis d'un montant total de 23 492,80 euros qui n'ont pas été réglées à l'issue du délai de paiement de trente jours et qui ne l'ont pas été davantage après l'envoi d'un courrier par lettre recommandée avec accusé de réception daté du 7 juin 2021 ;
- le retard de paiement de la Ville de Paris est de 462 jours, lequel donne droit au versement des intérêts moratoires et à une indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement en application des dispositions des articles 7 et 8 du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique ;
- il n'existe aucune contestation sérieuse sur l'existence d'une créance d'un montant de 23 492,80 euros ;
- le taux d'intérêt à appliquer pour calculer les intérêts moratoires est de 8% et ces derniers sont dus, à la date de la requête, sur 338 jours, si bien que la Ville de Paris devra être condamnée à verser 1737,32 euros au titre des intérêts moratoires ainsi que la somme de 40 euros pour frais de recouvrement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2022, la Ville de Paris, conclut au rejet de la requête.
La Ville de Paris soutient que :
- la facture n° 1225 datée du 6 août 2020 a été mise en paiement le 7 octobre 2020 pour un montant de 25 euros ;
- l'existence de l'obligation est sérieusement contestable dans la mesure où soit elle n'existe pas, soit le créancier n'a pas respecté les " procédures impératives à suivre pour le paiement effectif par le Trésor public ".
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;
- l'arrêté du 9 décembre 2016 relatif au développement de la facturation électronique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Sophie Grossrieder, première conseillère, en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, pour statuer sur les demandes de référé.
Considérant ce qui suit :
1. Le lieu de vie et d'accueil La ferme du lama bleu, société par action simplifiée (SAS), a accueilli, entre juillet et novembre 2020, le jeune A B, confié par la Ville de Paris. Par diverses factures datées de juillet à octobre 2020, La ferme du lama bleu a sollicité de la Ville de Paris le paiement des frais de prise en charge de M. B à hauteur de 23 492,80 euros. Par un courrier envoyé le 7 juin 2021 à la Ville de Paris, La ferme du lama bleu en a sollicité le paiement. Par un courrier électronique du 7 juillet 2021, la Ville de Paris a fait savoir à la société que certaines factures étaient " au statut à recycler " sur le portail " Chorus Pro " dans la mesure où des mentions obligatoires étaient absentes ou erronées et que lesdites factures ne pourraient pas être traitées tant que les numéros de bon de commande ne seraient pas renseignés correctement. Par une requête enregistrée le 5 novembre 2021, La ferme du lama bleu demande au juge des référés de lui accorder une provision de 23 492,80 euros au titre des factures impayées ainsi qu'une provision de 1777,40 euros correspondant aux montants des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
Sur les conclusions tendant au versement d'une provision :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".
3. Aux termes de l'article L. 2192-1 du code de la commande publique : " Les titulaires de marchés conclus avec l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics, ainsi que leurs sous-traitants admis au paiement direct, transmettent leurs factures sous forme électronique. ". Aux termes de l'article L. 2192-5 du même code : " Une solution mutualisée, mise à disposition par l'Etat et dénommée " portail public de facturation ", permet le dépôt, la réception et la transmission des factures sous forme électronique. Pour la mise en œuvre des obligations fixées à la sous-section 1 de la présente section, utilisent le portail public de facturation :/ 1° L'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics ;/ 2° Les titulaires de marchés conclus avec un acheteur mentionné au 1° ainsi que leurs sous-traitants admis au paiement direct. ". L'article D. 2192-2 du code de la commande publique énumère les mentions devant figurer sur les factures. Aux termes de l'article R. 2192-27 du même code : " Lorsque la demande de paiement ne comporte pas l'ensemble des pièces et des mentions prévues par la loi ou par le marché ou que celles-ci sont erronées ou incohérentes, le délai de paiement peut être interrompu une seule fois par le pouvoir adjudicateur. / Pour les pouvoirs adjudicateurs dotés d'un comptable public, cette interruption ne peut intervenir qu'avant l'ordonnancement de la dépense. ". Aux termes de l'article R. 2192-28 du même code : " L'interruption du délai de paiement mentionnée à l'article R. 2192-27 fait l'objet d'une notification au créancier par tout moyen permettant d'attester une date certaine de réception. / Cette notification précise les raisons imputables au créancier qui s'opposent au paiement, ainsi que les pièces à fournir ou à compléter. " Aux termes de l'article R. 2192-29 du même code : " A compter de la réception de la totalité des pièces et mentions prévues à l'article R. 2192-27, un nouveau délai de paiement est ouvert. Ce délai est de trente jours ou égal au solde restant à courir à la date de réception de la notification de l'interruption si ce solde est supérieur à trente jours. ".
4. En premier lieu, si la requérante soutient que la Ville de Paris lui est redevable de la somme de 23 492,80 euros, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la facture n° 1225 d'un montant de 25 euros a été mise en paiement par le comptable public de la Ville le 7 octobre 2020 et, d'autre part, que la facture n° 1225F d'un montant de 6 758 euros a été établie pour l'accueil du jeune A B pour trente et un jours alors qu'il n'a pas été accueilli sur la totalité du séjour. Dans ces conditions, ces deux obligations doivent être regardées comme sérieusement contestables.
5. En second lieu, la Ville de Paris soutient que les obligations objets des factures n°s 1221, 1230 bis, 1236 bis, 1243 bis, 1235 bis et 1223 bis, d'un montant total de 16 607,20 euros, sont sérieusement contestables dès lors que, soit elles ne comportent pas de numéro de bon commande ou de numéro d'engagement juridique, soit elles comportent un numéro d'engagement juridique erroné. Cependant, il ressort des dispositions des articles D. 2192-2 et R. 2192-27 du code de la commande publique citées au point 3 que l'absence de certaines mentions obligatoires sur les factures ou leur caractère erroné permet seulement à l'acheteur d'interrompre, une fois, le délai de paiement dans les conditions prévues aux articles R. 2192-27 à R. 2192-29 de ce code. Dans ces conditions, et alors que la Ville de Paris ne saurait être regardée comme ayant entendu faire application de la faculté qui lui offerte d'interrompre le délai de paiement, les obligations objets des factures n°s 1221, 1230 bis, 1236 bis, 1243 bis, 1235 bis et 1223 bis ne sont pas sérieusement contestables. Par suite, il y a lieu de condamner la Ville de Paris à verser à La ferme du lama bleu une provision de 16 607,20 euros.
Sur les conclusions tendant au versement des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement :
6. Aux termes de l'article L. 2192-10 du code de la commande publique : " Les pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu'ils agissent en tant qu'entités adjudicatrices, paient les sommes dues en principal en exécution d'un marché dans un délai prévu par le marché ou, à défaut, dans un délai fixé par voie réglementaire et qui peut être différent selon les catégories de pouvoirs adjudicateurs. Lorsqu'un délai de paiement est prévu par le marché, celui-ci ne peut excéder le délai prévu par voie réglementaire ". Aux termes de l'article L. 2192-13 du même code : " Dès le lendemain de l'expiration du délai de paiement ou de l'échéance prévue par le marché, le retard de paiement fait courir, de plein droit et sans autre formalité, des intérêts moratoires dont le taux est fixé par voie réglementaire. Il ouvre droit, dans les conditions prévues à la présente sous-section, à des intérêts moratoires, à une indemnité forfaitaire et, le cas échéant, à une indemnisation complémentaire versés au créancier par le pouvoir adjudicateur. Le retard de paiement donne lieu, de plein droit et sans autre formalité, au versement d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est fixé par voie réglementaire. () ". Aux termes de l'article R. 2192-10 de ce code, anciennement alinéa 1er de l'article 1er du décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 : " Le délai de paiement prévu à l'article L. 2192-10 est fixé à trente jours pour les pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu'ils agissent en tant qu'entité adjudicatrice ". Aux termes de l'article R. 2192-12 de ce code : " Sous réserve des dispositions prévues aux articles R. 2192-13, R. 2192-17 et R. 2192-18, le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur ou, si le marché le prévoit, par le maître d'œuvre ou toute autre personne habilitée à cet effet. " Aux termes de l'article R. 2192-15 du même code : " Lorsque la demande de paiement est transmise par voie électronique en application des articles L. 2192-1 à L. 2192-3, la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur correspond : () ;/ 2° Lorsque les factures sont transmises par le mode portail ou service, à la date de notification au pouvoir adjudicateur du message électronique l'informant de la mise à disposition de la facture sur ce portail. ". Aux termes de l'article R. 2192-31 de ce code, anciennement alinéa 1er de l'article 8-I du décret précité : " Le taux des intérêts moratoires mentionnés à l'article L. 2192-13 est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage ". Aux termes de l'article R. 2192-32 de ce code, anciennement alinéa 2 de l'article 8-I du décret précité : " Les intérêts moratoires courent à compter du lendemain de l'expiration du délai de paiement ou de l'échéance prévue par le marché jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse ". Aux termes de l'article R. 2192-35 de ce code anciennement article 9 du décret précité : " Le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement est fixé à 40 euros ". Enfin, entre le 16 mars 2016 et le 26 juillet 2022, le taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement était fixé à zéro pour cent.
7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que La ferme du lama bleu a droit aux intérêts moratoires sur les factures restées non payées et non sérieusement contestables à l'issue d'un délai de trente jours suivant réception de la demande de paiement, et ce jusqu'à la date de paiement du principal, au taux de huit pour cent ainsi qu'à une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 euros.
8. En premier lieu, il résulte des pièces du dossier que la Ville de Paris a accusé réception de la facture n° 1221 d'un montant de 2 616 euros sur le portail Chorus Pro le 6 août 2020. Le délai de paiement de cette facture a donc expiré le 7 septembre 2020, si bien que les intérêts moratoires ont commencé à courir le 8 septembre 2020. Par suite, il y a de condamner la Ville de Paris à verser à La ferme du lama bleu les intérêts moratoires se rapportant à la somme de 2 616 euros pour la période du 8 septembre 2020 jusqu'à la date de paiement du principal incluse.
9. En deuxième lieu, il résulte des pièces du dossier que la Ville de Paris a accusé réception de la facture n° 1243 bis d'un montant de 173,20 euros sur le portail Chorus Pro le 3 novembre 2020. Le délai de paiement de cette facture a donc expiré le 3 décembre 2020, si bien que les intérêts moratoires ont commencé à courir le 4 décembre 2020. Par suite, il y a de condamner la Ville de Paris à verser à La ferme du lama bleu les intérêts moratoires se rapportant à la somme de 173,20 euros pour la période du 4 décembre 2020 jusqu'à la date de paiement du principal incluse.
10. En troisième lieu, il résulte des pièces du dossier que la Ville de Paris a accusé réception des factures n°s 1230 bis, 1236 bis, 1235 bis et 1223 bis d'un montant total de 13 818 euros sur le portail Chorus Pro le 5 juillet 2021. Le délai de paiement de ces factures a donc expiré le 6 août 2021, si bien que les intérêts moratoires ont commencé à courir le 7 août 2021. Par suite, il y a de condamner la Ville de Paris à verser à la Ferme du Lama Bleu les intérêts moratoires se rapportant à la somme de 13 818 euros pour la période du 7 août 2021 jusqu'à la date de paiement du principal incluse.
Sur les frais liés au litige :
11. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement des sommes que demande La ferme du lama bleu au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La Ville de Paris est condamnée à verser à La ferme du lama bleu une provision de 16 607,20 euros ainsi que l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 euros.
Article 2 : La ville de Paris est condamnée à verser à La ferme du lama bleu les intérêts moratoires se rapportant au montant de la provision dans les conditions prévues aux points 7 à 10.
Article 3 : Le surplus des conclusions de La ferme du lama bleu est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à La ferme du lama bleu et à la Ville de Paris.
Fait à Besançon, le 9 novembre 2022.
La juge des référés,
S. Grossrieder
La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière
No 2101978