CAA Lyon, 24/11/2022, n°20LY00105
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. F B, M. D G, la SARL Batiserf Ingénierie, M. A E, la SARL Acoustique Vivie et associés et la SAS Bureau Michel Forgue (BMF) ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, l'annulation, ou à défaut, la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre conclu le 30 mars 2017 par la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo avec le groupement formé par la SAS Rudy Ricciotti, mandataire, les sociétés AA Group, Lasa et BET Certib pour la réhabilitation de l'ancienne caserne militaire de Latour-Maubourg et, d'autre part, de condamner la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo à leur verser, respectivement, les sommes de 323 500,50 euros, 323 503,50 euros, 156 456 euros, 147 303 euros, 14 035 euros et 132 804 euros, outre intérêts moratoires, capitalisés, en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait de leur éviction de ce marché.
Par jugement n° 1703241-1801333 du 7 novembre 2019, le tribunal a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 janvier 2020, le 30 août 2021, ce dernier non communiqué, le 16 septembre 2022 et le 28 octobre 2022, ce dernier non communiqué, M. B, M. G, la SARL Batiserf Ingénierie, M. E, la SARL Acoustique Vivie et associés et la SAS BMF, représentés par Me Duteil, demandent à la cour, le cas échéant, après avoir enjoint à l'intimée de communiquer l'intégralité des documents considérés comme communicables selon l'avis n° 20212899 du 28 juin 2021 de la commission d'accès aux documents administratifs et sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif de Grenoble se soit prononcé dans l'instance n° 2105803 engagée sur ce droit à communication :
1°) d'annuler le jugement n° 1703241-1801333 du 7 novembre 2019 ;
2°) d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché de maîtrise d'œuvre passé avec le groupement formé par la société Rudy Ricciotti et autres ;
3°) de condamner la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo à leur verser, respectivement, les sommes de 323 500,50 euros, 323 503,50 euros, 156 456 euros, 132 804 euros, 147 303 euros et 14 035 euros outre intérêts, capitalisés ;
4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :
- la requête, introduite dans le délai de deux mois courant à compter de la notification du jugement, le 12 novembre 2019, n'est pas tardive ;
- leurs conclusions présentées dans le cadre d'un recours de plein contentieux sont recevables, dès lors qu'en tant que candidats évincés, ils ont intérêt à contester la validité du marché ; les manquements qu'ils invoquent, intervenus au cours de la procédure de passation du marché, sont susceptibles d'avoir lésé leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine ;
- leurs conclusions tendant au versement d'une indemnité, qui ont été précédées d'une demande préalable, sont recevables ;
- la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo a refusé à tort, et en dépit d'un avis contraire de la commission d'accès aux documents administratifs, de leur communiquer certains documents ;
- la décision de désignation du lauréat est insuffisamment motivée ;
- l'offre du groupement attributaire était irrégulière, car entachée d'une sous-estimation manifeste du coût des travaux et du coût d'entretien sur dix ans ;
- c'est à tort que la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo a estimé que leur projet entraînait un dépassement substantiel de l'enveloppe prévisionnelle des travaux et qu'il imposait la réalisation de lourdes adaptations fonctionnelles, alors qu'elle était la mieux notée sur la qualité architecturale et le respect du programme fonctionnel ;
- le choix de l'offre retenue par le pouvoir adjudicateur est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des critères du concours et du classement établi par le jury ;
- dès lors qu'aucune mesure de régularisation ne peut être envisagée, il convient de prononcer l'annulation du contrat, ou, à défaut, sa résiliation ;
- ils doivent être indemnisés de leur manque à gagner résultant de la perte d'une chance sérieuse de se voir attribuer le marché ;
- le préjudice direct subi doit être évalué en tenant compte du montant des honoraires susceptibles d'être perçus, dont est déduite la prime de concours ainsi que les charges directes ;
- le préjudice indirect doit être évalué en tenant compte de la perte de référence, de l'effet de rémanence et de la perte des droits de divulgation et de paternité.
Par mémoires enregistrés le 23 mars 2021 et le 17 octobre 2022, la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo, représentée par Me Saban, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de M. B, M. G, la SARL Batiserf Ingénierie, M. E, la SARL Acoustique Vivie et associés et la SAS BMF une somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable pour tardiveté ;
- les conclusions des sociétés Batiserf Ingénierie, BMF et Acoustique Vivie et associés, faute d'identification des représentants légaux, sont irrecevables ;
- les documents demandés, qui contiennent des éléments relevant de la protection due au titre du secret des affaires, ne sont pas communicables ; le refus de communication des documents demandés, qui n'est pas l'objet du litige, est sans incidence sur la régularité de la procédure de passation ;
- l'offre du groupement attributaire était régulière, dès lors que ni le coût global sur dix ans, ni le coût des travaux n'ont été sous-évalués ;
- elle a pu régulièrement écarter l'offre des requérants qui dépassait l'enveloppe prévisionnelle des travaux et exigeait des adaptations fonctionnelles ;
- dès lors que les vices invoqués ne portent pas atteinte à la licéité du contenu du contrat et ne relèvent ni du vice du consentement ni d'un vice d'une particulière gravité que le juge devrait relever d'office, il n'y a pas lieu d'annuler le marché ;
- la résiliation aurait des conséquences financières et pourrait être préjudiciable à l'exécution de la mission d'assistance à la réception des ouvrages ; elle serait de nature à porter atteinte à la continuité du service ;
- les requérants ne démontrent pas avoir été privés d'une chance sérieuse de se voir attribuer le marché ;
- seul le bénéfice net est indemnisable ;
- pour justifier du manque à gagner qu'ils ont subis, les requérants ne peuvent se fonder sur la proposition financière de leur offre, dans la mesure où rien ne démontre qu'elle aurait été retenue, et ne peuvent retenir que le montant auquel le marché de maîtrise d'œuvre a été attribué ;
- les requérants n'apportent pas de justificatifs de nature à établir le montant de leur manque à gagner ;
- celui de MM. B et G ne saurait comprendre les frais fixes ; il y a lieu de tenir compte du taux de marge brut constaté par l'INSEE qui se limite à 22,9 % pour les activité d'architecture et d'ingénierie et d'un taux de marge nette de 16 % ;
- la perte des droits d'auteur n'est pas établie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de commerce, notamment ses articles L. 223-18 et L. 227-6 ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Ouvrelle pour la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo ;
Considérant ce qui suit :
1. La communauté d'agglomération Valence Romans Agglo a, par avis d'appel public à la concurrence du 4 juillet 2016, lancé un concours restreint sur avant-projet sommaire en vue de la conclusion d'un marché de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation de l'ancienne caserne militaire de Latour-Maubourg située à Valence et sa reconversion en médiathèque et en archives intercommunales. Ce marché a été attribué le 30 mars 2017 au groupement conjoint formé par la SAS Rudy Ricciotti, mandataire, et des sociétés AA Group, Certib et Lasa. Le groupement formé par M. B, mandataire, M. G, la SARL Batiserf Ingénierie, M. E, la SARL Acoustique Vivie et associés et la SAS BMF, informé de ce que son offre n'avait pas été retenue par courrier du 16 février 2017, a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande d'annulation ou, à défaut, de résiliation de ce marché et d'indemnisation du préjudice subi du fait de son éviction. Les cotraitants du groupement formé par M. B relèvent appel du jugement du 7 novembre 2019 ayant rejeté leurs demandes.
Sur les fins de non-recevoir opposées par la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : "() le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie ()". Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié à M. B et autres entre les 13 et 20 novembre 2019. Dès lors, leur requête d'appel, enregistrée au greffe de la cour le 10 janvier 2020, a été introduite dans le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées. La fin de non-recevoir tirée de sa tardiveté opposée par la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo ne peut, par suite, qu'être écartée.
3. En second lieu, lorsqu'une partie est une personne morale, il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie. Tel est le cas lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou qu'au premier examen l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier. Par ailleurs, lorsque la personne morale pour le compte de laquelle l'avocat agit est une société commerciale dont les dispositions législatives qui la régissent désignent elles-mêmes le représentant, cette circonstance dispense le juge, en l'absence de circonstance particulière, de s'assurer de la qualité pour agir du représentant de cette personne morale.
4. En se bornant à objecter que la requête n'identifie pas les représentants des SARL Batiserf Ingénierie et Acoustique Vivie et Associés et de la SAS BMF et qu'aucun document n'est produit pour attester l'identité des représentants légaux de ces sociétés, alors que ces sociétés commerciales sont réputées être régulièrement représentées, ainsi que la requête le mentionne expressément, les deux premières par leur gérant, la troisième par son président, la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo ne conteste pas sérieusement la qualité pour agir des intéressés. Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de remettre en cause la qualité des représentants de ces personnes morales.
Sur les conclusions de M. B et autres tendant à l'annulation ou à la résiliation du marché :
En ce qui concerne la validité du marché :
5. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé ne peut, à l'appui du recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
6. Aux termes de l'article 8 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée alors en vigueur, relative aux marchés publics : "Le concours est un mode de sélection par lequel l'acheteur choisit, après mise en concurrence et avis d'un jury, () un projet, notamment dans le domaine () de l'urbanisme, de l'architecture ()". Aux termes de l'article 88 du décret du 25 mars 2016 susvisé alors en vigueur, relatif aux marchés publics : " I. - L'acheteur qui organise un concours défini à l'article 8 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée publie un avis de concours () II. () Lorsque le concours est restreint, l'acheteur établit des critères de sélection clairs et non discriminatoires des participants au concours. () III. - Le jury () examine les candidatures et formule un avis motivé sur celles-ci. Lorsque le concours est restreint, l'acheteur fixe la liste des candidats admis à concourir () Le jury examine les () projets présentés par les participants au concours de manière anonyme et en se fondant exclusivement sur les critères d'évaluation des projets définis dans l'avis de concours. Il consigne dans un procès-verbal, signé par ses membres, le classement des projets ainsi que ses observations et, le cas échéant, tout point nécessitant des éclaircissements et les questions qu'il envisage en conséquence de poser aux candidats concernés () IV. - L'acheteur choisit le ou les lauréats du concours au vu des procès-verbaux et de l'avis du jury ()".
7. Le règlement du concours du marché de maîtrise d'œuvre soumettait l'évaluation des projets à quatre critères contribuant, chacun pour un quart, à une note exprimée sur 100, et afférant à la pertinence du parti architectural, au respect du programme fonctionnel, au coût des travaux dont l'enveloppe prévisionnelle s'élevait à 10 600 000 euros HT, et au coût global de l'ouvrage sur dix ans (travaux, fonctionnement, exploitation et maintenance). Il résulte du procès-verbal de la réunion du 24 janvier 2017 du jury chargé d'examiner les projets et de formuler un avis sur leurs mérites comparés, que l'offre du groupement requérant, dénommée "projet 2", a été classée au premier rang avec une note totale de 81,82/100, soit 25 points au premier critère, 22,5 au deuxième, 23,35 au troisième et 10,97 au quatrième, tandis que l'offre du groupement attributaire, dénommée "projet 3", a été classée au deuxième rang avec une note de 81,25/100 résultant de l'attribution de 12,5, 18,75, 25 et 25 points à chacun des quatre critères.
8. Pour inverser le classement des offres opéré par le jury, lequel, en application des dispositions précitées de l'article 88 du décret du 25 mars 2016, se fonde exclusivement sur les critères d'évaluation annoncés par le règlement du concours, en attribuant des notes de façon objective accompagnées d'appréciations mentionnées au procès-verbal, le représentant du pouvoir adjudicateur doit être en mesure de justifier sa divergence, notamment, d'expliquer en quoi les motifs qu'il privilégie doivent manifestement prévaloir sur le classement établi dans le respect des règles publiées de la consultation.
9. Pour attribuer le marché de maîtrise d'œuvre au groupement Ricciotti, le président de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo a, selon sa décision du 15 février 2017 portant désignation du lauréat, regardé comme déterminants le montant de l'offre au regard de l'enveloppe (10 500 000 euros HT pour le groupement de la société Rudy Ricciotti contre 11 239 822 euros HT pour le groupement de M. B), de meilleures fonctionnalités intérieures et un plus grand respect de l'enveloppe du bâtiment originel par le projet de la société Rudy Ricciotti et autres.
10. Or et d'une part, le jury ayant dénoncé dans son procès-verbal une évaluation aléatoire des coûts, le projet présenté par le groupement formé par M. B et autres, d'un montant plus élevé tant pour le coût d'objectif que pour le coût estimatif d'entretien décennal, se rapprochait le plus de l'estimation faite a priori par les services de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo. Il présentait donc manifestement une crédibilité supérieure à celle de l'offre lauréate.
11. D'autre part, il résulte de l'instruction que le parti architectural du projet du groupement de M. B et autres s'inscrivait dans l'enveloppe du bâtiment originel alors que le projet lauréat comportait la construction d'un volume en avant-corps, de telle sorte que l'avantage comparatif relevé sur ce critère ne pouvait que revenir au projet de M. B. Il en va de même des fonctionnalités, limitées dans le projet de la société Rudy Ricciotti par la préservation des murs de refend que le projet de M. B supprimait, sans aléas techniques avérés, ce qui aurait permis de dégager des plateaux homogènes entièrement modulables. Cet avantage, qui porte sur l'ensemble de l'ouvrage, ne saurait être occulté par les points de détail mis en exergue en défense, tels que les modalités d'accès aux espaces de travail partagé et au point d'information jeunesse, au rafraîchissement des espaces en été, au positionnement des portiques antivol, des réserves de proximité et des espaces de convivialité.
12. Dans ces conditions, l'inversion du classement du jury n'est pas manifestement justifiée pour les motifs invoqués par l'autorité adjudicatrice et M. B et autres sont fondés à soutenir que leur projet a été écarté en méconnaissance des dispositions citées au point 6.
En ce qui concerne les conséquences de l'illégalité relevée :
13. Saisi par un tiers dans les conditions définies au point 5, il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence d'un vice entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences et soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
14. Eu égard à sa nature, le vice relevé aux points 7 à 11 ne peut donner lieu à aucune régularisation. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le marché de maîtrise d'œuvre a été entièrement exécuté, que son contenu n'est pas illicite et que le choix erroné du groupement de la société Rudy Ricciotti n'a pas vicié le consentement de la communauté d'agglomération au contrat et ne présente pas une gravité telle que le juge aurait dû le relever d'office. Dans ces conditions, l'erreur manifeste d'appréciation relevée n'implique l'adoption par le juge d'aucune mesure de régularisation, de résiliation ou d'annulation en application des principes énoncés au point précédent. En revanche, il y a lieu d'examiner les conditions d'indemnisation, pour le groupement illégalement évincé, du préjudice subi.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le droit à indemnisation :
15. Il résulte de ce qui précède que la décision d'attribution du marché en litige au groupement formé par la société Rudy Ricciotti et autres est entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Eu égard à la qualité de l'offre du groupement requérant, qui au demeurant avait été classée devant l'offre du groupement attributaire, et alors qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué, que cette offre aurait été irrégulière ou inacceptable, une telle erreur doit être regardée comme étant la cause directe de l'éviction de ce groupement. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir qu'ils ont perdu une chance sérieuse d'emporter le marché en litige et à demander l'indemnisation de leur manque à gagner, lequel correspond au bénéfice net qu'ils auraient retiré de l'opération.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
16. En premier lieu, M. B, M. G, la SARL Batiserf Ingénierie, M. E, la SARL Acoustique Vivie et associés et la SAS BMF évaluent leur manque à gagner en déduisant du montant total des honoraires qu'ils pouvaient escompter compte tenu de la proposition financière, soit 1 455 486 euros HT, leurs charges ainsi que, pour MM. B et G, la prime de concours qui leur a été versée par la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo. Toutefois, il résulte de l'instruction, et, notamment, du règlement du concours et de la décision d'attribution du marché, que le montant du marché devait faire l'objet d'une négociation. Dans ces conditions, et par analogie avec le rabais consenti par le groupement lauréat, il y a lieu de réduire l'assiette de calcul du manque à gagner à 1 200 000 euros HT. Eu égard au taux de marge brute constaté par l'INSEE pour les activités d'architecture et d'ingénierie, qui s'élevait à 22,9 % au titre de l'année 2017, après déduction des seules charges engagées pour la réalisation du projet à l'exception des frais généraux, il sera fait une exacte appréciation du manque à gagner subi en appliquant à l'ensemble du groupement irrégulièrement évincé, un taux de marge nette de 16 % à la commande de 1 200 000 euros HT, soit, selon la clé de répartition annoncée en dernier lieu par les cotraitants, les sommes de 53 568 euros HT pour M. B, 53 569 euros HT pour M. G, 27 148 euros HT pour la SARL Batiserf Ingénierie, 28 857 euros HT pour M. E, 2 745 euros HT pour la SARL Acoustique Vivie et associés et 26 016 euros HT pour la SAS BMF.
17. En deuxième lieu, M. B, M. G, la SARL Batiserf Ingénierie, M. E, la SARL Acoustique Vivie et associés et la SAS BMF soutiennent qu'ils ont également subi un préjudice indirect, qu'ils qualifient d'effet de rémanence, lié à l'impossibilité de se prévaloir de la réalisation du projet en cause, notamment pour soumissionner à d'autres marchés publics non ouverts. Ils évaluent ce préjudice à 50 % de la valeur de la marge brute perdue pour le premier cycle d'activité et 25 % pour le suivant. Toutefois, ils ne produisent aucun élément relatif notamment à la variation de leurs chiffre d'affaires de nature à établir la réalité du préjudice qu'ils invoquent.
18. En dernier lieu, MM. B et G soutiennent qu'ils ont subi un préjudice tenant à l'impossibilité de bénéficier du droit de divulgation et de pérennité ainsi que du droit à la paternité de l'œuvre, qu'ils évaluent à 50 000 euros chacun. Toutefois, leur éviction ne les privent pas du droit moral qu'ils détiennent sur leur œuvre et ils ne sont pas fondés à solliciter une indemnisation à ce titre.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. B, M. G, la SARL Batiserf Ingénierie, M. E, la SARL Acoustique Vivie et associés et la SAS BMF sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo à leur verser, respectivement, les sommes HT de 53 568 euros, 53 569 euros, 27 148 euros, 28 857 euros, 2 745 euros et 26 016 euros en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de l'éviction irrégulière de leur offre.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
20. En vertu de l'article 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal courront sur les sommes dues par la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo à compter du 23 novembre 2017, date de réception par celle-ci de la réclamation des créanciers. La demande de capitalisation applicable en vertu de l'article 1343-2 du code civil ayant été enregistrée en première instance, le 7 mars 2018, alors qu'était due moins d'une année d'intérêts échue, il y a lieu d'y faire droit au 23 novembre 2018 et de la prononcer à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais du litige :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B et autres, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo la somme de 700 euros à verser, chacun pour ce qui le concerne, à M. B, à M. G, à la SARL Batiserf Ingénierie, à M. E, à la SARL Acoustique Vivie et associés, et à la SAS BMF sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1703241, 1801333 du tribunal administratif de Grenoble du 7 novembre 2019 est annulé en ce qu'il rejette les demandes indemnitaires de M. B, de M. G, de la SARL Batiserf Ingénierie, de M. E, de la SARL Acoustique Vivie et associés, et de la SAS BMF.
Article 2 : La communauté d'agglomération Valence Romans Agglo est condamnée à verser les sommes de 53 568 euros à M. B, 53 569 euros à M. G, 27 148 euros à la SARL Batiserf Ingénierie, 28 857 euros à M. E, 2 745 euros à la SARL Acoustique Vivie et associés et 26 016 euros à la SAS BMF. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2017. Les intérêts échus au bout d'une année d'intérêts à compter du 23 novembre 2018 seront capitalisés, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : La communauté d'agglomération Valence Romans Agglo versera 700 euros à M. B, 700 euros à M. G, 700 euros à la SARL Batiserf Ingénierie, 700 euros à M. E, 700 euros à la SARL Acoustique Vivie et associés et 700 euros à la SAS BMF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F B, désigné en qualité de représentant unique des requérants, et à la communauté d'agglomération Valence Romans Agglo.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 24 novembre 2022.
La rapporteure,
A. CLe président,
Ph. Arbarétaz
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,