TA Besançon, 30/06/2022, n°1801978
Vu les procédures suivantes :
I. Par une requête et des mémoires, enregistrés les 8 novembre 2018, 16 mars 2021, 25 juin 2021, 12 et 19 avril 2022 sous le n° 1801978, la société Axa France Iard, représentée par AEDES Juris-Me Pourtier, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de condamner in solidum les sociétés Reichardt-Ferreux Architectes, ACE BTP Ingeneery et Egis Bâtiments Grand Est à lui verser, en sa qualité d'assureur de la société franc-comtoise d'application (SFCA), une somme de 305 000 euros en réparation de désordres survenus lors de la construction de l'espace des mondes polaires à Prémanon ;
2°) de mettre solidairement à la charge des sociétés Egis Bâtiments Grand Est, ACE BTP Ingeneery et Reichardt-Ferreux Architectes les dépens de l'instance et le versement d'une somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Axa France Iard soutient que :
- elle est conventionnellement subrogée dans les droits et actions de la communauté de communes des Rousses et est légalement subrogée dans les droits de son assurée, la société SFCA, pour un montant maximal de 610 000 euros ;
- elle est fondée à engager la responsabilité contractuelle des sociétés Reichardt-Ferreux Architectes, ACE BTP Ingeneery, Egis Bâtiments Grand Est et Socotec Construction en raison des fautes commises lors de l'exécution de leur contrat conclu avec le maître d'ouvrage ;
- elle est fondée à engager la responsabilité quasi-délictuelle des sociétés Reichardt-Ferreux Architectes, ACE BTP Ingeneery, Egis Bâtiments Grand Est et Socotec Construction en raison de manquements commis dans le cadre de l'exécution de leur contrat conclu avec le maître de l'ouvrage ;
- elle a subi un préjudice évalué à un montant de 305 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 septembre 2019, 2 décembre 2021 et 20 avril 2022, la société Assistance conseil et expertise pour le bâtiment et les travaux publics (ACE BTP Ingeneery), représentée par la SELARL Perrey, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures :
1°) à titre principal, de rejeter les conclusions dirigées contre elle ;
2°) à titre subsidiaire :
a) de minorer sa part de responsabilité à hauteur de 2% maximum ;
b) de condamner les sociétés Egis Bâtiments Nord Est, Reichardt-Ferreux Architectes et Socotec Construction à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
3°) de mettre solidairement à la charge des sociétés Axa France Iard, Reichardt-Ferreux Architectes et Egis Bâtiments Nord-Est les dépens de l'instance et le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société ACE BTP Ingeneery soutient que :
- étant placée en redressement judiciaire, aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre en application des dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce ;
- n'ayant commis aucune faute, sa responsabilité ne peut pas être engagée et aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre ;
- à titre subsidiaire, les sociétés Egis Bâtiments Nord Est, Reichardt Ferreux Architectes et Socotec Construction ayant commis une faute au titre de leurs obligations contractuelles, elle est fondée à demander à ce que ces sociétés la garantissent sur un fondement quasi-délictuel de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 septembre 2019 et 20 décembre 2021, la SAS Reichardt-Ferreux Architectes, représentée par Me Dichamp, demande au tribunal :
1°) à titre principal :
a) de rejeter les conclusions dirigées contre elle ;
b) de mettre à la charge de la société Axa France Iard le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) à titre subsidiaire :
a) de condamner in solidum les sociétés ACE BTP Ingeneery et Egis Bâtiments Grand Est à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
b) de mettre solidairement à la charge des sociétés ACE BTP Ingeneery et Egis Bâtiments Grand Est le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Reichardt-Ferreux Architectes soutient que :
- n'ayant commis aucune faute, sa responsabilité ne peut pas être engagée et aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre ;
- à titre subsidiaire, les sociétés Egis Bâtiments Grand Est et ACE BTP Ingeneery ayant commis une faute au titre de leurs obligations contractuelles, elle est fondée à demander à ce que ces sociétés la garantissent sur un fondement quasi-délictuel de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 septembre 2019, 27 octobre 2021, 9 février et 29 avril 2022, la société Egis Bâtiments Nord Est, représentée par la Selarl Saint-Avit Yozgat, demande au tribunal :
1°) à titre principal, de rejeter les conclusions dirigées contre elle ;
2°) à titre subsidiaire :
a) de condamner in solidum les sociétés ACE BTP Ingeneery et Reichardt-Ferreux Architectes à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
b) de limiter à 2% sa part de responsabilité et de condamner les sociétés ACE BTP Ingeneery et la SAS Reichardt-Ferreux Architectes à la garantir de la condamnation prononcée à son encontre à hauteur de 98% ;
3°) de mettre solidairement à la charge des sociétés Axa France Iard, ACE BTP Ingeneery et Reichardt-Ferreux Architectes les dépens de l'instance et le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Egis Bâtiments Nord Est soutient que :
- n'ayant commis aucune faute, sa responsabilité ne peut pas être engagée et aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre ;
- à titre subsidiaire, les sociétés ACE BTP Ingeneery et Reichardt Ferreux Architectes ayant commis une faute au titre de leurs obligations contractuelles, elle est fondée à demander à ce que ces sociétés la garantissent sur un fondement quasi-délictuel de l'ensemble des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.
II. Par une requête, enregistrée le 16 mars 2021 sous le n° 2100432, la société Axa France Iard, représentée par AEDES Juris - Me Pourtier, demande au tribunal :
1°) de condamner la société Socotec Construction à lui verser, en qualité d'assureur de la SFCA, une somme de 610 000 euros au titre d'une indemnisation versée à la communauté de communes des Rousses en réparation de désordres survenus à la suite d'un incendie lors de la construction de l'espace des Mondes Polaires à Prémanon ;
2°) de mettre à la charge de la société Socotec Construction les dépens de l'instance et le versement d'une somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Axa France Iard soutient que :
- elle est conventionnellement subrogée dans les droits et actions de la communauté de communes des Rousses et est légalement subrogée dans les droits de son assurée, la société SFCA, pour un montant maximal de 610 000 euros ;
- elle est fondée à engager la responsabilité contractuelle de la société Socotec Construction en raison des fautes commises lors de l'exécution de leur contrat conclu avec le maître d'ouvrage ;
- elle est fondée à engager la responsabilité quasi-délictuelle de la société Socotec Construction en raison de manquements commis dans le cadre de l'exécution de leur contrat conclu avec le maître de l'ouvrage ;
- elle a subi un préjudice évalué à un montant de 610 000 euros imputable à la société Socotec Construction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2021, la société Socotec Construction, représentée par la SELARL Le Discorde Deleau, demande au tribunal :
1°) à titre principal, de rejeter les conclusions dirigées contre elle ;
2°) à titre subsidiaire, de minorer sa part de responsabilité ;
3°) de mettre à la charge de la société Axa France Iard le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Socotec Construction soutient que :
- Axa France Iard ne justifiant pas d'un contrat d'assurance et du paiement d'une somme de 610 000 euros versée pour le compte de son assuré, son action subrogatoire n'est pas recevable ;
- n'ayant commis aucune faute, sa responsabilité ne peut pas être engagée et aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code du travail ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;
- le décret n° 99-443 du 28 mai 1999 relatif au cahier des clauses techniques générales applicables aux marchés publics de contrôle technique ;
- l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- les conclusions de M. B,
- les observations de Me Mekki, pour la société ACE BTP, et de Me Geymonat, pour la société Egis Bâtiments Grand Est.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de la construction et de la réhabilitation de l'espace des mondes polaires de Prémanon -complexe sportif et culturel comportant une patinoire, une salle polyvalente, des locaux techniques municipaux, un musée et un bar-restaurant- appartenant à la commune de Prémanon pour la partie réhabilitée et à la communauté de communes de la station des Rousses pour la partie neuve, la communauté de communes, agissant en qualité de maître d'ouvrage de l'ensemble du complexe, a confié la maîtrise d'œuvre de l'opération au cabinet Reichardt-Ferreux Architectes et la mission d'ordonnancement de pilotage et de coordination (OPC) à la société Egis Bâtiments Grand Est, aux droits de laquelle vient la société Egis Bâtiments Nord Est. La fonction de coordonnateur de sécurité et de protection de la santé (CSPS) a pour sa part été confiée à la société ACE BTP Ingeneery -désormais représentée par Me Lemaire, administrateur judiciaire, et Me Jouin, mandataire judiciaire- tandis que la mission de bureau de contrôle technique a été attribuée à la société Socotec Construction. Les lots n°2 " gros œuvre ", n°4 " étanchéité " et n°5 " isolation extérieure, bardage, couverture " ont respectivement été confiés à la société Verazzi, aux droits de laquelle vient la société Sogea Rhône Alpes, à la société Franc-comtoise d'application (SFCA) et à la société Bourgogne Couverture.
2. Alors que les travaux, qui ont débuté en décembre 2013, étaient en cours d'exécution, un incendie s'est déclaré sur le chantier le 2 juillet 2015 et a causé de nombreux désordres sur l'ensemble du complexe, en particulier au niveau de la salle polyvalente réhabilitée. L'intégralité de la toiture de la partie réhabilitée a notamment été détruite et la structure béton a été endommagée. Quant à la partie neuve, le voile béton armé de l'auditorium a été démoli et des désordres ont été constatés sur la toiture terrasse des locaux techniques municipaux. Le 3 juillet 2015, la communauté de communes a alors adressé une déclaration de sinistre à son assureur, la SMABTP qui, après expertise, a évalué les préjudices à la somme de 1 193 622,802 euros HT et l'a indemnisée à hauteur de 463 634,10 euros HT au titre de sa garantie couvrant la seule partie neuve du complexe. La communauté de communes a accepté cette indemnisation le 22 mars 2016.
3. En application d'un protocole transactionnel, la société Axa France Iard, agissant en qualité d'assureur de la SFCA, a réglé à la communauté de communes de la station des Rousses le versement d'une somme de 610 000 euros au titre de l'indemnisation des désordres résultant de l'incendie, sa responsabilité ayant été reconnue dans le cadre des opérations d'expertise conduites par la SMABTP.
4. Par une ordonnance n° 1801196 du 29 janvier 2019, complétée par une ordonnance n° 1902088 du 17 janvier 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a diligenté une expertise et a désigné un expert qui a remis son rapport le 6 janvier 2021 dans le cadre de l'instance n° 2000706 produit par les parties dans le cadre des présentes instances.
5. Par les requêtes nos 1801978 et 2100432, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul jugement, la société Axa France Iard demande au tribunal de condamner solidairement les sociétés Reichardt-Ferreux Architectes, ACE BTP Ingeneery et Egis Bâtiments Nord Est à lui verser une somme de 305 000 euros et de condamner la société Socotec Construction à lui verser une somme de 610 000 euros.
Sur la nature de l'action d'Axa France Iard :
En ce qui concerne la recevabilité de l'action subrogatoire de la société Axa France Iard :
S'agissant de la recevabilité de l'action subrogatoire :
6. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur () ". Il appartient à l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par ces dispositions législatives de justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré ou, le cas échéant, directement auprès de tiers au nom et pour le compte de son assuré.
7. L'article 7 du protocole transactionnel mentionné au point 3 stipule que : " Moyennant la signature et l'exécution des présentes, la communauté de communes de la station des Rousses et la commune de Prémanon subrogent Axa France Iard, es qualité d'assureur de SFCA, dans leurs droits et actions à raison des conséquences de l'incendie, à hauteur du préjudice indemnisé de 610 000 euros, en vue notamment d'exercer ses recours contre toute personne qu'elle estimerait responsable du sinistre objet du présent protocole ".
8. Il résulte de l'instruction qu'en application de la police d'assurance conclue le 11 janvier 2011 n° 4895592204 entre la SFCA et la société Axa France Iard et le protocole transactionnel mentionné au point 3, la société Axa France Iard a directement versé à la communauté de communes de la station des Rousses pour le compte de son assuré, la société SFCA, une somme définitive de 610 000 euros. Dès lors, la société Axa France Iard est subrogée dans les droits de la SFCA à hauteur de 610 000 euros.
S'agissant de la recevabilité de l'action subrogatoire dirigée contre la société ACE BTP Ingeneery :
9. Aux termes de l'article L. 622-21 du code de commerce : " I. - Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : / 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent () ".
10. Si l'article L. 622-21 du code de commerce fixe le principe de la suspension ou de l'interdiction, à compter du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, de toute action en justice tendant au paiement d'une somme d'argent de la part de tous les créanciers autres que ceux détenteurs d'une créance postérieure privilégiée, elle ne comporte aucune dérogation aux dispositions régissant les compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires. Il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire, en vertu des articles L. 624-2 à L. 624-4 du code de commerce, de statuer sur l'admission ou le rejet des créances déclarées. Cette disposition est en tout état de cause sans influence sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur l'action subrogatoire présentée par l'assureur d'un constructeur à l'encontre d'autres constructeurs d'une opération de construction publique dès lors que cette action n'est entachée d'aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l'appréciation relève de la juridiction administrative.
11. Il résulte de ce qui vient d'être dit au point 10 que la circonstance que la société ACE BTP Ingeneery est placée en redressement judiciaire depuis le 15 septembre 2021 reste par elle-même sans incidence sur la recevabilité des conclusions aux fins de condamnation dirigées contre elle devant la juridiction administrative.
En ce qui concerne le fondement de responsabilité des participants à l'opération de construction :
12. Dans le cadre d'un contentieux tendant au règlement d'un marché relatif à des travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher, outre la responsabilité contractuelle du maître d'ouvrage, la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat de droit privé.
13. La SFCA n'étant pas liée par un contrat de droit privé avec les sociétés Reichardt-Ferreux Architectes, ACE BTP Ingeneery, Egis bâtiment Nord Est et Socotec Construction, son assureur subrogé dans ses droits peut rechercher leur responsabilité quasi-délictuelle au titre des désordres survenus sur le chantier de l'espace des mondes polaires.
Sur le bien-fondé de l'action subrogatoire :
En ce qui concerne les causes de l'incendie :
14. la société Axa France Iard fait valoir que l'incendie survenu le 2 juillet 2015 a pour origine plusieurs causes : le départ du feu en lui-même, le non-respect des règles de prévention en matière d'incendie, le choix de matériaux hautement inflammables ainsi que les manquements dans la coordination et la planification du chantier.
S'agissant du départ du feu :
15. Il résulte de l'instruction et n'est d'ailleurs pas contesté qu'alors qu'ils effectuaient des soudures au chalumeau, sans avoir pris de précaution particulière, au niveau de la membrane d'étanchéité sur l'acrotère d'une terrasse située au pied d'un mur périphérique revêtu d'un bardage, constitué d'un isolant thermique extérieur (ITE) à base de A et couvert en écailles de zinc, pour effectuer une seconde couche d'étanchéité, deux employés de la SFCA ont déclenché un incendie. Après le constat d'un départ de feu, ces deux salariés ont utilisé deux extincteurs et ont pensé mettre fin à l'incendie déclaré. A la fin de la journée de travail, n'apercevant aucune trace de fumée sur la toiture, ils ont quitté le chantier sans signaler l'incident. Une heure après leur départ, de la fumée a été détectée et l'incendie s'est rapidement propagé au niveau de la toiture et des murs de la salle polyvalente.
S'agissant des règles de prévention en matière d'incendie :
16. L'article 22 du plan général de coordination de sécurité et de protection de la santé (PGC) que la société ACE BTP Ingeneery a établi en application de l'article R. 4532-44 du code du travail prévoit que : " Chaque entreprise assurera, sur l'ensemble des postes de travail présentant des risques d'incendie, la fourniture à son personnel de moyens de protection adaptés aux risques créés. Ces zones de travail à risques devront être signalées et interdites aux locataires. La règle du permis feu sera imposée pour toute intervention par point chaud. Ce permis feu prévoira une interruption d'intervention par point chaud une demi-heure avant le départ des salariés et une visite par la personne de l'entreprise responsable de la sécurité qui devra s'assurer de l'absence de fumée ou d'odeur une demi-heure après l'arrêt des interventions par point chaud ".
17. Comme le relève l'expert dans son rapport, l'utilisation d'un chalumeau par la SFCA requerrait la délivrance d'un permis feu par la SFCA, lequel aurait permis de renforcer les mesures de prévention en matière d'incendie, telle qu'une surveillance renforcée des intervenants deux heures après l'intervention. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) établi par la SFCA prévoyait seulement la présence d'un extincteur pour chaque véhicule sur le chantier et sa procédure d'alerte en cas d'accident prévoyait l'alerte adressée au CSPS et aux pompiers dans les 24 heures en cas d'accident. Ces mesures lacunaires ont en l'espèce contribué à l'absence de maîtrise du départ de l'incendie.
S'agissant du choix des matériaux :
18. L'article CO 1 du règlement de sécurité approuvé par l'arrêté du 25 juin 1980 visé ci-dessus prévoit que les établissements recevant du public (ERP) doivent être conçus et desservis selon les dispositions fixées par le règlement afin de limiter la propagation d'un incendie.
19. D'une part, s'il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expert et de la note du laboratoire Efectis du 13 octobre 2020, que l'isolair 52, plaque d'isolation extérieure en A, classé en E dans la réaction au feu, c'est-à-dire une " contribution au feu très importante ", utilisé en bardage, a pu favoriser une propagation rapide du feu, le recours à un tel matériau n'est pas réglementairement interdit pour les ERP, tels que l'espace des mondes polaires, comprenant deux niveaux. D'autre part, l'utilisation d'un tel matériau n'a pas été, dans les circonstances de l'espèce, à l'origine directe de l'incendie.
S'agissant de la coordination et de la planification du chantier :
20. Il résulte de l'instruction que le planning des travaux prévoyait initialement l'intervention de la SFCA pour procéder à la seconde couche de l'étanchéité en avril 2015, avant l'intervention de Bourgogne Couverture pour la pose du bardage. Des intempéries ont conduit la SFCA à n'intervenir qu'en été 2015 et, pour l'étanchéité de la salle polyvalente, après la pose du bardage par la société Bourgogne Couverture. Cette seule inversion de planning, pour regrettable qu'elle soit, n'est pas à l'origine directe de l'incendie survenu le 2 juillet 2015 et ne peut pas ainsi être retenue comme une cause du désordre.
En ce qui concerne l'imputabilité des manquements constatés :
21. En premier lieu, la SFCA, dont les employés ont utilisé sans précaution des chalumeaux sur la toiture sur la partie réhabilitée de la construction, a commis une première faute qui est à l'origine directe de l'incendie survenu le 2 juillet 2015. Par ailleurs, en se dotant d'un PPSP manifestement lacunaire en matière de prévention aux risques d'incendie alors qu'elle utilisait un chalumeau pour procéder à des travaux d'étanchéité, en n'utilisant pas la procédure qu'elle avait elle-même définie en cas de départ de feu et en ne demandant pas le permis feu exigé par le PGC, la SFCA a commis une seconde faute qui a contribué au déclenchement et à la propagation de l'incendie.
22. En deuxième lieu, en application de l'article 1.2 de son cahier des clauses administratives particulières (CCAP), il appartient à la société ACE BTP Ingeneery de faire respecter les principes généraux de prévention dans le domaine de la sécurité et de la protection de la santé, d'élaborer et de tenir à jour le plan général de coordination, de collecter, harmoniser et diffuser les plans particuliers de sécurité et de protection de la santé (PPSPS). Il revient également à la société ACE BTP Ingeneery, en vertu de l'article 3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de son contrat, de demander au maître d'œuvre " les techniques et les produits envisagés pour le chantier " et d'identifier les " risques potentiels ". Cette même société doit par ailleurs tenir un registre journal consignant les analyses de risques et procéder à une inspection des lieux avec les entreprises sur le chantier en relevant les éventuelles interférences avec le PGC et, le cas échéant, mettre à jour le PGC.
23. Si elle a bien établi le PGC, la société ACE BTP Ingeneery ne s'est en revanche pas assurée du respect de ce document dès lors qu'elle n'a pas vérifié que la SFCA s'était dotée d'un permis feu et qu'elle est restée passive face aux carences manifestes qui entachaient le PPSPS établi par la SFCA alors que ses missions lui imposaient pourtant d'être particulièrement vigilante, vis-à-vis des différents intervenants, dans la prévention du risque incendie tout au long de la réalisation du chantier. La société ACE BTP Ingeneery a donc commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles qui ont en l'espèce contribué au déclenchement de l'incendie.
24. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 111-23 du code de la construction et de l'habitation, dans sa version alors en vigueur : " Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages ". L'article 7 du décret n° 99-443 du 28 mai 1999, auquel renvoie le CCAP conclu entre le contrôleur technique et la communauté de communes de la station des Rousses, prévoit que la société Socotec Construction assure notamment la mission L portant sur la solidité des ouvrages et la mission S portant sur les conditions de sécurité des personnes dans les constructions. Enfin, les articles 3.1 et 4 du CCAP conclu entre Socotec et le maître d'ouvrage prévoit que, parmi les missions du contrôleur, figurent " les dispositions relatives à la protection contre les risques d'incendie et de panique : comportement au feu des matériaux et éléments de construction, isolement, desserte, cloisonnement et dégagements, moyens de secours, dispositifs d'alarme et d'alerte " et qu'il doit intervenir pendant la conception et l'exécution des ouvrages jusqu'à la fin de la période de garantie de parfait achèvement et qu'il lui reviendra d'assister aux réunions de chantier et d'effectuer des visites inopinées.
25. Comme il a été dit au point 19, l'isolant thermique extérieur utilisé en bardage du bâtiment réhabilité n'était pas interdit au regard des dispositions de l'arrêté du 25 juin 1980 visé ci-dessus. Il ne peut donc pas être reproché à la société Socotec Construction, chargée seulement d'assurer la présence de matériaux conformes à la réglementation, d'avoir permis l'utilisation de l'isolair 52.
26. En dernier lieu, il ne résulte pas de l'instruction et de ce qui a été dit aux points 15 à 25 que la société Reichardt-Ferreux Architectes, la société Egis Bâtiments Nord Est et la société Bourgogne Couverture auraient commis des fautes à l'origine directe du sinistre.
En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :
27. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expert rendu le 6 janvier 2021 et du protocole transactionnel mentionné au point 3, dont les constats et l'évaluation ne sont pas contestés par les parties sur ce point, que le préjudice subi par la communauté de communes de la station des Rousses au titre du présent litige s'élève à 610 000 euros.
En ce qui concerne les parts de responsabilités :
28. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 15 à 26, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité incombant à la SFCA et à la société ACE BTP Ingeneery dans l'incendie survenu le 2 juillet 2015 en les évaluant respectivement à 80% et 20%.
29. Il résulte de tout ce qui précède que la société Axa France Iard est seulement fondée à demander la condamnation de la société ACE BTP Ingeneery à lui verser une somme de 122 000 euros (20%x610 000).
Sur l'action en garantie :
30. Aucune condamnation n'étant prononcée à l'encontre des sociétés Egis Bâtiments Nord Est, Reichardt-Ferreux Architectes et Socotec Construction, ainsi qu'il vient d'être dit au point 29, l'action en garantie exercée par la société ACE BTP Ingeneery doit dès lors être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Egis Bâtiments Nord Est, du cabinet Reichardt-Ferreux Architectes et de la société Socotec Construction, qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes, le versement des sommes que demandent la société Axa France Iard et la société ACE BTP Ingeneery au titre des frais qu'elles ont exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
32. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Axa France Iard le versement de la somme que demande la société ACE BTP Ingeneery au titre de ces mêmes frais.
33. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ACE BTP Ingeneery le versement de la somme que demande la société Axa France Itard au titre de ces mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : La société ACE BTP Ingeneery est condamnée à verser à la société Axa France Iard une somme de 122 000 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par les parties dans les requêtes nos 1801978 et 2100432 est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Axa France Iard, à la société ACE BTP Ingeneery, à la société Egis Bâtiments Nord Est, à la société Reichardt-Ferreux Architectes, à la société Socotec Construction, à Me Cédric Lamaire et à Me Cécile Jouin.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Boissy, président,
- M. Charret, premier conseiller,
- Mme Bois, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.
La rapporteure,
C. ALe président,
L. BoissyLa greffière,
C. Quelos
La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
Pour expédition conforme,
La greffière
Nos 1801978, 210043