TA Grenoble, 16/12/2022, n°2207897
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2022, la société La Roue Verte, représentée par Me Lorit, demande au juge des référés :
1°) d'annuler la procédure de passation du marché "Covoiturage spontané : fourniture, exploitation, maintenance et développement de l'usage du service M B+" lancée par le Syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise (SMMAG) le 11 octobre 2022 ;
2°) d'annuler tout décision d'attribution du marché à un candidat ;
3°) d'enjoindre au SMMAG de reprendre la procédure au stade de l'envoi de l'avis de marché à la publication en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence expurgée des éléments attribuant un avantage compétitif et anticoncurrentiel au titulaire sortant ;
4°) de mettre à la charge du Syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que :
- le choix de la procédure de négociation alors que le précédent marché avait été passé selon un système d'appel d'offres ouvert méconnaît l'article R. 2124-3 du code de la commande publique ;
- la justification de l'absence d'allotissement du marché est erronée alors que son extension géographique constitue un indice de ce qu'il s'agit de prestations différentiables ;
- l'atteinte au principe d'égal accès des concurrents à un marché public est caractérisée dès lors que les codes sources de plusieurs prestations sont en possession du seul titulaire sortant, ce qui engendrerait un surcoût de 105 000 à 175 000 euros pour présenter une offre concurrente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2022, le groupement de commandes composé du syndicat mixte des mobilités de l'aire Grenobloise (SMMAG), coordonnateur, et de la communauté de communes du massif du Vercors conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société La Roue Verte la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requérante, qui s'est volontairement abstenue de déposer une candidature, ne dispose d'aucun intérêt à agir ;
- ses moyens ne sont pas susceptibles de l'avoir lésée ;
- il est une entité adjudicatrice à laquelle ne s'appliquent pas les dispositions de l'article R. 2124-3 mais celles de l'article R. 2124-4 permettant d'avoir librement recours à la procédure avec négociation ; subsidiairement, le recours à cette procédure se justifie par le caractère innovant et complexe du marché ;
- ainsi qu'il l'a exposé dans le règlement de consultation non sérieusement contesté, l'absence d'allotissement se justifie, au vu des prestations fournies, d'un point de vue technique et fonctionnel comme sur le plan géographique ;
- chaque prestataire doit fournir ses propres applicatifs et non mettre à jour l'existant de sorte qu'il n'a pas à disposer des codes sources.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Bonino, greffière d'audience, Mme A a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Lorit, représentant la société La Roue Verte ;
- les observations de Me Senegas, représentant le syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise.
Le SMMAG a adressé une note en délibéré réceptionnée le 13 décembre 2022 et non communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Le groupement de commandes ayant pour coordonnateur le syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise (SMMAG) a lancé le 8 avril 2022 une procédure d'appels d'offres ouvert en vue de conclure un accord-cadre à bon de commande " Covoiturage spontané exploitation, animation et promotion du service M B + ". La Roue verte a introduit le 8 juin 2022 un référé précontractuel. Par décision du 23 juin 2022, le président du SMMAG a déclaré sans suite cette procédure au motif qu'il existait une incertitude quant à l'égalité de traitement des soumissionnaires du fait d'imprécisions dans les documents de consultation. Le 11 octobre 2022, le SMMAG a procédé à un nouvel appel à concurrence ayant le même objet mais selon une procédure négociée. Par la présente requête, la société La Roue Verte, qui n'a répondu à aucune des deux procédures, demande au juge des référés précontractuels l'annulation de la procédure de passation de ce marché public.
Sur la fin de non-recevoir :
2. Toute personne est recevable à agir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, lorsqu'elle a vocation, compte tenu de son domaine d'activité, à exécuter le contrat, y compris lorsqu'elle n'a pas présenté de candidature ou d'offre si elle en a été dissuadée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu'elle invoque.
3. Dans sa requête, la requérante a omis de préciser son domaine d'activité et s'est abstenue d'indiquer les motifs l'ayant dissuadée de candidater. Toutefois, dans le cadre des débats, la représentante de la société indique sur question que sa société est opérateur de covoiturage. En outre, reprenant son troisième grief, elle précise que faute de disposer des trois codes sources développés par le précédent titulaire du marché pour créer le site internet, l'application mobile et l'interface entre l'application mobile (M covoit' Lignes +) et le Pass'Mobilités, son offre plus coûteuse d'environ 105 000 à 175 000 euros, ne pouvait être retenue de sorte qu'elle aurait exposé en vain des coûts importants pour présenter une candidature dépourvue de chances de succès. Ce faisant, la requérante justifie qu'un grief soulevé est effectivement susceptible de l'avoir dissuadée de se porter candidate. La fin de non-recevoir doit être écartée.
Sur les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence :
4. Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
5. Le groupement défendeur ayant soulevé l'inopérance de ses trois moyens, la requérante indique à l'audience que la procédure de négociation est moins transparente que l'appel d'offres, que l'absence d'allotissement entre les prestations informatiques et la fourniture du matériel, tel que les bornes, la contraignait à soumissionner en groupement dans des délais contraints avantageant le précédent titulaire du marché et que son troisième moyen porte sur l'inégalité de traitement.
6. En premier lieu, le choix d'une procédure n'a pas, par principe, pour effet de porter atteinte à l'égalité entre les candidats ou de fausser la concurrence, ainsi que semble le soutenir la requérante. En l'espèce, il ne résulte ni de l'instruction ni des arguments brièvement évoqués à l'audience que le recours à la procédure de négociation, à le supposer illégal alors que les parties conviennent que le groupement est entité adjudicatrice, aurait été susceptible de léser la requérante par rapport à d'autres concurrents. Par suite, la société La Roue Verte ne peut utilement se prévaloir de ce moyen.
7. En deuxième lieu, compte tenu de la possibilité pour les sociétés ne pouvant offrir l'ensemble des prestations requises de se grouper ou de recourir à la sous-traitance et faute d'une quelconque précision quant aux difficultés rencontrées ou à l'importance du marché de fournitures de matériel urbain, les allégations de la société requérante à l'audience ne permettent pas de retenir que l'absence d'allotissement aurait pour objet ou effet de porter atteinte à l'égalité entre les candidats. Par suite, la société La Roue Verte ne peut utilement se prévaloir de ce moyen. Au demeurant, le règlement de la consultation, non sérieusement remis en cause, explique en quoi la nature même du marché visant à l'interconnexion ne permet d'allotir ni géographiquement ni en isolant les prestations de fourniture de matériel, la promotion commerciale ou encore le service d'assistance téléphonique.
8. En troisième et dernier lieu, la société La Roue Verte soutient que le groupement de commande a porté atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats à défaut de mettre à disposition les trois codes sources développés par le précédent titulaire du marché pour créer le site internet, l'application mobile et l'interface entre l'application mobile (M Covoit' Lignes +) et le Pass'Mobilités, devenus propriété du SMMAG mais connus du seul titulaire sortant. Toutefois, elle n'indique pas précisément dans quelle mesure les codes sources lui étaient indispensables pour se porter candidate. Il résulte du règlement de la consultation, notamment du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), comme des échanges entre les parties durant la procédure en litige et à l'audience, qu'il est demandé aux prestataires de développer et fournir un site internet " en marque blanche " ainsi qu'une application mobile dont tout candidat peut disposer au préalable pour avoir répondu à un précédent marché ou avoir fait choix de la développer à ses frais s'agissant de son domaine d'activité. Ainsi s'agissant de l'interfaçage à réaliser entre l'application mobile et les panneaux à messages variables, l'article 5 du CCTP indique que l'ensemble des informations est fourni en annexe 5 et ajoute que " le candidat devra réaliser des développements propres à son système ". En ce sens, la représentante de la requérante explique que les collectivités ont souvent recours à la location, sans transfert de propriété des applicatifs, pour éviter les distorsions de concurrence, ce qui implique là encore que les candidats disposent des leurs propres outils. Questionnée sur les applicatifs en sa possession et la particularité de ce marché, la représentante de la société requérante indique qu'à tout le moins l'interfaçage du Pass'Mobilités constitue une spécificité de ce marché. Toutefois, il n'est pas contesté que l'annexe 7 du CCTP intitulée "guide d'intégration partenaire" fournit les informations nécessaires à l'interfaçage à effectuer avec le Pass'Mobilités. Enfin, le principe d'égalité de traitement des candidats n'impose pas que le pouvoir adjudicateur mette à disposition de l'ensemble des candidats les solutions techniques, qui sont sa propriété et dont ceux-ci peuvent disposer en propre, de plus fort alors qu'en l'espèce il existe une contestation sérieuse quant au fait que la requérante dispose à ce jour d'une application mobile effective. Le moyen doit, par suite, être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées par la société La Roue Verte sur le fondement des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SMMAG, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société La Roue Verte. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société La Roue Verte la somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance exposés par la société requérante.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de La roue verte est rejetée.
Article 2 : La société La Roue Verte versera au Syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise, la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société La Roue Verte, au Syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise et à la communauté de communes du massif du Vercors.
Fait à Grenoble, le 16 décembre 2022.
La juge des référés,La greffière,
A. AJ. Bonino
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.