TA Grenoble, 24/01/2023, n°2001510

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 mars 2020, le 7 avril 2021 et le 2 mai 2022, la société Georges Plantaz, représentée par Me Guyot Favrat, demande au tribunal :

1°) d'annuler le titre de recettes n°15 du 7 janvier 2020 par lequel la commune de Chens-sur-Leman l'a constituée débitrice de la somme de 10 171,55 euros en raison de pénalités de retard relatives au lot n°13 du marché de travaux pour la restructuration et l'extension du groupe scolaire de Chens-sur-Leman et de prononcer la décharge de payer cette somme ;

2°) d'annuler le titre de recettes n°2 du 7 janvier 2020 par lequel la commune de Chens-sur-Leman l'a constituée débitrice de la somme de 1 516,65 euros en raison de pénalités de retard relatives au lot n°14 du marché de travaux pour la restructuration et l'extension du groupe scolaire de Chens-sur-Leman et de prononcer la décharge de payer cette somme ;

3°) de condamner la commune de Chens-sur-Leman à lui verser les sommes suivantes : 10 171,35 euros au titre du lot n°13, 1 516,65 euros au titre du lot n°14 et 786,48 euros au titre de la retenue de garantie, outre intérêts capitalisés à compter du 21 octobre 2020 ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Chens-sur-Leman la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Georges Plantaz soutient que :

- les titres en litige sont irréguliers car ils n'explicitent pas suffisamment les bases de liquidation ;

- les projets de décompte généraux reçus par le pouvoir adjudicateur le 9 octobre 2019 sont devenus définitifs, les décomptes du maître de l'ouvrage étant irrecevables car notifiés tardivement le 19 novembre 2019 ;

- à titre subsidiaire, le calcul des pénalités de retard n'est pas explicité et leur réalité n'est pas justifiée au regard du planning ; le planning initial n'a pas été respecté pour des raisons qui lui sont étrangères (retards d'autres titulaires et intempéries notamment) ; si elle a reçu l'ordre de service de démarrage des travaux le 17 février 2017, elle n'a pu intervenir sur le chantier qu'au mois de mai 2017 ; les carences de la Commune dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle des opérations ont eu également pour effet de bouleverser le calendrier initial ; à partir de septembre 2017, elle ne disposait que des vacances scolaires pour intervenir ;

- le délai d'un an à compter de la réception des travaux étant écoulé, la retenue de garantie d'un montant de 786,48 euros doit lui être restituée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 avril 2021, le 17 mai 2021 et le 31 mai 2022, la commune de Chens-sur-Leman conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de société Georges Plantaz au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au motif que les griefs de la société requérante ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n°2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique ;

- le décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 10 janvier 2023:

- le rapport de Mme B,

- les conclusions de M. A,

- et les observations de Me Destappe, représentant la commune de Chens-sur-Leman.

Considérant ce qui suit :

1. Par actes d'engagement signés en novembre 2016, la commune de Chens-sur-Leman a confié à la société Georges Plantaz les lots n°13 " peinture intérieure et extérieure " et n°14 " isolation extérieure " relatifs aux travaux de restructuration et d'extension d'un groupe scolaire, pour des montants respectifs de 171 264 euros TTC et 15 729,60 euros TTC. Dans le cadre du règlement du solde de ces lots, la commune de Chens-sur-Leman a émis les deux titres de recettes susvisés par lesquels elle a constitué la société Georges Plantaz débitrice de pénalités de retard, à hauteur de 10 171,55 euros au titre du lot n°13 et 1 516,65 euros au titre du lot n°14. Dans la présente instance, la société Georges Plantaz demande au Tribunal l'annulation des titres de recettes et la décharge de l'obligation de payer ces sommes. Elle demande également au Tribunal la condamnation de la Commune à lui verser une somme totale de 12 474,48 euros décomposée comme suit : 10 171,55 et 1 516,65 euros représentant les pénalités de retard selon elle injustement mises à sa charge au titre des lots n°13 et 14, ainsi que 786,48 euros correspondant au montant de la retenue de garantie.

2. L'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.

Sur les conclusions aux fins de décharge de l'obligation de payer la somme de 10 171,55 euros au titre du lot n°13 et 1 516,65 euros au titre du lot n°14 :

En ce qui concerne l'existence d'un décompte général et définitif tacite qui ferait obstacle à ce que le maître d'ouvrage applique postérieurement à sa naissance, des pénalités de retard :

3. D'une part, aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : "Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final (). / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire ()". Aux termes de l'article 13.3.2 : "Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux ()". Aux termes de l'article 13.3.4 : "En cas de retard dans la transmission du projet de décompte final et après mise en demeure restée sans effet, le maître d'œuvre établit d'office le décompte final aux frais du titulaire. Ce décompte final est alors notifié au titulaire avec le décompte général tel que défini à l'article 13.4".

4. D'autre part, aux termes de l'article 13.4.2 du CCAG Travaux, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 : "Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après:/ - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire () ". Aux termes de l'article 13.4.3 : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au pouvoir adjudicateur constitue le départ du délai de paiement. / Ce décompte lie définitivement les parties () ". Aux termes de l'article 13.4.4 : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé (). / Si, dans [un] délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif () ".

5. Il résulte de la combinaison des stipulations citées aux points 3 et 4 que, même si elle intervient après l'expiration du délai de trente jours prévu à l'article 13.3.2 du CCAG Travaux, courant à compter de la réception des travaux, la réception, par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, du projet de décompte final, établi par le titulaire du marché, est le point de départ du délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2, dont le dépassement peut donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4. Toutefois, dès lors qu'en application de l'article 13.4.2, l'expiration du délai de trente jours prévu par celui-ci est appréciée au regard de la plus tardive des dates de réception du projet de décompte final respectivement par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre, ce délai ne peut pas courir tant que ceux-ci n'ont pas tous deux reçu le document en cause.

6. S'il est vrai que la société Georges Plantaz a notifié au maître d'œuvre un projet de décompte final au titre de chacun des deux lots en litige, par lettre recommandée reçue le 9 octobre 2019, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait adressé ce document également au maître d'ouvrage, en méconnaissance du principe énoncé au point précédent. En outre, à l'expiration du délai de trente jours défini à l'article 13.4.2 de ce CCAG, la société Georges Plantaz n'a pas notifié de projet de décompte général signé au sens de l'article 13.4.4. Dès lors, elle ne saurait se prévaloir de la naissance de décomptes généraux et définitifs tacites exempts de pénalités de retard, résultant de la carence du pouvoir adjudicateur à établir le décompte des marchés dans les délais contractuels.

En ce qui concerne les pénalités de retard de 10 171,35 euros et 1 516,65 euros calculées dans les décomptes généraux des lots n°13 et 14, établis par le maître d'ouvrage en novembre 2019, fondement des titres de recettes :

7. Aux termes de l'article 4.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché (CCAP) en litige: " Le délai de réalisation est fixé à l'article 3 de l'acte d'engagement ". Aux termes de l'article 3-3 des actes d'engagement: " Le délai d'exécution des travaux de l'ensemble des lots est de 11 mois à compter de la date fixée par l'ordre de service qui prescrira de commencer l'exécution du/des premier(s) lot(s) ".

8. La commune de Chens sur Leman a retenu la somme de 10 171,35 euros au titre du décompte du lot n°13, correspondant à des pénalités sanctionnant 20 jours de retard, et la somme de 1 516,65 euros au titre du décompte du lot n°14, correspondant à des pénalités sanctionnant 3 jours de retard. Il résulte du mémoire en défense que pour calculer ces jours de retard, la Commune ne s'est pas fondée sur les stipulations précitées de l'acte d'engagement, mais sur un planning prévisionnel des travaux établi en octobre 2016, soit antérieurement à la notification du marché, et qui récapitule, à titre indicatif, les plages d'intervention de l'ensemble des corps de métier sur les mois des années 2017 à 2018. Or, ce document ne saurait se substituer à la définition d'un délai contractuel d'exécution, c'est-à-dire d'une durée précisément définie, commençant à courir à compter de la notification d'un ordre de service au titulaire en charge des travaux. Ainsi, en l'absence de détermination de tout délai d'exécution contractuel propre aux lots n°13 et 14, la société Georges Plantaz est bien fondée à soutenir que les pénalités de retard inscrites au débit des décomptes de ses marchés ne sont pas justifiées et à demander l'annulation des titres exécutoires susvisés portant recouvrement desdites pénalités et à être déchargée du paiement des sommes correspondantes.

Sur les conclusions pécuniaires:

9. En premier lieu, la société Georges Plantaz demande le paiement de 10 171,35 euros et 1 516,65 euros correspondant au montant des pénalités de retard traitées aux points précédents. Toutefois, elle n'établit pas ni même n'allègue avoir payé les titres de recettes en litige. Dès lors, elle n'est pas fondée à demander la condamnation de la commune de Chens-sur-Leman à lui verser les sommes correspondant à ces titres, alors qu'elle ne remet par ailleurs pas en cause les soldes dégagés par les décomptes généraux du maître de l'ouvrage.

10. En deuxième lieu, la société Georges Plantaz ne fonde sa demande de restitution de retenue de garantie sur aucun texte ni principe. Sa demande de ce chef formulée à hauteur de 786,48 euros doit dès lors être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Chens-sur-Leman une somme de 2 000 euros à verser à société Georges Plantaz. Les conclusions présentées par la commune de Chens-sur-Leman, partie perdante, doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Les titres de recettes n°15 et 2 du 7 janvier 2020 par lesquels la commune de Chens-sur-Leman a constitué la société Georges Plantaz débitrice des sommes de 10 171,55 euros et 1 516,65 euros sont annulés.

Article 2 : La société Georges Plantaz est déchargée du paiement des sommes de 10 171,55 et 1 516,65 euros.

Article 3 : La commune de Chens-sur-Leman versera à la société Georges Plantaz la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Georges Plantaz, à la commune de Chens-sur-Leman et à la Trésorerie de Douvaine.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Vial-Pailler, président,

Mme Fourcade, premier conseiller,

Mme Frapolli, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.

Le rapporteur,

I. B

Le président,

C. VIAL-PAILLER

Le greffier,

G. MORAND

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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