TA Melun, 12/12/2022, n°2211438

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2022, la société Bouygues Telecom, représentée par Me Karim Hamri et Me Karima Khatri, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au Ministère des Armées de produire les :

- Les notes obtenues par les sociétés SFR et Bouygues Telecom sur les différents critères et sous-critères définis par le règlement de la consultation ;

- Les explications et appréciations portées pour chacune des notes attribuées ;

- Les caractéristiques et avantages détaillées de l'offre retenue.

2°) d'annuler la procédure de passation lancée par la Direction Interarmées des Réseaux d'Infrastructure et des Systèmes d'Information de la Défense ("la DIRISI") rattachée

au Ministère des armées, en vue de la passation d'un accord-cadre portant sur la fourniture d'accès à Internet, de services connexes et d'accès internet évènementiels sécurisés pour des organismes relevant du ministère des Armées couvrant le périmètre de la France métropolitaine ;

3°) en conséquence, d'annuler la décision du 16 novembre 2022 informant la société Bouygues Telecom du rejet de son offre pour le lot 1 ;

4°) de mettre à la charge de le Ministère des armées (défense) la somme de 5000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Bouygues Telecom soutient que :

- la requête est recevable ; elle a veillé à notifier sa requête en référé précontractuel à la DIRISI par courrier électronique; elle a intérêt à agir ;

- la DIRISI ne lui a pas communiqué l'ensemble des informations prévues par l'article L. 2181-1 du code de la commande publique ;

- la DIRISI a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats au regard de la méthode de notation retenue pour le critère financier :

o la DIRISI a fait le choix de recourir à un critère prix pondéré à 40% sans appliquer aucun sous-critère ni aucune sous-pondération à ce critère prix, comme cela résulte du règlement de la consultation ;

o la DIRISI a exclu du critère prix la ligne correspondant à la mise en service de la PFS - prestation qui n'a vocation à se réaliser qu'une fois et obligatoire pour tous les candidats selon un délai d'exécution de 120 jours calendaires qui représente, le coût le plus élevé des BPU ;

o les besoins contractuellement définis de la DIRISI sont sans lien avec les quantités estimatives retenues aux termes du DQE dès lors que 44 lignes sur les 127 lignes des BPU retenues ne correspondent aucunement aux quantités envisagées aux termes du CCTP ;

- l'offre de la société SFR est irrégulière dès lors que, la société SFR a manifestement proposé la réutilisation des matériels existants, tels que les équipements et licences déjà en place, pour les prestations de services relatives à la plateforme sécurisée et à la messagerie (Postes 2 et 3), ce qui lui a permis de réduire drastiquement ses coûts, ce qu'aucun autre opérateur n'était en mesure de faire, seul le titulaire sortant disposant de cet avantage.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 et 6 décembre 2022, le Ministre des armées conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Bouygues Telecom la somme de 2400 euros au titre des frais irrépétibles.

Il soutient que :

- les conclusions en annulation de la société Bouygues Telecom sont irrecevables dès lors que le marché en litige est un marché de défense ;

- il communique par son mémoire du 2 décembre 2022, deux tableaux correspondant au détail des notes obtenues par les deux sociétés sur les différents critères et

sous-critères ainsi que le montant global de l'offre de la société SFR ;

- la demande de communication du rapport d'analyse des offres ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels ;

- les autres moyens soulevés par Bouygues Telecom ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés le 6 décembre 2022, la société SFR conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Bouygues Telecom la somme de

10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle soutient que :

- les conclusions en annulation et aux fins de communication du apport d'analyse des offres sont irrecevables dès lors qu'est en cause un marché de défense ;

- que les autres moyens soulevés par Bouygues Telecom ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Gracia, vice-président, pour statuer sur les litiges relevant de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Darly, greffière d'audience, M. A a lu son rapport et entendu les observations:

- de Me Khatri, représentant la société Bouygues Telecom ;

- des représentants du Ministère des Armées ;

- de Me Letellier, représentant la société SFR.

La clôture de l'instruction a été prononcée au vendredi 9 décembre 12h00.

Un mémoire a été enregistré le 7 décembre pour la société Bouygues Telecom qui maintient ses conclusions en annulation et soutient en outre que l'offre de SFR était anormalement basse et que le ministère des armées aurait dû mettre en œuvre la procédure détection des offres anormalement basses.

Un mémoire a été enregistré le 9 décembre pour la société SFR qui maintient ses conclusions.

Un mémoire a été enregistré le 9 décembre pour le Ministère des Armées qui maintient ses conclusions.

Trois mémoires enregistrés respectivement par la société SFR, la société Bouygues Telecom, et le ministre des armées n'ont pas été soumis au contradictoire car ils comportaient des données financières sur les offres des candidats.

Considérant ce qui suit :

I. L'objet du litige :

1. Par un avis d'appel à concurrence non publié, la DIRISI du ministère des armées a lancé, pour des organismes relevant du Ministère des Armées, une consultation portant sur la passation d'un accord-cadre mono-attributaire divisé en deux lots ayant pour objet des prestations de services relatives à la fourniture d'accès à Internet, de services connexes et d'accès internet évènementiels sécurisés couvrant le périmètre de la France métropolitaine. La durée des accords-cadres est de quatre ans ferme, renouvelable tacitement trois fois un an. Le montant maximum des accords-cadres est respectivement de 43 millions d'euros pour le lot n°1 et de

2 millions d'euros pour le lot n° 2.

2. La société Bouygues Telecom a constitué un groupement solidaire avec la société Mind Technologies et s'est portée candidate à la procédure et a soumissionné pour l'attribution du lot n° 1, ainsi que la société SFR. La date limite de remise des offres était fixée au 7 juin 2022 à 12h. Toutefois, par courrier reçu le 16 novembre 2022, la DIRISI a informé la société Bouygues Telecom que son offre avait été rejetée comme ayant été classée en seconde position, le lot n°1 étant attribué la société SFR. Par la présente requête, la société Bouygues Telecom doit être regardée comme demandant au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative d'annuler la procédure litigieuse.

II. Sur le cadre juridique du litige :

3. D'une part, qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

" Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () ". Aux termes de l'article

L. 551-2 du même code : " I. - Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat () / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. / II. - Toutefois, le I n'est pas applicable aux contrats passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité au sens du II de l'article 2 de l'ordonnance

n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. / Pour ces contrats, il est fait application des articles L. 551-6 et L. 551-7 ". Aux termes de l'article L. 551-6 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations en lui fixant un délai à cette fin. Il peut lui enjoindre de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat () ". Aux termes de l'article L. 551-7 du même code : " Le juge peut toutefois, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, écarter les mesures énoncées au premier alinéa de l'article L. 551-6 lorsque leurs conséquences négatives pourraient l'emporter sur leurs avantages " ;

4. D'autre part, aux termes du II de l'article 2 de l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, repris à l'article L. 1113-1 du code de la commande publique applicable en l'espèce : " Un marché de défense ou de sécurité est un marché conclu par l'Etat ou ses établissements publics ayant pour objet : () / 4° Des travaux et services ayant des fins spécifiquement militaires ou des travaux et services destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l'intérêt de la sécurité nationale. () "

5. D'abord, il résulte de l'instruction que l'accord-cadre du lot n°1 en litige portait sur prestations de services relatives à la fourniture d'accès à Internet, de services connexes et d'accès internet évènementiels sécurisés couvrant le périmètre de la France métropolitaine dont plusieurs des pièces étaient couvertes par le secret " diffusion restreinte - spécial France ". Un tel accord cadre constitue, par suite, un marché de défense au sens du II de l'article 2 de l'ordonnance du 6 juin 2005 repris à l'article L. 1113-1 du code de la commande publique. Il résulte des dispositions précitées du II de l'article L. 551-2 du code de justice administrative que le juge des référés ne peut pas prononcer l'annulation d'un tel marché sur le fondement des dispositions du I de cet article mais seulement prononcer, le cas échéant, les mesures d'injonction et d'astreinte prévues à l'article L. 551-6 du même code.

6. Ensuite, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

III. Sur les conclusions à fin d'annulation de la procédure litigieuse :

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que le Ministre des Armées et la société SFR sont fondées à soutenir que les conclusions de la société Bouygues Telecom tendant à l'annulation de la procédure sont irrecevables et doivent comme telles être rejetées.

IV. Sur la légalité de la procédure litigieuse :

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le pouvoir adjudicateur n'aurait pas communiqué les informations prévues aux articles R. 2181-1 et R. 2181-3 du code de la commande publique :

8. D'une part, l'article R. 2381-1 du code de la commande publique prévoit que les dispositions des articles R. 2181-1 à R. 2181-4 s'appliquent aux marchés de défense ou de sécurité. D'autre part, aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. " et aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1. " L'article R. 2181-4 du même code dispose que : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue. " L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article

L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles R. 2181-1 et R. 2181-3 précités a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la personne publique a, le

16 novembre 2022, informé la société Bouygues Telecom, sur le fondement de l'article

R. 2181-1, du rejet de son offre, du nom de l'attributaire, de sa note sur le critère de la valeur technique ainsi que de son classement final et des notes de l'attributaire par critère. Par son mémoire en défense du 2 décembre 2022, dont la société a eu communication, la personne publique a, conformément à la demande de la société Bouygues Telecom présentée le 18 novembre 2022 sur le fondement de l'article R. 2181-4, informé cette dernière des commentaires détaillés portés par la personne publique sur les notes obtenues par elle sur les différents critères et sous critères, ainsi que sur le montant global de l'offre de prix de la société attributaire. Ces informations, qui répondent aux prescriptions des articles R. 2181-1, R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique, ont permis à la société Bouygues Telecom de contester utilement son éviction devant le juge du référé précontractuel. Dès lors, aucun manquement ne peut être reproché à la personne publique à ce titre.

10. En deuxième lieu, il n'entre pas dans l'office du juge des référés précontractuels tel que défini par l'article L. 551-1 du code de justice administrative d'ordonner la communication du rapport d'analyse des offres. Dès lors, c'est à bon droit que le Ministre des Armées et la société SFR soutiennent que les conclusions de la société Bouygues Telecom doivent être rejetées comme irrecevables.

En ce qui concerne la méthode de notation du critère prix :

11. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. () ". Aux termes de l'article L. 2152-8 de ce code : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2152-7 du même code : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : () / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles () ; c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. () ". En vertu des articles R. 2152-11 et R. 2152-12 de ce même code, les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation et font l'objet d'une pondération ou, lorsque la pondération n'est pas possible pour des raisons objectives, sont indiqués par ordre décroissant d'importance.

12. D'une part, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères ainsi qu'une information appropriée sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.

13. D'autre part, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

14. Enfin, le pouvoir adjudicateur ne manque pas à ses obligations de mise en concurrence en évaluant critère prix en comparant des devis quantitatifs estimatifs (DQE), à la triple condition que les DQE correspondent toutes à l'objet du marché, que le choix du contenu du DQE n'ait pas pour effet d'en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation.

15. Il résulte de l'instruction que, pour l'analyse et l'identification de l'offre économiquement la plus avantageuse, le ministère des armées a mis en place deux critères, à savoir le critère de la valeur technique, qui représentait 60% de la note globale et était divisé en sept sous critères et le critère du prix, qui était pondéré à 40% de la valeur totale.

16. En application des documents de la consultation, la note du critère prix s'établissait selon la formule suivante à partir des devis quantitatifs estimatifs produits par les sociétés soumissionnaires : " Note = 40% x Montant du chiffrage du DQE le plus bas / Montant du chiffrage du DQE de la société ".

17. Le montant des offres financières des deux candidats, évalué à partir du DQE et leurs notes correspondantes s'établissent comme suit :

SFRBouygues TelecomMontant offre DQE 33 761 082,00 euros HT42 021 784,70 euros HTNotation financière 4032,14

18. Les notes finales du groupement sociétés Bouygues Telecom et de la société s'établissent comme suit :

Bouygues TelecomSFR Note technique4544,3Note prix32,1440Total77,1484,30

19. En premier lieu, si la société Bouygues Telecom soutient que la méthode de notation est illégale dès lors que le Ministre des Armées n'a pas appliqué de sous-critères ni aucune sous-pondération au critère prix. Toutefois, d'une part, une telle critique se rattache non à la méthode de notation mais à la définition des critères et des sous-critères pour l'analyse des offres. D'autre part, le critère du prix choisi par le ministre des armées est lié à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution au sens de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique et la société Bouygues Telecom ne démontre pas que ce critère ou ses conditions de mise en œuvre auraient revêtu un caractère discriminatoire. Enfin, la société Bouygues Telecom ne précise pas la nature du sous-critère ou de la sous-pondération qui aurait dû être mise en place par le ministre des armées. Dès lors, cette première branche du moyen doit être écartée.

20. En deuxième lieu, d'abord, pour établir que la méthode de notation du prix serait illégale, la société Bouygues Telecom soutient que les DQE pris en compte pour l'analyse du critère prix comportait 127 lignes seulement alors que les 6 bordereaux des prix unitaires (BPU) du marché comportaient 137 lignes. Toutefois, cette seule circonstance n'est par elle-même de nature à établir que la méthode serait irrégulière dès lors que le ministre soutient que les lignes des BPU qui n'ont pas été retenues dans le DQE, correspondent à des prestations sur devis, qui ne sont pas chiffrables au stade du lancement de la procédure. La société Bouygues Telecom n'apporte aucun élément pour remettre en cause cette affirmation qui n'est pas contredite par les pièces du dossier. Dès lors, cette deuxième branche du moyen doit être écartée.

21. Ensuite, d'une part, la société requérante soutient que le Ministre des Armées n'a pas tenu compte dans les DQE de la ligne relative à la " Mise en service de la Plate Forme de Sécurité (PFS) pour les accès qui transitent par le VPN MPLS " alors que cette ligne représente une part importante du total du DQE et que la société Bouygues Telecom estime être particulièrement compétitive sur le prix de la prestation correspondante. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment des pièces confidentielles soumises au tribunal pour sa seule appréciation, que le prix de la société Bouygues Telecom sur cette ligne était supérieure au prix de la société SFR ainsi que le soutient le ministre des armées. Dans ces conditions, la société Bouygues Telecom n'est pas susceptible d'avoir été lésée par ce manquement allégué. Dès lors, cette troisième branche du moyen doit être écartée.

22. D'autre part, la société soutient que 44 lignes sur les 127 lignes du DQE servant à l'analyse des offres, ne correspondent pas aux quantités envisagées dans le CCTP, que certaines soient plus élevées ou moins élevées. Toutefois, d'abord, le pouvoir adjudicateur n'était pas tenu de reprendre dans le DQE servant à l'analyse du critère prix les éléments de description du parc informatique existant au sein du ministère dès lors que le marché avait précisément pour objet d'engager une transition du ministère vers l'utilisation accrue de nouvelles technologies, telles la fibre optique, l'ADSL et la 5G, qui par construction n'existent pas encore au sein du ministère. Ensuite, si les quantités envisagées dans le DQE résultent de simulations, il résulte de l'instruction que de telles simulations correspondent à l'objet du marché, alors qu'il n'est pas démontré que le choix du contenu de la simulation ait eu pour effet d'en privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé et enfin que le montant des offres proposées par chaque candidat a été reconstitué en recourant à la même simulation. Par suite, les quantités figurant au DQE résultant de simulations du ministère ne méconnaissent pas les principes rappelés au point 13. Dès lors, cette quatrième branche du moyen doit être écartée.

23. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité de la méthode de notation concernant les prix doit être écarté.

En ce qui concerne du caractère anormalement bas de l'offre retenue :

24. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. " ; aux termes de l'article L. 2152-6 du même code: " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. " Aux termes de l'article R. 2152-4 du même code : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ; / 2° Lorsqu'il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu'elle contrevient en matière de droit de l'environnement, de droit social et de droit du travail aux obligations imposées par le droit français, y compris la ou les conventions collectives applicables, par le droit de l'Union européenne ou par les stipulations des accords ou traités internationaux mentionnées dans un avis qui figure en annexe du présent code. ".

25. Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.

26. Pour établir que la personne publique a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant une offre anormalement basse ou en retenant une offre potentiellement anormalement basse sans avoir mis en œuvre la procédure contradictoire prévue à l'article L. 2152-6 du code de la commande publique, c'est-à-dire en ne demandant pas la société SFR de justifier le montant de son offre, la société Bouygues Telecom soutient que le montant global de l'offre de ladite société, à savoir, 33 761 082,00 euros, était très sensiblement inférieur au montant de sa propre offre à savoir 42 021 784,70 euros.

27. Toutefois, cette seule circonstance ne suffit pas à démontrer que le pouvoir adjudicateur aurait dû avoir recours à la procédure contradictoire prévue à l'article L. 2152-6 du code de la commande publique dès lors que le montant de l'offre de la société attributaire n'est inférieur que de 19,65% au montant de l'offre de la société Bouygues Telecom Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le pouvoir adjudicateur n'a pas fait usage de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 2152-6 du code de la commande publique ou aurait retenu une offre anormalement basse. Dès lors, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne du caractère irrégulier de l'offre de la société SFR :

28. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". L'article L. 2152-2 du même code dispose que : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Il résulte de ces dispositions que l'acheteur doit éliminer les offres qui ne respectent pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, sauf, le cas échéant, s'il a autorisé leur régularisation.

29. Si la société requérante soutient que l'offre de la société SFR était irrégulière du fait qu'elle aurait proposé dans son offre une réutilisation des matériels existants, tels que les équipements et licences déjà en place, pour les prestations de services relatives à la plateforme sécurisée et à la messagerie, ce qui lui a permis de réduire drastiquement ses coûts, il ne résulte pas de l'instruction que tel aurait été le cas dès lors que chacune des société a proposé une offre sur l'intégralité des prestations sans tenir compte des matériels existants et, en particulier, que la ligne relative à la " Mise en service de la Plate Forme de Sécurité (PFS) pour les accès qui transitent par le VPN MPLS " n'a pas été prise en compte, ainsi qu'il a été dit au point 21. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

30. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire

qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Bouygues Telecom au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge du ministère des armées, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Bouygues Telecom les sommes réclamées par le ministère des armées et la société SFR sur le fondement de ces mêmes dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Bouygues Telecom est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Bouygues Telecom, au Ministère des Armées (défense) et à la société française du radiotéléphone (SFR).

Fait à Melun, le 12 décembre 2022.

Le juge des référés,

Signé : J-Ch. A

La République mande et ordonne au Ministre des Armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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