TA Montreuil, 16/11/2022, n°2014963
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 29 décembre 2020, la société FMetCO, représentée par Me de Castelbajac, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 2 novembre 2020 portant résiliation du contrat de concession de la gestion du studio d'enregistrement de musique qui lui a été attribué par acte d'engagement du 16 juin 2020 ;
2°) d'enjoindre à l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 de reprendre leurs relations contractuelles ;
3°) de condamner l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 à l'indemniser du préjudice résultant de la résiliation fautive du contrat ;
4°) de mettre à la charge de l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la mesure de résiliation est intervenue au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure ;
- elle n'a pas été régulièrement notifiée au titulaire ;
- cette décision est mal fondée dès lors que l'intégralité des prestations confiées a été assurée, et que l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 aurait dû l'informer en cours d'exécution qu'elle n'était pas satisfaite de la réalisation des prestations ;
- en outre, l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 était informé qu'une partie des prestations avait été sous-déléguée à la société Corbillard Republic ;
- elle chiffrera ultérieurement ses conclusions indemnitaires en fonction de la date prévisible de reprise des relations contractuelles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2022, l'établissement public industriel et commercial Bobigny Musiques Canal 93, représenté par Me Peru, sollicite le rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société requérante la somme de
3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la convention a été attribuée frauduleusement de sorte qu'elle est entachée de graves irrégularités justifiant sa résiliation, au besoin en procédant à une substitution de motifs ;
- la résiliation a été précédée par deux courriers de mise en demeure ;
- la société FMetCO n'a pas réalisé les prestations confiées, et ne pouvait légalement les sous-traiter entièrement à une société tierce ;
- la déclaration DC4 produite entre en contradiction avec les autres documents du marché, et était incomplète faute d'éléments sur les capacités du sous-traitant et de conclusion d'un contrat de sous-traitance.
La clôture de l'instruction a été fixée au 13 septembre 2022 par une ordonnance du même jour, en application des dispositions des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
La société FMetCO a présenté, le 20 septembre 2022, un mémoire, postérieurement à la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A,
- les conclusions de Mme Mathieu, rapporteure publique,
- les observations de Me Régis pour l'établissement Bobigny Musiques Canal 93.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au BOAMP le 10 avril 2020, l'établissement public industriel et commercial Bobigny Musiques Canal 93 a engagé une procédure de mise en concurrence en vue de la gestion de son studio d'enregistrement de musique. Par acte d'engagement signé le 16 juin 2020, le contrat de concession a été attribué à la société FMetCO pour une durée de 54 mois. Par une décision du 2 novembre 2020, l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 a décidé de résilier pour faute ce contrat avec effet à la date de sa réception par la société FMetCO. Par une ordonnance rendue le 11 février 2021, le juge des référés du tribunal administratif, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la requête tendant à la suspension de l'exécution de cette décision de résiliation, ainsi que la reprise provisoire des relations contractuelles. Par la présente requête, la société FMetCO doit être regardée comme demandant uniquement la reprise des relations contractuelles.
Sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles :
2. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.
3. Il incombe en principe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, de rechercher si cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé et, dans cette hypothèse, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Toutefois, dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qui le conduirait, s'il était saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles.
4. Il résulte de l'instruction que, par un courriel daté du 10 janvier 2020, envoyé avant même l'ouverture de la procédure de mise en concurrence, à l'adresse "direction@canal93.net", M. D B, futur associé unique de la société FMetCO, a transmis un projet de statuts à M. E C, directeur de l'établissement Bobigny Musiques Canal 93. Par un courriel daté du 17 mars 2020, M. B a ensuite fait parvenir le Kbis de la société FMetCO, créée le 12 mars 2020, à M. C. Par un courriel daté du 17 avril 2020, la société FMetCO a transmis un projet de dossier de candidature à M. C. Dans le cadre de la consultation qui s'est ouverte le 10 avril et devait s'achever le 28 avril 2020, seule la société FMetCO a déposé, par voie électronique, une offre le 21 avril, et M. C a ouvert les plis et analysé cette offre le 28 avril. Une fois conclu, le contrat n'a pas été transmis à l'autorité préfectorale, comme l'indique le préfet de la Seine-Saint-Denis dans un courrier du 17 octobre 2020. Ces éléments précis et concordants révèlent que le directeur de l'établissement public Bobigny Musiques Canal 93, M. C, a aidé la société FMetCO à préparer son offre en vue de l'attribution du contrat de concession, dont l'économie, en particulier sa durée de 54 mois et une rémunération comportant notamment un forfait annuel de 46 500 euros au bénéfice du concessionnaire alors qu'elle ne nécessitait aucun investissement de sa part, lui était particulièrement favorable. Les indices de collusion entre M. C et M. B ont conduit le conseil municipal de la commune de Bobigny à licencier M. C par délibération du
19 novembre 2020, et l'établissement public à déposer plainte contre celui-ci pour délit de favoritisme auprès du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny. Dans ces conditions, l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 est fondé à faire valoir que la procédure de passation du contrat de concession en litige est entachée d'un vice d'une particulière gravité. Par suite, et quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant entachée, les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions indemnitaires de la requête qui ne sont au demeurant pas chiffrées.
Sur les frais non compris dans les dépens :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'établissement Bobigny Musiques Canal 93, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que réclame la société FMetCO au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société FMetCO le versement de la somme de 3 000 euros à l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société FMetCO est rejetée.
Article 2 : La société FMetCO versera à l'établissement Bobigny Musiques Canal 93 la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société FMetCO et à l'établissement Bobigny Musiques Canal 93.
Copie en sera adressé au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. F G, premier vice-président,
Mme Nathalie Dupuy-Bardot, première conseillère,
M. Youssef Khiat, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2022.
Le rapporteur,
Y. A
Le président,
F. G
La greffière,
S. Le Bourdiec
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.