TA Nantes, 02/11/2022, n°2006728

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juillet 2020 et 20 avril 2021, la société Aklia Groupe, représentée par Me Rayssac, demande au tribunal :

1°) de condamner le centre hospitalier du Nord-Mayenne à lui verser la somme de 328 403,83 euros, assortie des intérêts ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier du Nord Mayenne la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la résiliation de la convention de concession de services est irrégulière et infondée ;

- la décision de résiliation a été prise au terme d'une procédure irrégulière, en l'absence de mise en demeure préalable ;

- les manquements de sa part, invoqués pour justifier la décision de résiliation, ne sont pas fondés ; les anciens manquements n'ont pas empêché que la durée de la convention ait été prolongée à trois reprises, par avenant ;

- ses préjudices comprennent le montant des investissements réalisés et non amortis, le manque à gagner et l'indemnisation des biens de reprise.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 septembre 2020 et 26 novembre 2021, le centre hospitalier du Nord-Mayenne, représenté par Me Huet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Aklia Groupe en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la résiliation a été décidée à l'issue d'une procédure régulière ;

- en tout état de cause, l'absence de mise en demeure serait sans incidence sur la régularité de la résiliation ; elle n'aurait eu aucune influence sur le sens de la décision de résiliation et n'aurait pas privé la société d'une garantie ;

- la résiliation est justifiée par des manquements graves et récurrents ;

- les investissements qui ont dû être réalisés à la suite de la prolongation du contrat par l'avenant n° 3 à la convention, ont été entièrement amortis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de M. Dias, rapporteur public,

- et les observations de Me Gomez, substituant Me Huet, représentant le centre hospitalier du Nord-Mayenne.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier du Nord-Mayenne a conclu, le 16 octobre 2007, avec la société Locatel France, devenue Hoist Group puis Aklia Groupe, une convention de concession de services, d'une durée de 6 années et renouvelable, après l'expiration de la première période contractuelle, chaque année par tacite reconduction, ayant pour objet l'exploitation du service de location de téléviseurs dans ses locaux. Par un avenant n° 1, cette convention a étendu le périmètre du service confié au concessionnaire, pour prendre en compte la construction d'un nouveau bâtiment et procéder au remplacement partiel des équipements initialement installés, et la durée de la convention a été prolongée de 4 ans. A la suite de la construction d'un nouveau bâtiment, un avenant n° 2 signé le 29 octobre 2012 a étendu le service et prolongé la convention de 3 ans, soit jusqu'au 29 octobre 2020. Enfin un avenant n° 3 a été conclu le 15 janvier 2016 en vue de procéder à la modernisation du parc de téléviseurs et du cœur de réseau en prévision du passage de la TNT à la norme MPEG4, la convention a été prolongée de 4 ans, soit jusqu'au

29 octobre 2024. Par une lettre du 11 février 2020, le centre hospitalier du Nord-Mayenne a informé la société Aklia Groupe, venant aux droits et obligations de la société Locatel France, de la résiliation du contrat au 13 mai 2020 pour manquements graves de la part de la société, en application de l'alinéa 2 de l'article 8 de la convention. Par une lettre du 9 mars 2020, reçue le 11 mars suivant, la société Aklia Groupe a contesté cette résiliation et demandé la somme totale de 305 392 euros, comprenant 188 982 euros au titre des investissements non amortis, et

116 410 euros au titre du manque à gagner. Par une lettre du 6 mai 2020, le centre hospitalier a confirmé la résiliation de la convention pour manquements graves de la part de la société. La société Aklia Groupe demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures, de condamner le centre hospitalier du Nord-Mayenne à lui verser la somme de 328 403,83 euros, assortie des intérêts.

Sur les conclusions aux fins d'indemnisation :

2. Aux termes de l'article 8 de l'avenant n° 3 " au contrat relatif à la concession d'accès aux programmes tv pour les personnes hospitalisées " : " résiliation de la convention / RÉSILIATION AVEC INDEMNISATION / L'établissement pourra à tout moment, résilier unilatéralement la convention après en avoir informé, par lettre recommandée avec avis de réception, HOISTGROUP dans un délai d'au moins 6 mois avant la date d'effet de la résiliation. / L'établissement versera à HOISTGROUP une indemnité de résiliation correspondant d'une part au montant des investissements réalisés par HOISTGROUP et non amortis à la date de résiliation, conformément au tableau d'amortissement ci-dessus et d'autre part au manque à gagner représentant la marge sur le Chiffre d'affaires non réalisé par HOISTGROUP et qui aurait dû être réalisé jusqu'au terme initial de la convention. Le Chiffre d'affaires non réalisé sera évalué en fonction du Chiffre d'affaires réalisé sur les 12 derniers mois. Le montant de la marge sera de 30 % du Chiffre d'affaires non réalisé. / HOISTGROUP reprendra les biens de reprise, à l'issue de ces 6 mois. / RÉSILIATION SANS INDEMNISATION () L'une ou l'autre des parties se réservent le droit de résilier la Convention, en cas de manquement grave à l'exécution du contrat. / Cette résiliation interviendra 3 mois après une mise en demeure n'ayant produit aucun effet. Elle sera notifiée sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception. / En cas de faute de l'établissement, celui-ci versera à HOISTGROUP une indemnité équivalente aux sommes non amorties à la date de résiliation, conformément au tableau ci-dessus. / En cas de faute de HOISTGROUP, celui-ci reprendra ses biens de reprise, les biens de retour deviendront la propriété de l'établissement ".

En ce qui concerne la mise en demeure :

3. La requérante soutient que la lettre du 11 février 2020 du centre hospitalier ne valait pas mise en demeure et n'énonçait avec suffisamment de précision les manquements graves reprochés. Il résulte de l'instruction que cette lettre du 11 février 2020 du centre hospitalier du Nord-Mayenne, portant en objet " mise en demeure ", a informé la société Aklia Groupe de la résiliation du contrat au 13 mai 2020 pour manquements graves de la part de la société, en application de l'alinéa 2 de l'article 8 de l'avenant n° 3. Si le délai de trois mois a bien été respecté il n'a pas eu pour objet de mettre la société à même de remédier aux manquements reprochés. Cette lettre du 11 février 2020 constitue de la part du centre hospitalier du Nord-Mayenne, non une mise en demeure, mais une décision de résiliation. Par suite, en l'absence de réelle mise en demeure, la résiliation intervenue est irrégulière en la forme.

En ce qui concerne les manquements de la société Aklia Groupe :

4. La requérante soutient que les manquements de sa part, invoqués pour justifier la décision de résiliation, ne sont pas fondés.

5. Les fautes commises par le cocontractant de la personne publique dans l'exécution du contrat sont susceptibles, alors même qu'elles ne seraient pas d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat aux torts du titulaire, de limiter en partie son droit à l'indemnisation du préjudice qu'il subit du fait de cette résiliation irrégulière.

6. En l'espèce, la lettre du 11 février 2020 du centre hospitalier du Nord-Mayenne indiquait les manquements suivants : " - ruptures fréquentes du service aux usagers, -

non-respect des consignes de sécurité prophylactiques au sein des services de soins par l'agent de AKLIA, - comportement inadapté de l'agent de AKLIA envers les usagers et leurs familles, - suspicion forte en matière de probité professionnelle de cet agent ". Si le centre hospitalier se prévaut de nombreux manquements de la part de son co-contractant en 2010, 2011, 2012, 2014 et 2015, ces manquements n'ont pas empêché l'hôpital d'accepter de prolonger la convention jusqu'en 2024. Toutefois, le centre hospitalier a produit des pièces récentes qui montrent des dysfonctionnements de télévision en novembre 2017, les 21 avril, 1er et 20 juin, 9 septembre et 15 novembre 2018, 16 avril, 15 mai, 9 juin, 7 août et 31 décembre 2019, qui mettent en péril la continuité du service. Les fiches d'" événement indésirable " mentionnent que les incidents sont fréquents, récurrents ou habituels. Un rapport d'un agent hospitalier, du 29 juillet 2019, relate l'impossibilité de joindre l'astreinte technique alors que la société a bloqué la télévision du salon de repos des patients, et un courriel du 30 décembre 2019 mentionne un problème analogue. Ainsi, alors que le comportement de l'hôtesse de la société, qui n'est pas toujours disponible, apparaît souvent inadapté et largement perfectible, les dysfonctionnements de télévision sont largement ressentis comme fréquents et provoquent des pertes de temps pour les agents de l'hôpital. Si l'ensemble de ces manquements de la part de la société Aklia Groupe ne pouvait justifier une résiliation unilatérale du contrat sans indemnité, ces fautes commises par le cocontractant de la personne publique dans l'exécution du contrat sont de nature à limiter pour moitié son droit à indemnisation.

En ce qui concerne l'indemnisation de la société Aklia Groupe :

7. La société Aklia Groupe demande dans sa requête la somme de 194 505 euros au titre des investissements réalisés non amortis et celle de 108 138,83 euros HT au titre du manque à gagner, soit la somme totale de 302 643,83 euros. Dans son mémoire en réplique elle invoque ses biens de reprise et demande la somme totale de 328 403,83 euros. Il convient d'en déduire qu'elle chiffre ses biens de reprise à la somme de 25 760 euros (328 403,83 - 302 643,83).

8. En premier lieu, la requérante soutient qu'en mai 2020, date d'effet de la résiliation du contrat, le montant des investissements réalisés non amortis se chiffrait à 11 140 euros HT au titre de l'avenant n° 2 et à 183 365 euros HT au titre de l'avenant n° 3, soit la somme totale de 194 505 euros. Si le centre hospitalier indique que, depuis la signature de l'avenant n° 3, la société a perçu la somme totale de 287 685 euros, alors qu'il résulte de cet avenant que l'investissement supplémentaire résultant de cet avenant a été chiffré à 183 365 euros par l'article 5 de cet avenant, le chiffre d'affaires doit cependant permettre non seulement l'amortissement des investissements mais aussi la couverture des frais d'exploitation. Ainsi, la seule circonstance que le chiffre d'affaires réalisé ait dépassé le montant à amortir ne suffit pas pour conclure que l'amortissement ait été entièrement réalisé. En outre, l'article 8 de l'avenant n° 3, cité au point 2, prévoit expressément que l'indemnité de résiliation comprend le montant des investissements réalisés et non amortis à la date de résiliation, tel qu'il résulte du tableau d'amortissement inclus dans cet avenant, sans se référer aux investissements réalisés dans le cade de l'avenant n° 2 qui n'auraient pas été amortis. Ainsi, d'une part, la société Aklia Groupe n'a pas droit au remboursement de ces investissements réalisés dans le cade de l'avenant n° 2 qui n'auraient pas été amortis. D'autre part, si l'avenant n° 3 a prévu, en son point 5, l'amortissement total du nouvel investissement de 183 365 euros en octobre 2024, l'investissement et son amortissement n'ont été prévus par le contrat qu'à compter de novembre 2020, soit postérieurement à la résiliation. A la date de celle-ci, il n'est pas établi que le nouvel investissement de 183 365 euros ait été réalisé au titre de cet avenant n° 3. Par suite, aucune somme n'est due au titre des investissements réalisés non amortis.

9. En deuxième lieu, comme il a été dit au point 2 du jugement, l'indemnité de résiliation comprend le manque à gagner représentant la marge sur le chiffre d'affaires non réalisé par la société Aklia Groupe et qui aurait dû être réalisé jusqu'au terme initial de la convention et le chiffre d'affaires non réalisé doit être évalué en fonction du chiffre d'affaires réalisé sur les 12 derniers mois, le montant de la marge étant de 30 % du chiffre d'affaires non réalisé. La requérante soutient que le manque à gagner s'élève à la somme de 108 138,83 euros HT, correspondant à la marge de 30 % sur le chiffre d'affaires non réalisé calculé sur la période courant du 13 mai 2020, date de prise d'effet de la résiliation, au 29 octobre 2024, date de fin de la convention en application du point 6 de l'avenant n° 3. Ainsi, le manque à gagner de la société Aklia Groupe correspond à la somme non contestée de 108 138,83 euros.

10. En troisième lieu, l'article 8 de l'avenant n° 3 stipule que la société Aklia Groupe reprendra les biens de reprise, définis dans la convention initiale comme les " biens affectés au service de télédistribution ". Il résulte de l'instruction, en particulier des lettres des 9 juillet et

3 août 2020 adressées par le centre hospitalier à la société, que l'hôpital a proposé à la société la reprise du matériel sous réserve du respect d'un protocole sanitaire strict. Dès lors qu'il n'y a pas d'opposition à la restitution du matériel, aucune indemnité, d'ailleurs non prévue par les stipulations du contrat, n'est due à ce titre.

11. Compte tenu des manquements constatés de la part de la société et cités au point 6, la société Aklia Groupe a droit à la moitié de la somme de 108 138,83 euros, soit un montant de 54 069,42 euros à titre d'indemnité de résiliation.

Sur les intérêts :

12. La société Aklia Groupe a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 54 069,42 euros à compter du 11 mars 2020, date de réception par le centre hospitalier du Nord-Mayenne de sa demande préalable.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le centre hospitalier du Nord-Mayenne est condamné à verser la somme de 54 069,42 euros à la société Aklia Groupe. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 11 mars 2020.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Aklia Groupe et au centre hospitalier du Nord-Mayenne.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Loirat, présidente,

M. Gauthier, premier conseiller,

M. Simon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 novembre 2022.

Le rapporteur,

E. A

La présidente,

C. LOIRAT La greffière,

S. LEGEAY

La République mande et ordonne au préfet de la Mayenne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

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