TA Versailles, 15/11/2022, n°2207738

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 février et le 2 novembre 2022, la société Touch Innovation, représentée par Me Hourcabie, demande au juge des référés, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner au ministère des Armées de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, et notamment de transmettre à la société Touch Innovation les informations requises au titre des dispositions des articles L. 2181-1 et suivants du code de la commande publique, et notamment de lui transmettre le rapport d'analyse des offres ;

2°) d'annuler la procédure de passation initiée par le ministère des Armées en vue de la conclusion d'un accord-cadre ayant pour objet l'acquisition de bornes interactives pour les ateliers de maintenance, de tableaux de production pour les chefs d'atelier du MCO-Terrestre et de lunettes à réalité augmentée, en ce qu'elle concerne les lots n°1 et n°2 ;

3°) d'annuler la décision par laquelle le ministère des Armées a rejeté les offres de la société Touch Innovation, en ce qu'elle les lots n°1 et n°2, ainsi que la décision d'attribuer ces contrats à la société Humelab ;

4°) de mettre à la charge du ministère des Armées la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- Le ministère des Armées a entaché sa procédure d'un vice de publicité et de mise en concurrence en ne portant pas à la connaissance de la société Touch Innovation, qui a vu son offre rejetée, des motifs suffisamment précis justifiant cette décision ;

- La procédure est illégale en raison de l'absence de fixation d'un montant maximum de commande ;

- Les méthodes de notation des offres financières remises en vue de l'attribution des lots n°1 et n°2 sont irrégulières, dès lors que ces méthodes sont incohérentes avec l'exécution future des accords-cadres correspondant aux deux lots ;

- La méthode de notation des offres de délais est irrégulière en raison de la fixation d'un délai minimum de livraison qui a pour effet de neutraliser le critère délais.

Par deux mémoires, enregistrés le 25 octobre 2022 et le 7 novembre 2022, le ministre des Armées conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Touch Innovation une somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- Les conclusions présentées par la société à fin d'annulation et d'injonction à la communication des éléments d'information demandés devront être rejetées, les informations communiquées à la société Touch dans le cadre de la présente instance étant suffisantes ;

- Le ministère des Armées a respecté les prescriptions posées par le juge communautaire et le droit national s'agissant de la fixation d'un montant maximum de commande ;

- La méthode de notation des offres financières et des délais de livraison est régulière.

Par des mémoires en défense, enregistré les 3 et 7 novembre 2022, la société Humelab, représentée par Me Nalet, conclut au rejet de la requête et ce qu'il soit mis à la charge de la société requérante la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- L'information fournie a été suffisante ;

- La demande de communication du rapport d'analyse des offres est sans objet tant que le marché n'est pas conclu, et n'entre pas dans l'office du juge des référés précontractuels ;

- La société requérante n'établit pas qu'elle aurait été lésée par l'absence de fixation d'un montant maximum de commande ;

- La méthode de notation des offres financières et des délais de livraison est régulière.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Mathou, premier conseiller, pour statuer sur les référés précontractuels en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience qui s'est tenue le 7 novembre 2022, en présence de Mme Gilbert, greffière d'audience, Mme A a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Hourcabie, représentant la société Touch Innovation, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et soutient en outre que l'absence de fixation d'un montant de commande maximum la lèse nécessairement dès lors que ce manque de transparence empêche des opérateurs de se positionner ; que l'illégalité de la méthode de notation du critère prix la lèse également, et que s'agissant des délais, elle était en mesure de proposer des délais plus faibles ;

- les observations de Mr Hebbinckuys et de Mr Cauchy, représentant le ministre des Armées, qui persistent dans leurs écritures et soutiennent en outre que le DQE est utile quand il s'agit de prestations ou produits très différents ; que la société requérante a toujours proposé des prix supérieurs ;

- et les observations de Me Nalet pour la société Humelab, qui persiste également dans ses écritures.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience à 15 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 19 janvier 2021 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne, le ministère des Armées, structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), a lancé une consultation en vue de la conclusion d'un marché alloti ayant la forme d'un accord-cadre à bons de commande, pour l'acquisition de bornes interactives pour ses ateliers de maintenance, de tableaux de production pour les chefs d'atelier du MCO-Terrestre, et de lunettes à réalité augmentée. La consultation a été lancée sous la forme d'une procédure négociée avec publicité préalable, en application des articles R. 2324-3 et R. 2361-8 à R. 2361-12 du code de la commande publique. Au terme de l'analyse des offres, le ministère des Armées a retenu l'offre de la société Humelab pour les lots n°1 et n°2, portant respectivement sur l'acquisition de bornes interactives pour les ateliers de maintenance et sur l'acquisition de tableaux de production pour les chefs d'atelier. Par courrier du 6 octobre 2022, le ministère des Armées a informé la société Touch Innovation que ses offres n'avaient pas été retenues. Par lettre du 13 octobre 2022, la société Touch Innovation a demandé des précisions sur le rejet de ses offres, et a demandé la communication du rapport d'analyse des offres ainsi que des précisions sur les méthodes de notation mises en œuvre.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne la méconnaissance des articles R. 2181-1 et R. 2181-3 du code de la commande publique :

4. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 dudit code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ". L'article R. 2381-1 du même code prévoit que les dispositions des articles R. 2181-1 à R. 2181-4 s'appliquent aux marchés de défense ou de sécurité.

5. L'exigence de motivation de la décision rejetant une offre posée par ces dispositions a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

6. En l'espèce, le courrier du 6 octobre 2022 informant la société Touch Innovation du rejet de son offre mentionne, pour chacun des deux lots, et pour chaque critère, la notation de son offre et le détail du rang de classement de la société, ainsi que son rang de classement final, soit troisième pour le lot n°1 et deuxième pour le lot n°2. Ce courrier indique également le nom de l'attributaire, la société Humelab, avec le détail de ses notes sur chaque critère, pour chacun des deux lots, et la note globale obtenue par l'offre de cette dernière après application des critères de notation. La société requérante a sollicité la communication des motifs du rejet de son offre le 13 octobre 2022, en particulier les motifs détaillés ayant conduit au choix de l'offre de l'attributaire, les caractéristiques et avantages des offres retenues s'agissant des lots n°1 et n°2, ainsi que la communication du rapport d'analyse des offres et les méthodes de notations mis en œuvre. Il résulte de l'instruction que dans le cadre du mémoire en défense, le pouvoir adjudicateur a produit un tableau synthétique des notes obtenues, avant et après pondération, pour chacun des deux lots, par les sociétés Touch Innovation et Humelab, ainsi qu'un tableau détaillant les notes attribuées aux deux sociétés au titre du critère technique pour chacun des deux lots.

7. Il résulte de ce qui précède qu'alors même que ni le rapport d'analyse des offres, ni les modalités d'application de la méthode de notation ne lui ont été communiqués, la société requérante était à même, au vu de l'ensemble des éléments détaillés produits par le ministre des Armées, de connaître les motifs de rejet de son offre, les caractéristiques et avantages de l'offre retenue et de contester utilement les motifs du rejet de son offre devant le juge du référé précontractuel. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique par la ministre des Armées doit être écarté.

En ce qui concerne l'absence de fixation d'un montant maximum des prestations objets d'accord-cadre :

8. Aux termes de l'article L. 2125-1 du code de la commande publique : "L'acheteur peut, dans le respect des règles applicables aux procédures définies au présent titre, recourir à des techniques d'achat (). Les techniques d'achat sont les suivantes : / 1° L'accord-cadre ()". Aux termes de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; / 2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ; / 3° Soit sans minimum ni maximum".

9. Par son arrêt du 17 juin 2021, Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark (C-23/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, sans prévoir une application différée dans le temps de cette interprétation, que les dispositions de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics doivent être interprétées dans le sens que " l'avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu'une quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre et qu'une fois que cette limite aurait été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets " et que " l'indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges ".

10. Il résulte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne mentionné au point 9 qu'un accord-cadre doit indiquer une valeur ou une quantité maximale dans le cadre de la procédure de passation du marché public, pour la durée de l'accord cadre et pour chacun de ses lots, un tel principe étant applicable en l'espèce nonobstant la circonstance que le décret du 23 août 2021 modifiant les dispositions du code de la commande publique relatives aux accords-cadres et aux marchés publics de défense ou de sécurité et intervenu notamment afin de tirer les conséquences de la décision précitée de la Cour de justice de l'Union européenne n'a prévu l'entrée en vigueur des dispositions de son article 2 portant suppression de la possibilité de conclure un accord-cadre sans mention d'une valeur maximale qu'à compter du 1er janvier 2022.

11. En l'espèce, il est constant que l'acheteur public n'a pas fixé le montant maximum des commandes susceptibles d'être passées, pour les lots n°1 et n°2, en exécution de l'accord-cadre litigieux. Il résulte toutefois de l'instruction que l'avis de publicité en date du 19 janvier 2021 mentionnait que le montant global de l'accord-cadre de cinq années était évalué à 10 800 000 euros hors TVA et que la lettre du 21 octobre 2021 de demande de présentation d'une deuxième offre, dans le cadre de la procédure négociée, faisait état d'un cadencement prévisionnel des commandes, s'agissant des bornes interactives, soit un volume annuel prévisionnel de 100 à 200 bornes. En outre, la société requérante disposait de nombreux éléments donnant des indications sur les quantités prévisionnelles susceptibles d'être commandées, soit, outre les éléments précédemment rappelés, les montants minimum et maximum définis au sein de l'avis de marché, les tables des prix quant aux différents lots, mentionnant différentes tranches de quantité sur lesquelles devait se baser l'offre financière, et des quantités minimales définies par lot au sein de l'avis de marché. Ces informations permettaient à la société Touch innovation de présenter une offre adaptée, ce qu'elle a fait, sa notation globale présentant peu d'écart avec celle de la société retenue. Par ailleurs, la société Touch Innovation n'a pas jugé utile de solliciter des renseignements complémentaires auprès du pouvoir adjudicateur et ne lui a pas posé de questions pour connaître le montant estimatif et/ou maximum de l'accord-cadre, alors même que cette possibilité est prévue par le code de la commande publique. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que, contrairement à ce qu'elle allègue, la société requérante aurait été en mesure de présenter une offre meilleure que celle de l'attributaire si elle avait été informée du montant maximum de l'accord-cadre. Ainsi, la société requérante ne justifie pas que cette absence d'indication l'aurait lésée de quelque manière que ce soit et que son offre aurait été différente si elle avait reçu cette information dès le stade de l'avis d'appel à la concurrence. Elle ne peut, dans ces conditions, utilement invoquer l'absence de montant maximal de l'accord-cadre et le manquement au droit de l'Union européenne qui en découle et dont elle se prévaut à l'appui de son recours. Ce moyen doit, dès lors, être écarté.

En ce qui concerne l'irrégularité de la méthode de notation du critère prix :

12. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. / Les offres sont appréciées lot par lot ". Aux termes de son article L. 2152-8 : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État ". Aux termes de son article R. 2152-7 : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / 1° Soit sur un critère unique qui peut être : / a) Le prix, à condition que le marché ait pour seul objet l'achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d'un opérateur économique à l'autre ; / b) Le coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie défini à l'article R. 2152-9 ; / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : / a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, () / b) Les délais d'exécution () ". Aux termes de son article R. 2152-11 : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ".

13. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné. En revanche, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

14. Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publiques, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, de telles méthodes de notation.

15. Il résulte du règlement de la consultation que, s'agissant du lot n°1, le critère prix devait s'analyser en faisant une moyenne du prix unitaire TTC correspondant à différentes quantités renseignées à la table des prix. Le bordereau des prix unitaires invitait les soumissionnaires à proposer cinq prix unitaires correspondant à des quantités différentes de bornes interactives commandées, soit quantité 1, quantité de 2 à 20, quantité de 21 à 40, de 41 à 60, de 61 à 80. S'agissant du lot n°2, la méthode retenue, sensiblement identique, consistait, dans un premier temps, à effectuer un cumul des prix unitaires de chaque ligne, soit le prix unitaire écran, support mural et support au sol, dans un deuxième temps, à effectuer une moyenne du prix unitaire correspondant aux différentes quantités renseignées à la table des prix, selon la même logique que pour le lot n°1. La société requérante soutient que la méthode de notation des offres pour les lots 1 et 2 sur le critère prix a pour effet de réduire de manière importante la portée du critère prix dans l'appréciation globale des offres, dès lors que les écarts entre les prix sont pour une grande part neutralisés, et que cette méthode de notation n'est pas en cohérence avec l'exécution future de l'accord-cadre correspondant aux deux lots. Elle soutient également que seul un détail quantitatif estimatif prenant en considération les prix unitaires proposés par les soumissionnaires, et les quantités qui auraient vocation à être commandées, aurait constitué une méthode régulière de notation

16. Il résulte de l'instruction et des écritures du ministère des Armées que, s'agissant d'un accord- cadre, qui pouvait être attribué sur la base de prix unitaires sans nécessairement fixer de quantités maximales, cette méthode de notation est apparue la plus pertinente, les prix unitaires proposés étant intrinsèquement liés aux quantités qui seront commandées, et qui ne sont pas connues à l'avance. Cette méthode permettait également de proposer une dégressivité des prix et de suivre les économies d'échelle attendues par l'augmentation des quantités. Il ne résulte pas de l'instruction que cette méthode de notation, consistant à additionner des prix unitaires correspondant à une seule et même prestation, envisagée dans des quantités différentes permettant une dégressivité du prix, sans pondération, était par elle-même de nature à priver de sa portée le critère prix ou à neutraliser sa pondération, et, de ce fait, susceptible de conduire à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre sur ce critère. Par suite, le ministère des Armées n'a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant une telle méthode de notation du critère prix.

En ce qui concerne l'irrégularité de la méthode de notation du critère délais :

17. S'agissant du critère " délais ", il ressort du règlement de la consultation que le pouvoir adjudicateur a choisi, pour les lots 1 et 2, de calculer un délai moyen à partir des délais prévus par tranche de quantité, en fixant des délais minimums et maximums qui ne pouvaient être dépassés. S'agissant du lot n°1, les délais minimums étaient compris entre 45 jours et 90 jours selon les tranches, et s'agissant du lot n°2, le délai minimum était de 30 jours. La société Touch Innovation soutient que, outre que la méthode consistant à calculer un délai moyen à partir de délais relatifs à des quantités différentes était irrégulière, cette méthode, en faisant obstacle à ce qu'un opérateur propose un délai inférieur au délai minimum fixé, privait les candidats de toute capacité de différenciation des mérites respectifs.

18. Il résulte de l'instruction que, d'une part, la méthode consistant à établir une moyenne des délais proposés est représentative des délais proposés pour chaque tranche de quantités commandées. D'autre part, les délais minimum fixés, qui correspondaient aux justes besoins du pouvoir adjudicateur, et n'étaient pas excessivement élevés, permettaient, selon le ministre des Armées, d'éviter des offres avec des délais très faibles, et donc peu crédibles, mais aussi des prix excessifs, incluant le montant des éventuelles pénalités de retard. Cette méthode, qui assure la cohérence des offres sans neutraliser la portée du critère délais, n'a pas fait obstacle à la différenciation des offres sur ce critère, certaines sociétés ayant proposés des délais de livraison supérieurs à ces délais minimaux, à l'instar de la société attributaire sur le lot n°2, qui n'a obtenu qu'une note pondérée de 3,64 sur 5 sur ce critère, contre une note de 5 pour la société requérante. Par suite, le ministère des Armées n'a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant une telle méthode de notation du critère délais.

19. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative par la société Touch Innovation ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin injonction :

20. La présente ordonnance, qui rejette les conclusions de la société Touch Innovation présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société requérante ne peuvent qu'être rejetées, y compris celles tendant à ce que le rapport d'analyse des offres lui soit communiqué.

Sur les frais de l'instance :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du ministre des Armées, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Touch Innovation au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros au bénéfice de la société Humelab. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Touch Innovation la somme demandée par le ministre des Armées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Touch Innovation est rejetée.

Article 2 : La société Touch Innovation versera la somme de 1 500 euros à la société Humelab au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du ministre des Armées tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Touch Innovation, au ministre des Armées et à la société Humelab.

Fait à Versailles le 15 novembre 2022.

Le juge des référés,

signé

C. A

Le greffier,

signé

N. Gilbert

La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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