TA Versailles, 25/08/2022, n°2206053
Vu la procédure suivante :
Par une requête, des pièces complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 5, 22 et 23 août 2022, la société Linguaphone NT, représentée par Me Charvin, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative:
1°) de suspendre toute décision se rapportant à la passation de l'accord-cadre ;
2°) d'enjoindre au ministre de la transition écologique chargé des transports de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures après avoir écarté celle de la société Swiss Interglobe, ou de l'examen des offres après avoir écarté celle de la société Swiss Interglobe, et ce dans un délai de 10 jours à compter de l'ordonnance à intervenir ;
3°) d'assortir cette injonction d'une astreinte de 5 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- au stade de l'examen des candidatures, celle de la société Swiss Interglobe n'aurait pas dû être retenue dès lors que l'objet social de cette société ne lui permet pas d'exécuter l'accord-cadre, qu'elle connaît des difficultés financières, qu'elle n'a pas eu d'activité ou de manière très limitée pendant les deux dernières années, que son associé unique est russe et qu'elle a pour client la société GAZPROM, qu'elle ne peut justifier de trois références pour des prestations équivalentes de formation exécutées sur les trois dernières années ni disposer d'effectifs ayant réalisé de telles formations sur les trois dernières années et que ne disposant d'aucun personnel propre elle doit sous-traiter l'intégralité des prestations de l'accord-cadre ce qui est interdit aux termes du code de la commande publique ; qu'enfin elle ne dispose pas de locaux en propre ;
- au stade de l'examen des offres, la société Swiss Interglobe ne satisfaisait pas aux critères de sélection des offres dès lors que son offre est irrégulière et inappropriée ; que son activité est limitée à des séjours linguistiques à l'étranger et exclut toute activité de formation ; qu'elle ne dispose pas d'établissement en France ; qu'elle n'est pas certifiée QUALIOPI, qu'elle n'aurait accueilli que 41 stagiaires sur l'année 2021 et qu'elle ne disposerait d'aucun formateur salarié ; que la société Linguaphone NT aurait dû obtenir une meilleure note que la société attributaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en charge des transports, représenté par Me Briec, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- s'agissant des irrégularités au stade de l'examen des candidatures : en tout état de cause la société attributaire a notamment pour objet la commercialisation de produits de formation ; les éléments produits par cette société établissent qu'elle dispose des capacités financières pour exécuter l'accord-cadre ; elle a produit des références de prestations pour chacune des trois dernières années ; le fait que la société Swiss Interglobe ait pour cliente la société GAZPROM n'a pas d'incidence sur la régularité de la procédure ; il n'est pas démontré que l'associé unique de cette société est de nationalité russe ; la société a indiqué disposer de 45 professeurs disponibles en simultané pour assurer les prestations de l'accord-cadre et ce sur l'ensemble des zones géographiques correspondant aux trois lots attribués ; la société dispose de 45 professeurs et d'une équipe de 8 agents administratifs et n'a pas procédé à une déclaration de sous-traitance dans le cadre de sa candidature ;
- s'agissant des irrégularités au stade de l'examen des offres : l'objet social de la société Swiss Interglobe lui permet d'exercer une activité de formation ; cette société dispose d'un bureau en France ; elle dispose de la certification QUALIOPI, le fait qu'elle n'ait accueilli que 41 stagiaires sur l'année 2021 ne rend pas son offre inappropriée, elle dispose de 45 professeurs répartis sur l'ensemble du territoire concerné par chacun des lots.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2022, la société Swiss Interglobe, représentée par Me Murgulia, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société requérante à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la légalité de l'examen des offres :
- elle est bien inscrite au registre du commerce du canton de Vaud et a fait l'objet d'une déclaration auprès de la DIRECCTE d'Ile de France en septembre 2009 ;
- son objet est conforme à l'objet de l'accord-cadre ;
- elle ne connaît pas de difficultés financières ;
- elle a bien une activité ;
- son associée unique dispose de la nationalité française et elle n'entretient aucune relation contractuelle avec la société GAZPROM ;
- elle peut justifier de trois références sur les trois dernières années ;
En ce qui concerne la légalité de l'examen des offres :
- son objet est compatible avec la délivrances de formations en immersion ;
- elle dispose de la certification QUALIOPI ;
- son organisation répond aux besoins du ministère
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal administratif de Versailles a désigné M. A, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique tenue le 23 août 2022 à 11 heures en présence de Mme Jean, greffière d'audience :
- le rapport de M. Ouardes, juge des référés,
- les observations de Me Charvin, pour la société Linguaphone NT, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens qu'il précise ; il fait valoir qu'il abandonne les moyens relatifs à l'associée russe, aux statuts de la société Swiss Interglobe et à la certification QUALIOPI ; il insiste sur trois moyens liés au recours à la sous-traitance, à l'absence de locaux en propre et aux références de la société ;
- les observations de Me Daaboul pour le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire par les mêmes moyens qu'elle précise ;
- les observations de Me Murgulia pour la société Swiss Interglobe, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire par les mêmes moyens qu'il précise.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience à 11h30.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis du 25 février 2022 et un avis rectificatif du 4 mars 2022, le ministre de la transition écologique chargé des transports a lancé un accord-cadre mono attributaire à bons de commandes de 12 mois, reconductible 4 fois, pour la formation en langue anglaise au profit des contrôleurs aériens et ingénieurs électroniciens des systèmes de la sécurité aérienne de la direction des services de la navigation aérienne en métropole (hors région parisienne) et en outre-mer. L'accord cadre comprenait 10 lots géographiques. La société Linguaphone NT a déposé une candidature pour les lots 1,2,4,5 et 8 qui a été acceptée par décision du 3 mai 2022 puis admise à participer à la phase de négociation. A l'issue de cette phrase, son offre a été rejetée pour ces mêmes lots. Ce sont les lots 1,5 et 8 dont l'attribution à la société Swiss Interglobe est contestée dans le présent référé. La société demande de suspendre toute décision se rapportant à la passation de l'accord-cadre
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.-Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. / II.-Toutefois, le I n'est pas applicable aux contrats passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité (). / Pour ces contrats, il est fait application des articles L. 551-6 et L. 551-7 ". Aux termes de l'article L. 551-10 de ce code : "Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué ()".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge du référé précontractuel de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
Sur les conclusions :
En ce qui concerne les irrégularités au stade de l'examen des candidatures :
4.Aux termes de l'article R 2144-7 du code de la commande publique : "Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d'exclusion, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l'acheteur, produit, à l'appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l'acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé. / Dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou le classement des offres, le candidat ou le soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires. Si nécessaire, cette procédure peut être reproduite tant qu'il subsiste des candidatures recevables ou des offres qui n'ont pas été écartées au motif qu'elles sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables".
5. En premier lieu, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, lorsqu'une personne morale de droit privé se porte candidate à l'attribution d'un contrat de commande publique, de vérifier que l'exécution de ce contrat entre dans le champ de son objet social. Il suit de là que la société requérante ne peut utilement se prévaloir du fait que l'objet social de la société Swiss Interglobe ne lui permettrait pas d'exécuter les prestations objets de l'accord-cadre.
6. En deuxième lieu, s'agissant des difficultés financières de la société Swiss Interglobe, il convient de relever que le règlement d'appel public à la candidature n'imposait aucune exigence en termes de chiffres d'affaires minimum. Au surplus, nonobstant le courriel produit, d'ailleurs rédigé en anglais et non traduit, les éléments financiers produits par la société Swiss Interglobe, notamment les bilans fournis, établissent qu'elle dispose bien des capacités financières pour exécuter l'accord-cadre.
7. En troisième lieu, s'agissant des références de la société Swiss Interglobe, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel d'apprécier les mérites des candidatures. En tout état de cause, la société a produit des références de prestations pour chacune des trois dernières années, ce qui répondait à l'exigence de la DSNA dans le cadre de l'examen des candidatures. Elle a indiqué disposer de 45 professeurs disponibles en simultané pour assurer les prestations objets de l'accord-cadre et sur l'ensemble des zones géographiques correspondant aux trois lots attribués.
8. En quatrième lieu, s'agissant du recours à la sous-traitance, la société Swiss Interglobe, comme il a été indiqué ci-dessus, dispose de 45 professeurs et d'une équipe de 8 agents administratifs, ce qui lui permet d'assurer seule l'ensemble des prestations objets de l'accord-cadre. Dans le cadre de sa candidature, il n'est pas établi qu'elle ait procédé à une déclaration de sous-traitance. Si la société requérante travaille avec des entrepreneurs individuels avec lesquels elle régularise, directement et sans intermédiaire, des contrats visant à leur confier des missions, une tel mode de fonctionnement, qui diffère certes du salariat, ne contrevient pas aux dispositions du code de la commande publique.
9. En cinquième lieu, s'agissant des locaux, le terme " locaux en propre " doit s'entendre de locaux distincts de ceux du ministère, comme le fait valoir le ministre durant l'audience. Les candidats étaient ainsi libres de proposer dans leur offre d'organiser les formations au sein de leurs propres locaux et/ou de louer des espaces de formation auprès de prestataires sans qu'il soit nécessaire que la société soit propriétaire des locaux. En tout état de cause, la société fait valoir sans être utilement contesté qu'elle a fourni la liste des locaux où pourront se dérouler les formations, ce que confirment en séance les représentants du ministre.
10. Il suit de là que le moyen tiré des irrégularités au stade de l'examen des candidatures doit être écarté.
En ce qui concerne les irrégularités au stade de l'examen des offres :
11.Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : "L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : "Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".Enfin aux termes de l'article L 2152-4 du même code "Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu'elle n'est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation. ".
12.En premier lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés au paragraphe 5, les moyens relatifs à l'objet social de la société Swiss Interglobe doivent être écartés.
13. En deuxième lieu, la société Swiss Interglobe établit disposer d'un bureau en France au 30 rue Gay lussac à Paris et son associée unique dispose de la nationalité française comme cela ressort de son passeport.
14. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la société dispose bien de la certification QUALIOPI, ce que l'extrait de BPF produit par la société requérante indiquait d'ailleurs expressément.
15. En quatrième lieu, la circonstance que la société Swiss Interglobe n'a accueilli que 41 stagiaires sur l'année 2021, en période de crise sanitaire, n'a pas d'incidence sur le contenu de l'offre qu'elle a remis dans le cadre de la consultation.
16..En cinquième lieu, la société Swiss Interglobe a déclaré à la DSNA qu'elle disposait de 45 professeurs répartis sur l'ensemble du territoire concerné par chacun des lots et pouvant assurer la continuité pédagogique et une simultanéité des formations. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la société Swiss Interglobe ne disposait pas de personnel propre ne peut qu'être écarté.
17. Par suite l'offre de la société Swiss Interglobe ne peut être regardée comme irrégulière et inappropriée.
18.Les moyens tirés de ce que l'offre de la société requérante aurait dû obtenir une meilleure note technique que l'offre de la société attributaire doivent être écartés dès lors qu'il ne revient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres.
19. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré des irrégularités au stade de l'examen des offres doit être écarté.
20. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par la société Linguaphone NT doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
21. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande des parties formées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E:
Article 1er : La requête de la société Linguaphone NT est rejetée.
Article 2 : les demandes du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la société Swiss Interglobe formées en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : la présente ordonnance sera notifiée à la société Linguaphone NT, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Swiss Interglobe.
Fait à Versailles, le 25 août 2022,
Le juge des référés,La greffière,
Signé Signé
P. A A. Jean
La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.