TA Marseille, 22/11/2022, n°2209155
TA Marseille, 22/11/2022, n°2209155
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 4 novembre 2022 et le 15 novembre 2022 à 12 h 29, la société Gardanne Travaux Industriels (GTI) représentée par Me Brin, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) D'annuler la procédure de passation du marché portant sur l'" accord cadre de travaux courants d'entretien, de grosses réparations et d'investissement dans les bâtiments et sites divers de la commune " de Gardanne, lot " Maçonnerie-démolition-charpente-couverture-carrelages-faïences-clôtures extérieures " attribué à la société B Construction par décision du 27 octobre 2022 ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Gardanne une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- sa requête est recevable, elle a un intérêt manifeste à conclure le contrat et a été lésée par les manquements et manœuvres constatés, tels la déclaration sans suite irrégulière d'une précédente consultation n°21067BA dont elle avait été déclarée attributaire du lot " Maçonnerie-démolition-charpente-couverture-carrelages-faïences-clôtures extérieures ", comme en témoigne l'écart de notation minime avec l'attributaire, la société B Construction, bénéficiaire desdites manœuvres de la commune de Gardanne dans la présente, et seconde, procédure de passation ;
- la commune de Gardanne a méconnu ses obligations de mise en concurrence, la société B Construction ayant pu bénéficier d'informations relatives à l'offre de la société GTI pour adapter son offre et obtenir une meilleure notation, notamment sur le critère du " chantier caché ", grâce à la communication, dans le cadre de la précédente consultation n°21067BA que la commune a irrégulièrement choisi de déclarer sans suite le 14 avril 2022, des motifs de rejet de son offre relative au lot " Maçonnerie-démolition-charpente-couverture-carrelages-faïences-clôtures extérieures " qui avait été attribué le 27 décembre 2021 à la société GTI, la commune est ainsi à l'origine d'une distorsion de concurrence qui a favorisé la société B Construction d'une consultation à l'autre ;
- la commune a méconnu ses obligations de mise en concurrence des candidats en détournant la procédure de déclaration sans suite sur le fondement de prétendues anomalies qui auraient pu être régularisées, cette déclaration sans suite n'ayant pour seul objet que de déloger la société Gardanne Travaux Industriels de sa place de lauréat de la consultation, créant ainsi une distorsion de concurrence à son détriment et sans aucune raison valable et dont témoigne l'analyse de l'enchainement des deux procédures de consultation ;
- la commune a méconnu ses obligations d'égalité de traitement des candidats, le Conseil d'Etat par sa décision n°454466 du 25 novembre 2021 et la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt C-532/20 du 24 février 2022 sanctionnant avec la plus grande rigueur les risques de partialité dans l'attribution d'un marché public surtout quand ce défaut d'impartialité laisse miroiter les éléments d'un conflit d'intérêts, le laconisme de la motivation de la décision prise par la commune de ne pas donner suite à la première procédure laissant présumer une irrégularité dans la procédure de passation qui ne peut se traduire que par un avantage accordé à l'un des candidats, à savoir la société B construction ;
- en cet état, l'annulation de la procédure de passation permet d'assainir une situation qui risque d'avoir des conséquences beaucoup plus lourdes pour les signataires du contrat sur le terrain indemnitaire ;
- le rajout de deux sous-critères techniques par rapport à la première consultation déclarée sans suite n'a aucune incidence sur la substance du marché, d'autant plus que ces deux critères ont été rajoutées pour tenir compte d'éléments qui était contenus dans l'offre de la société GTI dans ce précédent marché déclaré sans suite et dont a pu ainsi se servir la société B Construction en réponse au nouvel appel d'offre ;
Par un mémoire en défense enregistré le 14 novembre 2022, la commune de Gardanne, représentée par Me Del Prete, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société EITP d'une somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
La société B Construction n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du Tribunal a désigné M. C pour statuer sur les demandes de référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience du 15 novembre 2022.
Au cours de l'audience publique, tenue en présence de M. Benoist, greffier d'audience, ont été entendus :
- le rapport de M. C ;
- les observations de Me Brin, représentant la société GTI, qui maintient ses conclusions et moyens ;
- les observations de Me Del Prete, représentant la commune de Gardanne, qui maintient ses conclusions et moyens ;
- enfin, les observations de M. A B, gérant de la société B Construction, représentant la société du même nom, attributaire du lot n°6 du marché, qui fait valoir qu'il travaille depuis plusieurs années dans le secteur et qu'il se voit, pour la première fois, confronté à de tels recours et n'a aucun moment bénéficié d'une quelconque information ou privilège dans le cadre de la consultation.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience à 14 h 40.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".
2. En vertu de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient au juge administratif, saisi en application de cet article, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration et de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
3. Le 6 mai 2021, la commune de Gardanne a lancé une consultation n°21067BA relative à un "accord-cadre de travaux courants d'entretien, de grosses réparations et d'investissement dans les bâtiments et sites divers de la commune" dont la date limite de réception des offres était fixée au 12 juillet 2021. Cet accord-cadre se composait de huit lots dont le lot n°1 s'intitulait "Maçonnerie-démolition-charpente-couverture-carrelages-faïences-clôtures extérieures". Par décision du 20 décembre 2021, la commune de Gardanne a attribué ce lot n°1 à la société Groupement de Travaux Industriels (GTI) et a informé par courrier du 27 décembre 2021 les sociétés B Construction et SMTL du rejet de leurs offres respectivement classées deuxième et troisième. Par un courrier en date du 14 avril 2022, le maire de la commune de Gardanne a informé la société GTI de la décision de déclarer sans suite cette consultation au motif de l'identification "d'insuffisances dans la maîtrise de la technique du chantier caché" et "faiblesses susceptibles de fragiliser la procédure" dans le rapport d'analyse des offres établi par l'assistance à la maîtrise d'ouvrage.
4. Par un nouvel avis à candidature, la commune de Gardanne a relancé cette consultation sous le n°22127BA portant sur un accord-cadre à l'intitulé identique et également composé de huit lots dont le lot n°1 s'intitule, comme lors de la précédente consultation, "Maçonnerie-démolition-charpente-couverture-carrelages-faïences-clôtures extérieures". La date limite de réception des offres était fixée au 11 juillet 2022 à 12 h 00. Par un courrier en date du 27 octobre 2022, la commune de Gardanne a informé la société GTI du rejet de son offre, classée deuxième et de l'attribution du lot n°1 à la société B Construction.
5. En premier lieu, aux termes de l'article R2185-1 du code de la commande publique : "L'acheteur peut, à tout moment, déclarer une procédure sans suite". Aux termes de l'article R2185-2 du même code : "Lorsqu'il déclare une procédure sans suite, l'acheteur communique dans les plus brefs délais les motifs de sa décision de ne pas attribuer le marché ou de recommencer la procédure aux opérateurs économiques y ayant participé".
6. La requérante ne peut utilement contester, dans la présente instance, la régularité de la décision portant déclaration sans suite de la précédente procédure, en se prévalant notamment du laconisme de la motivation de cette décision qu'elle estime peu sérieuse et insuffisamment justifiée. Il lui appartient, si elle s'y croit fondée, d'engager, ainsi qu'elle l'évoque d'ailleurs elle-même, un recours tendant à l'indemnisation des préjudices qui résulteraient, pour elle, de l'abandon de cette procédure. Le moyen tiré de l'irrégularité de la décision de déclarer sans suite la première procédure est inopérant.
7. En deuxième lieu, si la société GTI soutient que la déclaration sans suite n'avait d'autre objet que de la déloger dans le cadre de la nouvelle procédure, elle n'établit pas que le choix de déclarer sans suite la première procédure puis de relancer une consultation n'aurait pour seul objet de l'évincer de la nouvelle procédure d'attribution, cette décision ne portant au demeurant pas seulement sur le lot n°1 pour lequel elle s'était portée candidate mais également sur l'ensemble des lots de la première consultation. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des obligations de mise en concurrence au motif d'un détournement de procédure manque en fait et doit être écarté.
8. En troisième lieu, la société requérante ne démontre pas que le choix de la commune de Gardanne d'organiser une nouvelle procédure de mise en concurrence pour l'attribution des lots n°1 serait susceptible de l'avoir lésée, dès lors qu'elle a pu participer à cette nouvelle procédure. Le moyen tiré d'une méconnaissance des obligations de mise en concurrence et de publicité au motif de l'organisation d'une nouvelle procédure doit être écarté.
9. En quatrième lieu, si la société GTI soutient que la commune a méconnu ses obligations d'égalité de traitement des candidatures en avantageant la société B Construction au motif que cette dernière a pu améliorer son offre dans le cadre de la deuxième consultation en litige grâce aux informations contenues dans le courrier de rejet de son offre du 27 décembre 2021 adressé à B Construction à l'issue de la première procédure qui révèlerait selon elle les caractéristiques de l'offre de la société GTI alors désigné attributaire, il ressort de l'examen dudit courrier qu'il se borne à présenter les deux tableaux de notation pondérée du critère prix et du critère valeur technique relatifs à la société B Construction, alors classé deuxième, et à la société GTI alors classé première. Si la requérante soutient que ledit courrier a notamment permis à B Construction d'améliorer son offre comme en témoignerait l'écart de notation, qui ne saurait être dû au hasard selon elle, sur le sous-critère de la méthode du chantier caché dans le cadre de la nouvelle procédure, il ressort de l'examen des tableaux de notation de la première consultation figurant dans ce courrier du 27 décembre 2021 que la société B Construction avait alors obtenu sur le sous-critère méthode du "chantier caché", composante du critère-prix, une note supérieure, en l'espèce 30 sur 30, à celle de la société GTI, cette dernière ayant été notée 28,72 sur 30, et plus largement que la société B Construction avait alors obtenu la note maximale de 60 sur 60 sur le critère-prix, la société GTI ayant obtenu une notation pondérée de 57 sur 60. En outre, il ne résulte pas de l'instruction qu'à l'issue de cette première procédure, la société B Construction aurait eu un quelconque accès au détail de l'offre de la société GTI qu'il s'agisse du prix proposé ou de son mémoire technique. Enfin, il ne peut être sérieusement soutenu que dans le cadre de la deuxième procédure en litige B Construction a pu améliorer son offre grâce aux informations relatives au sous-critère du " chantier caché " dès lors que la meilleure notation pondérée au titre du critère-prix a été attribuée à la société Mlctp, soit une note de 57,6 sur 60 dont l'offre rejetée a été classée en troisième position, et que bien qu'ayant obtenu une note pondérée identique de 30 sur 30 au sous-critère " chantier caché " la société B Construction a obtenu une note au critère-prix de 57,57 sur 60 contre une note de 54,55 sur 60 à la société requérante.
10. Au demeurant, il résulte de l'instruction que la société B Construction a obtenu dans le cadre de la deuxième procédure, une meilleure notation pondérée sur le critère "valeur technique", soit une note de 32,5 sur 40 contre 31 à la société requérante, qui a permis de la distinguer de ses concurrentes et selon une méthodologie de notation du critère "valeur technique" différente de la première consultation puisqu'elle comprend d'une part, deux sous-critères techniques supplémentaires tel le sous-critère n°5 relatif à l'engagement en faveur du développement durable, le tri et le traitement des déchets et le sous-critère n°6 relatif au délai d'intervention d'urgence, d'autre part un sous-critère n°2 modifié et portant sur la description de la méthodologie de traitement d'une demande d'intervention en fonction des jours ouvrables, des soirs ou fin de semaine. Il ressort d'ailleurs de la comparaison des notations du critère " valeur technique " que l'écart entre la requérante et l'attributaire s'explique principalement dans les meilleures notes de B Construction concernant le sous-critère n°2, soit une note de 9 sur 10, et le sous-critère n°3 relatif à l'hygiène, soit une note de 6 sur 6, contre des notes de 7 sur 10 et 5 sur 6 à la société requérante. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la requérante, le sous-critère du chantier caché n'est pas la source d'une amélioration de l'offre de la société B Construction.
11. Si la société GTI soutient que les deux nouveaux sous-critères sont sans incidence et qu'ils ont été rajouté pour tenir compte d'éléments qui était contenus dans l'offre de la société GTI dans ce précédent marché déclaré sans suite et dont a pu ainsi se servir la société B Construction en réponse au nouvel appel d'offre, ces allégations ne sont étayées par aucun élément, la société GTI n'étant au demeurant pas susceptible d'avoir été lésée sur ce point, celle-ci ayant obtenu des notes supérieures à celle de la société B Construction sur les nouveaux sous-critères n°5 et 6.
12. Au regard des éléments qui précèdent, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ces données de notation, d'ailleurs légalement communiquée dans le cadre de la procédure antérieure, ont constitué un privilège octroyé à la société B Construction pour qu'elle améliore son offre dans le cadre de la deuxième consultation. Par suite, le moyen tiré d'un manquement aux obligations d'égalité de traitement des candidats doit être écarté.
13. En cinquième lieu, au regard des éléments qui précèdent et de l'instruction, il ne saurait se déduire de l'enchainement des deux procédures de passation qui se sont succédées, l'existence d'un défaut d'impartialité laissant miroiter les éléments d'un conflit d'intérêt. En outre, la société requérante, qui se borne à se prévaloir des principes dégagés par la décision du Conseil d'Etat n°454466 du 25 novembre 2021 et d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne n°C-532/20 du 24 février 2022 pour présumer une partialité de la commune et un conflit d'intérêt, n'étaye ses allégations d'aucun élément, l'instruction ne révélant aucune communication d'information confidentielle au bénéfice de la société B Construction de la part de la commune. Au regard de ces éléments, le moyen tiré d'une méconnaissance des obligations de mise en concurrence au motif d'une atteinte au principe d'impartialité et d'un conflit d'intérêt doit être écarté.
14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la procédure de passation doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
15. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société Gardanne Travaux Industriels, une somme de 2 500 euros au bénéfice de la commune de Gardanne.
ORDONNE:
Article 1er : La requête de la société Gardanne Travaux Industriels est rejetée.
Article 2 : La société Gardanne Travaux Industriels versera à la commune de Gardanne une somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Gardanne Travaux Industriels, à la commune de Gardanne, à la société B Construction..
Fait à Marseille, le 22 novembre 2022.
Le juge des référés,
Signé
J-M. C
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
La greffière.