CAA Marseille, 28/11/2022, n°20MA03407
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société OTV a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre le 27 octobre 2017 par la commune de La Roque d'Anthéron pour un montant de 1 151 900 euros et de la décharger de la somme correspondante.
Par un jugement n° 1709415 du 8 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a annulé le titre exécutoire et déchargé la société OTV de l'obligation de payer la somme ainsi réclamée.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 septembre 2020 et le 12 mars 2021, la métropole Aix-Marseille-Provence et la commune de La Roque d'Anthéron, représentées par Me Lerat, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 juillet 2020 ;
2°) de condamner la société OTV à verser le montant du solde du titre exécutoire émis le 27 octobre 2017 ;
3°) de mettre à la charge de la société OTV la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- en refusant de conférer au seul décompte général valable, notifié par ordre de service n° 8 le 24 octobre 2016, un caractère définitif, les premiers juges ont commis une erreur de droit, dès lors que le courrier par lequel, le 2 novembre 2016, la société OTV émettait de simples " réserves " sur ledit décompte ne peut en aucun cas être regardé comme un mémoire de réclamation en tant que tel alors qu'en outre, l'entrepreneur dont la réclamation relative au décompte général a été implicitement rejetée disposait également d'un délai de six mois pour saisir le juge administratif sous peine de forclusion ;
- le décompte général et définitif a acquis un caractère définitif, le bien-fondé de la créance ne peut plus en l'état être remis en cause ;
- et en outre, alors que la commune lui a adressé le 17 juin 2014 un premier projet de décompte, la société OTV a refusé explicitement de le signer dans le délai imparti par les stipulations de l'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales et a exposé son intention d'établir un projet de décompte, postérieurement à ce document erroné envoyé par la commune, document qui ne saurait valoir décompte général et définitif.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 décembre 2020, 5 février et 7 juin 2021, la société OTV, représentée par Me Aubignat, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au non-lieu à statuer, à défaut, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à l'annulation du titre exécutoire en litige et demande à la Cour de prononcer la suppression des mentions diffamatoires comprises dans le mémoire du 12 mars 2021, en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative et de mettre à la charge des requérantes la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors que d'une part, il n'est justifié d'aucun transfert de la compétence assainissement de la commune de La Roque d'Anthéron vers la métropole Aix-Marseille-Provence et que d'autre part, les conclusions de la requête tendant à sa condamnation à verser la somme de 1 151 900 euros doivent être regardées comme des conclusions nouvelles en appel et qu'au demeurant, il appartient à la collectivité d'émettre elle-même le titre exécutoire ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- le 17 juin 2014, la commune de La Roque d'Anthéron a émis un décompte général du marché et le lui a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception, décompte qu'elle a accepté et signé lui conférant ainsi un caractère définitif ; la commune ne pouvait par un ordre de service n° 8, deux années après l'établissement du décompte général et définitif du marché, lui notifier un nouveau décompte du marché faisant apparaître une réfaction de prix pour "réserves" de 1 151 900 euros ;
- et en outre, le titre, soit n'a jamais été régulièrement enregistré, soit a été retiré à une date indéterminée, de sorte que l'objet du litige a disparu en cours d'instance.
Par ordonnance du 9 juin 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 12 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure.
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Arnaud Buchard, représentant la métropole Aix-Marseille-Provence et la commune de La Roque d'Anthéron.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement signé le 8 mars 2010, la commune de La Roque d'Anthéron a conclu avec le groupement conjoint, constitué de la société OTV France, mandataire, de l'atelier d'architecture Bruno Miranda et de la société MSE, un marché public de travaux portant sur la construction d'une station d'épuration. La commune de La Roque d'Anthéron a retenu l'offre variante du groupement d'entreprises fondée sur un traitement biologique de type Organica pour un montant de 3 468 400 euros toutes taxes comprises. La réception des travaux a été prononcée le 16 avril 2012 sans réserve et, le 5 décembre suivant, l'exploitation des services publics de l'eau potable et de l'assainissement a été confiée à la société des eaux de Marseille. Estimant que la variante Organica proposée par le groupement OTV, Miranda, MSE et préconisée par le groupement de maîtrise d'œuvre était inutilisable et génératrice de coûts exorbitants non pris en compte par ce groupement, la commune de La Roque d'Anthéron a notifié un courrier du 12 octobre 2016 qu'elle a qualifié de décompte général du marché dont l'entreprise OTV était titulaire en prenant en compte une évaluation des surcoûts à hauteur de 1 151 900 euros. Le 27 octobre 2017, elle a émis, à l'encontre de la société OTV, un titre exécutoire d'un montant de 1 151 900 euros correspondant à ces surcoûts. La société OTV a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation du titre exécutoire et à la décharge de l'obligation de payer la somme ainsi réclamée. Par le jugement du 8 juillet 2020 attaqué, le tribunal administratif a fait droit à cette demande. La métropole Aix-Marseille-Provence et la commune de La Roque d'Anthéron font appel de ce jugement.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. En défense, la société OTV fait valoir que l'objet du litige aurait disparu en cours d'instance dès lors que le titre exécutoire soit n'aurait jamais été régulièrement enregistré, soit aurait été retiré à une date indéterminée. Or, alors qu'il est constant que le titre exécutoire en cause a été émis par la commune de La Roque d'Anthéron, il ne résulte pas de l'instruction que ce titre ait fait l'objet d'une annulation ou d'un dégrèvement ou d'un acte formel de retrait par l'ordonnateur. Par suite, il y a lieu de rejeter l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 13.3 "Décompte final" du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux : "13.31. Après l'achèvement des travaux, l'entrepreneur, concurremment avec le projet de décompte afférent au dernier mois de leur exécution ou à la place de ce projet, dresse le projet du décompte final établissant le montant total des sommes auxquelles il peut prétendre du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, les évaluations étant faites en tenant compte des prestations réellement exécutées. / () / 13.32. Le projet de décompte final est remis au maître d'œuvre dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue au 3 de l'article 41, ce délai étant réduit à quinze jours pour les marchés dont le délai d'exécution n'excède pas trois mois. ".L'article 13.44 du cahier des clauses administratives générales applicable stipule que : " L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'œuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai est de trente jours, si le marché a un délai d'exécution inférieur ou égal à six mois. Il est de quarante-cinq jours, dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. / Si la signature du décompte général est refusée ou donnée sans réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'œuvre dans le délai Indiqué au premier alinéa du présent article Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50. / Si les réserves sont partielles l'entrepreneur est lié par son acceptation implicite des éléments du décompte sur lesquels ces réserves ne portent pas.".
4. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve et met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard.
5. Il appartient au maître de l'ouvrage, lorsqu'il lui apparaît que la responsabilité de l'un des participants à l'opération de construction est susceptible d'être engagée à raison de fautes commises dans l'exécution du contrat conclu avec celui-ci, soit de surseoir à l'établissement du décompte jusqu'à ce que sa créance puisse y être intégrée, soit d'assortir le décompte de réserves.
6. Il résulte de ce qui précède que le maître de l'ouvrage qui n'a pas émis de réserves concernant des désordres apparents lors de la réception ne peut pas, sauf si des stipulations contractuelles le prévoient, inscrire dans le décompte général du marché des sommes visant à procéder à leur réparation.
7. D'une part, il résulte de l'instruction que la commune de La Roque d'Anthéron a adressé le 17 juin 2014 un "décompte général et définitif" par ordre de service à la société OTV et que ce décompte dont le solde était égal à 0 a été signé par cette dernière, le 10 septembre 2015. Si le maître d'ouvrage a dressé ce décompte général du marché sans que l'entrepreneur ait établi au préalable un projet de décompte final et l'ait transmis au maître d'œuvre, conformément à l'article 13-3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, l'entrepreneur, qui n'a pas invoqué la méconnaissance de ces stipulations ni contesté le décompte général sur le fond par une réclamation écrite notifiée au maître de l'ouvrage, doit être regardé comme ayant renoncé, d'un commun accord avec le maître d'ouvrage, à l'application des stipulations de l'article 13-3 du CCAG. Ainsi, le décompte général établi par le maître de l'ouvrage était bien opposable alors même que ce dernier n'avait pas mis en demeure la société OTV d'établir un projet de décompte final et que le décompte n'avait pas été transmis au maître d'œuvre.
8. D'autre part, il résulte de l'instruction que la commune de La Roque d'Anthéron n'a porté sur le décompte général qu'elle a transmis à la société OTV aucunes réserves ni dans leur montant ni dans leur principe. Dans ces conditions, faute d'avoir été mentionné dans le décompte général devenu définitif, le montant de 1 151 900 euros correspondant aux surcoûts que la commune de La Roque d'Anthéron entendait faire supporter à la société OTV ne pouvait être mis à la charge de cette dernière. Dès lors, la société OTV était fondée à contester le bien-fondé des sommes mises à sa charge par le titre exécutoire en litige.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, la métropole Aix-Marseille-Provence et la commune de La Roque d'Anthéron ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé le titre exécutoire émis le 27 octobre 2017 à l'encontre de la société OTV par la commune de La Roque d'Anthéron pour un montant de 1 151 900 euros et l'a déchargée de l'obligation de payer la somme correspondante.
Sur les conclusions présentées par la société OTV au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
10. Les écritures des requérantes ne contiennent pas, contrairement à ce qui est soutenu, d'imputation à caractère diffamatoire, au sens des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, de nature à en faire prononcer la suppression. Dès lors il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société OTV tendant à une telle suppression.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la métropole Aix-Marseille-Provence et de la commune de La Roque d'Anthéron est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société OTV au titre de l'article L. 741-2 du code de justice administrative et ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la métropole Aix-Marseille-Provence, à la commune de La Roque d'Anthéron et à la société OTV.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2022, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 novembre 2022.
No 20MA03407