CAA Paris, 12/12/2022, n°20PA03323

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Cégélec Polynésie a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Moorea-Maiao à lui verser la somme de 18 297 976 francs CFP au titre des préjudices résultant de l'exécution et de la résiliation du marché conclu avec la commune de Moorea-Maiao pour la reconstruction de l'école primaire de Teavaro, avec intérêts moratoires et capitalisation des intérêts à compter du 17 juin 2019.

Par un jugement n° 2000009 du 8 septembre 2020, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 novembre 2020 et 19 août 2021, la SAS Cégélec Polynésie, représenté par Me Bertrand de Gérando, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000009 du tribunal administratif de la Polynésie française du 8 septembre 2020 ;

2°) de condamner la commune de Moorea à lui verser la somme de 18 297 976 francs CFP hors taxe au titre des préjudices subis, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'une année, et de rétablir le décompte général et définitif en intégrant cette condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la commune la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son appel est recevable ;

- sa demande de première instance était recevable ;

- à titre principal, elle a droit à être indemnisée, sur le fondement de l'article 46-1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) " Travaux " de 1976, du préjudice résultant de la résiliation de son contrat par la personne publique et de l'ensemble des préjudices résultant des ajournements prononcés par la commune,

- à titre subsidiaire, elle a droit à être indemnisée, sur le fondement de l'article 48-1 du CCAG " Travaux " de 1976, à tout le moins des préjudices subis du fait des ajournements décidés par la commune,

- à titre encore plus subsidiaire, elle a droit à être indemnisée des préjudices subis du fait des sujétions imprévues ayant bouleversé l'économie du marché, de la nécessité pour elle de réaliser, sans ordre de service, des travaux indispensables, et de la faute commise par la commune dans l'exercice de ses pouvoirs de direction du marché et dans la mise en œuvre de celui-ci.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2021, la commune de Moorea-Maiao, représentée par Me Dominique Bourion, conclut au rejet de la requête ; à titre subsidiaire, à ce que M. B, la Sarl Atelier 3, l'EURL Ecowat, la mutuelle des architectes français et la société Bureau Véritas soient appelés dans la cause et à ce qu'un expert soit désigné avec pour mission de liquider l'éventuel préjudice de la SAS Cégélec ; en tout état de cause, à ce que la somme de 282 500 francs CPF soit mise à la charge de la SAS Cégélec au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est tardive ;

- la lettre de la SAS Cégélec Polynésie du 23 décembre 2019 ne permet pas de regarder la requête de première instance comme recevable, ;

- les moyens soulevés par la SAS Cégélec Polynésie ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 février 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme d'Argenlieu,

- les conclusions de Mme A,

- les observations de Me de Gérando, représentant la SAS Cégélec Polynésie.

Une note en délibéré, enregistrée au greffe le 24 novembre 2022, a été présentée par la SAS Cégélec Polynésie.

Considérant ce qui suit :

1. Le lot n°11 " Electricité " du marché public n° 29/2010 du 21 décembre 2010 passé pour la reconstruction de l'école primaire de Teavaro à Moorea-Maiao a été attribué à la société Cégélec Polynésie. Ce marché comportait une tranche ferme d'un montant de 8 937 137 francs CFP, réceptionnée le 19 juillet 2012, et une tranche conditionnelle de 14 268 602 francs CFP, actualisée par avenant, dont le dernier est daté du 9 mai 2017. Par ordre de service n° 17 du 20 juillet 2017, les délais de réalisation du marché ont fait l'objet d'une prolongation au vu du retard constaté dans la réalisation du lot gros œuvre et de la charpente de couverture. Par ordre de service n° 18 du 28 septembre 2017, le délai d'exécution du marché a été suspendu. Par mémoire du 18 octobre 2018, la société Cégélec Polynésie a présenté une réclamation au maître d'ouvrage portant sur la période d'ajournement allant du 30 juin 2017 au 2 août 2018. Puis, par courrier du 13 mars 2019, elle a sollicité la résiliation du marché et a adressé un nouveau mémoire de réclamation tenant compte de la seconde période d'ajournement allant du 2 août 2018 au 13 mars 2019. Par acte d'huissier du 28 novembre 2019, la commune de Moorea-Maiao a notifié à la société requérante la résiliation du marché ainsi que le décompte général, pour un total du marché de 28 211 803 francs CFP. Par courrier du 23 décembre 2019, la société Cégélec a contesté ce décompte en précisant la somme totale qu'elle estimait lui être due, soit 18 297 976 F CFP. En l'absence de réponse de la commune, la société Cégélec a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française d'une demande de condamnation de la commune de Moorea-Maiao à lui verser la somme de 18 297 976 francs CFP. Par un jugement dont la société Cégélec fait appel, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté cette demande.

Sur la recevabilité de la demande de première instance

2. Il résulte de l'instruction qu'en prévoyant à l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières du marché l'application du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux en vigueur au premier jour du mois d'établissement des prix du marché, et alors que l'arrêté du 8 septembre 2009 qui l'abroge n'est pas applicable en Polynésie française, les parties ont entendu se référer au CCAG approuvé par le décret du 21 janvier 1976. Aux termes de l'article 13.44 de ce CCAG : "L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'œuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. Ce délai () est de quarante-cinq jours dans le cas où le délai contractuel d'exécution du marché est supérieur à six mois. () Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'œuvre dans le délai indiqué au premier alinéa du présent article. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50. ()". L'article 13.45 de ce même document prévoit que : "Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'œuvre le décompte général signé dans le délai () de quarante-cinq jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepte par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché". Enfin, l'article 50.31 de ce CCAG prévoit que : "Si, dans le délai de trois mois à partir de la date de réception, par la personne responsable du marché, de la lettre ou du mémoire de l'entrepreneur mentionné aux 21 et 22 du présent article, aucune décision n'a été notifiée à l'entrepreneur, ou si celui-ci n'accepte pas la décision qui lui a été notifiée, l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif compétent. Il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans la lettre ou le mémoire remis à la personne responsable du marché".

3. Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s'il expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d'œuvre sans le joindre à son mémoire.

4. Il résulte de l'instruction que la commune de Moorea-Maiao, par une lettre du 22 novembre 2019 reçue le 28 novembre suivant, a adressé à la société Cégélec Polynésie la décision de résiliation du marché ainsi que le décompte général y afférent. Cette société y a répondu par une lettre du 23 décembre 2019 dans laquelle elle conteste le contenu du décompte et fait état, pour chacun des chefs de préjudice allégués, des sommes réclamées. Toutefois, elle ne décrit pas les bases de calcul utilisées, ni ne fournit les justifications nécessaires, mais renvoie pour ce faire aux demandes "déjà transmises" à la commune. Or si deux mémoires en réclamation avaient bien été établis en cours d'exécution du marché, ils ne sont pas joints à la lettre adressée par la société titulaire à la commune le 23 décembre 2019. Dans ces conditions, cette lettre ne peut être regardée comme une réclamation au sens de l'article 13.44 précité. Dès lors, le décompte général adressé par la commune est réputé avoir été accepté par la société Cégélec Polynésie, laquelle n'était donc pas recevable à introduire un recours contentieux.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête d'appel, que la société Cégélec Polynésie n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par suite, sa requête d'appel doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à ce que le décompte général soit rétabli.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Moorea-Maiao, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Cégélec Polynésie demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette société une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Mooréa-Maiao sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Cégélec Polynésie est rejetée.

Article 2 : La société Cégélec Polynésie versera à la commune de Moorea-Maiao une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à société Cégélec Polynésie et à la commune de Moorea-Maiao.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 18 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Fombeur, présidente de la Cour,

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme d'Argenlieu, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 décembre 2022.

La rapporteure,

L. D'ARGENLIEU

La présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

O. BADOUX-GRARE

La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

A lire également