CE, 29/12/2022, n°458678
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Can a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la résiliation pour ordre de service tardif du marché conclu le 31 décembre 2013 avec le Grand port maritime de Marseille pour la réalisation de travaux de dragage, et de condamner le Grand port maritime de Marseille à lui verser la somme de 1 432 215,07 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette résiliation. Par un jugement n° 1502332 du 20 octobre 2017, le tribunal administratif de Marseille a condamné le Grand port maritime de Marseille à verser la somme de 516 316,78 euros à la société Can en réparation de ses préjudices.
Par un arrêt n° 17MA04818 du 15 juin 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel principal du Grand port maritime de Marseille et fait droit partiellement à l'appel incident de la société Can, en portant son indemnité à 644 656,14 euros.
Par une décision n° 442844 du 3 février 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt.
Par un arrêt n° 21MA00535 du 23 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel principal du Grand port maritime de Marseille et fait droit partiellement à l'appel incident de la société Can, en portant son indemnité à 644 656,14 euros.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 novembre 2021 et les 22 février et 2 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Grand port maritime de Marseille demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Can la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexis Goin, auditeur,
- les conclusions de Mme Cécile Raquin, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'établissement public Grand port maritime de Marseille et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Can ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un acte d'engagement du 31 décembre 2013, le Grand port maritime de Marseille a confié à la société Can les travaux de dragage d'entretien des postes d'attente fluviaux sur les bassins ouest de ce port. Estimant que l'ordre de service de la première tranche de ces travaux, parvenu le 21 juillet 2014, était tardif, la société Can a demandé la résiliation du marché. Par une décision du 5 mars 2015, le Grand port maritime de Marseille a résilié le marché aux torts de la société Can. Par un jugement du 20 octobre 2017, le tribunal administratif de Marseille a condamné le Grand port maritime de Marseille à verser à la société Can une indemnité de 516 316,78 euros au titre des frais engagés pour assurer l'exécution du marché. Par une décision du 3 février 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, d'une part, annulé l'arrêt du 15 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par le Grand port maritime de Marseille contre ce jugement et a porté le montant de cette indemnité à la somme de 644 656,14 euros et a renvoyé l'affaire devant cette cour. Par l'arrêt attaqué du 23 septembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a de nouveau porté à 644 656,14 euros l'indemnité due à la société Can.
Sur la recevabilité de l'action de la société Can :
2. D'une part, aux termes de l'article 46.2.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux) applicable au litige : " Dans le cas où le marché prévoit que les travaux doivent commencer sur un ordre de service intervenant après la notification du marché, si cet ordre de service n'a pas été notifié dans le délai fixé par le marché ou, à défaut d'un tel délai, dans les six mois suivant la notification du marché, le titulaire peut () demander, par écrit, la résiliation du marché. / Lorsque la résiliation est demandée par le titulaire en application du présent article, elle ne peut lui être refusée. () / Lorsque la résiliation est prononcée à la demande du titulaire en application du présent article, celui-ci est indemnisé des frais et investissements éventuellement engagés pour le marché et nécessaires à son exécution. Il doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de deux mois, à compter de la notification de la décision de résiliation. "
3. D'autre part, aux termes de l'article 50.1.1 du même document : "Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre ()."
4. Il résulte de ces stipulations que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord, le titulaire doit présenter, dans le délai qu'elles prescrivent, un mémoire en réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat.
5. Il ne résulte pas des stipulations de l'article 46.2.1 du CCAG Travaux que le titulaire du marché, s'il entend être indemnisé sur le fondement de ces stipulations et qu'un différend intervient à ce propos à la suite de sa demande écrite dûment justifiée, dans les conditions mentionnées au point 2, soit dispensé de présenter un mémoire en réclamation répondant aux conditions prévues à l'article 50.1.1 du CCAG Travaux avant de saisir le juge. La cour a donc commis une erreur de droit en considérant que la seule présentation d'une demande écrite prévue à l'article 46.2.1 permettait de regarder la requête comme recevable sans que le titulaire du marché soit tenu de présenter préalablement un mémoire en réclamation au pouvoir adjudicateur.
6. La cour a toutefois par ailleurs relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la société Can avait adressé au maître d'œuvre une copie de sa réclamation au maître d'ouvrage, laquelle répondait aux conditions prévues par l'article 50.1.1 du CCAG Travaux, pour écarter la fin de non-recevoir tirée du défaut de transmission d'un mémoire en réclamation par le titulaire avant la saisine du juge. Ce motif suffit à justifier la solution ainsi retenue par la cour. Par suite, les moyens critiquant le motif mentionné au point précédent peuvent être écartés comme inopérants.
Sur le montant de l'indemnité dûe à la société Can :
7. D'une part, il ne résulte pas des stipulations de l'article 46.2.1 du CCAG Travaux, que les frais et investissements exposés après le terme de la période de préparation ne seraient pas susceptibles d'être indemnisés dès lors que ces dépenses ont été engagées pour le marché et sont nécessaires à son exécution. C'est donc sans commettre d'erreur de droit que la cour, qui n'a pas dénaturé les faits et pièces du dossier sur ce point, a estimé que certaines des dépenses faites par le titulaire après le terme de la période de préparation lui ouvraient droit à indemnité sur le fondement de cet article.
8. D'autre part, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a estimé que des frais et investissements nécessaires pour l'exécution du marché avaient été engagés par la société Can à hauteur de 714 862,16 euros.
9. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi du Grand port maritime de Marseille doit être rejeté.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Grand port maritime de Marseille la somme de 3 000 euros à verser à la société Can au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Can, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, sur son fondement.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du Grand port maritime de Marseille est rejeté.
Article 2 : Le Grand port maritime de Marseille versera à la société Can la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Grand port maritime de Marseille et à la société Can.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 décembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Alexis Goin, auditeur-rapporteur.
Rendu le 29 décembre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Alexis Goin
La secrétaire :
Signé : Mme Nadine PelatICD2NEWN