TA Bordeaux, 25/01/2023, n°2202830
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 mai et le 13 septembre 2022, la société Baudin Chateauneuf, représentée par Me Jean-Pierre Hounieu, demande au tribunal, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire une expertise aux fins de déterminer la réalité du non-fonctionnement de la couverture mobile de la piscine Galin, de dire, si ce non-fonctionnement existe, s'il est imputable à un défaut de conception, à un défaut ou une insuffisance dans la direction ou le contrôle du chantier, ou à une exécution des travaux non conforme aux stipulations contractuelles ou aux règles de l'art par les corps d'Etat intéressés, de définir et chiffrer les travaux propres à y remédier, de déterminer les conséquences des erreurs dans la définition des besoins et des prestations non prévues contractuellement par la commune de Bordeaux, s'agissant du lot n°4 concernant la réalisation des travaux d'étanchéité à l'air entre les ossatures bois et les bandeaux d'habillage en tôle laquée, de donner son avis sur leur imputabilité et en chiffrer les conséquences financières supportées par elle, d'évaluer l'ensemble des préjudices qu'elle a subis en lien avec les difficultés qu'elle a rencontrées dans le cadre de l'exécution du lot n°4 du marché portant sur la restructuration de la piscine Galin. Elle demande enfin que l'expert rédige un pré-rapport et que les dépens soient réservés.
Elle soutient que :
-dans le cadre de la restructuration de la piscine Galin, la maîtrise d'œuvre et la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) ont été confiées à la société Atelier Architecte Ferret. Les travaux ont été décomposés en 17 lots. Il lui a été confié la réalisation du lot n°4 " couverture mobile ", selon un acte d'engagement du 20 décembre 2019 souscrit selon une procédure négociée. La commune de Bordeaux a en définitive retenu son offre d'un montant total de 594 327 euros hors taxe consistant à remplacer à neuf les six structures métalliques (en excluant la pose du polycarbonate et la réalisation de l'étanchéité à l'air initialement prévus) et la commune de Bordeaux a modifié le CCTP du lot n°4 en ce sens. Le complexe d'étanchéité à l'air, comprenant l'installation de la couverture polycarbonate a été confiée à la société SMAC, titulaire du lot n°3. Le 28 avril 2021, la société requérante a été informée de la présence de peinture écaillée sur les pannes de la toiture. Il a de plus été constaté que le module 5 était empêché dans sa manœuvre car la tôle d'habillage des panneaux de polycarbonate venait en butée sur la panne. La requérante soutient que les travaux qu'elle a réalisés sont parfaitement conformes aux plans d'exécution, la manipulation des panneaux n'ayant pas posé de difficulté avant la pose du complexe d'étanchéité par la société SMAC. En l'absence d'accord sur une solution pérenne, la commune de Bordeaux envisage de confier les travaux de rabotage et de renforcement des pannes concernées à la société Julien Lavoine, titulaire du lot n°2 " Charpente bois ", aux frais et risques de la requérante.
- s'agissant de difficultés d'exécution d'un marché public, l'expertise est utile dans le cadre d'un litige ultérieur devant le juge du fond dans le cadre d'une action liée à l'exécution ou dans le cadre d'une action indemnitaire.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2022, l'entreprise Julien Lavoine, représentée par Me Ingrid Thomas, déclare ne pas s'opposer à la mesure d'expertise sollicitée, sous les protestations et réserves d'usage et sollicite que l'expert judiciaire soit désigné au contradictoire des codéfendeurs, ce qui constitue une demande en justice au sens de l'article 2241 du code Civil, étant précisé qu'il en sera tiré argument devant le juge du fond comme étant interruptive de prescription dans les actions entre constructeurs et comme étant suspensive du délai applicable, par application de l'article 2239 du Code Civil. Elle demande en outre au juge des référés que les dépens soient réservés.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 20 juin et le 24 août 2022, la société SMAC déclare ne pas s'opposer à la mesure d'expertise sollicitée sous les protestations et réserves d'usage concernant sa responsabilité et sollicite que l'expert judiciaire soit désigné au contradictoire des codéfendeurs, ce qui constitue une demande en justice au sens de l'article 2241 du code Civil, étant précisé qu'il en sera tiré argument devant le juge du fond comme étant interruptive de prescription dans les actions entre constructeurs et comme étant suspensive du délai applicable, par application de l'article 2239 du Code Civil. Elle demande en outre qu'il soit enjoint à l'expert de se prononcer sur l'existence des non-conformités des ouvrages qu'elle a réalisés telles que reprochées par la commune de Bordeaux aux termes de sa mise en demeure du 30 mai 2022, de constater l'existence de toutes dégradations subies sur les ouvrages qu'elle a réalisés au titre des essais d'ouverture de la toiture mobile, de donner tout avis technique sur l'origine et les causes de ces dégradations, de déterminer si la solution réparatoire de nature à pallier le dysfonctionnement de la toiture mobile implique l'exécution de travaux modificatifs des ouvrages qu'elle a réalisés et le cas échéant les décrire et en évaluer le coût, d'évaluer le montant de son préjudice afin de permettre à la juridiction administrative de statuer ultérieurement sur la responsabilité des intervenants en cause. Elle demande enfin au juge des référés que les dépens soient réservés.
Elle soutient que la demande présente un certain caractère d'urgence puisque le maître d'ouvrage, après avoir mis en demeure l'entreprise Baudin Chateauneuf, a décidé de faire réaliser les travaux de reprise par l'entreprise Lavoine, au risque de la destruction des éléments permettant à l'expert de déterminer la cause des dysfonctionnements.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2022, la commune de Bordeaux conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que l'expertise est inutile car :
- le désordre a déjà été constaté lors d'un essai contradictoire le 1er mars 2022 ;
- l'imputabilité du désordre relève d'une question de droit qui est de savoir si la mobilité de la couverture, avant réception des travaux du lot concerné, relève ou non de la responsabilité contractuelle de l'entreprise ayant en charge sa réalisation.
- la solution réparatoire, avec description et chiffrage des travaux à réaliser, a été identifiée par le maître d'œuvre dans le compte rendu des OPR du 4 mai 2021, à savoir un rabotage de 20 mm des 4 pannes et le renforcement par des plats en acier boulonnés pour un montant de 198 396,43 euros hors taxe selon devis détaillé joint dans la décision de poursuite des travaux aux frais et risques du 6 mai 2022 prise conformément à l'article 48 du CCAG travaux.
- si l'entreprise requérante indique avoir réalisé des travaux d'étanchéité à l'air qui ne seraient pas compris dans son marché, il s'agit à nouveau d'un point de droit, qui ne peut faire l'objet d'une expertise.
- il appartient à la requérante conformément à l'article 50.1.1 du CCAG travaux d'exposer dans un mémoire en réclamation " les motifs de son différend, d'indiquer les montants de ses réclamations et de fournir les justifications nécessaires correspondant à ces montants " avant une éventuelle action en justice.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2022, la société Atelier d'architectures Ferret déclare ne pas s'opposer à la mesure d'expertise sollicitée, sous les protestations et réserves d'usage en ce qui concerne sa responsabilité et demande que les dépens soient réservés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
Sur la mesure d'expertise sollicitée :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. () ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher.
2. Dans le cadre de la réalisation de la restructuration de la piscine Galin, la maîtrise d'œuvre et la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) ont été confiées à la société Atelier d'architecture Ferret. Les travaux ont été décomposés en 17 lots. Il a été confié à la société Beaudin Châteauneuf la réalisation du lot n°4 " couverture mobile ", selon un acte d'engagement du 20 décembre 2019 souscrit selon une procédure négociée. La commune de Bordeaux a en définitive retenu son offre d'un montant total de 594 327 euros hors taxe consistant à remplacer à neuf les six structures métalliques (en excluant la pose du polycarbonate et la réalisation de l'étanchéité à l'air initialement prévus) et la commune de Bordeaux a modifié le CCTP du lot n°4 en ce sens. Le complexe d'étanchéité à l'air, comprenant l'installation de la couverture polycarbonate a été confié à la société SMAC, titulaire du lot n°3. Le 28 avril 2021, la société requérante a été informée de la présence de peinture écaillée sur les pannes de la toiture. Il a de plus été constaté que le module 5 était empêché dans sa manœuvre car la tôle d'habillage des panneaux de polycarbonate venait en butée sur la panne. La requérante soutient que les travaux qu'elle a réalisés sont parfaitement conformes aux plans d'exécution, la manipulation des panneaux n'ayant pas posé de difficulté avant la pose du complexe d'étanchéité par la société SMAC. La société Baudin Châteauneuf a fait l'objet d'une mise en demeure de la part de la commune de Bordeaux le 30 mai 2022. En l'absence d'accord sur une solution pérenne, la commune de Bordeaux envisage de confier les travaux de rabotage et de renforcement des pannes concernées à la société Julien Lavoine, titulaire du lot n°2 " Charpente bois ", aux frais et risques de la requérante.
3. Par une demande reconventionnelle, la société SMAC, titulaire du lot n°3 demande qu'il soit enjoint à l'expert de se prononcer sur l'existence des non-conformités des ouvrages qu'elle a réalisés telles que reprochées par la commune de Bordeaux aux termes de sa mise en demeure du 30 mai 2022, de constater l'existence de toutes dégradations subies sur les ouvrages qu'elle a réalisés au titre des essais d'ouverture de la toiture mobile, de donner tout avis technique sur l'origine et les causes de ces dégradations, de déterminer si la solution réparatoire de nature à pallier le dysfonctionnement de la toiture mobile implique l'exécution de travaux modificatifs des ouvrages qu'elle a réalisés et le cas échéant les décrire et en évaluer le coût, d'évaluer le montant de son préjudice afin de permettre à la juridiction administrative de statuer ultérieurement sur la responsabilité des intervenants en cause.
4. Si la commune de Bordeaux conteste le bien-fondé de la demande d'expertise, pour des motifs de droit et déclare que les désordres ont été identifiés ainsi que la solution réparatoire, il résulte cependant de l'instruction que les dysfonctionnements de la couverture mobile peuvent avoir plusieurs causes dont la détermination relève de l'intervention d'un expert de même que la préconisation de solutions réparatoires. Par ailleurs les difficultés rencontrées pour l'exécution du marché conclu pour la restructuration de la piscine Galin concernant les lots 3 et 4 attribués respectivement aux société SMAC et Baudin Châteauneuf sont manifestement à l'origine de préjudices et sont donc susceptibles de donner lieu à un litige relevant de la compétence du juge administratif. Ainsi, l'évaluation des préjudices des parties pose des questions de fait sur lesquelles l'avis d'un expert peut aider le juge éventuellement saisi à décider. Par suite, sous réserve que l'expert procède à l'évaluation des préjudices à la date de remise de son rapport, l'expertise demandée est utile et entre dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article R. 532-1 du code de justice administrative.
5. Toutefois, le juge administratif ne peut pas demander à l'expert de se prononcer sur une question de droit et, notamment, de porter une appréciation sur l'étendue des obligations qu'un contrat met à la charge des parties. Par suite, il ne peut être confié à l'expert la mission d'apprécier si les prestations réalisées par les entreprises Baudin Châteaneuf et SMAC relèvent ou non de leur responsabilité contractuelle sans que cela fasse obstacle à ce que l'expert fournisse au juge l'ensemble des éléments de fait utiles à la détermination des responsabilités encourues.
6. Il y a lieu dès lors de faire droit à la demande d'expertise de la société Baudin Châteauneuf et à la demande reconventionnelle de la société SMAC en limitant la mission de l'expert comme il est précisé à l'article 1er de la présente ordonnance, au contradictoire des sociétés Baudin Châteauneuf et SMAC, de l'Atelier d'architecte Ferret, de l'entreprise Julien Lavoine et de la commune de Bordeaux.
Sur l'établissement d'un pré-rapport :
7. S'agissant de l'exercice par l'expert de la mission qui lui est assignée par la présente ordonnance, aucune disposition du code de justice administrative, ni aucun principe général du droit ne lui font obligation d'établir un pré-rapport. L'expert, dans la conduite des opérations qui lui sont confiées et dont il définit librement les modalités pratiques, de concert avec les parties, ne saurait se voir soumis à d'autres obligations que celles issues du principe du contradictoire. L'établissement d'un pré-rapport adressé aux parties en vue de recueillir leurs éventuelles observations ne constitue donc qu'une modalité opérationnelle de l'expertise dont il appartient à l'expert d'apprécier la nécessité d'y recourir. Il suit de là que les conclusions de la société Baudin Châteauneuf tendant à ce que l'expert communique un pré-rapport aux parties afin qu'elles puissent y répondre sous forme de dires ne peuvent être accueillies.
O R D O N N E
Article 1er : M. A B, est désigné en qualité d'expert. Il aura pour mission :
1°) de se rendre sur les lieux ; d'entendre les parties et tous sachants ; de prendre connaissance de tous documents utiles, notamment les pièces contractuelles, à la bonne fin de l'expertise ;
2°) de rechercher et préciser les liens contractuels unissant les parties, décrire les missions confiées par le maître de l'ouvrage au groupement de maîtrise d'œuvre ainsi qu'à chacun des constructeurs attraits à la présente instance, et si possible, annexer à son rapport les marchés, avenants, ordres de service et tous autres documents utiles ;
3°) de dresser un état descriptif technique et qualitatif précis des travaux réalisés et dire si ces travaux présentent des dégradations, vices ou désordres et s'ils compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ;
4°) de déterminer les causes de ces désordres, en précisant si et, le cas échéant, dans quelle mesure ils sont imputables à des erreurs de conception, à des déficiences dans l'exécution ou le contrôle des travaux ou à toute autre cause ; de dire si les travaux ont été conduits conformément aux documents contractuels et aux règles de l'art ; de dire notamment si les travaux réalisés par les sociétés Baudin Châteauneuf et SMAC sont conformes aux plans d'exécution ;
5°) de déterminer et chiffrer les travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés ; de donner notamment son avis sur la solution envisagée par la commune de Bordeaux ; de faire procéder à des travaux de rabotage de 20 mm des quatre pannes et de renforcement par des plats en acier boulonnés pour un montant de 198 396,43 euros hors taxe ;
6°) d'évaluer les préjudices subis par les sociétés Baudin Châteauneuf et SMAC, en conséquence directe et certaine des désordres relevés ;
7°) d'apporter tous éléments utiles à la détermination des responsabilités encourues et à la solution amiable ou contentieuse du litige opposant les parties ;
8°) de concilier éventuellement les parties sur la base d'une transaction qui pourrait se révéler en cours d'expertise et d'engager éventuellement une médiation entre les parties ;
9°) d'une façon générale, recueillir tout élément et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer le tribunal dans son appréciation des responsabilités éventuellement encourues et des préjudices subis ;
Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président du tribunal administratif.
Article 3 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 4 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre la commune de Bordeaux, les sociétés Baudin Châteauneuf, SMAC et Atelier d'architecte Ferret et l'entreprise Julien Lavoine.
Article 5 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative.
Article 6 : L'expert qui communiquera aux parties un pré-rapport, s'il l'estime utile, avec un délai leur permettant de faire valoir leurs dires avant d'analyser leurs observations dans un rapport définitif, déposera le rapport définitif au greffe en deux exemplaires dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès du tribunal de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 7 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président du tribunal liquidera et taxera ces frais et honoraires.
Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Bordeaux, aux sociétés Baudin Châteauneuf, SMAC et Atelier d'architecte Ferret et à l'entreprise Julien Lavoine et à M. A B, expert.
Fait à Bordeaux, le 25 janvier 2023.
La présidente du tribunal,
Juge des référés,
Cécile MARILLER
La République mande et ordonne à la préfète de la Gironde, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,