TA Cergy-P, 01/12/2022, n°1913536

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 1913536 le 28 octobre 2019 et deux mémoires, enregistrés le 10 juillet 2020 et le 31 mars 2021, la société par actions simplifiées (SAS) Maintenance Industrie, représentée par la SCP Richer et Associés Droit Public, demande au tribunal :

1°) de condamner la commune de Franconville-la-Garenne (Val-d'Oise) à lui verser la somme globale de 309 495,50 euros hors taxes (HT) en réparation des préjudices nés de la résiliation du lot n° 1 du marché portant sur des prestations de nettoyage dans neuf bâtiments communaux ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Franconville-la-Garenne la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête, qui tend à invalider la décision de résiliation et devait donc être introduite dans les deux mois suivant sa notification, est recevable ;

- la décision du 30 août 2019 par laquelle le maire de Franconville-la-Garenne a résilié le lot n° 1 du marché relatif à des prestations de nettoyage dans neuf bâtiments communaux notifié le 12 février 2019 est irrégulière dès lors que :

o elle a été signée par une autorité incompétente ;

o elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ;

o la faute qui lui est imputée dans l'exécution des prestations n'est pas démontrée ;

o la commune ne l'a pas mise à même de réaliser les prestations dans de bonnes conditions ;

o le marché a été parfaitement exécuté et aucune remarque sur la qualité des prestations ne lui a été faite avant la mise en demeure ;

- elle est donc fondée à demander la réparation des frais qu'elle a engagés à hauteur de 44 985 euros HT, de son manque à gagner qui doit être évalué à 204 510,50 euros HT, de son préjudice commercial et d'image qui s'élève à 50 000 euros et d'un préjudice moral d'un montant de 10 000 euros ;

- les conclusions reconventionnelles présentées par la commune de Franconville-la-Garenne sont irrecevables en raison du privilège du préalable qui interdit le cumul de l'action administrative et de l'action contentieuse et des stipulations de l'article 34 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de fournitures courantes et de services (CCAG/FCS) qui imposent à l'acheteur la notification d'un décompte de résiliation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 février 2020, le 18 février 2021 et le 4 mai 2021, la commune de Franconville-la-Garenne, représentée par Me Rayssac, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre reconventionnel, à la condamnation de la SAS Maintenance Industrie à lui verser la somme globale de 186 334,39 euros toutes taxes comprises (TTC) ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Maintenance Industrie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la SAS Maintenance Industrie a saisi la juridiction avant l'expiration du délai imparti à la commune pour lui notifier le décompte de résiliation et la décision de rejet de sa contestation ;

- la résiliation n'est entachée d'aucune irrégularité externe ;

- la résiliation est justifiée par la méconnaissance répétée de ses obligations contractuelles par la SAS Maintenance Industrie ;

- cette résiliation étant régulière, les préjudices invoqués par la société requérante ne peuvent être indemnisés ;

- à titre subsidiaire, ces derniers ne sont assortis d'aucun justificatif permettant d'en apprécier la réalité ;

- ses conclusions reconventionnelles sont recevables sans méconnaissance du privilège du préalable. A ce titre :

o elle est fondée à demander la condamnation de la société requérante à la somme de 158 510,30 euros TTC au titre de la réfaction de prix pour absence de service fait ;

o elle est fondée à demander le règlement des pénalités prévues à l'article 11.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché à hauteur de 16 600 euros ;

o elle est fondée à demander la réparation du préjudice moral et d'image que lui a causé la SAS Maintenance Industrie du fait de la mauvaise exécution des prestations qui doit être évalué à 10 000 euros ;

o elle est fondée à demander la somme de 1 224,09 euros TTC pour le remboursement du constat d'huissier établi au mois de septembre 2019 pour faire caractériser la persistance par la SAS Maintenance Industrie de ses manquements contractuels.

Par une ordonnance du 6 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 juin 2021 à 12 heures.

Par un courrier du 8 novembre 2022, le tribunal a informé les parties, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'il était susceptible de soulever un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles présentées par la commune de Franconville-la-Garenne, à raison de l'irrecevabilité contractuelle des conclusions principales présentées par la SAS Maintenance Industrie.

Par un courrier enregistré le 9 novembre 2022, la SAS Maintenance Industrie a présenté des observations sur ce moyen d'ordre public, qui n'ont pas été communiquées.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 2006164 le 7 juillet 2020, et un mémoire enregistré le 11 juin 2021, la SAS Maintenance Industrie, représentée par la SCP Richer et Associés Droit Public, demande au tribunal :

1°) de rectifier le décompte de résiliation du 3 mars 2020 du lot n° 1 du marché portant sur des prestations de nettoyage dans neuf bâtiments communaux en retirant la somme de 186 334,39 euros portée à son débit et en ajoutant à son crédit la somme globale de 318 676,92 euros en réparation des préjudices nés des conséquences de la résiliation et au titre de prestations impayées, assortie des intérêts moratoires à compter de la réception du mémoire en réclamation et de leur capitalisation ;

2°) de condamner la commune de Franconville-la-Garenne à lui verser la somme globale de 318 676,92 euros assortie des intérêts moratoires à compter de la réception du mémoire en réclamation et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Franconville-la-Garenne la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les sommes mises à sa charge par ce décompte sont injustifiées :

o les réfactions, qui sont fondées sur des défaillances contractuelles non établies et n'ayant pas fait l'objet d'un constat contradictoire, ne reposent sur aucun fondement contractuel dès lors que l'admission implicite des prestations était acquise ;

o la prise à charge des frais d'huissier n'est pas prévue au contrat ;

o le préjudice d'image n'est pas établi et n'est pas fondé sur une stipulation contractuelle ;

o les pénalités contractuelles ne sont pas dues ;

- la décision de résiliation est irrégulière ;

- elle est ainsi fondée à demander la somme globale de 309 495,50 euros en réparation des préjudices subis ;

- elle est également fondée à demander la condamnation de la commune de Franconville-la-Garenne à la somme de 38 102,64 euros pour le règlement de deux factures impayées ;

- ces sommes doivent être intégrées dans le décompte à son crédit.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mai 2021, la commune de Franconville-la-Garenne, représentée par Me Rayssac, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre reconventionnel, à la condamnation de la SAS Maintenance Industrie à lui verser la somme globale de 186 334,39 euros toutes taxes comprises (TTC) ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Maintenance Industrie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que le différend contractuel, qui est né du rejet implicite du courrier de contestation du 21 avril 2020, n'a pas fait l'objet d'un mémoire en réclamation avant la saisine du juge ;

- la résiliation n'est pas fautive ;

- elle est fondée à demander à titre reconventionnel la condamnation de la société requérante à la somme globale de 186 334,39 euros TTC au titre de la réfaction de prix, des pénalités, de son préjudice moral et d'image et du remboursement des frais d'huissier.

Par une ordonnance du 25 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juin 2021 à 12 heures.

Par un courrier du 8 novembre 2022, le tribunal a informé les parties, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'il était susceptible de soulever un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles présentées par la commune de Franconville-la-Garenne, à raison de l'irrecevabilité contractuelle des conclusions principales présentées par la SAS Maintenance Industrie.

Par un courrier enregistré le 9 novembre 2022, la SAS Maintenance Industrie a présenté des observations sur ce moyen d'ordre public, qui n'ont pas été communiquées.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sitbon, conseiller ;

- les conclusions de M. Camguilhem, rapporteur public ;

- les observations de Me Guiorguieff pour la SAS Maintenance Industries ;

- et les observations de Me Augier pour la commune de Franconville-la-Garenne.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement conclu le 11 février 2019, la commune de Franconville-la-Garenne (Val-d'Oise) a attribué à la société par actions simplifiée (SAS) Maintenance Industrie un marché portant sur le nettoyage des groupes scolaires de la commune. Ce marché mono-attributaire a été conclu pour une durée de douze mois, renouvelable trois fois. Par un courrier du 30 août 2019, la commune de Franconville-la-Garenne a résilié ce marché pour faute du titulaire, avec prise d'effet au 6 janvier 2020. Par un courrier du 3, reçu le 5 mars 2020, la commune de Franconville-la-Garenne a notifié à la SAS Maintenance Industrie le décompte de résiliation du marché. Le 21 avril 2020, la société a adressé à la commune un courrier de réclamation tendant à la contestation de ce décompte, lequel est resté sans réponse. Par les présentes requêtes, la SAS Maintenance Industrie demande au tribunal de condamner la commune de Franconville-la-Garenne à l'indemniser des préjudices occasionnés par la mesure de résiliation et à lui régler des impayés et de rectifier le décompte de résiliation en retirant les sommes mises à sa charge et en ajoutant les indemnités qui lui sont dues à son crédit.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n°s 1913536 et 2006164 sont relatives à l'exécution et la résiliation d'un même marché public, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul et même jugement.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. Aux termes de l'article 34 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés de fournitures courantes et de services (FCS), dans sa rédaction issue de l'arrêté interministériel du 19 janvier 2009, applicable au marché en litige : "34.1. La résiliation fait l'objet d'un décompte de résiliation qui est arrêté par le pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire / () 34.5. La notification du décompte par le pouvoir adjudicateur au titulaire doit être faite au plus tard deux mois après la date d'effet de la résiliation du marché ()". Selon l'article 37 de ce cahier : "37.1. Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché. / 37.2. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. / 37.3. Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation.".

4. Il résulte des stipulations de l'article 37 précédemment citées du cahier des clauses administratives générales que, lorsqu'intervient, au cours de l'exécution d'un marché, un différend entre le titulaire et l'acheteur, résultant d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de ce dernier et faisant apparaître le désaccord ou du silence gardé par ce dernier sur une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai, le titulaire doit présenter, dans un délai de deux mois, un mémoire de réclamation, à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge du contrat. En revanche, dans l'hypothèse où l'acheteur a résilié unilatéralement le marché, puis s'est abstenu d'arrêter le décompte de liquidation dans le délai qui lui était imparti, si le titulaire ne peut saisir le juge qu'à la condition d'avoir présenté au préalable un mémoire de réclamation et s'être heurté à une décision de rejet, les stipulations de l'article 37 relatives à la naissance du différend et au délai pour former une réclamation ne sauraient lui être opposées.

5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la SAS Maintenance Industrie, les conclusions qu'elle a présentées à l'appui de la requête n° 1913536 ne tendent pas à la reprise des relations contractuelles mais à la réparation des préjudices nés des conséquences de l'irrégularité de la résiliation. Par suite, sa demande devait faire l'objet de la procédure amiable prévue à l'article 37 précité du CCAG/FCS, préalablement à la saisine du juge. Il résulte toutefois de l'instruction qu'à la date d'introduction de cette requête, la demande indemnitaire préalable du 25 octobre 2019, qui avait donc pour objet de faire naître le différend contractuel, n'avait pas été expressément ou implicitement rejetée. Dès lors, ce différend n'étant pas né à cette date, le juge ne pouvait être régulièrement saisi. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir soulevée par la commune à l'encontre de la requête n° 1913536 doit être accueillie.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 21 avril 2020 intitulé " mémoire en réclamation ", la société requérante a contesté le décompte de résiliation auprès de l'acheteur. Néanmoins, et dès lors que le décompte avait été notifié dans le délai de deux mois imparti par les stipulations précitées de l'article 34 du CCAG/FCS, les stipulations précitées de l'article 37 de ce CCAG relatives à la naissance du différend contractuel étaient opposables au titulaire. Par suite, ce courrier n'a pu avoir pour objet que de faire naître ce différend, qui a été constitué le 21 juin 2020 par le rejet implicite de cette contestation. La SAS Maintenance Industrie a donc saisi directement le juge de ce différend par une deuxième requête enregistrée le 7 juillet 2020, sans adresser préalablement à la commune le mémoire en réclamation prévu par l'article 37 du CCAG/FCS. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir soulevée en défense à l'encontre de la requête n° 2006164 doit également être accueillie.

7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la SAS Maintenance Industrie sont irrecevables et ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions reconventionnelles présentées par la commune en défense.

Sur les frais liés au litige :

8. La SAS Maintenance Industrie étant pour l'essentiel perdante au litige, il y a lieu de faire droit à concurrence de 2 000 euros aux conclusions de la commune de Franconville-la-Garenne présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, et par voie de conséquence, les conclusions de la SAS Maintenance Industrie présentées sur le même fondement doivent être rejetées.

Par ces motifs, le tribunal décide :

Article 1er : Les requêtes n°s 1913536 et 2006164 sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions reconventionnelles présentées par la commune de Franconville-la-Garenne sont rejetées.

Article 3 : La SAS Maintenance Industrie versera à la commune de Franconville-la-Garenne la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Maintenance Industrie et à la commune de Franconville-la-Garenne.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Oriol, présidente,

Mme A et M. Sitbon, conseillers,

Assistés de Mme Ricaud, greffière.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

Le rapporteur,

Signé

J. Sitbon

La présidente,

Signé

C. Oriol

La greffière,

Signé

V. Ricaud

La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour ampliation,

La greffière

N°s 1913536 - 2006164

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