TA de Nîmes, 28/07/2022, n°2202132

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 et 25 juillet 2022, la société Cité de Mémoire, représentée par Me Grenier, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de passation engagée par le département de la Lozère en vue de l'attribution des lots n°7, 8 et 9 d'un accord-cadre portant sur des prestations de numérisation de documents d'archives ;
2°) d'enjoindre au département de la Lozère de reprendre la procédure d'attribution au stade de l'analyse des offres ;
3°) de suspendre la notification du marché à la société attributaire VectraCom ;
4°) de mettre à la charge du département de la Lozère la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :

  • sa requête est recevable dès lors que le contrat litigieux n'est pas signé ;
  • des manquements sont susceptibles de l'avoir lésée dans la procédure de passation :
    ° le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que le bordereau de prix unitaire (BPU) et le détail estimatif simulatif (DES) transmis ne comportaient pas d'indications quant à l'unité de prix ; qu'à défaut de précision, elle n'a pas pu proposer une offre pertinente ; qu'en outre, une méthode de tarification à la minute ne permet pas de choisir l'offre économiquement la plus avantageuse dès lors que le pouvoir adjudicateur n'a pas connaissance de la durée des documents à numériser ;
    ° le pouvoir adjudicateur a dénaturé son offre au regard du critère " prix des prestations " en l'évaluant selon une méthode de tarification à la minute, alors qu'elle proposait une tarification au document ;
    ° l'offre de la société attributaire était anormalement basse au sens de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique et aurait dû être écartée pour ce motif par le pouvoir adjudicateur qui a manqué à son obligation de contrôle ; que le principe de l'allotissement suppose une réponse individualisée qui implique que la société VectraCom ne pouvait baser son offre financière sur l'hypothèse de se voir attribuer plusieurs lots ;
    Par des mémoires en défense enregistrés le 19 juillet 2022, la société VectraCom, conclut au rejet de la requête.
    Elle soutient que :
  • la société requérante n'a pas été lésée par les manquements allégués ;
  • aucun manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence n'est caractérisé.
    Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 et 25 juillet 2022, le département de la Lozère conclut au rejet de la requête.
    Il soutient que :
  • la société requérante n'a pas été lésée par les manquements allégués ;
  • aucun manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence n'est caractérisé.
    Vu les autres pièces du dossier.
    Vu :
  • le code de la commande publique ;
  • le code de justice administrative ;
    Le président du tribunal a désigné Mme Galtier, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.
    Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
    Ont été entendus au cours de l'audience publique du 26 juillet 2020 à 10H00 :
  • le rapport de Mme Galtier, juge des référés ;
  • les observations de Me Garcia, représentant la société Cité de Mémoire, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures ;
  • la société VectraCom n'étant ni présente ni représentée ;
  • le département de la Lozère n'étant ni présent ni représenté.
    La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Le département de la Lozère a lancé une procédure adaptée en vue de la passation d'un accord-cadre portant sur des prestations de numérisation de documents d'archives, divisé en 10 lots. Les lots n°7 " Films ", n°8 " bande magnétique audiovisuelle " et n°9 " bande magnétique sonore " ont été attribués à la société VectraCom. La société Cité de Mémoire, informée du rejet de ses offres par des courriers du 6 juillet 2022, conteste la régularité de la procédure suivie.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Selon l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

5. L'article 7.2 du règlement de consultation prévoyait deux critères pour le jugement des offres :  le critère n°1 " prix des prestations ", pondéré à 30% et évalué sur la base du détail estimatif simulatif, et le critère n°2 " qualité technique de l'offre ", pondéré à 70% et analysé sur la base du mémoire technique des candidats.

6. Pour contester l'évaluation de la qualité financière de ses offres aux lots 7 à 9, et leur classement en deuxième position, la société Cité de Mémoire fait valoir que ni le bordereau des prix unitaires (BPU), ni le détail estimatif simulatif n'indiquaient les modalités de tarification attendue par le pouvoir adjudicateur, l'ayant ainsi conduit à proposer une tarification unitaire au document d'un montant supérieur à la tarification unitaire à la minute proposée par la société concurrente VectraCom. Si le département de Lozère fait valoir dans ses écritures que des précisions sur l'unité de prix ont été apportées à l'ensemble des candidats avant la date limite de remise des offres, il ressort toutefois de ces échanges que si une tarification à la minute était attendue pour les documents audiovisuels et/ou sonores, cette mention était contredite par une autre précision du pouvoir adjudicateur mentionnant qu'il attendait, pour les lots 7 à 10, une tarification au document et à la minute pour les supports audiovisuels, et à la vue pour les autres documents. Par ailleurs, une telle attente du pouvoir adjudicateur, qui a indiqué à plusieurs reprises n'être pas en mesure de quantifier ses besoins en nombre ou mesure des documents, ou en minutes de visionnage, n'est pas cohérente avec les quantités indicatives des BPU des lots n°7 à 9, dont la référence à une quantité unique pour la plupart des supports considérés n'est pas en adéquation avec une tarification unitaire à la minute. Dans ces conditions, la société Cité de Mémoire est fondée à soutenir que les termes des pièces au dossier de consultation concernant le critère du prix, par leur imprécision ou leur caractère ambigu, ne permettaient pas aux candidats de connaître précisément les attentes du pouvoir adjudicateur, et ont ainsi conduit à une rupture d'égalité entre les candidats. Ce vice a, en l'espèce, lésé la société requérante, qui a obtenu des notes moins élevées que l'entreprise attributaire du contrat s'agissant du critère relatif au prix.

7. Il résulte de ce qui précède que, eu égard à la nature et à la portée du manquement précité et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler la procédure litigieuse en son entier.

Sur les conclusions en injonction :

8. Eu égard à l'annulation prononcée, il appartiendra au département de la Lozère, si il entend conclure les marchés en cause, d'engager une procédure de passation dans des conditions conformes aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Le département de la Lozère n'étant toutefois pas tenue de relancer la procédure annulée, il n'y pas lieu de prononcer l'injonction sollicitée.

Sur les frais liés au litige :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département de la Lozère le versement à la société Cité de Mémoire de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La procédure de passation de l'accord-cadre correspondant aux lots n° 7 " Films ", n° 8 " bande magnétique audiovisuelle " et n° 9 " bande magnétique sonore " des prestations de numérisation de documents d'archives du département de la Lozère est annulée.
Article 2 : Le département de la Lozère versera à la société Cité de Mémoire la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Cité de Mémoire, au département de la Lozère et à la société VectraCom.
Fait à Nîmes, le 27 juillet 2022.
Le juge des référés,
F. GALTIER
La République mande et ordonne au préfet de la Lozère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

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