TA Guadeloupe, 08/12/2022, n°2201276

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 novembre 2022, le 29 novembre 2022 et le 5 décembre 2022, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentée par Maître Rodolphe Rayssac, demande, dans le dernier état de ses écritures, au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

A titre principal :

- d'annuler totalement la consultation lancée par le Centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe, établissement support du GHT de Guadeloupe ayant pour objet des prestations de services d'assurance pour les établissements membres du GHT de Guadeloupe - lots 1 à 10 (consultation n°2200079) ;

A titre subsidiaire :

- d'annuler partiellement ladite consultation ;

En tout état de cause :

- d'ordonner au CHU de la Guadeloupe, établissement support du GHT de Guadeloupe de se conformer à son obligation de publicité et de mise en concurrence - respect du principe d'impartialité par l'exclusion de la société ACAOP et son dirigeant, Monsieur C de la consultation attaquée ;

- de mettre à la charge du CHU de la Guadeloupe, une somme de 5 000 euros à lui verser, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société requérante fait valoir que :

- le CHU de la Guadeloupe méconnait ses obligations de publicité et de mise en concurrence, précisément les dispositions de l'article L.2141-10 du code de la commande publique et le principe d'impartialité ;

- la violation du principe d'impartialité, principe général du droit, résulte d'un conflit d'intérêts ;

- les deux conditions posées par l'article L.2141-10 précité sont, en l'espèce, remplies :

- l'impartialité de M. C, dirigeant de la société ACAOP, assistant à maîtrise d'ouvrage dans la procédure de passation attaquée, tout en étant créancier du BEAH, est en cause tant à l'égard de celui-ci qu'à l'égard de la SHAM ;

- plusieurs décisions de justice ont reconnu que M. C et la société ACAOP étaient en situation de conflits d'intérêts.

- en réponse au mémoire en défense, la société requérante fait valoir l'inopérance du moyen relatif au secret des affaires.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 29 novembre 2022, le Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, représenté par Maître Yanick Louis-Hodebar, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la SHAM, une somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Il soutient que :

- il n'y a pas de conflits d'intérêts, ni de risque de violation de l'obligation de confidentialité ;

- et qu'en conséquence, aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. B en application de l'article 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Lubino, greffière d'audience, M. B a lu son rapport et entendu :

- les observations de Maître Caroline Valère-Landais, substituant Maître Rayssac, représentant la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM),

- celles de Me Gladys Démocrite, substituant Maître Louis-Hodebar, représentant le Centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à concurrence ayant pour objet des prestations de services d'assurance pour les établissements membres du GHT de Guadeloupe - lots 1 à 10 (consultation n°2200079), le Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, établissement support du GHT de la Guadeloupe, a lancé une consultation ayant pour objet des prestations de services d'assurance. Cette consultation comportait dix lots et la date limite de remise des offres a été fixée au 9 décembre 2022. Le Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe a confié à la société ACAOP (Audit et Conseil en Assurance des Organismes Publics), dirigée par M. C, une mission d'audit et d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour la passation des marchés d'assurance du groupement hospitalier. Par la présente requête, la SHAM demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'annuler la procédure litigieuse et, en tout état de cause, d'enjoindre au pouvoir adjudicateur de se conformer à son obligation de publicité et de mise en concurrence en excluant la société ACAOP et son dirigeant, M. C, de la consultation litigieuse.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat". En vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.

3. Aux termes du I de l'article L. 551-2 du code de justice administrative : "Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations."

4. Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe a désigné la société ACAOP en tant qu'assistant à maîtrise d'ouvrage. Or, la SHAM soutient que la société ACAOP, en tant qu'assistant à maître d'ouvrage, va contribuer à l'analyse des offres des candidats à compter du 9 décembre 2022. Cette allégation, qui est justifiée du fait de la qualité d'assistant à maître d'ouvrage de la société ACAOP, n'est pas contestée par le Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe en défense, tant dans ses écritures qu'à la barre. Dans ces conditions, et même si le CHU fait valoir qu'elle ne dispose pas du pouvoir décisionnaire, la SHAM est fondée à soutenir que la société ACAOP est susceptible d'influencer la procédure litigieuse au stade de l'analyse des offres.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société ACAOP est dirigée par M. C qui, après avoir dirigé la société Protectas, qui intervenait alors en qualité d'assistant à maîtrise d'ouvrage, a créé, en 2009, un cabinet de courtage dénommé BEAH, avant de créer en 2019, la société ACAOP qui intervient en tant qu'assistant à la maîtrise d'ouvrage.

7. Or, si M. C a cédé les parts qu'il détenait au sein de la société BEAH en 2019, il n'est pas contesté qu'il entretient toujours des liens amicaux avec M. A, qui était le directeur général de BEAH lorsqu'il en était le président, et qui dirige actuellement la société Emileo, détentrice à hauteur de 100 % des parts de BEAH à travers la détention à 100 % de la société BE Assurances. Ensuite, il résulte de l'instruction que M. C a consenti un prêt au profit de la société BE Assurances, d'un montant total de la cession de ses parts, soit de 223 000 euros à rembourser au plus tard le 15 décembre 2022, soit en pleine période d'analyse des offres de la procédure de passation litigieuse. Enfin, la société requérante produit à l'appui de ses allégations plusieurs articles signés en février 2014, mai 2018 et janvier 2019, dans lesquels M. C a fait preuve d'une animosité particulière à l'égard de la SHAM.

8. Il résulte de ce qui précède que, même si les liens entre M. C et le BEAH tendent à se distendre, la SHAM est fondée à soutenir qu'elle peut encore, à ce jour, légitimement nourrir un doute sur l'impartialité de la procédure lancée par le Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, compte tenu du caractère encore très récent de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, et de la persistance d'intérêts financiers communs du fait du prêt de 223 000 euros consenti par M. C au profit de la société BE Assurances qui détient 100% du BEAH. Dès lors qu'il n'est pas établi que la société ACAOP aurait, en l'espèce, contribué à la rédaction du cahier des clauses techniques particulières, la SHAM est, par suite, seulement fondée à demander au juge des référés précontractuels, sur le fondement du I de l'article L. 551-2 du code de justice administrative, des mesures visant à prévenir l'atteinte au principe d'impartialité au stade de l'analyse des offres. Celle-ci devant avoir lieu à compter du 9 décembre 2022, date limite de dépôt des offres, il y a lieu d'enjoindre au Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, s'il entend poursuivre la procédure de passation, d'exclure la société ACAOP de l'analyse des offres.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SHAM, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande le Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe la somme de 5 000 euros que demande la SHAM, au titre des mêmes dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : Il est enjoint au Centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe, s'il entend poursuivre la procédure de passation ayant pour objet des prestations de services d'assurance pour les établissements membres du GHT de Guadeloupe - lots 1 à 10 (consultation n°2200079), d'exclure la société ACAOP de l'analyse des offres.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) et au Centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe.

Fait à Basse-Terre, le 8 décembre 2022.

Le juge des référés,

signé

O. B.

La greffière,

signé

L. Lubino La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

L'adjointe à la greffière en chef

Signé

A. Cétol

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