TA Guyane, 18/04/2024, n°2201282


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les procédures suivantes :

I. Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 9 août 2022,

24 mars 2023 et 11 mars 2024 sous le n° 2201123, la SAS Camusat International, représentée par Me Duval, demande au tribunal de condamner la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) à lui verser la somme de 50.929,50 euros, correspondant au solde du marché de conception et de réalisation du réseau d'interconnexions numériques guyanais, assortie des intérêts moratoires à compter du 30 mars 2022, puis de mettre à sa charge la somme de 3.000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La SAS Camusat International soutient que :

- dans le délai de trente jours suivant la réception des travaux, elle a adressé un projet de décompte final par un courrier du 24 juin 2021 ; en l'absence de réception d'un décompte général établi par la CTG dans le délai de trente jours imparti par l'article 13.3.2 du CCAG Travaux, le 16 février 2022, elle a déposé au siège de la collectivité un projet de décompte général ; en l'absence de réception d'un projet de décompte général dans le délai de dix jours imparti par l'article 13.4.4 du CCAG, elle peut se prévaloir de la naissance, le 27 février 2022, d'un décompte général et définitif tacite, sans que les courriers des 22 décembre 2021 et

24 février 2022 y aient fait obstacle : le courrier du 22 décembre 2021 est une décision de " réception définitive " accompagnée d'un décompte final ; il n'est à aucun moment mentionné qu'il s'agit du décompte général prévu par l'article 13.4.2 du CCAG Travaux ; c'est donc à bon droit qu'elle a mis en œuvre la procédure prévue par l'article 13.4.4 qui permet la notification d'un décompte général par le titulaire du marché, lequel fait naître en l'absence de réponse du pouvoir adjudicateur dans un délai de 10 jours, un décompte général et définitif ;

- compte tenu de l'existence d'un décompte général tacite né le 27 février 2022, elle n'avait aucune obligation de transmettre un mémoire en réclamation ; en tout état de cause, elle a présenté un mémoire en réclamation le 18 février 2022.

Par des mémoires en défense enregistrés les 29 décembre 2022, 1er mars 2024 et

22 mars 2024, la CTG, représentée par Me Destal, conclut au rejet de la requête, à la condamnation de la société Camusat à lui payer la somme de 1.609.417,90 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 22 janvier 2022, puis à ce que la somme de 5.000 euros soit mise à sa charge au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La CTG fait valoir que :

- son courrier du 22 décembre 2021 tenait lieu de décompte général au sens de l'article 13.4.3 du CCAG, intervenu avant la notification du projet de décompte général par la requérante le 16 février 2022, ce qui fait obstacle à la naissance d'un décompte général tacite ; conformément à cet article, il appartenait à la société Camusat de signer ce décompte avec ou sans réserve ou de faire connaître les motifs pour lesquels elle refusait de le signer ; la société ayant méconnu ces exigences, le décompte général du 22 décembre 2021 lie désormais définitivement les parties ;

- l'expiration du délai de trente jours imparti au maître d'ouvrage pour présenter son décompte général ne le ne prive pas de la possibilité de notifier un décompte général ; la société s'est abstenue de mettre en œuvre la possibilité ouverte par le CCAG de notifier un nouveau projet de décompte général avant un délai de huit mois ; seule l'inertie totale du maître d'ouvrage est susceptible de faire naître un décompte général et définitif tacite

- en admettant l'existence d'un décompte général tacite le 26 février 2022, la requête n'est pas recevable au regard des exigences de l'article 50.1 du CCAG selon lequel en cas de différend sur le décompte général du marché, le titulaire doit transmettre un mémoire en réclamation dans un délai de trente jours à compter de la notification du décompte général ; la société aurait dû présenter sa réclamation dans un délai de trente jours à compter du décompte général, soit le 26 mars 2022 ; le mémoire en réclamation a été présenté tardivement, non le

18 février 2022 mais le 2 août suivant ; en vertu des articles 13.4.5 et 50.1 du CCAG Travaux, le titulaire en désaccord le décompte général notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur doit transmettre un mémoire en réclamation dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte ; le décompte général transmis par la CTG étant devenu définitif, elle peut ainsi solliciter le paiement de ce solde.

II. Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les

19 septembre 2022, 24 mars 2023, 8 novembre 2023 et 11 mars 2024, sous le n° 2201282, la SAS Camusat International, représentée par Me Duval, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge des pénalités et réfactions appliquées au marché de conception et de réalisation du réseau d'interconnexions numériques guyanais à hauteur de 1.660.347,40 euros, subsidiairement à hauteur de 202.126 euros ;

2°) de condamner la CTG à lui verser la somme de 50.929,50 euros, correspondant au solde du marché, assortie des intérêts moratoires ;

3°) de moduler le montant des pénalités de retard ;

4°) de mettre à la charge de la CTG la somme de 3.000 euros au titre de

l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La SAS Camusat International soutient que :

- par un courrier du 18 février 2022, remis en mains propres le même jour, accompagné d'un mémoire en réclamation, conformément à l'article 50.1 du CCAG, elle a contesté le prétendu décompte final du marché tardivement établi par la CTG et refusé de le signer ;

- le décompte général adressé par la CTG le 20 janvier 2022, à l'expiration du délai de 30 jours imparti à compter du décompte final du marché par l'article 13.4.2 du CCAG, notifié par un courrier du 24 juin 2021, a été émis en méconnaissance de la procédure prévue par le CCAG Travaux et ne lui est pas opposable ;

- les pénalités de retard ne sont pas fondées ; l'article 6 du CCAP, qui renvoie à l'article 20 du CCAG Travaux, prévoit l'application d'une pénalité journalière de 1/3 000 du montant hors taxes de l'ensemble du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande ; en application de cette disposition, la CTG a appliqué des pénalités de 871,10 euros par jour pour 1.674 jours, correspondant à la période entre le 31 août 2016 et la réception des travaux

le 1er avril 2021 d'un montant total de 1.458.221,40 euros ; les retards dans l'exécution des travaux ne lui sont pas imputables ; des intempéries ont eu lieu sur les sites, pour lesquels les contraintes d'accès rendent indispensables des conditions climatiques optimales pour y accéder, ce que la CTG, qui a pris un ordre de service le 4 mai 2016 suspendant l'exécution du marché pour une période de 2,5 mois, a reconnu ; elle n'a pas pris en compte les autres périodes d'intempéries lors des saisons des pluies des autres années d'exécution du marché ; elle n'a pas tenu compte des émeutes survenues en mars et avril 2017 qui ont fortement contraint l'exécution du marché pendant près d'un mois ; les délais de réalisation des travaux ont également dû être prolongés en raison des nombreux vols de panneaux solaires et de batteries sur le site de Mourgue, ce qui nécessité un réapprovisionnement avec des délais d'acheminement des matériaux particulièrement longs ; elle n'a pas tenu compte de la crise sanitaire débutée en mars 2020, et notamment des nombreuses contraintes législatives et réglementaires ayant fait obstacle jusqu'en avril 2021 à la poursuite de l'exécution normale du marché ; la CTG, par ses propositions puis son silence, a volontairement entretenu des incertitudes sur la date d'échéance du contrat, en méconnaissance du principe de loyauté des relations contractuelles ; elle a proposé la conclusion d'un avenant au contrat avant l'intervention de l'ordre de service n° 2 sollicitant la reprise des travaux dans l'objectif de réactualiser le planning des travaux et de prolonger le marché de vingt-quatre mois pour prendre en compte la fusion du Conseil général et du Conseil régional de Guyane en Collectivité territoriale à compter du 1er janvier 2016 ainsi que le lancement par la société publique locale pour l'Aménagement Numérique de la Guyane (SLANG) d'un marché de continuité opérationnelle portant sur la gestion, l'exploitation et la commercialisation des sites isolés dotés d'infrastructures de communication satellitaires qui nécessitait une synchronisation d'exécution avec le marché RING ; le projet d'avenant prévoyait en outre une réactualisation du planning des travaux à réaliser par le titulaire par la mise en attente de l'installation de certains équipements, " panneaux solaires, équipements actifs énergie et transmission, dalle technique et Abri " qui ne devaient être installés qu'après la notification d'un ordre de service afférent avant le terme du marché prolongé de vingt-quatre mois ; la prolongation du marché proposée par la CTG d'une durée de vingt-quatre mois devait s'ajouter à la précédente prolongation de deux mois, prononcée en raison des intempéries ; le terme du marché devait ainsi être fixé au 16 août 2018 sans aucune pénalité de retard ; or, de manière contradictoire, la CTG a émis un ordre de service n°3, le 7 juillet 2016, pour la reprise des travaux, puis a adressé une nouvelle version de l'avenant prolongeant la durée d'exécution des travaux le 11 juillet 2016 ;

- à titre subsidiaire, les pénalités qui représentent plus de 55 % du montant total du marché, sont excessives ; pour des marchés comparables, elles sont systématiquement plafonnées au maximum à 15% du montant total du marché ;

- la déduction pour travaux non réalisés de 19.746 euros n'est pas fondée ; aucun élément ne permet de comprendre les prestations non réalisées alors que les sites concernés par le marché RING sont opérationnels à 100% depuis le remplacement des batteries en août 2021 ;

- la réfaction du prix appliquée en raison des réserves émises sur la réception des travaux et portant sur des batteries non protégées sur Waïwarou et l'absence d'éléments permettant de conclure à la stabilité énergétique de la liaison n'est justifiée ni dans son principe, ni dans son quatum ; l'article 18.3 du CCAG prévoit qu'en cas de pertes, avaries ou dommages provoqués sur ses chantiers par un phénomène naturel qui n'était pas normalement prévisible, ou en cas de force majeure, le titulaire est indemnisé pour le préjudice subi ; outre les vols de batteries, des problèmes d'énergie ont imposé le remplacement des batteries déjà installées ; le bureau d'études " GB Conseil " avait noté qu'en dehors des coupures, il ne s'était produit que peu d'erreurs et qu'aucune anomalie de transmission n'est apparue ; l'acheminement des batteries a été entravé par la crise sanitaire, ce qui constitue une clause exonératoire au sens de l'article 18.3 ; en outre, elle a supporté le coût de remplacement des équipements ; alors que la CTG a prononcé la réception des travaux avec réserves, sans préjudice de la possibilité de lever ses réserves, elle a, dès la réception, prévu une réfaction du prix ; plusieurs des réserves majeures résultaient d'une méconnaissance, de la part des équipes chargées par la CTG de la réception des travaux, du processus de collecte des données ; par un courrier du 24 juin 2021, elle a indiqué à la CTG qu'elle allait procéder au remplacement des équipements, afin de lever les autres réserves ; le 14 septembre 2021, elle a sollicité la levée des réserves en faisant état du remplacement des batteries, les sites étant opérationnels depuis le 20 août 2021 ; les éléments relatifs au renouvellement des batteries ont été communiqués les 24 octobre

et 30 novembre 2021 ; pourtant, le 20 janvier 2022, elle a reçu un courrier de la CTG indiquant que les batteries étaient posées sans protection initiale et qu'elle ne disposait pas d'éléments confirmant la stabilité effective de l'énergie sur l'ensemble de la liaison ; la CTG a maintenu une réfaction du prix sans aucun élément qui pourrait démontrer que le remplacement des batteries n'a pas rendu les sites opérationnels, que l'instabilité énergétique de la liaison demeurait malgré le remplacement, ou que l'instabilité énergétique était liée aux travaux réalisés et au matériel installé ; malgré le remplacement des batteries, la CTG n'a pas modifié le montant de la réfaction entre les premiers procès-verbaux de réception comprenant plusieurs réserves, majeures et mineures et la décision de réception définitive qui ne contient que deux réserves relatives à l'étanchéité des batteries et à l'absence de preuve de la stabilité énergétique de la liaison.

Par des mémoires en défense enregistrés les 29 décembre 2022, 1er mars 2024

et 22 mars 2024, la CTG, représentée par Me Destal, conclut au rejet de la requête, à la condamnation de la société Camusat à lui payer la somme de 1.609.417,90 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts de retard au taux légal à compter du 22 janvier 2022, puis à ce que la somme de 5.000 euros soit mise à sa charge au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La CTG fait valoir que :

- son courrier du 22 décembre 2021 tenait lieu de décompte général au sens de l'article 13.4.3 du CCAG, intervenu avant la notification du projet de décompte général par la requérante le 16 février 2022, ce qui fait obstacle à la naissance d'un décompte général tacite ; conformément à cet article, il appartenait à la société Camusat de signer ce décompte avec ou sans réserve ou de faire connaître les motifs pour lesquels elle refusait de le signer ; la société ayant méconnu ces exigences, le décompte général du 22 décembre 2021 lie désormais définitivement les parties ;

- l'expiration du délai de trente jours imparti au maître d'ouvrage pour présenter son décompte général ne le ne prive pas de la possibilité de notifier un décompte général ; la société s'est abstenue de mettre en œuvre la possibilité ouverte par le CCAG de notifier un nouveau projet de décompte général avant un délai de huit mois ; seule l'inertie totale du maître d'ouvrage est susceptible de faire naître un décompte général et définitif tacite

- en admettant l'existence d'un décompte général tacite le 26 février 2022, la requête n'est pas recevable au regard des exigences de l'article 50.1 du CCAG selon lequel en cas de différend sur le décompte général du marché, le titulaire doit transmettre un mémoire en réclamation dans un délai de trente jours à compter de la notification du décompte général ; la société aurait dû présenter sa réclamation dans un délai de trente jours à compter du décompte général, soit le 26 mars 2022 ; le mémoire en réclamation a été présenté tardivement, non

le 18 février 2022 mais le 2 août suivant ; en vertu des articles 13.4.5 et 50.1 du CCAG Travaux, le titulaire en désaccord le décompte général notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur doit transmettre un mémoire en réclamation dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte ; le décompte général transmis par la CTG étant devenu définitif, elle peut ainsi solliciter le paiement de ce solde ; il n'est pas établi qu'elle aurait réceptionné un mémoire en réclamation le 18 février 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, modifié par l'arrêté

du 3 mars 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lacau,

- les conclusions de M. Hegesippe,

- puis les observations de Me Daheron pour la société Camusat International et celles de Me Destal pour la CTG.

La société Camusat International a présenté une note en délibéré, enregistrée

le 3 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un marché n° 97 300 21015 055 notifié le 16 avril 2015, la société Camusat International a conclu avec le président du Conseil Général de la Guyane un marché de conception et de réalisation du réseau d'interconnexions numériques guyanais (RING) pour un montant total de 2.613.312 euros, avec un délai maximum de réalisation fixé à douze mois à compter de l'ordre de service n° 1 notifié le 17 juin 2015. Le représentant du pouvoir adjudicateur assurait la maîtrise d'œuvre du marché. En raison des crues exceptionnelles sur le bassin de l'Oyapock, l'exécution de ce marché a été reportée au 31 août 2016. Les opérations préalables à la réception organisées contradictoirement le 23 octobre 2020 ont donné lieu pour chacun des quatre sites d'installation des pylônes hertziens, Camopi, Maripa, Crique Mourgue et Waiwarou, à l'établissement contradictoire de quatre procès-verbaux de recette assortis de réserves concernant l'état des batteries, le fonctionnement de l'atelier énergie et l'état des panneaux solaires ainsi qu'à l'établissement de trois procès-verbaux de recette pour les liaisons inter pylônes Crique Mourgue-Waiwarou, Maripa-Crique Mourgue et Waiwarou-Camopi en raison notamment des coupures d'énergie nocturnes et de l'impossibilité de collecter les historiques des données nécessaires à l'exploitation. Par un courrier du 1er juin 2021, la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG), venant aux droits du département de la Guyane, a fixé la réception des travaux au 1er avril 2021 avec des réserves liées à des problèmes d'énergie sur différents sites et sur le réseau, en notifiant une réfaction de prix de 182.380 euros, puis a indiqué à la société Camusat qu'elle devait présenter son projet de décompte final dans un délai de trente jours. Par un courrier du 24 juin suivant, la société a transmis un projet de décompte faisant apparaître un solde de 50.529,50 euros en sa faveur compte tenu des acomptes versés à elle-même et aux deux sous-traitants DLE et TDF. Par un courrier du 22 décembre 2021 reçu par la société Camusat le 20 janvier 2022, la CTG lui a notifié le décompte général du marché faisant apparaître un solde en sa défaveur de 1.609.417,80 euros, compte tenu des acomptes versés, d'un montant de 2.562.382,50 euros, de la déduction pour travaux non réalisés, d'un montant de 19.746 euros, des pénalités de retard d'un montant de 1.458.221,40 euros, puis des réserves non levées d'un montant de 182.380 euros. Le 16 février 2022, la société Camusat a déposé un projet de décompte général faisant apparaître un solde en sa faveur

de 50.529,50 euros. Par un courrier du 24 février 2022, la CTG a confirmé avoir notifié le décompte définitif du marché le 20 janvier 2022. Estimant que le silence gardé pendant dix jours par la CTG sur son courrier du 16 février 2022 avait fait naître un décompte général tacite, la société Camusat a formé, le 2 août 2022, une réclamation préalable tendant au paiement du solde de 50.529,50 euros, assorti des intérêts moratoires à compter du 30 mars 2022.

2. Par les requêtes enregistrées sous les n°s 2201123 et 2201282, qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul jugement, la société Camusat International demande au tribunal de condamner la CTG à lui payer la somme de 50.929,50 euros correspondant au solde du marché, de prononcer la décharge des pénalités et réfactions appliquées à hauteur de 1.660.347,40 euros, subsidiairement à hauteur de 202.126 euros, puis de moduler le montant des pénalités de retard. La CTG présente des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société Camusat à lui payer la somme de 1.609.417,90 euros au titre du solde du marché, assortie des " intérêts de retard au taux légal " à compter du 22 janvier 2022.

Sur la fin de non-recevoir :

3. Aux termes de l'article 50.1 du CCAG : " 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. (). Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général. Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif. 50.1.2. Après avis du maître d'œuvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation. 50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire. 50.2. Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6. 50.3. Procédure contentieuse : 50.3.1. A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation. 50.3.2. Pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire dispose d'un délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le représentant du pouvoir adjudicateur en application de l'article 50.1.2, ou de la décision implicite de rejet conformément à l'article 50.1.3, pour porter ses réclamations devant le tribunal administratif compétent. 50.3.3. Passé ce délai, il est considéré comme ayant accepté cette décision et toute réclamation est irrecevable. () ".

4. Il résulte de l'instruction que la société Camusat a adressé un mémoire en réclamation remis en mains propres le 18 février 2022, sous l'intitulé " contestation du décompte général du 20 janvier 2022 ". La CTG ne peut sérieusement faire valoir que la notification de ce document, sur lequel ont été apposés la date du 18 février 2022 et le cachet de la collectivité, n'est pas établie. Ce mémoire, qui fait état du différend et précise les motifs et les justifications des demandes, satisfait aux exigences de motivation posées par le deuxième alinéa de l'article 50.1.1 du CCAG. Il a été présenté dans le délai de trente jours prévu par le troisième alinéa du même article, à compter de la notification du décompte général intervenue le 20 janvier 2022. En vertu de l'article 50.1.3 du même cahier, l'absence de notification d'une décision dans le délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation équivaut à un rejet de la demande du titulaire. En l'espèce, une décision implicite de rejet est née le 18 mars 2022. Les requêtes enregistrées les 9 août et 19 septembre 2022 ont été présentées dans le délai de six mois prévu par l'article 50.3.2 à compter de la naissance de la décision implicite prise par le représentant du pouvoir adjudicateur n'ont donc pas été présentées tardivement. En tout état de cause, à supposer même que le courrier du

24 février 2022 notifié le 11 mars suivant, non motivé conformément aux prescriptions de l'article 50.1.2 du CCAG, par lequel la CTG, en réponse au projet de décompte général

du 16 février 2022 remis en mains propres le 18 février 2022, s'est bornée à confirmer avoir adressé le décompte définitif notifié le 20 janvier 2022 et à solliciter le règlement de la somme de 1.609.417,60 euros puisse être regardé comme une décision expresse de rejet de la réclamation, la requête enregistrée le 9 août suivant a été présentée dans le délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le pouvoir adjudicateur en application de l'article 50.1.2. Enfin, si la société a réitéré, le 2 août 2022, sa demande de paiement du montant

de 50.929,50 euros assorti des intérêts moratoires dus à compter du 30 mars 2022, cette circonstance est sans incidence sur la recevabilité de ses requêtes. Il en résulte que la fin de non-recevoir opposée par la CTG tirée de la tardiveté de " la réclamation préalable

du 2 août 2022 " doit être écartée.

Sur le moyen tiré de la naissance d'un décompte général tacite :

5. Aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés de travaux dans sa rédaction issue de l'arrêté du 3 mars 2014 applicable au marché en litige : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final () Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble () ". Aux terme de l'article 13.3.2 du même cahier : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : -trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. () ". Aux termes de l'article 13.4.3 : " Dans un délai de trente jours compté à partir de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. () En cas de contestation sur le montant des sommes dues, () Ce désaccord est réglé dans les conditions mentionnées à l'article 50 du présent CCAG. () ". Aux termes de l'article 13.4.4 : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2., le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur () un projet de décompte général signé () Si dans un délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif () Le décompte général et définitif lie définitivement les parties () ".

6. Si la société requérante se prévaut, sur le fondement de l'article 13.4.4 du CCAG, d'un décompte général et définitif tacite qui serait né le 27 février 2022 du silence gardé pendant dix jours par la CTG sur son projet de décompte général notifié le 18 février 2022, il résulte des stipulations précitées que la notification au titulaire du marché d'un décompte général, même irrégulier, fait obstacle à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite à l'initiative du titulaire dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 de ce cahier. Ainsi qu'il a été dit au point 1, par un courrier adressé le 20 janvier 2022 à la société Camusat, la CTG lui a notifié le décompte général du marché faisant apparaître un solde négatif de 1.609.417,80 euros. Si la société Camusat fait valoir que ce courrier ne mentionne pas qu'il vaut notification du décompte général prévu par l'article 13.4.2 du CCAG et qu'il ne lui est pas opposable dès lors qu'il a été émis après l'expiration du délai de trente jours imparti par ces stipulations, elle a adressé un mémoire en réclamation le 18 février 2022, sous l'intitulé " contestation du décompte général du 20 janvier 2022 ", mentionnant " à supposer qu'il puisse être considéré comme ayant la valeur juridique de décompte général au sens du CCAG travaux, nous refusons de le signer et le contestons conformément aux articles 13.4.3 et 50 du CCAG travaux ". Il en résulte que la notification du décompte général, non sérieusement contestée, fait obstacle, quelle qu'en soit la régularité, à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 du CCAG. Le moyen tiré de la naissance d'un tel décompte ne peut, dès lors, qu'être écarté.

Sur les pénalités de retard :

En ce qui concerne l'application des stipulations du contrat :

7. Aux termes de l'article 19.2 du CCAG : " 19.2.1. En dehors des cas prévus aux articles 19.2.2 et 19.2.3, la prolongation du délai d'exécution ne peut résulter que d'un avenant. 19.2.2. Une prolongation du délai de réalisation de l'ensemble des travaux ou d'une ou plusieurs tranches de travaux () peut être justifié par : - un changement du montant des travaux ou une modification de l'importance de certaines natures d'ouvrages ; - une substitution d'ouvrages différents aux ouvrages initialement prévus ; - une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier ; - un ajournement de travaux décidé par le représentant du pouvoir adjudicateur ; - un retard dans l'exécution d'opérations préliminaires qui sont à la charge du maître de l'ouvrage ou de travaux préalables qui font l'objet d'un autre marché. () 19.2.3. Dans le cas d'intempéries au sens des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, entraînant un arrêt de travail sur les chantiers, les délais d'exécution des travaux sont prolongés. Cette prolongation est notifiée au titulaire par un ordre de service qui en précise la durée. Cette durée est égale au nombre de journées réellement constaté au cours desquelles le travail a été arrêté du fait des intempéries conformément auxdites dispositions, en défalquant, s'il y a lieu, le nombre de journées d'intempéries prévisibles indiqué dans les documents particuliers du marché. () Dans le cas d'intempéries non visées par une disposition légale ou réglementaire ainsi que dans le cas d'autres phénomènes naturels entravant l'exécution des travaux, si les documents particuliers du marché prévoient la prolongation du délai d'exécution en fonction de critères qu'il définit, cette prolongation de délai est notifiée au titulaire en récapitulant les constatations faites () ".

8. Aux termes de l'article 20 du même cahier : " 20.1. En cas de retard imputable au titulaire dans l'exécution des travaux, (), il est appliqué une pénalité journalière de 1/3.000 du montant hors taxes de l'ensemble du marché, de la tranche considérée ou du bon de commande. Ce montant est celui qui résulte des prévisions du marché, c'est-à-dire du marché initial éventuellement modifié ou complété par les avenants intervenus ; il est évalué à partir des prix initiaux du marché hors TVA définis à l'article 13.1.1. 20.1.1. Les pénalités sont encourues du simple fait de la constatation du retard par le maître d'œuvre. () 20.1.3. Les dispositions des deux alinéas qui précèdent sont applicables aux pénalités éventuellement prévues par les documents particuliers du marché pour le cas de retard dans la réalisation de certains ouvrages, parties d'ouvrages ou ensembles de prestations faisant l'objet de délais partiels ou particuliers ou de dates limites fixés dans le marché. () 20.4. Le montant des pénalités et des primes n'est pas plafonné. Le titulaire est exonéré des pénalités dont le montant total ne dépasse pas 1.000 euros HT pour l'ensemble du marché () ".

9. Les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté, alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché serait supérieur au préjudice subi.

10. En application des stipulations précitées de l'article 20.1 du CCAG, applicables en l'espèce en vertu du premier alinéa de l'article 6.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), la CTG a appliqué des pénalités journalières de retard d'un montant total de 1.458.221,40 euros correspondant à 1/3.000 du montant hors taxes du marché,

soit 871,10 euros par jour pour une période de 1.674 jours du 31 août 2016 au 1er avril 2021.

11. Par des ordres de service n° 2 et 3 du 4 mai 2016, compte tenu des intempéries exceptionnelles affectant le bassin de l'Oyapock relevées par le bulletin météorologique du mois de mai 2016, la CTG a suspendu l'exécution du marché à compter du 3 mai

au 18 juillet 2016, puis, par des courriers des 16 juin et 7 juillet 2016, elle l'a prolongé jusqu'au 30 septembre 2016. Par un courrier du 22 août 2017, la CTG a indiqué au titulaire du marché qu'en dépit de cette suspension, les visites sur site auxquelles elle a fait procéder en juin 2017, les travaux restaient inachevés, ce qui l'exposait, à la date du 15 juillet 2017, à des pénalités d'un montant de 278.752 euros pour trois-cent-vingt jours de retard.

12. La société requérante fait valoir qu'alors qu'elle avait proposé, le 11 juillet 2016, la conclusion d'un avenant n° 1 à l'effet de prolonger le délai d'exécution du marché

de vingt-quatre mois jusqu'au 16 août 2018, compte tenu, d'une part, de la nécessité de réactualiser le planning des travaux par la mise en attente de l'installation de certains équipements, " panneaux solaires, équipements actifs énergie et transmission, dalle technique et Abri ", d'autre part, de la prise en compte les modifications institutionnelles à compter du 1er janvier 2016 et le lancement par la société publique locale pour l'Aménagement Numérique de la Guyane d'un marché de continuité opérationnelle portant sur la gestion, l'exploitation et la' commercialisation des sites isolés dotés d'infrastructures de communication satellitaires nécessitant une synchronisation d'exécution avec le marché RING, de manière " contradictoire ", la CTG a émis un ordre de service n°3, le 7 juillet 2016, pour la reprise des travaux, puis a adressé une nouvelle version de l'avenant prolongeant la durée d'exécution des travaux le 11 juillet 2016. Elle soutient que la CTG, par ses propositions puis son silence, a volontairement entretenu des incertitudes sur la date d'échéance du contrat, en méconnaissance du principe de loyauté des relations contractuelles. Toutefois, ces éléments n'établissent pas par eux-mêmes que le retard ne serait pas imputable à la société Camusat. Celle-ci ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir de la méconnaissance par la CTG du principe de loyauté des relations contractuelles, dès lors que les pénalités résultent de la mise en œuvre de stipulations convenues entre les parties.

13. Il résulte des stipulations citées au point 7 de l'article 19 du CCAG que la prolongation du délai d'exécution qu'il prévoit est subordonnée, notamment, à la condition que les intempéries et autres phénomènes naturels qu'il vise aient effectivement entravé l'exécution des travaux. Il appartient ainsi à l'entrepreneur, lorsqu'il entend se prévaloir de ces stipulations, de solliciter auprès du maître de l'ouvrage, en vue de l'édiction par ce dernier des ordres de service prévus par les mêmes stipulations, la constatation contradictoire, à l'occasion notamment des réunions de chantier, des difficultés rencontrées dans l'exécution des travaux. Si la société Camusat fait valoir que la CTG, qui a prolongé l'exécution du marché

du 3 mai au 30 septembre 2016 compte tenu des crues exceptionnelles enregistrées sur le bassin de l'Oyapock, s'est abstenue de prendre en compte les périodes d'intempéries lors des saisons des pluies des autres années d'exécution du marché, empêchant l'accès aux sites, alors que le département de la Guyane est soumis à un climat équatorial connu pour sa forte pluviosité, elle n'apporte aucune précision sur les caractéristiques de ces intempéries et n'établit pas que les travaux auraient été effectivement entravés par les phénomènes en cause. Elle ne pouvait, dès lors, prétendre à une prolongation du délai d'exécution sur le fondement des stipulations de l'article 19 du CCAG.

14. Si la société requérante invoque les " émeutes " qui se sont déroulées du 23 mars au 24 avril 2017, en se bornant à produire un article de presse faisant état d'un mouvement social " sans précédent ", elle n'apporte pas davantage de précisions de nature à établir en quoi ces mouvements sociaux auraient eu une incidence notable sur l'exécution du marché permettant de les regarder comme des difficultés imprévues survenues au cours du chantier au sens de l'article 19.2.1 du CCAG, justifiant une prolongation du délai d'exécution des travaux.

15. En vertu de l'article 31.4.1 du CCAG, le titulaire du marché assure notamment l'éclairage et le gardiennage de son chantier et en tant que de besoin, sa clôture. Si la société Camusat invoque les vols de panneaux solaires et de batteries sur le site de la crique Mourgue, ce qui aurait nécessité un réapprovisionnement avec des délais d'acheminement des matériaux particulièrement longs, compte tenu notamment des caractéristiques locales et de ses obligations d'assurer la garde du chantier, elle ne peut davantage être regardée comme faisant état de difficultés imprévues survenues au cours du chantier au sens de l'article 19.2.2 du CCAG.

16. Si la société requérante fait, enfin, état de considérations générales concernant la crise sanitaire subie à compter du mois de mars 2020 et des contraintes législatives et réglementaires ayant fait obstacle jusqu'en avril 2021 à la poursuite de l'exécution normale du marché, en se bornant à faire état de problèmes d'acheminement des batteries, elle n'apporte pas de précisions suffisantes.

17. Il ne résulte d'aucun des éléments exposés aux points 12 à 16 que les retards dans l'exécution des travaux ne seraient pas imputables à la société Camusat, qui a bénéficié d'un délai supplémentaire de près de cinq mois.

En ce qui concerne la demande de modulation :

18. La société Camusat invoque, à titre subsidiaire, le caractère manifestement excessif des pénalités, qui représentent près de 56 % du montant total du marché, en faisant valoir que pour des marchés comparables, les pénalités sont systématiquement plafonnées au maximum à 15% du montant total du marché.

19. Si, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations.

20. Il en résulte que lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.

21. La société requérante produit des éléments relatifs aux pratiques observées pour des marchés comparables, en premier lieu, un marché de réalisation de travaux d'installation, de maçonnerie et génie civil sur des pylônes et autres installations de télécommunication en France métropolitaine et en Outre-mer, prévoyant un plafond de pénalités égal à 10 % du montant du marché, en deuxième lieu, un marché de sous-traitance pour la fourniture et la pose de pylônes radio dans le cadre de la réalisation d'équipement fixes d'exploitation d'une autoroute, prévoyant un plafond de pénalités de 15 % du montant du marché, enfin, un contrat de fourniture et d'installation de pylônes dans le cadre du développement et de l'optimisation d'un téléservice en métropole, prévoyant un plafond de 15 %. Dans les circonstances très particulières de l'affaire, compte tenu notamment de la crise sanitaire subie en 2020 et en 2021, alors au demeurant que la CTG n'a pas produit d'observations sur ce point et n'invoque aucun préjudice, le montant des pénalités de 1.458.221,40 euros apparaît manifestement excessif. Il y a lieu de le ramener à 25 % du montant du marché de 2.613.312 euros, soit à 653.328 euros.

Sur les travaux non réalisés :

22. A l'appui de sa contestation du montant de 19.746 euros déduit pour travaux non réalisés pour le Hub de Cayenne, la société requérante soutient qu'aucun élément ne permet de comprendre quelles seraient les prestations non réalisées, alors que les sites concernés par le marché sont opérationnels à 100 % depuis le remplacement des batteries en août 2021, puis qu'il n'est pas établi que la réalisation de ces travaux lui incombait. Alors que la CTG s'abstient d'apporter des précisions sur ce point, la société Camusat est fondée à demander la décharge du montant de 19.746 euros.

Sur la réfaction du prix :

23. A l'appui de sa contestation de la réfaction de 182.380 euros appliquée au titre des réserves non levées, la société requérante ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 18.3 du CCAG aux termes desquelles : " En cas de pertes, avaries ou dommages provoqués sur ses chantiers par un phénomène naturel qui n'était pas normalement prévisible, ou en cas de force majeure, le titulaire est indemnisé pour le préjudice subi ()".

24. Aux termes de l'article 41 du CCAG, applicable en l'espèce en vertu de l'article 13 du CCAP : " () 41. 2. Les opérations préalables à la décision de réception comportent, en tant que de besoin : -la reconnaissance des ouvrages exécutés ; -les épreuves éventuellement prévues par le marché ; -la constatation éventuelle de l'inexécution des prestations prévues au marché ; -la vérification de la conformité des conditions de pose des équipements aux spécifications des fournisseurs conditionnant leur garantie ; -la constatation éventuelle d'imperfections ou malfaçons ; -la constatation du repliement des installations de chantier et de la remise en état des terrains et des lieux ; -les constatations relatives à l'achèvement des travaux. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal dressé sur-le-champ par le maître d'œuvre et signé par lui et par le titulaire. () 41. 3. Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. () 41. 6. Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44. 1. Au cas où ces travaux ne seraient pas faits dans le délai prescrit, le maître de l'ouvrage peut les faire exécuter aux frais et risques du titulaire, après mise en demeure demeurée infructueuse. 41. 7. Si certains ouvrages ou certaines parties d'ouvrages ne sont pas entièrement conformes aux spécifications du marché, sans que les imperfections constatées soient de nature à porter atteinte à la sécurité, au comportement ou à l'utilisation des ouvrages, le maître de l'ouvrage peut, eu égard à la faible importance des imperfections et aux difficultés que présenterait la mise en conformité, renoncer à ordonner la réfection des ouvrages estimés défectueux et proposer au titulaire une réfaction sur les prix. Si le titulaire accepte la réfaction, les imperfections qui l'ont motivée se trouvent couvertes de ce fait et la réception est prononcée sans réserve. Dans le cas contraire, le titulaire demeure tenu de réparer ces imperfections, la réception étant prononcée sous réserve de leur réparation. () ".

25. La société requérante soutient que la réfaction des prix appliquée en raison des réserves émises sur la réception des travaux, portant sur des batteries non protégées sur Waïwarou et l'absence d'éléments garantissant la stabilité énergétique de la liaison n'est justifiée ni dans son principe, ni dans son quantum. Elle expose qu'outre les vols de batteries, des problèmes d'énergie ont imposé le remplacement des batteries déjà installées, que le bureau d'études GB Conseil avait relevé qu'en dehors des coupures, il ne s'était produit que peu d'erreurs et qu'aucune anomalie de transmission n'était apparue, que l'acheminement des batteries a été entravé par la crise sanitaire, qu'elle a supporté le coût de remplacement des équipements, qu'alors que la CTG a prononcé la réception des travaux avec réserves, sans préjudice de la possibilité de lever ces réserves, elle a, dès la réception, prévu une réfaction du prix, puis que plusieurs des réserves majeures résultaient d'une méconnaissance du processus de collecte des données de la part des équipes chargées de la réception des travaux. Elle ajoute que, par un courrier du 24 juin 2021, elle a indiqué à la CTG qu'elle allait procéder au remplacement des équipements afin de lever les autres réserves, que le 14 septembre 2021, elle a sollicité la levée des réserves en faisant état du remplacement des batteries, les sites étant opérationnels depuis le 20 août 2021, puis que les éléments relatifs au renouvellement des batteries ont été communiqués les 24 octobre et 30 novembre 2021.

26. Il résulte des stipulations citées au point 24 que si la personne responsable du marché peut proposer à l'entreprise dont les travaux ne sont pas entièrement conformes aux spécifications du marché une réfaction sur le prix de ces travaux et la dispenser en conséquence de l'obligation d'effectuer les travaux destinés à réparer ces imperfections, elle n'y est pas tenue et peut choisir d'assortir la réception des travaux de réserves. Ainsi, l'intervention d'une réception avec réserves fait obstacle à l'application d'une réfaction sur les prix, dès lors que l'entreprise concernée est alors tenue d'effectuer les travaux qui sont la condition de la levée des réserves. En l'espèce, la réception des travaux fixée au 1er avril 2021 étant assortie de réserves, la CTG ne pouvait ni faire application d'une réfaction sur les prix, ni faire exécuter les travaux destinés à remédier aux malfaçons aux frais et risques de la société Camusat, puis lui appliquer des retenues pour des réserves non levées qu'après une mise en demeure demeurée infructueuse. S'il est vrai, d'une part, que le rapport établi le 15 décembre 2020 par la société GB Conseil relève que les coupures récurrentes d'énergie n'ont pas été résolues à Waiwarou, où est enregistrée une indisponibilité ramenée par le prestataire de six heures à quatre heures par jour, ce qui fait obstacle à ce que l'artère RING soit opérationnelle, d'autre part, qu'il n'est pas sérieusement contesté, que, comme le rappelle la CTG dans son courrier

du 22 décembre 2021, qu'en méconnaissance des règles de l'art, les nouvelles batteries ont été posées sans leur protection initiale et que le prestataire n'a pas apporté d'éléments confirmant la stabilité effective de l'énergie sur l'ensemble de la liaison, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, aucun texte n'autorisait la CTG, qui, au demeurant s'abstient de produire des observations sur ce point et ne justifie pas de la réalité des travaux de reprise, à appliquer une réfaction sur les prix. Dans ces conditions, la société Camusat est fondée à demander la décharge de cette réfaction.

27. Il résulte de tout ce qui précède que la société Camusat est seulement fondée à demander la décharge des montants respectifs de 804.893 euros, de 19.746 euros et

de 182.380 euros au titre des pénalités de retard, des travaux non réalisés et de la réfaction du prix. Il y a lieu, dès lors, de ramener le solde du marché au montant de 602.399 euros au crédit de la CTG. Ce solde demeurant négatif, la demande de la société Camusat tendant à la condamnation de la CTG au paiement du montant de 50.929,50 euros doit être rejetée. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter sa demande tendant à l'allocation d'intérêts moratoires.

Sur les conclusions reconventionnelles de la CTG :

28. Si une personne publique est, en principe, irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont elle dispose ne fait pas obstacle, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, à ce qu'elle saisisse le juge d'administratif d'une demande tendant à son recouvrement.

29. La CTG demande la condamnation de la société Camusat à lui payer la somme de 1.609.417,90 euros au titre du solde du marché, assortie des " intérêts de retard au taux légal " à compter du 22 janvier 2022. Le solde du marché ayant été fixé au montant de 602.399 euros au débit de la société Camusat, il y a lieu, pour assurer le règlement du marché, de condamner cette dernière à payer cette somme à la CTG.

30. S'ils sont dus de plein droit, en cas de contentieux, les intérêts moratoires contractuels doivent être demandés au juge qui ne peut à défaut les accorder sans statuer ultra petita.

31. L'article 1231-6 du code civil prévoit que : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. () ".

32. La CTG n'invoque ni les stipulations du marché, qui ne sont pas d'ordre public, ni aucun autre texte, mais se borne à solliciter, sans autres précisions sur le fondement juridique de sa demande, l'allocation des " intérêts de retard au taux légal ". Il y a lieu, dans ces conditions, compte tenu de ce qui a été dit au point 30, d'allouer, non les intérêts moratoires contractuels, mais les intérêts de droit commun prévus par les dispositions précitées de l'article 1231-6 du code civil à compter du 22 janvier 2022.

Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

33. Ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Camusat, qui n'est pas la partie perdante, les sommes demandées par la CTG au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, sur le même fondement, de mettre à la charge de la CTG la somme de 1.500 euros à payer à la société Camusat.

D E C I D E :

Article 1er : Le solde du marché n° 97 300 21015 055 de conception et de réalisation du réseau d'interconnexions numériques guyanais notifié le 16 avril 2015 à la société Camusat International par le président du Conseil Général de la Guyane est ramené à 602.399 euros au crédit de la Collectivité Territoriale de Guyane.

Article 2 : La société Camusat versera à la Collectivité Territoriale de Guyane la somme de 602.399 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts légaux prévus par

l'article 1231-6 du code civil à compter du 22 janvier 2022.

Article 3 : La Collectivité Territoriale de Guyane versera à la société Camusat la somme de 1.500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de la société Camusat, le surplus des conclusions reconventionnelles de la Collectivité Territoriale de Guyane et ses conclusions de présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Camusat et à la Collectivité Territoriale de Guyane.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Guiserix, président,

Mme Lacau, première conseillère,

M. Gillmann, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.

La rapporteure,

Signé

M.T. LACAULe président,

Signé

O. GUISERIX

La greffière,

Signé

L. MAYEN

La République mande et ordonne au préfet de la Guyane en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies du droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

Le Greffier en Chef,

Ou par délégation le greffier,

Signé

C. NICANOR

N° 2201123 - 2201282