TA Marseille, 23/03/2023, n°2010330
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 31 décembre 2020, les 26 février et 3 novembre 2021 ainsi que le 1er décembre 2022, la société civile immobilière JYC et Co et M. C A, représentés par Me Mosconi, demandent au tribunal :
1°) de condamner la société d'économie mixte pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Marseille (Somimar) à verser la somme de 2 556 000 euros à la SCI Jyc and co et la somme de 20 000 euros à M. A en réparation de leurs préjudices nés de la résiliation de la convention d'occupation du domaine public conclue avec la société Arna, aux droits de laquelle la SCI est venue ;
2°) de mettre à la charge de la Somimar la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de la Somimar est engagée du fait de la résiliation de la convention d'occupation du domaine public conclue avec la société Arna, aux droits de laquelle la SCI est venue ;
- la responsabilité pour faute de la Somimar est engagée, dès lors qu'elle a conclu en 1975 une convention illégale avec la société Arna, dès lors qu'elle n'a pas davantage manifesté son désaccord aux cessions successives des droits réels ; l'intérêt général à résilier la convention d'occupation n'est pas établi ; la résiliation de cette convention résulte d'un détournement de pouvoir et méconnaît le droit de la requérante au respect de ses biens ;
- la responsabilité de la Somimar est engagée au titre de son enrichissement sans cause ;
- le préjudice de la société Jyc et Co s'élève à la somme de 2 556 000 euros, correspondant au montant de 6 000 euros mensuels qu'elle percevait de la location des bâtiments pendant les dix-huit années restant à courir ;
- le préjudice moral de M. A, gérant de la société civile immobilière, doit être réparé à hauteur de 20 000 euros.
Par des mémoires en défense enregistrés les 16 mai et 24 novembre 2022, la société d'économie mixte pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Marseille (Somimar), représentée par Me Mameri, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SCI Jyc et Co au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en l'absence de titre d'occupation, la SCI Jyc et Co ne peut prétendre à la réparation d'un préjudice du fait de la résiliation de la convention d'occupation ;
- aucune faute ne lui est imputable ;
- la réalité des préjudices allégués n'est pas démontrée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B,
- les conclusions de Mme Beyrend, rapporteure publique,
- et les observations de Me Mosconi pour la SCI Jyc et Co et M. A.
Considérant ce qui suit :
1. Gestionnaire du marché d'intérêt national (MIN) de Marseille depuis sa création, la société d'économie mixte pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national (Somimar) a consenti, le 1er août 1975, une convention d'autorisation du domaine public à la société civile immobilière (SCI) Arna, portant sur une dépendance du domaine public située dans l'enceinte du marché, d'une surface de 9 500 mètres carrés, aux fins d'installation d'un ensemble immobilier à usage d'entreposage et de distribution de produits manufacturés alimentaires ou non alimentaires d'approvisionnement des détaillants, le terme initial de la concession expirant en 2002 ayant été prorogé jusqu'en 2037. Par avenant du 28 avril 1999, l'objet de la convention a été modifié, le contrat autorisant la SCI Arna à occuper et utiliser un ensemble immobilier à usage exclusif d'entrepôt destiné à une activité agroalimentaire compatible avec celle du MIN, d'une surface de 1 000 mètres carrés. La SCI Arna a cédé une partie de ses droits, avec l'accord de la Somimar, à la société Etablissements J. Gabriel en 1982, laquelle a édifié des constructions sur le terrain concédé à la SCI Arna et cédé ses droits sur ce bâtiment à des tiers dont la société civile immobilière Jyc et Co, cette dernière ayant consenti un bail commercial avec la société Marseille Meat Company. Par une décision du 10 janvier 2019, la Somimar a décidé de résilier la convention conclue avec la SCI Arna, pour motif d'intérêt général, avec effet au 10 juin 2019. La SCI Jyc et Co, occupante de la parcelle, qui soutient s'être substituée aux Etablissements J. Gabriel sur l'emplacement concédé à la SCI Arna et être titulaire de droits réels sur les constructions édifiées sur la parcelle, demande l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de cette résiliation, à hauteur de 2 556 000 euros correspondant d'une part au montant des loyers qu'elle aurait perçus jusqu'en 2037, et d'autre part au montant des résultats nets d'exploitation qu'elle espérait percevoir jusqu'à cette même date. M. A, gérant de la SCI Jyc et Co, demande l'indemnisation, à hauteur de 20 000 euros, du préjudice moral qu'il estime également avoir subi.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
2. Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public. Eu égard aux exigences qui découlent tant de l'affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, l'existence de relations contractuelles en autorisant l'occupation privative ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l'autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales. En conséquence, une convention d'occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit.
3. Il ne peut davantage y avoir transfert d'une autorisation ou d'une convention d'occupation du domaine public à un nouveau bénéficiaire que si le gestionnaire de ce domaine a donné son accord écrit.
4. Lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, l'absence ou la nullité du contrat, les parties qui s'estimaient liées par ce contrat peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat par lequel elles s'estimaient liées a apporté à l'une d'elles ou de la faute consistant, pour l'une d'elles, à avoir induit l'autre partie en erreur sur l'existence de relations contractuelles ou à avoir passé un contrat nul.
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité de la Somimar du fait de la résiliation de la convention :
5. La SCI Jyc et Co a acquis de la société Genedis, aux termes d'un acte notarié des 25 et 26 janvier 1990, l'ensemble des constructions édifiées par la société Etablissements J. Gabriel sur le site du MIN de Marseille. Si ce contrat prévoyait sa signification à la société civile immobilière Arna et à la Somimar, il ne résulte pas de l'instruction que cette signification ait été réalisée, et il ne résulte pas davantage de l'instruction que la Somimar ait donné son accord à la cession de droits, et en particulier du droit d'occupation du domaine public, à la société Jyc et Co, alors que les stipulations de l'article 19 de la convention d'occupation du domaine public du 1er août 1975 consentie par la Somimar à la SCI Arna, reprises dans l'acte de vente des 25 et 26 janvier 1990 entre la société Genedis et la SCI Jyc et Co, exigeaient un tel accord. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 4 que la SCI Jyc et Co, faute d'avoir été expressément autorisée à occuper le domaine public, n'est pas fondée à solliciter du gestionnaire du domaine l'indemnisation du préjudice qu'elle aurait subi à raison de la résiliation de la convention conclue en 1975 entre la Somimar et la SCI Arna.
6. M. A, dont la qualité d'associé et gérant de la SCI Jyc et Co n'est pas contestée par la Somimar, n'est, en cette seule qualité, pas davantage fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice qu'il aurait subi du fait de la résiliation de la convention conclue entre la Somimar et la SCI Arna.
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité pour faute de la Somimar :
7. A l'appui de leur demande, la société Jyc et Co et M. A soutiennent également que l'illégalité de la convention initiale conclue entre la Somimar et la SCI Arna, la carence de la Somimar à manifester son désaccord à l'occupation ou à souligner l'illicéité des cessions successives, l'absence d'intérêt général à résilier la convention de 1975 conclue entre la Somimar et la SCI Arna, le détournement de pouvoir que cette résiliation constitue, et la méconnaissance du droit au respect de ses biens, constituent des fautes de la Somimar de nature à engager sa responsabilité. Toutefois, la SCI Jyc et Co demande la réparation de son préjudice à hauteur des loyers qu'elle ne perçoit plus du fait de la résiliation de la convention conclue le 1er août 1975 entre la Somimar et la SCI Arna. Elle n'établit donc pas le lien de causalité entre les fautes qu'elle invoque et le préjudice dont elle entend demander réparation.
8. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que les articles 7 et 19 de la convention d'occupation du domaine public conclue le 1er août 1975 entre la Somimar et la SCI Arna, tendant à prévoir d'une part la constitution de droits réels, et d'autre part, les modalités de transmission de l'autorisation, seraient entachés d'illégalité. Par ailleurs, si les requérants soutiennent que le directeur de la Somimar a reçu à plusieurs reprises M. A en qualité d'occupant du domaine public, cette seule circonstance, alors que le contrat conclu entre la société Genedis et la SCI Jyc et Co en 1990 stipulait expressément la nécessité d'un accord de la Somimar pour occuper le domaine public, ne permet pas de regarder la faute alléguée de la Somimar à cet égard comme établie. Il résulte également de l'instruction que la résiliation de la convention conclue en 1975, ainsi que l'ont d'ailleurs relevé le tribunal dans le jugement n° 1904553 du 26 octobre 2020 et la cour administrative d'appel dans l'arrêt n° 20MA04747 du 20 janvier 2023, présente un intérêt général tenant à la réorganisation de la circulation aux abords et à l'intérieur du marché d'intérêt national et le réaménagement global du marché. Si la démolition des bâtiments en cause n'a commencé qu'en février 2022, cette circonstance est due à l'immobilisme de la société occupante de ces bâtiments, qui n'a quitté les lieux qu'au terme de procédures d'expulsion de cette société et de liquidation d'astreinte qui ont donné lieu à deux ordonnances du tribunal des 23 décembre 2020 et 5 mai 2021. Le détournement de pouvoir allégué, alors au demeurant que la Somimar n'a pas reçu les loyers des bâtiments en cause dès lors qu'elle a dû inscrire sa créance auprès du mandataire liquidateur de la société occupante, ne résulte pas davantage de l'instruction. Enfin, la faute alléguée de la Somimar méconnaissant le droit au respect des biens de la SCI Jyc et Co n'est pas établie.
9. Il résulte de ce qui précède que la SCI Jyc et Co et M. A ne sont pas fondés à demander l'engagement de la responsabilité pour faute de la Somimar.
En ce qui concerne l'enrichissement sans cause :
10. Si la société Jyc et Co sollicite l'indemnisation de son préjudice à hauteur de 2 556 000 euros, correspondant aux loyers qu'elle aurait perçus pendant les dix-huit années restant à courir jusqu'à l'expiration de la convention modifiée conclue en 1975 entre la Somimar et la SCI Arna, elle n'établit pas avoir exposé des dépenses utiles à la Somimar. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la Somimar a dû, à ses frais, procéder à la démolition des bâtiments en cause, circonstance empêchant ainsi de la regarder comme s'étant enrichie. Dans ces conditions, et en tout état de cause, la responsabilité de la Somimar ne peut dès lors être engagée sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
En ce qui concerne le préjudice de M. A :
11. Il ne résulte pas de l'instruction que le préjudice moral et financier allégué de M. A, tiré de ce qu'il a dû quitter son logement et de ce qu'il n'a plus suffisamment de ressources, soit en lien ni avec la résiliation de la convention initiale conclue entre la Somimar et la SCI Arna ni avec les fautes alléguées de la Somimar, alors qu'il indique notamment devoir rembourser une dette à l'administration fiscale.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par la SCI Jyc et Co et M. A doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions des requérants tendant à leur application et dirigées contre la Somimar, qui n'est pas partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la SCI Jyc et Co le versement à la Somimar d'une somme de 1 500 euros au titre des frais d'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCI Jyc et Co et de M. A est rejetée.
Article 2 : La SCI Jyc et Co versera à la Somimar la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société civile immobilière Jyc et Co, première dénommée en application de l'article R. 751-3 du code de justice, pour l'ensemble des requérants, et à la société d'économie mixte pour la construction et l'exploitation du marché d'intérêt national de Marseille (Somimar).
Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Laso, président,
Mme Niquet, première conseillère,
Mme Ollivaux, première conseillère,
Assistés de M. Giraud, greffier.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023.
La rapporteure,
Signé
A. B
Le président,
Signé
J-M. Laso
Le greffier,
Signé
P. Giraud
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Le greffier,