TA Nantes, 02/11/2022, n°2005298

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 mai 2020, 18 mars, 3 et 21 mai,

22 juin 2021 et 22 février 2022, la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand, représentée par Me Plateaux, demande au tribunal :

1°) d'annuler le contrat de concession de service public pour l'exploitation du crématorium de la commune de Challans conclu par la collectivité avec les sociétés La Compagnie des Crématoriums et Accueil funéraire 85 ;

2°) de condamner la commune de Challans à lui verser la somme de 30 000 000 euros, assortie des intérêts moratoires et composés ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Challans la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la procédure d'attribution est irrégulière en l'absence de référence des sociétés attributaires, attestant de leurs garanties techniques et professionnelles ;

- la procédure d'attribution est irrégulière en l'absence de référence des sociétés attributaires, attestant de leurs garanties financières ;

- le projet des sociétés attributaires du contrat ne respectait pas le projet de contrat, en méconnaissance du principe d'égalité des candidats ; ce manquement la lèse en raison de l'imprécision des informations qui lui ont été communiquées ;

- les raisons du choix du projet de crématorium ne sont pas suffisamment précisées au regard de la présence d'autres crématoriums ;

- l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales a été méconnu en raison de la modification unilatérale des offres, du fait de l'évolution de la grille tarifaire, au cours de la sélection des offres ;

- la commune a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats en retenant, parmi les critères de sélection des offres, la prise en compte de l'estimation prévisionnelle du nombre de crémations sur la durée du contrat ;

- l'offre de la société attributaire est irrégulière dès lors qu'elle s'est engagée sur l'installation d'un second four puis est revenue sur cet engagement en cours d'exécution du contrat ;

- l'engagement par l'attributaire de constituer une société dédiée n'a pas été tenu ;

- l'engagement par l'attributaire de construire dans les deux ans l'ouvrage prévu n'a pas été tenu ;

- la signature du contrat est entachée de détournement de procédure ; le contrat ne pouvait pas être signé à compter du 23 mars 2020, lendemain du second tour des élections municipales ; le caractère suspensif du référé précontractuel a été méconnu par la signature du contrat ;

- la commune a commis une faute qui l'a privée d'une chance sérieuse d'obtenir l'attribution du contrat et lui a causé un préjudice financier ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 juillet 2020, 26 avril et 17 mai 2021, la commune de Challans, représentée par Me Marchand, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requérante ne justifie pas en quoi les irrégularités qu'elles invoque la léseraient ;

- elle ne pouvait exclure, par principe, tout candidat qui n'aurait pas eu d'expérience équivalente au projet de contrat litigieux ; il appartenait à la commission de délégation de service public d'examiner les candidatures sur la seule base des exigences du règlement de la consultation ;

- les raisons du choix du projet de crématorium demeurent sans incidence sur la régularité de la procédure ;

- l'estimation prévisionnelle du nombre de crémations sur la durée du contrat constitue un élément financier d'appréciation des offres et devait être prise en compte ;

- l'offre de la société attributaire prévoyait l'installation d'un second four, conformément à l'étude d'impact, en cas de dépassement d'un seuil de crémations annuelles ;

- l'engagement par l'attributaire de constituer une société dédiée a bien été tenu ;

- le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;

- en l'absence d'irrégularité de la procédure d'attribution, les conclusions indemnitaires de la requérante, qui ne sont pas justifiées, ne peuvent qu'être rejetées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 mars et 25 mai 2021, la Sarl Compagnie des crématoriums, représentée par Me Landbeck, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a produit des références techniques et professionnelles suffisantes ;

- ses références financières correspondaient aux exigences du règlement de consultation ;

- le règlement de consultation n'imposait pas l'implantation de locaux dans un espace public indivisible ; son offre comprenait tous les locaux prévus dans le règlement de consultation ;

- le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;

- en l'absence d'irrégularité de la procédure d'attribution, les conclusions indemnitaires de la requérante, qui ne sont pas justifiées, ne peuvent qu'être rejetées.

La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée par une ordonnance du

17 juin 2021, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de M. Dias, rapporteur public,

- et les observations de Me Plateaux, représentant la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand, et celles de Me Gourdain, substituant Me Marchand, représentant la commune de Challans.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au JOUE le 13 mars 2019 et au BOAMP, la commune de Challans a lancé une consultation, sur le fondement des articles L. 1411-1 et R. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, en vue de l'attribution d'un contrat de concession de service ayant pour objet le financement, la conception, la construction, l'entretien-maintenance et l'exploitation d'un crématorium, d'une durée de 30 ans et d'une valeur estimée de 23 800 000 euros HT. La SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand a présenté une offre, mais par une délibération du 16 décembre 2019, le conseil municipal de la commune de Challans a décidé d'attribuer le contrat au groupement solidaire constitué des sociétés Accueil funéraire 85 et La Compagnie des Crématoriums. Le contrat a été signé le

27 février 2020. La SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand demande au tribunal, d'une part, d'annuler le contrat de concession de service public pour l'exploitation du crématorium de la commune de Challans conclu par la collectivité avec les sociétés La Compagnie des Crématoriums et Accueil funéraire 85 et, d'autre part, de condamner la commune de Challans à lui verser la somme de 30 000 000 euros, assortie des intérêts moratoires et composés.

Sur la validité du marché litigieux :

2. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable : " Une délégation de service public est un contrat de concession au sens de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, conclu par écrit, par lequel une autorité délégante confie la gestion d'un service public à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix () Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages, de réaliser des travaux ou d'acquérir des biens nécessaires au service public ". Aux termes de l'article

R. 1411-1 du même code : " Les délégations de service public des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics sont passées et exécutées conformément aux dispositions du décret n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relatif aux contrats de concession ". Et aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, alors en vigueur : " () II. - Les contrats de concession de services ont pour objet la gestion d'un service. Ils peuvent consister à déléguer la gestion d'un service public. Le concessionnaire peut être chargé de construire un ouvrage ou d'acquérir des biens nécessaires au service () ". Enfin aux termes de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales : " () l'autorité habilitée à signer la convention de délégation de service public peut organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires () ".

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 45 de l'ordonnance n° 2016-65 du

29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : " I. - Les autorités concédantes ne peuvent imposer aux candidats que des conditions de participation à la procédure de passation propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du contrat de concession. Lorsque la gestion d'un service public est déléguée, ces conditions de participation peuvent notamment porter sur l'aptitude des candidats à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. / Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution. / Après examen de leurs capacités et de leurs aptitudes, l'autorité concédante dresse la liste des candidats admis à participer à la suite de la procédure de passation du contrat de concession () ". Et aux termes de l'article 46 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : " Les autorités concédantes peuvent organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par voie réglementaire. La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ". Si l'autorité délégante peut exiger, au stade de l'admission des candidatures, la détention par les candidats de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, cette exigence, lorsqu'elle a pour effet de restreindre l'accès du marché à des entreprises de création récente ou n'ayant réalisé jusqu'alors que des prestations d'une ampleur moindre, doit être objectivement rendue nécessaire par l'objet de la délégation et la nature des prestations à réaliser. Dans le cas contraire, l'autorité délégante doit permettre aux candidats de justifier de leurs capacités financières et professionnelles et de leur aptitude à assurer la continuité du service public par tout autre moyen

5. Aux termes de l'article 4 du règlement de consultation : " Base et variante obligatoire () Candidature () En outre, pour permettre à la commission mentionnée à l'article L.1411-5 du CGCT d'examiner les capacités économique, financières, techniques et professionnelles ainsi que l'aptitude du candidat (ou le cas échéant, chaque membre du groupement) à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public, les informations suivantes seront produites : / 12. Déclaration concernant le chiffre d'affaires du candidat et/ou des associés réalisé au cours des deux derniers exercices disponibles, précisant la part du chiffre d'affaires correspondant à des prestations comparables avec les prestations faisant l'objet du présent contrat. / 13. Bilans et comptes de résultat pour les deux derniers exercices, ou extraits Kbis pour les entreprises nouvellement créées. / 14. En cas d'appartenance du candidat à un groupe de sociétés : organigramme financier du groupe faisant apparaître les principaux actionnaires. / 15. Description détaillée de l'entreprise : moyens en personnel et moyens techniques, organisation interne, activités principales et accessoires. / 16. Tous les autres justificatifs et documents que le candidat individuel ou en groupement jugera utile de présenter pour permettre à la personne publique délégante d'apprécier l'aptitude du candidat individuel ou du candidat en groupement à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public, tels que références ou certificats de capacité ". Et aux termes de l'article 5 du règlement de consultation du contrat en cause : " Jugement des candidatures / La Commission de Délégation de Service Public procédera à l'analyse des candidatures afin de garantir que chaque candidat dispose de l'aptitude, des capacités et des garanties nécessaires à l'exécution du contrat de délégation de service public dont notamment : * de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, * de la capacité économique et financière, * des capacités techniques et professionnelles, * du respect de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (), * de l'aptitude des candidats à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. / Avant de procéder à l'examen des candidatures, si la Commission constate que des pièces ou informations dont la production était obligatoire conformément au présent règlement de la consultation sont manquantes ou incomplètes, les candidats dont le dossier de candidature est incomplet, pourront être invités à le régulariser dans un délai approprié qui leur sera indiqué / () Les candidats qui produiront une candidature incomplète, le cas échéant après demande de compléments, ou contenant de faux renseignements ou documents ne seront pas admis à participer à la suite de la procédure de passation. Les candidatures irrecevables seront également exclues de la procédure de passation. / Est irrecevable la candidature présentée par un candidat : - Qui ne peut participer à la procédure de passation en application des articles 39, 42 et 44 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 " concession " susvisée, - Qui ne possède pas les capacités ou les aptitudes exigées en application de l'article 45 de la même ordonnance ".

6. La requérante soutient, d'une part, que la procédure d'attribution est irrégulière en l'absence de référence des sociétés attributaires, attestant de leurs garanties techniques et professionnelles, que la société Accueil funéraire 85 n'a produit aucune référence spécifique et que La Compagnie des Crématoriums n'a produit que deux références qui ne concernent que des crématoriums qui n'étaient pas encore en fonctionnement à la date de sélection des candidatures. Toutefois, d'une part, il ne résulte pas des termes du règlement de la consultation que celui-ci ait imposé aux candidats, à peine de rejet de leur candidature, de justifier, par la production de leur chiffre d'affaires des deux derniers exercices et de références, de l'exploitation effective d'un crématorium dans des conditions comparables à celles prévues par la commune de Challans dans le projet de contrat litigieux. Une telle exigence ne résulte pas davantage des termes de la délibération du 17 décembre 2018 par laquelle le conseil municipal de Challans a approuvé le recours à une concession de service public pour la construction et l'exploitation d'un crématorium. D'autre part, la société Compagnie des Crématoriums s'est prévalue de la conclusion récente, en 2016 et 2019, de deux contrats de délégation de service public portant sur la construction et l'exploitation de crématoriums à Cormeilles-en-Parisis et Maubeuge pour un montant d'investissement et une durée d'exploitation comparables à ceux prévus par la commune de Challans. La société Accueil Funéraire 85, société de pompes funèbres, a quant à elle, justifié de ses capacités techniques et professionnelles, notamment par la présentation de références en matière de création d'espaces cinéraires à Château Guibert, Poiroux,

Saint Vincent-sur-Graon et Saint Sornin, de reprises de concessions et d'exhumations et de poses de columbarium à La Roche-sur-Yon et aux Sables-d'Olonne. Enfin, la commission de délégation de service public a estimé que les comptes annuels produits par chacune de ces deux sociétés permettaient à celles-ci de justifier d'une capacité financière suffisante pour que leur candidature soit admise. Par suite, le moyen doit être écarté.

7. La requérante soutient, d'autre part, que la procédure d'attribution est irrégulière en l'absence de référence des sociétés attributaires, attestant de leurs garanties financières. Il résulte de l'instruction que les comptes annuels produits par les deux sociétés attributaires, comme exigés par le règlement de la consultation, ont permis à la commission de délégation de service public de considérer, sans entacher son choix d'irrégularité, que leurs candidatures justifiaient d'une capacité suffisante pour être admises, alors qu'aucun niveau minimum de capacité tant professionnelle que financière n'était exigé des candidats.

8. En deuxième lieu, au cours de la séance du conseil municipal du 16 décembre 2019 a été indiqué : " Vous avez à droite la partie crémation/crématorium avec la salle de cérémonie qui est isolée de la salle de convivialité, qui est dissociée de la partie principale de la crémation. Ça a été un élément fort qui a beaucoup intéressé les membres de la commission ". La requérante soutient que cette mention correspond à une modification du projet de contrat en cours de procédure, en méconnaissance du principe d'égalité des candidats à la commande publique, et que ce manquement la lèse en raison de l'imprécision des informations qui lui ont été communiquées.

9. Aux termes de l'article 13 du projet de contrat : " Conception technique de l'ouvrage et des installations / () 13.2 Descriptif / Le crématorium qui doit être évolutif comprend a minima : * Un espace public comprenant : - Le hall d'accueil avec zone d'attente pensée pour pouvoir accueillir les cérémonies dont l'assistance dépasserait les capacités de la salle de cérémonie ; - Des espaces de confort pour les familles, accueil, promenoir, bloc sanitaire ; - Une salle de cérémonie modulable pouvant accueillir 100 ou 200 personnes ; - Un bureau servant à la remise des urnes aux familles et à la réception et la préparation des cérémonies ; - Une salle de visualisation avec installation vidéo () ".

10. Il résulte des stipulations citées au point précédent, que le projet de contrat ne prévoyait pas de principe d'indivisibilité des locaux. La disposition des locaux proposée par les sociétés attributaires n'a pas méconnu les stipulations de l'article 13 du projet de contrat, dès lors que l'ensemble des locaux prévus par la collectivité a bien été prévu par l'offre retenue.

11. En troisième lieu, la requérante soutient que les raisons du choix du projet de crématorium ne sont pas suffisamment précisées au regard de la présence d'autres crématoriums à proximité et elle se prévaut d'un avis de la " mission régionale d'autorité environnementale ", selon lequel cette mission recommande de " développer la justification du choix du projet au regard de ses capacités et de celles des autres crématoriums ainsi que des zones couvertes par chacun d'eux ". Si la requérante tend ainsi à contester le choix par la commune de faire construire un crématorium, cette question de l'opportunité du choix du projet demeure sans incidence sur la régularité de la procédure suivie pour le choix de l'attributaire du contrat en cause.

12. En quatrième lieu, la requérante soutient que l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales a été méconnu en raison de la modification unilatérale des offres, du fait de l'évolution de la grille tarifaire, au cours de la sélection des offres. Elle se prévaut de la délibération du 16 décembre 2019, par laquelle le conseil municipal de la commune de Challans a décidé d'attribuer le contrat et au cours de laquelle il a été proposé de " substituer à l'annexe n° 9 du contrat relative aux tarifs des prestations, la grille tarifaire, ci-annexée ".

13. L'article 6.1 du règlement de consultation prévoyait que les offres seraient examinées par la commission de délégation de service public qui rendrait un avis motivé sur les mérites respectifs de chacune des offres. Et l'article 6.2 de ce règlement prévoyait qu'après réception de l'avis de la commission de délégation de service public, le maire engagerait toute discussion utile avec un ou plusieurs candidats et que " cette phase de discussion est scindée en deux étapes successives : * Etape 1 : négociation avec le ou les candidats, * Etape 2 : finalisation et mise au point du contrat. / Toutefois si une offre remise par un candidat lui semble pleinement satisfaisante, le maire ou son représentant se réserve le droit de passer directement à l'étape de finalisation du contrat, sans engager la négociation ". Le règlement de consultation précise en outre l'étape 1 : " () le maire se réserve le droit : * soit de tenir des négociations avec tous les candidats admis par lui dans cette phase pendant toute cette étape, * soit d'interrompre à un stade intermédiaire les négociations avec un ou plusieurs candidats en raison de la valeur insuffisante de leurs propositions () ". Lorsque la personne publique négocie librement les offres avant de choisir, au terme de cette négociation, le délégataire, elle n'est pas tenue d'informer les candidats des modalités de mise en œuvre de ces critères. Elle choisit le délégataire, après négociation, au regard d'une appréciation globale des critères, sans être contrainte par des modalités de mise en œuvre préalablement déterminées

14. Le règlement de consultation prévoyait ainsi une négociation. Une telle négociation avait pour objet d'améliorer les offres notamment sur le plan financier. Dans ces conditions, le conseil municipal pouvait à ce stade de la procédure modifier la grille tarifaire, ce qui ne correspond pas à une modification unilatérale des offres, contrairement à ce qui est allégué.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 6.1 du règlement de consultation : " () L'offre économiquement la plus avantageuse sera appréciée en fonction des critères hiérarchisés suivants classés par ordre décroissant d'importance : - la valeur technique et la qualité de la gestion du service () - Les prix et les aspects financiers () (Pertinence, structure et attractivité commerciale des tarifs, équilibre financier de l'offre) ; - La qualité architecturale du projet présenté, son intégration dans l'environnement, sa conception fonctionnelle, son coût d'entretien et sa durabilité () ".

16. La société requérante soutient que la commune a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats en retenant, parmi les critères de sélection des offres, la prise en compte de l'estimation prévisionnelle du nombre de crémations sur la durée du contrat. D'une part, l'estimation prévisionnelle du nombre de crémations sur la durée du contrat ne constituait qu'un des éléments d'appréciation du critère financier. Et la commune avait annoncé la valeur totale estimée du contrat dans les avis d'appel public à concurrence et à l'article 1er du règlement de la consultation.

17. D'autre part, le " rapport de présentation du service public délégué pour la réalisation et l'exploitation d'un crématorium communal ", daté de décembre 2018 et annexé à la délibération du 17 décembre 2018, par laquelle le conseil municipal de Challans a approuvé le principe du recours à un contrat de concession de service public, mentionnait que, dans le secteur géographique d'attraction du futur crématorium de Challans, le nombre potentiel de crémations était estimé, pour les trente années à venir, à plus de 38 000, cette estimation pouvant varier de plus ou moins 15 %. Cette estimation résulte d'une étude d'opportunité/faisabilité d'un crématorium à Challans, réalisée par le cabinet Aspasie qui avait reçu une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage dans l'opération de construction et de choix du mode de gestion de l'équipement. Le chiffre de 33 000 crémations, estimé par la société Compagnie des Crématoriums, correspondait à cette estimation. La société requérante ne démontre pas qu'il serait manifestement excessif. Le principe d'égalité de traitement des candidats n'a pas été méconnu.

18. En sixième lieu, la société requérante soutient que l'offre des sociétés attributaires est irrégulière dès lors qu'elles se sont engagées sur l'installation d'un second four puis sont revenues sur cet engagement en cours d'exécution du contrat.

19. Toutefois, d'une part, la création d'un second four n'a été prévue que comme hypothèse en fonction de l'évolution du nombre de crémations. La seule circonstance que dans le cadre de l'exécution du contrat, l'attributaire n'ait pas réalisé ce four demeure sans incidence sur la validité de son offre, telle qu'elle a été retenue. D'autre part, le groupement attributaire avait bien prévu l'installation d'un second four dès que serait dépassé le seuil de 1 000 crémations annuelles. La circonstance que ce chiffre paraisse élevé demeure sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. En outre, ce seuil de 1 000 crémations annuelles a été retenu par la commune suite à l'étude réalisée par le cabinet Aspasie. Et les candidats ont formulé des estimations comprises entre 26 361 et 34 845 crémations. Ainsi, l'offre retenue était bien conforme aux prévisions de crémations, dont il n'est pas établi qu'elles auraient été excessives. En tout état de cause, le caractère excessif de la prévision ne résulterait pas d'une faute de la commune, qui a pris la précaution de faire éclairer son choix par une étude réalisée par le cabinet Aspasie. Enfin l'offre de la requérante prévoyait elle aussi l'installation d'un second four comme demandé par la commune. Par suite, il n'est pas établi que l'offre retenue aurait été irrégulière sur ce point.

20. En septième lieu, la société requérante soutient que l'engagement par l'attributaire de constituer une société dédiée n'a pas été tenu. Cependant, si la constitution d'une société dédiée était bien prescrite par les stipulations du contrat, le délai pour la créer n'était pas prévu à peine de sanction par une stipulation contractuelle. En tout état de cause, cette société a été constituée, et le titulaire du contrat a donc bien respecté les obligations contractuelles mises à sa charge.

21. En huitième lieu, la requérante soutient que l'engagement par l'attributaire de construire dans les deux ans l'ouvrage prévu n'a pas été tenu. Selon un constat d'huissier du

11 février 2022, le panneau de chantier montre que le permis de construire le crématorium a été délivré le 7 avril 2021 et que les travaux n'ont pas commencé. Néanmoins, un tel manquement ne constitue pas un vice entachant la procédure de passation du contrat de concession.

22. En dixième lieu, la requérante soutient que le contrat signé est entaché d'un détournement de procédure, que le pouvoir adjudicateur était tenu de déclarer sans suite la consultation, que le pouvoir adjudicateur a méconnu l'effet suspensif du référé précontractuel et que le contrat ne pouvait pas être signé à compter du 23 mars 2020, lendemain du second tour des élections municipales.

23. Toutefois, d'une part, le pouvoir adjudicateur ayant été informé du sens de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif par son avocat, auquel cette ordonnance avait été notifiée, avant de signer le contrat litigieux, doit être regardé comme en ayant reçu notification au sens et pour l'application de l'article L. 551-4 du code de justice administrative. Par suite, la signature de ce contrat n'est pas intervenue en méconnaissance de l'obligation de suspension fixée par ce même article. D'autre part, il résulte de l'instruction, en particulier du contrat produit par la requérante elle-même, que le contrat litigieux a été signé le 27 février 2020, soit antérieurement aux élections municipales. Le conseil municipal était bien compétent pour délibérer sur le projet de contrat et son maire était également compétent pour signer ce contrat. Le détournement de procédure allégué n'est pas établi.

24. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation du contrat litigieux ne peuvent qu'être rejetées. Par suite, les conclusions indemnitaires de la requérante doivent également être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Challans, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand une somme de 1 500 euros à la commune de Challans et une somme de 1 500 euros à la Sarl Compagnie des crématoriums au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand est rejetée.

Article 2 : La SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand versera à la commune de Challans et à la Sarl Compagnie des crématoriums une somme de 1 500 euros, à chacune, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Pompes funèbres Funérarium Lemarchand, à la commune de Challans, à la Sarl Compagnie des crématoriums et à la société Accueil funéraire 85.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Loirat, présidente,

M. Gauthier, premier conseiller,

M. Simon, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 novembre 2022.

Le rapporteur,

E. A

La présidente,

C. LOIRAT La greffière,

S. LEGEAY

La République mande et ordonne au préfet de la Vendée, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

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