TA Paris, 05/10/2022, n°2010869
Vu les procédures suivantes :
I. Par une requête, enregistrée sous le numéro 2003979 le 24 février 2020, la société par actions simplifiée (SAS) Luxcarta Technology, représentée par Me Lallemand, demande au tribunal :
1°) à titre principal, d'ordonner à la Ville de Paris sous six conditions la reprise des relations contractuelles dans le cadre de l'accord-cadre à bons de commande pour l'acquisition d'une maquette 3D complète de l'ensemble des bâtiments et ouvrages d'art structurants parisiens, et acquisitions 3D complémentaires, conclu le 1er mars 2018 et résilié le 17 décembre 2019 ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner la Ville de Paris au paiement des sommes de 178 036 euros HT et 50 000 euros au titre, respectivement, d'une part, des prestations livrées et effectuées et, d'autre part, du préjudice découlant de la résiliation de ce contrat ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable.
Sur la décision du 17 décembre 2019 prononçant la résiliation du contrat :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est fondée, à tort, sur la méconnaissance des stipulations de l'article 6.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et de l'article 32 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de techniques de l'information et de la communication (CCAG TIC) ;
- elle n'est pas fondée, dans la mesure où elle n'a commis aucune faute grave dans l'exécution du contrat ; les carences de la Ville de Paris dans la validation des unités d'œuvre et dans le contrôle qualité exercé est à l'origine des retards et de l'impossibilité de livrer la totalité de la commande dans les délais impartis ; la société Aerodata a livré un MNT invalidé par la Ville de Paris en mai/ juin 2019, ce qui ne lui permettait pas de réaliser sa part du contrat ; les délais qui lui ont été accordés pour livrer les unités d'œuvre la concernant étaient insuffisants ; elle en a d'ailleurs demandé le prolongement à plusieurs reprises ; le délai de livraison au 29 novembre 2019 fixé dans la mise en demeure était impossible à respecter ; elle est indépendante financièrement et techniquement de la société Aerodata, en tant que co-traitant non solidaire ;
- la décision de résiliation n'a pas été suivie d'une réunion contradictoire ayant pour objet de dresser un procès-verbal d'inventaire des prestations réalisées, des approvisionnements existants et du matériel se trouvant sur le site ;
- elle ne mentionne pas les délais et voies de recours ;
- la Ville de Paris a commis une faute en décidant de résilier le marché en cause ; elle demande une reprise des relations contractuelles sous six conditions : la validation des travaux déjà effectués ; le paiement de l'ensemble des factures éditées, y compris la facture d'avance ; la révision du prix des prestations à régler pour imprévision ; la définition d'un nouveau planning de réalisation des prestations ; l'engagement que le contrôle qualité de ses travaux ne soit pas exercé par un de ses concurrents directs ; la redéfinition des spécifications techniques de réalisation des travaux ;
Sur le décompte de résiliation du marché du 22 janvier 2020 :
- il est entaché d'un vice de procédure l'ayant privé d'une garantie dans la mesure où il a été établi en application de l'article 34.5 du CCAG TIC au lieu de l'être sur le fondement de l'article 44 du même cahier ;
- il ne mentionne pas les délais et voies de recours ;
- le décompte de résiliation aurait dû être établi en application de l'article 44-2 du CCAG-TIC et non de l'article 44-3 du même cahier ;
- la numérisation 3D, qui a été réalisée en totalité avec des reprises, doit être réglée à hauteur de 63 700 euros HT ;
- la modélisation 3D, qui a été réalisée sur les 5/6 de la Ville de Paris, moins 15 % de texturation, doit être réglée à hauteur de 65 600 euros HT ;
- l'intervention d'un consultant doit être réglée à hauteur de 10 072 euros HT ;
- le " contrôle / validation / intégration " de la reprise de la numérisation 3D par l'équipe projet sur la période de juillet à septembre 2019 doit être réglé à hauteur de 9 600 euros HT ;
- le temps de mobilisation non prévu de l'équipe de production de la modélisation 3D en France doit être réglé à hauteur de 29 064 euros HT ;
Sur le préjudice découlant de la décision de résiliation du contrat :
- elle subit un préjudice d'atteinte à sa réputation qu'elle évalue à 50 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2021, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles, au rejet du surplus des conclusions de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Luxcarta Technology au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la recevabilité de la requête :
- la requête est irrecevable, la Ville de Paris n'ayant pas été saisie d'une réclamation préalablement à l'introduction d'un recours contentieux, conformément aux stipulations des articles 47.2 et 12.1.4 du CCAG-TIC applicable ;
Sur la décision du 17 décembre 2019 prononçant la résiliation du contrat :
- elle est suffisamment motivée ;
- la circonstance qu'elle vise l'article 32 du CCAG TIC en lieu et place de l'article 42 de ce cahier constitue une simple erreur matérielle, sans incidence sur sa validité ;
- l'inexécution des obligations du titulaire du marché dans les délais contractuels justifie la mesure de résiliation ;
- les stipulations de l'article 5.2.2.3 et 5.2.3.3 du CCTP, relatives respectivement à l'UO2 et à l'UO3, n'impliquent pas que ces unités d'œuvre ne pouvaient être démarées sans la validation de l'UO1 ; d'ailleurs, dès le comité de projet du 19 juin 2018, la société requérante a établi son projet de planning de livraison pour l'UO2 en fonction de la livraison, par son co-traitant, des seules prises de vues aériennes, et non de la validation de l'ensemble des livrables de l'UO1 ; c'est également ce qui ressort du planning fourni le 12 novembre 2018 indiquant que le MNT, réalisé au titre de l'UO1, devait être démarré en même temps que le bâti 3D incombant à la société requérante, et l'orthophotographie bien plus tard ;
- les manquements du groupement à ses obligations contractuelles se sont multipliées dès le début de l'exécution du marché ; s'agissant du groupement, dès le démarrage du projet, l'exécution des prestations a été défaillante ; la difficulté liée au renforcement des contraintes de survol de Paris n'a pas modifié le planning d'exécution du marché ; les livrables ont quasi-systématiquement été rendus avec retard, et toujours avec un niveau de qualité très insatisfaisant ; ceux-ci présentaient des erreurs de modélisation grossières ; dès le mois de décembre 2018, la Ville de Paris a été contrainte de réunir un " comité de crise ", qui a été suivi de nombreux autres au cours desquels elle a appelé les membres du groupement à plus de rigueur ; elle a proposé au titulaire d'exécuter des prestations seulement partielles pour tenter de réorienter l'exécution des prestations de manière conforme au marché ; cette proposition n'a pas été satisfaite, la Ville de Paris ne disposant toujours pas d'une maquette " blanche " ni d'une maquette " texturée " sur la moitié du territoire de la Ville de Paris à l'échéance du mois de juin 2019 ; seul un demi lot des UO2 et UO3 a été validé le 1er avril avec réserves ; s'agissant de la société requérante, elle s'était engagée à commencer les travaux le 19 novembre 2018 mais ne les avaient toujours pas commencés le 20 décembre suivant, faisant état d'une mauvaise synchronisation avec la société Aérodata ; contrairement à ce qu'elle prétend, le raccordement entre la modélisation du titulaire et la base de données de la Ville de Paris dite APUR était expressément prévue par les stipulations de l'article 5.2.2 du CCTP, comme cela a également été rappelé lors du comité de crise du 20 décembre 2018 ; les difficultés d'utilisation du logiciel Rhinocity proposé par la société Luxcarta lui sont imputables ; dès le comité de pilotage du 14 février 2019, des anomalies importantes dans les prestations effectivement rendues ont été relevées, lesquelles ont été niées par la société requérante ; A cette date, le lot 1A avait déjà été rejeté à cinq reprises et le lot 1B à deux reprises ; la Ville de Paris a été contrainte d'accroitre le suivi de son prestataire, incapable de respecter le planning fixé ; le comité de suivi du 27 mars 2019 est consacré presque exclusivement aux défaillances majeures de la société Luxcarta ; ces difficultés ressortent également des procès-verbaux de recette intermédiaires, du comité stratégique du 24 avril 2019 et du comité de pilotage du 26 juin 2019 ; les nouveaux délais laissés par la Ville de Paris au groupement pour améliorer son travail ou, à tout le moins, remettre des livrables acceptables, n'ont pas permis de remédier aux graves dysfonctionnements constatés si bien que le 29 novembre 2019, le titulaire a remis de nouveaux livrables toujours non-conformes au CCTP ; la maquette devait initialement être livrée en juin 2019 ; le respect de cette échéance était essentiel ; la résiliation du marché sanctionne les manquements du groupement dans son ensemble et ceux de la société requérante ; ces manquements ont occasionné un surcroit de travail pour la Ville de Paris ;
- la réalisation d'un inventaire postérieurement à la résiliation du marché n'est prévue pas aucun texte ni aucune stipulation du contrat ; l'absence d'inventaire ne constitue donc pas un vice affectant la validité de la décision de résiliation du contrat ;
- à considérer même que la résiliation du contrat soit entachée d'invalidité, le terme de celui s'oppose à ce qu'il soit enjoint à la Ville de Paris de reprendre les relations contractuelles.
Sur les préjudices découlant de la décision de résiliation du contrat :
- la prestation de numérisation 3D n'a pas été effectuée, si bien que la société requérante ne peut solliciter son paiement ; la majoration de 30 % du coût de cette prestation n'est pas justifiée ;
- la prestation de modélisation 3D n'a pas été effectuée, si bien que la société requérante ne peut en solliciter le paiement ; les modalités de calcul de cette prestation ne sont pas détaillées ;
- les frais d'intervention d'un consultant, qui sont liés à une dépense spontanée de la société requérante, n'ont pas fait l'objet d'un bon de commande de la Ville de Paris et n'ont donc pas à être indemnisés ;
- les sommes de 9 600 euros HT et 29 064 euros HT correspondant aux " contrôle / validation / intégration de la reprise de la numérisation 3D par l'équipe projet " et au " temps de mobilisation non prévu de l'équipe de production de la modélisation 3D en France " ne sont pas étayées ; ces dépenses supplémentaires, à les supposer établies, ne sont pas liées à la mesure de résiliation ;
- le préjudice d'image n'est pas établi, alors, en outre, qu'aucune mesure de publicité n'a été donnée à la résiliation du marché en cause.
Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2021, la SAS Luxcarta Technology, représentée par Me Lallemand, conclut aux mêmes fins que dans sa requête, par les mêmes moyens.
Elle soutient, en outre, que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle a été introduite dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision de résiliation du marché ; il en va de même de la requête introduite sous le n° 2010869, dès lors que le mandataire du groupement a adressé sa réclamation préalable à la Ville de Paris le 14 février 2020, laquelle en a accusé réception le même jour ; elle a également adressé cette réclamation directement à la Ville de Paris ;
- la décision de résiliation est entachée de l'incompétence de son signataire ;
- le CCTP stipule expressément que la validation du socle de la maquette 3D par la Ville de Paris est un préalable au lancement de la modélisation des UO2 et UO3 ;
- si la modélisation des bâtiments, première étape de numérisation, pouvait se faire uniquement à partir des images brutes de prise de vue aérienne, ce n'est pas le cas de la deuxième étape du processus de production, qui concerne la restitution des volumes de bâtiments en 3D, qui ne peut se faire sans le MNT ; la version validée du MNT est nécessaire pour modéliser les bâtiments et finaliser l'UO2 et l'UO3-1 ;
- le premier MNT qui lui a été livré en janvier 2019 a ensuite été rejeté par la Ville de Paris ; le nouveau MNT livré en juin 2019 n'était toujours pas validé par la Ville de Paris à la fin de ce mois ; le changement de MNT a imposé à la Ville de Paris de reprendre l'ensemble de ses modélisations 3D ; à la fin du mois de février 2019, elle a appris le rejet du premier MNT et, n'ayant aucune information quant à la livraison et la validation du prochain MNT, était incapable de prévoir le calendrier de livraison de ses modélisations ; la Ville de Paris a mal géré le suivi technique du projet ; d'ailleurs, c'est elle qui a encouragé la société Aerodata à utiliser la version du MNT du 31 janvier 2019 qu'elle a par la suite rejeté ;
- le contrôle qualité des lots est un contrôle par échantillonnage ; le demi lot accepté ne pouvait donc l'être avec réserve ;
- la Ville de Paris ne lui a jamais transmis ses outils de contrôle, en dépit de ses multiples relances ; elle a augmenté progressivement le nombre de paramètres de contrôle pris en compte ;
- la mise en demeure du 31 juillet 2019 ne la concerne pas ;
- elle a pu commencer les UO2 et UO3 sans l'UO1 ; Toutefois, elle n'a pas pu finaliser ces deux unités d'œuvre sans l'UO1 validée par la Ville de Paris ;
- elle a rencontré divers problèmes avec la base de données APUR ;
- elle a fait appel à un consultant dès avril 2019, qui a constaté que la Ville de Paris ne communiquait pas sur sa méthode de contrôle qualité, qu'elle n'était pas prête à entendre certains arguments techniques nécessitant la remise en cause d'exigences injustifiées ou inapplicables et que les validations de la Ville de Paris n'avançaient pas ; lors d'un comité du 26 juin 2019, ce consultant a indiqué à la Ville de Paris qu'il convenait de prendre en compte les alignements méthodologiques, de communiquer des seuils d'acceptation et de valider les référentiels ; il ressort du compte rendu de ce comité que la validation de la triangulation et du MNT aurait dû être un préalable au démarrage de la production de la base bâtimentaire ; ce constat corrobore ses allégations selon lesquelles la validation du MNT était une condition essentielle de la réalisation des UO2 et UO3 ;
- elle a toujours remplie l'exécution du contrat de manière loyale, contrairement à la Ville de Paris ;
- la résiliation du contrat n'est pas justifiée, dans la mesure où le retard et l'incomplétude des produits livrés proviennent des manquements de la Ville de Paris et de ses exigences, qui dépassaient les obligations contractuelles ; ces exigences ont engendré un bouleversement de l'économie du contrat ;
- son préjudice financier est déterminé à partir des procès-verbaux de recettes intermédiaires des 29 mars, 3 avril et 21 mai 2019 ;
- les 30 % supplémentaires concernant le travail de numérisation correspondent au surplus de travail rendu nécessaire par les demandes de la Ville de Paris, non prévues au contrat ;
- les reprises ont considérablement accru le temps passé sur le projet etle dédommagement réclamé est bien en-deçà de ses dépenses réelles ;
- son calcul concerne seulement les lots qui ont été modélisés en 3D, soit 5 lots sur 6, et ne tient pas compte de la texturation des bâtiments ;
- dans le volet modélisation, la texturation semi-automatique représente bien 15 % de la prestation ;
- c'est la Ville de Paris qui a sollicité l'intervention d'un consultant, dont l'emploi est justifié par des factures ;
- son principal concurrent, la société Géofit, ayant été informé de la résiliation du contrat, le préjudice d'image est établi.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2022, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut aux mêmes que dans son premier mémoire en défense, par les mêmes moyens.
Elle soutient, en outre, que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté.
Par un mémoire enregistré le 25 février 2022, la SAS Luxcarta Technology, représentée par Me Lallemand, conclut aux mêmes que dans ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.
Elle soutient, en outre, que la Ville de Paris n'apporte aucun élément technique permettant d'établir que la livraison de la société Igo n'est pas conforme.
II. Par une requête, enregistrée sous le numéro 2010869 le 23 juillet 2020, la SAS Luxcarta Technology, représentée par Me Lallemand, demande au tribunal :
1°) de condamner la Ville de Paris au paiement des sommes de 178 036 euros HT et 50 000 euros au titre, respectivement, d'une part, des prestations livrées et effectuées et, d'autre part, du préjudice découlant de la résiliation de ce contrat ;
2°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable.
Sur la décision du 17 décembre 2019 prononçant la résiliation du contrat :
- elle est entachée de l'incompétence de son auteur ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est fondée, à tort, sur la méconnaissance des stipulations de l'article 6.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et de l'article 32 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de techniques de l'information et de la communication (CCAG TIC) ;
- elle n'est pas fondée, dans la mesure où elle n'a commis aucune faute grave dans l'exécution du contrat ; les carences de la Ville de Paris dans la validation des unités d'œuvre et dans le contrôle qualité exercé est à l'origine des retards et de l'impossibilité de livrer la totalité de la commande dans les délais impartis ; la société Aerodata a livré un MNT invalidé par la Ville de Paris en mai/ juin 2019, ce qui ne lui permettait pas de réaliser sa part du contrat ; les délais qui lui ont été accordés pour livrer les unités d'œuvre la concernant étaient insuffisants ; elle en a d'ailleurs demandé le prolongement à plusieurs reprises ; le délai de livraison au 29 novembre 2019 fixé dans la mise en demeure était impossible à respecter ; elle est indépendante financièrement et techniquement de la société Aerodata, en tant que co-traitant non solidaire ;
- la décision de résiliation n'a pas été suivie d'une réunion contradictoire ayant pour objet de dresser un procès-verbal d'inventaire des prestations réalisées, des approvisionnements existants et des matériels se trouvant sur le site ;
- elle ne mentionne pas les délais et voies de recours ;
Sur le décompte de résiliation du marché du 22 janvier 2020 :
- il est entaché d'un vice de procédure l'ayant privé d'une garantie dans la mesure où il a été établi en application de l'article 34.5 du CCAG TIC au lieu de l'être sur le fondement de l'article 44 du même cahier ;
- il ne mentionne pas les délais et voies de recours ;
- le décompte de résiliation aurait dû être établi en application de l'article 44-2 du CCAG-TIC et non de l'article 44-3 du même cahier ;
- les prestations reçues et qui sont établies par les procès-verbaux de recette intermédiaire ne figure pas dans le décompte ;
- la numérisation 3D, qui a été réalisée en totalité avec des reprises, doit être réglée à hauteur de 63 700 euros HT ;
- la modélisation 3D, qui a été réalisée sur les 5/6 de la Ville de Paris, moins 15 % de texturation, doit être réglée à hauteur de 65 600 euros HT ;
- l'intervention d'un consultant doit être réglée à hauteur de 10 072 euros HT ;
- le " contrôle / validation / intégration " de la reprise de la numérisation 3D par l'équipe projet sur la période de juillet à septembre 2019 doit être réglé à hauteur de 9 600 euros HT ;
- le temps de mobilisation non prévu de l'équipe de production de la modélisation 3D en France doit être réglé à hauteur de 29 064 euros HT ;
Sur les préjudices découlant de la décision de résiliation du contrat :
- elle subit un préjudice d'atteinte à sa réputation qu'elle évalue à 50 000 euros.
Une pièce complémentaire, enregistrée le 24 août 2020, a été présentée pour la société Luxcarta Technology.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2021, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles, au rejet du surplus des conclusions de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Luxcarta Technology au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans son mémoire en défense enregistré le même jour, sous le numéro 2003979 visé au I. ci-dessus.
Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2021, la société Luxcarta Technology, représentée par Me Lallemand, conclut aux mêmes fins que dans sa requête, par les mêmes moyens et soutient, en outre, les mêmes nouveaux arguments que ceux exposés dans son mémoire enregistré le même jour, sous le numéro 2003979 visé au I. ci-dessus.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 janvier 2022, la Ville de Paris, représentée par Me Falala, conclut aux mêmes fins que dans son premier mémoire en défense, par les mêmes moyens, comme dans son mémoire enregistré le même jour, sous le numéro 2003979 visé au I. ci-dessus.
Par un mémoire enregistré le 25 février 2022, la société Luxcarta Technology, représentée par Me Lallemand, conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures, par les mêmes moyens et soutient, en outre, les mêmes nouveaux arguments que ceux exposés dans son mémoire enregistré le même jour, sous le numéro 2003769 visé au I. ci-dessus.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales (CCAG-TIC) applicables aux marchés publics de techniques de l'information et de la communication ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Grandillon, premier conseiller,
- les conclusions de Mme de Schotten, rapporteure publique,
- les observations de Me Lallemand, avocat de la SAS Luxcarta Technology ;
- et les observations de Me Gorse, avocat de la Ville de Paris.
Une note en délibéré, enregistrée le 21 septembre 2022, a été produite pour la société Luxcarta Technology.
Considérant ce qui suit :
1. La Ville de Paris a, par un acte d'engagement du 13 octobre 2017 signé le 1er mars 2018 avec la société à responsabilité limitée (SARL) Aerodata France, premier co-traitant et mandataire du groupement conjoint formé avec la société par actions simplifiée (SAS) Luxcarta Technology et la société Géosat, respectivement deuxième et troisième co-traitants, conclu un accord-cadre à bons de commande, pour l'acquisition d'une maquette 3D complète de l'ensemble des bâtiments et ouvrages d'art structurants parisiens, et acquisitions de documents 3D complémentaires, d'une durée de quatre ans ferme. Par un courrier du 21 février 2019, la Ville de Paris a mis en demeure la SARL Aerodata France et la SAS Luxcarta Technology de lui adresser la maquette 3D commandée. Elle a de nouveau adressé au mandataire du groupement deux mises en demeure datées des 31 juillet et 14 novembre 2019 et tendant respectivement à la livraison, d'une part, d'un photomaillage 3D tel que défini dans la commande n° 4502409609 du 8 mars 2019 d'ici le 19 août 2019, d'autre part, de l'ensemble des prestations commandées d'ici le 29 novembre 2019. Le 17 décembre 2019, la Ville de Paris a décidé de résilier le marché pour faute au motif que les éléments livrés à cette date n'incluaient pas les bâtiments 3D et les ouvrages d'art. Elle a ensuite, par courrier du 22 janvier 2020, adressé à la SAS Luxcarta Technology le décompte de résiliation. Par les présentes requêtes, la SAS Luxcarta Technology demande au tribunal d'ordonner à la Ville de Paris la reprise des relations contractuelles et de condamner la Ville de Paris au paiement des sommes de 178 036 euros HT et 50 000 euros au titre, respectivement, d'une part, des prestations livrées, d'autre part, du préjudice découlant de la résiliation de ce contrat.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 2003979 et 2010869 portent sur le même marché public, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
Sur l'exception de non-lieu opposée par la Ville de Paris en ce qui concerne la reprise des relations contractuelles :
3. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.
4. Il résulte de l'instruction que le terme du marché était fixé au 28 février 2022. Ainsi, à la date du présent jugement, les conclusions de la requête de la SAS Luxcarta Techology tendant à la reprise des relations contractuelles sont devenues sans objet.
Sur la décision de résiliation du 17 décembre 2019 :
En ce qui concerne la régularité de la décision de résiliation :
S'agissant de la compétence de son signataire :
5. Aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / () 4° De prendre toute décision concernant () l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres () ; / () ". Selon l'article L. 2511-27 du même code : " () le maire de Paris peut donner sous sa surveillance et sa responsabilité, par arrêté, délégation de signature () aux responsables de services communaux ".
6. Par un arrêté du 28 août 2018, régulièrement publié au bulletin municipal officiel de la Ville de Paris du 18 septembre 2018, la maire de Paris a donné délégation à Mme B C, directrice des systèmes d'information et du numérique, à l'effet de signer, dans la limite des attributions de la direction des systèmes d'information et du numérique, tous arrêtés, actes et décisions préparés par les services placés sous son autorité ainsi que pour toute décision concernant, notamment, l'exécution et le règlement des marchés publics au sens de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, quel que soit leur montant. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision de résiliation manque en fait et doit donc être écarté.
S'agissant de sa motivation :
7. Il ressort de la décision de résiliation qu'elle compte les considérations de droit qui en constituent le fondement. La circonstance que cette décision reposerait sur des stipulations du CCAP et du CCAG-TIC qui ne sont pas applicables à sa situation est sans incidence sur l'appréciation de sa régularité formelle. Cette décision comporte également l'exposé des circonstances de fait qui la justifie. La circonstance qu'elle ne réponde pas aux observations formulées par la société requérante le 3 décembre 2019 à la suite du rejet de ses prestations et de la mise en demeure du 14 novembre de la même année tout comme à divers autres courriers reçus antérieurement est sans influence sur ce point dès lors que l'intéressée était en mesure de connaître le motif retenu pour justifier la résiliation du marché en cause. Ce moyen doit donc, en tout état de cause, être écarté.
S'agissant de l'absence de mention des délais et voies de recours :
8. La circonstance que la décision de résiliation ne mentionne pas les délais et voies de recours est sans incidence sur sa légalité. Par ailleurs et en tout état de cause, la société requérante n'établit ni même n'allègue que l'absence de telles mentions lui aurait causé un préjudice.
En ce qui concerne le bien-fondé de la décision de résiliation :
S'agissant de sa base légale :
9. La décision de résiliation pour faute indique que cette sanction est prononcée en application de l'article 6.1 du CCAP et de l'article 32 du CCAG-TIC. Ces articles, qui concernent respectivement les obligations du titulaire du marché en matière d'assurances et la maintenance des prestations, ne constituent pas la base légale appropriée à la décision de résiliation, fondée sur l'incomplétude des livrables du fait de l'absence des bâtiments 3D et des ouvrages d'art. Toutefois, et comme l'indique la Ville de Paris dans chacun de ses mémoires en défense qui ont été communiqués à la société requérante, elle aurait pris la même décision en se fondant sur l'article 42 du CCAG-TIC relatif à la résiliation pour faute du titulaire, lequel était d'ailleurs mentionné dans la mise en demeure du 14 novembre 2019 qui lui a été adressée et qui l'invitait, conformément à cet article 42, à présenter ses observations sur l'éventuelle sanction susceptible d'être prononcée à son encontre. L'article 42 du CCAG TIC ne prévoyant, avant le prononcé d'une mesure de résiliation pour faute, aucune autre garantie que le respect du principe de la contradiction qui, au cas présent, a bien été respecté, il y a donc lieu de substituer cet article aux articles 6.1 du CCAP et 32 du CCAG TIC sur le fondement desquels la décision de résiliation est fondée. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit invoqué par la société requérante doit être écarté.
S'agissant de l'absence de procès-verbal d'inventaire :
10. La SAS Luxcarta Technology n'est pas fondée à reprocher à la Ville de Paris de ne pas avoir organisé une réunion contradictoire postérieurement à sa décision de résilier le marché en cause en vue de dresser l'inventaire des prestations réalisées dès lors qu'aucun texte et qu'aucun principe ni aucune stipulation contractuelle ne prévoyait l'organisation d'une telle réunion.
S'agissant de l'existence d'une faute d'une gravité suffisante la justifiant :
11. Aux termes de l'article 42.1 du CCAG-TIC dans sa version en vigueur à la date de signature de la signature de l'accord-cadre : " Le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : / () / c) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels. / () ". Par ailleurs, en l'absence de clause prévue à cet effet, seule une faute d'une gravité suffisante est de nature à justifier la résiliation d'un marché public aux torts exclusifs de son titulaire.
Quant aux manquements :
12. Il résulte de l'article 1 de l'acte d'engagement que le marché litigieux signé par la SARL Aerodata France au nom du groupement qu'elle compose avec la société requérante et la société Géosat constitue un accord-cadre à bons de commande pour l'acquisition d'une maquette 3D complète de l'ensemble des bâtiments et " ouvrages d'art structurants parisiens ", et des acquisitions 3D complémentaires. L'article 1.1 du CCTP précise que cette maquette 3D est destinée aux services de la Ville de Paris pour la concertation et la conception de projets divers et d'études règlementaires ou environnementales et qu'elle a également vocation à être diffusée librement pour stimuler le développement d'études, de produits numériques et de travaux de recherche sur le territoire parisien. L'article 3 du même cahier, qui fixe les jalons principaux du marché, prévoit une livraison de la maquette 3D, des ouvrages d'art structurants et de l'orthophoto 3D et le lancement de l'étude de cadrage pour l'évolution de la maquette 3D pour le mois de juin 2019. La réalisation du projet se décomposait en plusieurs phases, nommées unités d'œuvres (UO), explicitées à l'article 5 de ce cahier. L'UO1 est relative à l'initialisation du socle 3D. Elle intègre quatre produits, à savoir une orthophotographie aérienne très haute résolution (THR), un modèle numérique de terrain (MNT) et un modèle numérique d'élévation (MNE), des prises de vue obliques et un LiDAR THR classifié. L'UO2 et l'UO3 avait respectivement pour objectif de constituer une base de données sur l'ensemble du territoire de la maquette 3D, d'une part, de bâtiments 3D texturés avec toits et superstructures de toits, d'autre part, d'ouvrages d'art structurants 3D texturés. Enfin, l'UO8 visait à acquérir, sur l'ensemble du périmètre de la maquette, une orthophoto 3D ou photomaillage, c'est-à-dire un maillage 3D texturé à 360° permettant de se " déplacer " de manière continue et fluide, en temps réel, en particulier au moyen d'un navigateur internet, dans une image 3D de la Ville de Paris.
13. Il résulte des stipulations citées au point précédent que le marché conclu entre la Ville de Paris et le groupement représenté par la société requérante visait à l'acquisition d'une maquette 3D complète comprenant l'ensemble des bâtiments et des " ouvrages d'art structurants parisiens ", laquelle a d'ailleurs fait l'objet d'une publication dans la presse. Si l'article 5.2.1.8 du CCTP indique que l'UO1, relative au socle de la maquette 3D, ne dépend pas de la réalisation d'autres unités d'œuvres, il ressort en revanche des articles 5.2.2.3 et 5.2.3.3 de ce cahier que la modélisation et la texturation des bâtiments et ouvrages d'art prévus aux UO2 et UO3 impliquent nécessairement la livraison et la validation de l'UO1 en amont de la réalisation de ces autres UO, l'UO1 étant indispensable à leur réalisation. Il existe donc un lien technique et juridique entre ces différentes unités d'œuvre, dont la première conditionne la bonne exécution des suivantes et devait permettre la livraison d'une maquette complète, conformément à l'objet du marché. La double circonstance, étrangère à l'appréciation de l'objet du marché, que les co-titulaires ne sont pas solidaires entre eux et que chacun est payé pour le service qu'il exécute est sans incidence sur ce point.
14. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le groupement a rencontré plusieurs difficultés dans le cadre de l'exécution du marché, lesquelles ont conduit la Ville de Paris à l'alerter à plusieurs reprises lors du comité de crise du 20 décembre 2018, du comité de pilotage du 27 mars 2019 et des comités stratégiques des 27 mars et 24 avril 2019 et par une mise en demeure du 21 février 2019 sur le haut niveau de priorité de ce projet impliquant nécessairement la livraison d'une maquette 3D dès le mois de juin 2019. Ces difficultés ont notamment concerné l'UO1, dont la SARL Aerodata France était spécifiquement chargée, mais également l'UO2 et l'UO3, incombant à la société requérante. A cet égard, il ressort du courrier du 8 novembre 2019 et de la mise en demeure du 14 novembre suivant adressés au mandataire du groupement que ces trois unités d'œuvre ont été rejetées en raison de divers problèmes de qualité. S'agissant de l'UO1, le LiDAR comportait des anomalies de classification, le fichier de lignes de rupture livré avec le MNT était vide à l'exception de la Seine et incohérent avec le MNT lui-même, lequel présentait en outre des artéfacts au niveau des bâtiments et l'orthophotographie présentait des défauts majeurs, tenant notamment à des " mosaiquages " incomplets, des décalages et des déformations de l'image. S'agissant des UO2 et UO3, la Ville de Paris, sans être contredite, fait valoir ne pas avoir reçu tous les bâtiments 3D texturés et des ouvrages d'art structurants texturés sur l'ensemble du territoire parisien. Elle indique également que sur les cinq livraisons reçues, seule une a fait l'objet d'un procès-verbal avec réserves, les autres ayant été rejetées pour des problèmes de qualité. Enfin, il est constant que les prestations relatives à ces bâtiments et ouvrages d'art n'ont pas été livrés dans le délai imparti par la mise en demeure, motif pour lequel la Ville de Paris a décidé de résilier le marché en cause.
Quant au comportement de la Ville de Paris :
15. Si la SAS Luxcarta Technology ne conteste pas la matérialité des faits à l'origine de la résiliation, elle estime qu'elle n'en est pas responsable et les impute tant à la SARL Aerodata France qu'à la Ville de Paris.
16. En premier lieu, la société requérante estime que la Ville de Paris est responsable de l'absence de livraison des prestations relatives aux bâtiments et ouvrages d'art dans le délai, trop court, fixé par la mise en demeure car elle n'a pas procédé à la validation du MNT livré par la société Aerodata, élément pourtant indispensable à la réalisation des UO2 et UO3 selon les termes du contrat. Elle lui reproche également d'avoir manqué de loyauté en ne suspendant pas l'exécution de sa part du marché jusqu'à la validation du MNT. Sur ce point, il ressort effectivement du compte rendu du comité de pilotage externe du 26 juin 2019 que le consultant externe représentant la société Luxcarta a indiqué que l'une des causes des difficultés rencontrées par cette dernière tenait, notamment, à un mauvais séquencement du projet. Sur ce point et à titre d'exemple, il a indiqué que la validation MNT aurait dû être un préalable au démarrage de la base " bâtimentaire ", comme le soutient la société requérante.
17. Toutefois, il résulte également de l'instruction, et plus particulièrement du compte rendu de la réunion " chantier base bâti : lancement " du 19 juin 2018, que le MNT ne constitue pas un intrant de la première phase du processus de production des UO2 et UO3, appelée numérisation, laquelle vise à créer les plan 3D formant les toits des ouvrages. En outre, il ressort du compte rendu du comité du 26 juin 2019 cité au point précédent qu'au-delà du problème de séquencement du projet, les problèmes de qualité des prestations fournies par la société requérante proviennent aussi de la compétence de ses intervenants et de la restitution hétérogène et de faible qualité des toits du fait de l'absence de maitrise des règles de restitution et de l'absence ou l'insuffisance du nombre de contrôle de qualité. Il ressort aussi de ce document qu'en dépit des problèmes de restitution des toits des bâtiments, la SAS Luxcarta Technology n'a pas envisagé de reprendre la première étape du travail de restitution qui ne nécessitait pas l'usage du MNT, alors qu'il s'agit, d'après le consultant précité, du point de départ de toute la production de la base " bâtimentaire " et qu'une mauvaise restitution conduit à des problèmes de modélisation par la suite. Ainsi, la faible qualité du travail de la société requérante à l'issue de la première étape de numérisation est à l'origine du rejet des prestations fournies par cette dernière, indépendamment de l'absence de validation, par la Ville de Paris, du MNT, qui était uniquement nécessaire à l'étape ultérieure, pour modéliser les bâtiments et les ouvrages d'art. Dans le même sens et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction et n'est d'ailleurs même pas allégué par la SAS Luxcarta Technology, que les artéfacts affectant le MNT ont eu un impact sur la qualité de son travail de modélisation. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'absence de livraison des bâtiments et ouvrages d'art dans le délai prévu par la mise en demeure est imputable à la Ville de Paris, qui n'a pas validé le MNT et qui, en outre, lui a laissé un délai insuffisant pour livrer ses prestations par sa mise en demeure du 14 novembre 2019. La société requérante n'est pas davantage fondée à soutenir, pour les mêmes motifs, que la Ville de Paris a manqué de loyauté dans l'exécution du marché.
18. En deuxième lieu, la société requérante reproche à la Ville de Paris de ne pas avoir répondu favorablement à sa demande de prolongation de délai d'exécution du marché formée en application de l'article 13-3 du CCAG-TIC applicable, estimant que le retard pris est de sa responsabilité, du fait de son comportement défaillant dans la validation des unités d'œuvre.
19. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 17 que le rejet des prestations livrées par la SAS Luxcarta Technology est d'abord lié à la piètre qualité de la restitution, en particulier, des toits des bâtiments objet de la numérisation pour des raisons indépendantes du maître de l'ouvrage. En outre, il résulte également de l'instruction que la Ville de Paris a procédé à un suivi attentif de l'évolution du projet. Ainsi, dès le 20 décembre 2018, elle a tenu une réunion de crise pour faire le point sur les difficultés rencontrées par le groupement. A cette occasion, la société requérante a alors admis que son retard s'expliquait par sa mauvaise synchronisation avec la société Aerodata au sujet du MNT et par les problèmes rencontrés avec le logiciel qu'elle utilise pour remplir sa mission, circonstances extérieures à la Ville de Paris. Si elle a également indiqué rencontrer des problèmes avec la base de données APUR, il est constant que ceux-ci n'ont pas eu d'impact sur la création de la maquette en elle-même, la Ville de Paris n'ayant donné aucune consigne quant à l'utilisation de cette base de données pour sa constitution, ce que la requérante ne conteste pas. Par ailleurs, lors du comité de pilotage externe du 14 février 2019, l'administration a accepté de revoir le calendrier de livraison prévu contractuellement et permis au groupement de ne livrer qu'une maquette blanche non texturée au mois de juin 2019. Pour autant, la qualité des prestations livrées jusqu'à cette date n'a pas permis leur acceptation par la Ville de Paris, qui a rejeté quatre lots et émis un procès-verbal intermédiaire avec réserves. La SAS Luxcarta Tehnology n'est donc pas fondée à soutenir que l'absence de livraison des bâtiments et des ouvrages d'art est liée à la Ville de Paris ni, par suite, à lui reprocher de ne pas avoir accepté de décaler le calendrier d'exécution du marché litigieux.
20. En troisième lieu, la société requérante reproche à la Ville de Paris de ne pas avoir tenu compte de ses explications et de ses alertes formulées dans ses courriers des 28 février et 16 octobre 2019. Toutefois, ces alertes, qui portent sur les problèmes rencontrés avec la base de données APUR de la Ville de Paris, des erreurs de MNT, aux modalités de contrôle de la Ville de Paris, aux erreurs radiométriques des toits des bâtiments et à la gestion des masques est sans incidence sur les problèmes de qualité principalement liés à la numérisation et à la qualité du travail de la SAS Luxcarta Technology, ainsi que cela a été indiqué au point 17 ci-dessus.
21. En dernier lieu, la SAS Luxcarta Technology soutient que les modalités de contrôle des lots livrés ont évolué dans le temps. Toutefois, il ressort des extraits des procès-verbaux de contrôle qualité émis par la Ville de Paris concernant les itérations 4, 5, 7 et 9 du lot 1A que le contrôle de l'administration repose invariablement sur les mêmes critères, tenant à la présence de masques, à la qualité visuelle, aux détails, aux problèmes de calage avec les maillages et à la cohérence avec le socle, lesquels sont examinés dans un tableau intitulé " liste détaillée des tests de l'itération " enregistré sous le premier onglet d'un document au format Excel. La circonstance que chacun des documents propres au contrôle de chacune des itérations du lot 1A concerné comportent un nombre d'onglets différent est sans incidence sur ce point.
22. Il résulte de ce qui est dit aux points 5 à 21 que la société requérante n'est pas fondée à demander l'indemnisation du préjudice d'atteinte à son image et à sa réputation qu'elle estime avoir subi du fait de cette décision de résiliation, qui est fondée. En tout état de cause, la circonstance que la Ville de Paris ait choisi une société concurrente de la société requérante pour assurer l'assistance à maitrise d'ouvrage de la phase de recette des modèles 3D produits par cette dernière n'est pas, en elle-même et à elle seule, pertinente pour démontrer la réalité du préjudice d'atteinte à l'image et à la réputation dont la réparation est demandée, quand bien même cette société ait été informée de la résiliation du marché. En outre, le préjudice dont il est demandé réparation n'est pas établi dès lors que la Ville de Paris n'a procédé à aucune publicité de cette mesure de résiliation.
Sur le décompte de résiliation :
En ce qui concerne l'absence de mention des délais et voies de recours :
23. La circonstance que le décompte ne mentionne pas les délais et voies de recours est sans incidence sur sa légalité. Par ailleurs et en tout état de cause, la société requérante n'établit ni même n'allègue que l'absence de telles mentions lui aurait causé un préjudice.
En ce qui concerne la motivation et la base légale du décompte de résiliation :
24. Il ressort du décompte de liquidation qu'il a été adressé à la société requérante conformément aux stipulations de l'article 34.5 du CCAG-TIC et non de l'article 44 de ce cahier, cette erreur est sans incidence sur le solde de ce décompte. En outre, si la société requérante soutient que la mention " prestation rejetée " ne permet pas d'apprécier la réalité et la valeur des prestations qu'elle a fournies à la Ville de Paris au sens de l'article 44 précité, cette circonstance, qui relève de l'appréciation du bien-fondé du solde de résiliation, est sans incidence sur sa régularité formelle.
En ce qui concerne le solde du décompte de résiliation :
25. Aux termes de l'article 44 du CCAG-TIC applicable à la date de la signature du marché : " 44. 1. La résiliation fait l'objet d'un décompte de résiliation, qui est arrêté par le pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire. / () / 44. 3. Le décompte de liquidation à la suite d'une décision de résiliation prise en application de l'article 42 comprend : / () / 44. 3. 2. Au crédit du titulaire : / ' la valeur contractuelle des prestations reçues () ; / - la valeur des prestations fournies éventuellement à la demande du pouvoir adjudicateur telles que le stockage des fournitures ".
26. En premier lieu, il ressort de ce qui a été indiqué aux points 15 à 22 ci-dessus que c'est à bon droit que la Ville de Paris a décidé de résilier le marché en cause, conformément aux stipulations de l'article 42 du CCAG-TIC dans sa version applicable au présent marché. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le décompte de résiliation aurait dû être réalisé en application de l'article 44-2 de ce cahier et non de l'article 44-3 cité au point précédent.
27. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'aucune des prestations livrées par la société requérante n'a fait l'objet d'un procès-verbal de service fait, attestant de leur conformité aux stipulations du CCTP. Si la société requérante soutient qu'en excluant les erreurs liées à la base de données APUR et au MNT, ces prestations auraient dû être acceptées, elle ne l'établit pas. Au contraire, et comme cela a été indiqué au point 17, le consultant employé par la société requérante a, à plusieurs reprises, pointées les défauts des prestations fournies et le manque de qualification de ses équipes. La SAS Luxcarta Technology n'est donc pas fondée à demander le paiement des prestations livrées à la Ville de Paris.
28. En troisième lieu, il ressort du procès-verbal du comité de pilotage externe du 26 juin 2019 que le consultant externe qui est intervenu au soutien du groupement a été proposé par la société Aerodta, autre société membre du groupement. Son recrutement ne constitue donc pas une demande supplémentaire expresse de l'administration. La société requérante n'est donc pas fondée à demander à être indemnisée du paiement des honoraires de ce consultant.
29. En dernier lieu, les travaux de reprise de numérisation 3D, les travaux de contrôle, de validation et de reprise de la numérisation 3D et le temps de mobilisation non prévu de l'équipe de production de la modélisation 3D en France ne constituent pas des prestations supplémentaires réclamées par la Ville de Paris mais des taches mises en œuvre par la société requérante pour tenter de livrer à la Ville de Paris des prestations conformes aux stipulations contractuelles. Les conclusions tendant à leur indemnisation doivent donc être rejetées.
30. Dans ces conditions, les conclusions présentées par la SAS Luxcarta Technology et tendant au paiement des sommes qu'elle réclame en contrepartie de l'exécution du marché doivent être rejetées.
31. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la Ville de Paris, que les conclusions indemnitaires de la SAS Luxcarta Technology doivent être rejetées, tout comme celles tendant au paiement des prestations effectuées en exécution du marché en cause.
Sur les frais liés au litige :
32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacles à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SAS Luxcarta Technology au titre des frais liés au litige. En outre, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante la somme demandée par la Ville de Paris au titre des mêmes frais.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à la reprise des relations contractuelles.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la Ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiée Luxcarta Technology et à la Ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 16 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Simonnot, président,
Mme Voillemot, première conseillère,
M. Grandillon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2022.
Le rapporteur,
J. GRANDILLONLe président,
J-F. SIMONNOT
La greffière
S. RAHMOUNI
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
NOS 2003979 et 2010869