CAA Douai, 28/03/2023, n°21DA01791
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Tommasini Construction a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Willems à lui verser la somme de 78 696,93 euros HT assortie des intérêts moratoires dans le cadre du règlement financier d'un marché d'aménagement de bureaux.
Par un jugement n° 1902018 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Lille a condamné la commune de Willems à lui verser la somme de 17 595,88 euros avec intérêts et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 juillet 2021 et 17 octobre 2022, la société Tommasini Construction, représentée par Me Erwan Le Briquir, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) à titre principal, de condamner la commune de Willems à lui verser la somme de 78 696,93 euros HT, assortie des intérêts moratoires à compter du 16 octobre 2018, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune à lui verser la somme de 68 138,32 euros HT, outre les intérêts moratoires, sous la même astreinte ;
4°) de moduler les pénalités de retard à la somme de 10 558,61 euros correspondant à un retard de vingt-trois jours calendaires ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Willems une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- un décompte général et définitif est intervenu tacitement le 27 septembre 2018 ;
- la découverte d'amiante en cours de chantier a nécessairement retardé le chantier sans que ce retard lui soit imputable ;
- ce retard lui a causé un préjudice financier d'un montant de 13 856 euros HT ;
- le montant des pénalités qui lui ont été infligées présente un caractère manifestement excessif et devra faire l'objet d'une modulation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2022, la commune de Willems, représentée par Me Chloé Schmidt-Sarels, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement en ramenant la somme due à la société Tommasini Contruction à 9 035,28 euros au titre du solde définitif du marché ;
2°) de mettre à la charge de la société Tommasini Construction une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucun décompte général et définitif n'a pu intervenir tacitement ;
- les pénalités, dont le montant doit être fixé à 55 643,90 euros, sont liées à un retard du chantier de cent trente jours dont la société appelante est responsable.
Par une ordonnance du 19 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,
- et les observations de Me Alexandre Le Pallec substituant Me Erwan Le Briquir, représentant la société Tommasini Construction et de Me Chloé Schmidt-Sarels, représentant la commune de Willems.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement conclu le 27 janvier 2017, la commune de Willems a attribué à la SAS Tommasini Construction, pour un prix global et forfaitaire de 209 650 euros hors taxes (HT), la réalisation du lot n° 1 " clos couvert " portant sur les travaux de gros œuvre étendu de son projet d'aménagement de bureaux de l'incubateur Agrotech situé sur son territoire. La maîtrise d'œuvre du projet a été assurée par les sociétés Juxta Architectes et Moduo et le contrôle technique par la société Dekra. Alors que le chantier a débuté le 2 mai 2017 et devait en principe s'achever le 8 septembre 2017, la réception de l'ouvrage a été prononcée le 16 janvier 2018.
2. La société Tommasini Construction a demandé au tribunal administratif de Lille d'arrêter le solde du marché à la somme de 78 696,93 euros HT et de mettre cette somme à la charge de la commune de Willems. La société relève appel du jugement du 15 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné la commune à lui verser le montant du solde du marché arrêté à la somme de 17 595,88 euros HT. La commune de Willems, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de réformer le jugement et de fixer le solde du marché à la somme de 9 035,28 euros HT en prenant en compte des pénalités de retard d'un montant total de 55 643,90 euros.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'existence d'un décompte général définitif tacite :
3. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public de travaux est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties.
4. Il résulte de l'instruction que la société Tommasini Construction a notifié son mémoire définitif le 9 mars 2018 au maître d'œuvre qui a décidé, par lettre du 30 mars 2018, de le rejeter. Par lettre du 11 septembre 2018, la société appelante a mis en demeure la commune de Willems de lui adresser le décompte définitif du marché dans un délai de quinze jours suivant la réception de cette lettre, soit le 12 septembre 2018. Il est constant que le maître de l'ouvrage n'a pas notifié le décompte définitif dans ce délai et ne l'a fait que par lettre du 17 octobre 2018. La société Tommasini Construction soutient que le silence gardé par la commune durant ce délai de quinze jours, expirant le 27 septembre 2018, a donné naissance à un décompte général définitif tacite et que, de ce fait, la personne publique ne peut plus lui imputer de pénalités de retard.
5. Il résulte des stipulations de l'article 2.2.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché que, dans l'ordre de préséance des documents contractuels, le CCAP précède la norme NFP 03 001 de décembre 2000 et ses révisions et qu'en cas de contradiction entre ces documents, le CCAP prime sur cette norme. Aux termes de l'article 5.4 du CCAP : " Règlement des comptes définitifs / Par dérogation à ce qui est prévu à la NORME NFP 03 001 le règlement des comptes sera établi comme suit : / 5.4.1 Mémoire définitif / Le mémoire définitif des travaux exécutés par l'entrepreneur devra être remis au maître d'œuvre dans un délai de 60 jours à compter de la date de la réception () / () Le mémoire définitif de l'entreprise sera vérifié par le maître d'œuvre dans les 45 jours qui suivent la date de sa remise. / 5.4.2 Décompte définitif et décompte général / Le Maître d'œuvre établira le décompte définitif à partir du mémoire définitif de l'entrepreneur. / () Dans un délai de 30 jours après réception du mémoire définitif vérifié par le Maître d'œuvre, le maître d'ouvrage notifiera en LRAR à l'entrepreneur ce décompte définitif qui deviendra le décompte général définitif s'il est accepté ou non contesté par l'entrepreneur ".
6. Il ne résulte pas des stipulations précitées que le silence gardé par le maître de l'ouvrage après réception du mémoire définitif ou du décompte définitif établi par le maître d'œuvre ferait naître un décompte général et définitif tacite, ni que les dispositions de l'article 19.6.2 de la norme NFP 03 001 prévoyant un tel mécanisme de décompte général et définitif tacite, pourraient se substituer au CCAP. Ainsi, la société Tommasini Construction n'est pas fondée à soutenir que le silence gardé par la commune de Willems pendant les quinze jours suivant sa mise en demeure, a fait naître un décompte général définitif tacite.
Sur le solde du marché :
7. S'agissant des frais supplémentaires d'un montant de 13 865 euros HT supportés par la société appelante en raison de l'interruption du chantier durant un mois à la suite de la découverte d'un joint amianté sur le moteur d'un monte-charge, il résulte de l'article 5.1 du CCAP que le prix forfaitaire du marché de la société appelante comprend les charges et aléas résultant de l'exécution des travaux ainsi que les sujétions particulières découlant de la nature des travaux, des lieux ou circonstances locales tandis que l'article 7.1.2 du même document relatif aux plannings et au délai d'exécution du marché, stipule que " l'entrepreneur supportera tous les suppléments de dépenses à engager afin de rattraper tous les retards ". Par ailleurs, le risque de découvrir de l'amiante sur le chantier a été porté à la connaissance de la société appelante. Ainsi, ce risque est mentionné au plan général de coordination et il résulte de l'article 2.2.1 du cahier des clauses administratives particulières qu'un dossier amiante figure dans les pièces contractuelles du marché. Enfin, la société n'établit pas l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de redéployer ses moyens humains et matériels sur un autre chantier au cours de l'interruption des travaux. Par suite, la demande de 13 865 euros HT au titre des frais supplémentaires ne peut pas être inscrite à son crédit.
8. Ensuite, il résulte des stipulations du marché que le respect du planning des travaux est une clause essentielle, l'article 7.2.2 du cahier des clauses administratives particulières stipulant notamment qu'aucune cause de prolongation du délai d'exécution ne sera admise, à l'exception des intempéries. L'article 7.3.2 du même cahier prévoit une pénalité automatique en cas de dépassement du délai contractuel, calculée au prorata du nombre de jour calendaire de retard et à partir d'un coefficient égal à 2/1000ème du montant total du marché et des travaux supplémentaires, ce qui représente 428,03 euros par jour de retard. Comme il a été dit au point 1, les travaux du lot dont la société Tommasini Construction était titulaire devaient théoriquement s'achever le 8 septembre 2017 mais n'ont été effectivement terminés que le 16 janvier 2018, cent trente jours plus tard, soit une durée d'exécution quasiment doublée par rapport à celle contractuellement prévue. La commune de Willems soutient qu'une somme de 55 643,90 euros, représentant cent trente jours de retard, doit être infligée au titulaire du marché qui, quant à lui, ne reconnaît être responsable que d'un retard de vingt-trois jours.
9. Il résulte de l'instruction que ce retard est d'abord imputable à l'interruption du chantier à partir de la découverte d'amiante le 16 mai 2017 sur le joint d'un monte-charge et jusqu'à la réalisation des travaux de désamiantage les 15 et 16 juin suivant par une entreprise tierce. Si, comme il a été dit au point 7, la société Tommasini Construction avait été informée du risque d'amiante et si elle devait en tenir compte pour le respect de ses engagements contractuels, y compris ceux relatifs au délai d'exécution, la commune de Willems n'apporte aucun élément supplémentaire en appel pour démontrer qu'elle avait réalisé les diagnostics complémentaires auxquels elle s'était engagée et qui étaient notamment rappelés dans le plan général de coordination. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont déduit du total de cent trente jours de retard imputables à la société Tommasini Construction, vingt jours au titre de cette interruption.
10. En revanche, la société Tommasini Construction ne peut se prévaloir de la défaillance de son sous-traitant pour la pose d'un escalier intérieur au motif que celui-ci n'était plus disponible après la période d'interruption de vingt jours, dès lors qu'elle n'établit pas qu'elle ne pouvait pas faire appel à un autre sous-traitant ou réaliser les travaux elle-même. En outre, les travaux supplémentaires de menuiserie commandés par le maître d'ouvrage pour la mise en place de fourreaux contenant de la fibre optique, d'un montant total de 6 103,40 euros, ont une ampleur très limitée par rapport à l'objet du marché et il ne résulte pas de l'instruction qu'ils ne pouvaient être exécutés dans la limite du délai prévu contractuellement. Il s'ensuit que la société Tommasini Construction n'est pas fondée à demander la réduction du montant des pénalités de retard à ces deux titres.
11. En dernier lieu, si le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations.
12. En l'espèce, la société Tommasini Construction n'apporte aucun élément relatif aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir que le montant des pénalités infligées présenterait un caractère manifestement excessif alors que la somme de 47 083,80 euros ne représente que 22 % du montant total du marché et que le retard de cent dix jours imputable à la société Tommasini Construction a contribué à quasiment doubler la durée du chantier.
13. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'il y a lieu de confirmer le montant de 47 083,80 euros retenu par les premiers juges au titre des pénalités de retard et de rejeter les conclusions d'appel incident de la commune de Willems tendant à ce que ce montant soit porté à 55 643,90 euros. Le décompte du marché doit ainsi être fixé à la somme de 166 933,48 euros HT résultant de la différence entre le montant total des travaux de 214 017,28 euros et le montant de 47 083,80 euros au titre des pénalités de retard et, compte tenu de la somme de 149 338,10 euros HT déjà versée au titulaire, le solde définitif du marché doit être fixé à la somme de 17 595,38 euros HT. Les conclusions de la société Tommasini Construction tendant à ce que ce solde soit porté à 78 696,93 euros HT et les conclusions d'appel incident de la commune de Willems tendant à ce que ce solde soit ramené à 9 035,28 euros HT, doivent donc être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Willems qui n'est pas, dans la présente instance, la partie principalement perdante. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Tommasini Construction une somme de 2 000 euros à verser à la commune de Willems sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Tommasini Construction est rejetée.
Article 2 : La société Tommasini Construction versera à la commune de Willems une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Willems est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Tommasini Construction et à la commune de Willems.
Délibéré après l'audience publique du 14 mars 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLa présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
N°21DA01791