CAA Marseille, 09/01/2023, n°20MA03419
CAA Marseille, 09/01/2023, n°20MA03419
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Clinique du chauffe-eau a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la société TPF Ingénierie venant aux droits de la société Beterem à lui payer la somme totale de 500 751,74 euros hors taxes (HT) ainsi que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux en vigueur.
Par un jugement n° 1803332 du 20 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande et a ordonné à la société Clinique du chauffe-eau de restituer à la SAS TPF Ingénierie toute somme qu'elle aurait perçue à titre de provision en exécution de l'ordonnance nos 14MA04133 - 14MA04140 du 6 juillet 2015 du président de la 8ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2020, la société Clinique du chauffe-eau, représentée par Me Laure, liquidateur, représenté par Me Houlliot, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1803332 du 20 juillet 2020 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de reconnaître la responsabilité de la société TPF Ingenierie venant aux droits de la société Beterem au titre des préjudices qu'elle a subis ;
3°) de condamner la société TPF Ingenierie à lui verser la somme de 501 111,74 euros au titre de ses préjudices, déduction faite de la provision de 125 000 euros allouée par la cour administrative d'appel de Marseille ;
4°) de mettre à la charge de la société TPF Ingenierie la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux dépens.
Elle soutient que :
- les premiers juges ne pouvaient prononcer de condamnation pécuniaire à son égard, compte tenu de son placement en redressement judiciaire et s'agissant d'une créance antérieure au jugement déclaratif du 13 novembre 2018 sans méconnaître les dispositions de l'article L. 622-21 du code du commerce ;
- le maître d'œuvre, la société Beterem, a commis des erreurs quant au dimensionnement des équipements prévus au cahier des clauses techniques particulières et doit voir sa responsabilité engagée ;
- elle a subi un préjudice lié à la fourniture des radiateurs de dimensions supérieures à celles du cahier des clauses techniques particulières ainsi que l'a mentionné l'expert désigné, le chiffre à retenir n'est pas celui précisé par l'expert de 2 180 mais de 2 275 ;
- ces modifications ont entrainé des surcouts d'installation, et de fourniture de raccordements supplémentaires ;
- l'expert a évalué son préjudice à hauteur de 207 401,74 euros hors taxes ;
- il convient d'indemniser son préjudice lié aux conditions d'utilisation de son personnel, évalué par l'expert à hauteur de 293 350,00 euros ;
- l'exécution contractuelle des travaux et le paiement des avenants par le maître d'ouvrage ne sauraient, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, être confondus avec les préjudices qu'elle a subis en raison des fautes commises par le maître d'œuvre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2020, l'office public d'habitation Toulon Habitat Méditerranée, représenté par Me Coutelier, conclut à sa mise hors de cause et demande à la Cour de mettre à la charge de tout succombant la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucune demande n'est faite à son encontre.
Par ordonnance du 14 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 18 juillet 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du commerce ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Meulien, substituant Me Coutelier, représentant l'office public d'habitation Toulon Habitat Méditerranée.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement conclu le 9 juin 2009, l'office public d'habitation Toulon Habitat Méditerranée a attribué à la société Beterem Ingénierie, aux droits de laquelle vient la société TPF Ingénierie, la maîtrise d'œuvre du marché public de travaux de réhabilitation des tours 78 à 82 de l'ensemble immobilier "La Beaucaire", situé à Toulon. Par un acte d'engagement conclu le 1er septembre 2011, le lot n° 1 "plomberie-chauffage-ventilation" de ce marché a été attribué à la société Clinique du chauffe-eau. Par une ordonnance n° 1300264, le juge des référés du tribunal a ordonné une expertise afin de décrire les désordres apparus lors de l'exécution des travaux, d'en rechercher les causes, d'évaluer les préjudices subis, et a désigné M. A en qualité d'expert, ce dernier ayant rendu son rapport le 13 novembre 2013. A la suite de plusieurs litiges survenus sur le contenu des prestations, la société requérante a saisi le juge des référés du tribunal et obtenu à ce titre une provision de 248 882,98 euros toutes taxes comprises, ramenée à la somme de 125 000 euros par ordonnance de la cour administrative d'appel de Marseille du 6 juillet 2015. Puis, par un jugement du 21 juillet 2017, le tribunal a, en outre, rejeté les conclusions de la société Clinique du chauffe-eau tendant à la condamnation du maître d'œuvre, la société Beterem, à l'indemniser des préjudices subis en cours de chantier et fait droit à la demande du maître d'œuvre tendant à la condamnation de la société Clinique du chauffe-eau au remboursement de la provision accordée par le juge des référés au motif que le préjudice allégué ne pouvait, en l'état de l'instruction, être regardé comme établi. Enfin, par un arrêt du 24 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en ce qu'il a statué sur les conclusions de la société Clinique du chauffe-eau dirigées contre la société Beterem et sur les conclusions reconventionnelles de cette dernière au motif qu'elles relevaient d'un litige distinct et devant faire l'objet d'une instance séparée, et a mis les frais et honoraires de l'expert, liquidés et taxés par ordonnance du président du tribunal administratif de Toulon en date du 7 décembre 2013 à la somme de 8 830,89 euros toutes taxes comprises pour moitié à la charge de la société Clinique du chauffe-eau et pour moitié à la charge de la société TPF Ingénierie. La société Clinique du chauffe-eau a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant à la condamnation de la société TPF Ingénierie, venant aux droits de la société Beterem, à lui payer la somme totale de 500 751,74 euros hors taxes à laquelle il convenait d'ajouter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux en vigueur. Par le jugement du 20 juillet 2020, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La société Clinique du chauffe-eau fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'existence d'une procédure collective :
2. Le I de l'article L. 622-21 du code du commerce dispose que : "Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : / 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; / 2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent". Toutefois, il appartient au juge administratif d'examiner si la collectivité publique a droit à réparation et de fixer le montant des indemnités qui lui sont dues à ce titre par l'entreprise défaillante ou son liquidateur, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d'avoir sur le recouvrement de cette créance.
3. Quand bien même une procédure de redressement judiciaire-liquidation judiciaire à l'encontre de la société Clinique du chauffe-eau était en cours, cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que les premiers juges statuent sur ses créances ou sur ses dettes. Dans ces conditions, cette dernière n'est pas fondée à se plaindre que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamnée à restituer à la société TPF Ingenierie la somme qu'elle avait obtenue à titre de provision.
En ce qui concerne la responsabilité de la société TPF Ingenierie :
4. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert judiciaire, que le maître d'œuvre, la société TPF Ingénierie, a validé le choix des matériels de chauffage à installer, et opté pour des radiateurs ne pouvant supporter qu'une pression de service maximale de 6 bars, alors que les sept premiers étages des tours 78 et 79, les cinq premiers étages des tours 80 et 81 et les quatre premiers étages de la tour 82 devaient être équipés de radiateurs susceptibles de résister à une pression de 8 à 10 bars, et a préconisé des pompes Salmson type SXE-DXE, alors que des pompes plus puissantes de type DIE étaient nécessaires au bon fonctionnement du système. Les travaux de réparations engendrés par ces erreurs de dimensionnement ont conduit au remplacement des radiateurs ainsi que des pompes de circulation des réseaux de chauffage. Alors qu'il appartenait à la société TPF Ingenierie d'arrêter les choix techniques du marché et de prescrire l'installation de radiateurs et de pompes adéquats, d'une part, et que le cahier des clauses techniques particulières du marché prescrivait la pose de pompes de circulation Salmson de type SXE-DXE, d'autre part, il est ainsi établi que la société TPF Ingenierie a commis des erreurs dans le choix des radiateurs et des pompes de circulation à installer dans les tours de l'ensemble immobilier " La Beaucaire " qui viennent d'être mentionnées.
6. La société Clinique du chauffe-eau qui a suivi les prescriptions du maître d'œuvre a ainsi été obligée, pour remettre des équipements en conformité avec leur destination, de réaliser au bénéfice du maître d'ouvrage des prestations supplémentaires non prévues par le marché initial mais rendues nécessaires par les erreurs commises par le maître d'œuvre. Il s'en déduit qu'elle ne saurait se prévaloir d'un quelconque préjudice directement en lien avec les fautes commises par le maître d'œuvre puisque les travaux réalisés procèdent de la demande du maître d'ouvrage. Elle n'est dès lors pas fondée à rechercher la responsabilité de la société TPF Ingenierie.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Clinique du chauffe-eau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la requête présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ni à celles présentées par l'office public d'habitation Toulon Habitat Méditerranée sur ce même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Clinique du chauffe-eau est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'office public d'habitation Toulon Habitat Méditerranée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Clinique du chauffe-eau, représentée par Me Simon Laure, liquidateur, à la société TPF Ingenierie, venant aux droits de la société Beterem, et à l'office public d'habitation Toulon Habitat Méditerranée.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2022, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2023.
No 20MA03419