Cour administrative d'appel de Versailles, 20/09/2022, n°22VE01453

REPUBLIQUE FRANCAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Antony a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'ordonner une expertise, en présence de la société SNB, de la société Risk Control et de la société Dietmar Feichtinger Architectes, aux fins, notamment, de décrire les désordres affectant le groupe scolaire Denoyer de Segonzac et portant sur les platelages et bardages bois, les stores, les menuiseries extérieures et l'étanchéité à l'air des locaux au nord, de déterminer l'origine et les causes de ces désordres, de donner un avis sur la conformité des prestations et travaux réalisés aux documents contractuels, aux normes en vigueur et aux règles de l'art, et sur les responsabilités encourues, de donner un avis sur les travaux nécessaires pour remédier aux désordres et sur leurs coûts, et d'une manière générale de faire toutes constatations qui apparaîtraient utiles dans la perspective d'un litige au fond.

Par une ordonnance n° 2115816 du 8 juin 2022, le premier vice-président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, a décidé de confier à M. B A une expertise, à réaliser au contradictoire de la commune d'Antony et des sociétés SNB, Risk Control, Dietmar Feichtinger Architectes, Arcalia, Belliard et l'entreprise Addima Karim, avec pour mission :

- d'une part s'agissant des désordres, de procéder à la description des désordres et malfaçons en indiquant leur date d'apparition et en réunissant les éléments d'information permettant au tribunal de dire s'ils sont de nature à compromettre la solidité de l'immeuble ou à le rendre impropre à sa destination, de donner un avis sur les causes et origines de ces désordres et malfaçons en précisant s'ils sont imputables aux travaux de construction, à la conception, à un défaut de direction ou de surveillance, à leur exécution ou encore aux conditions d'utilisation et d'entretien de l'immeuble endommagé et, dans le cas de causes multiples, d'évaluer les proportions relevant de chacune d'elles, d'indiquer la nature et le coût des travaux nécessaires pour remédier à la situation actuelle en assurant la solidité de l'ouvrage et un usage propre à sa destination, en précisant s'il en résulte une plus-value pour l'immeuble en cause, et de recueillir tous éléments et faire toutes autres constatations utiles de nature à éclairer le tribunal dans son appréciation des responsabilités éventuellement encourues et des préjudices subis ;

- d'autre part s'agissant du règlement du marché, d'examiner les travaux effectués par la société SNB et de fournir au tribunal tous éléments de nature à lui permettre d'apprécier leur conformité aux prescriptions contractuelles, de fournir au tribunal tous éléments de nature à lui permettre d'apprécier si les travaux supplémentaires  réalisés par la société SNB à la demande du maître d'ouvrage étaient nécessaires à la réalisation de l'objectif fixé par le marché et, dans l'affirmative de recueillir les éléments permettant au tribunal d'apprécier les causes et l'étendue des insuffisances du programme auxquelles ils devaient pallier, et de fournir tous éléments permettant d'établir les comptes entre les parties incluant notamment l'application éventuelle de pénalités de retard  et le coût de reprise des malfaçons ou désordres.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2022, la société Dietmar Feichtinger Architectes, représentée par Me Caron, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle confie à l'expert le chef de mission relatif au règlement du marché ;

2° de rejeter les conclusions présentées par la société SNB devant le tribunal administratif tendant à ce que l'expertise inclut ce chef de mission.

Elle soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé la demande de la commune d'Antony qui ne portait que sur les désordres affectant les ouvrages réalisés par la société SNB et non sur le règlement du marché  et, en particulier, les causes du retard de chantier, les travaux supplémentaires  et les comptes entre les parties ; il a en réalité fait droit aux conclusions de la société SNB tendant à ce que ce second élément de mission soit confié à l'expert alors qu'une demande reconventionnelle tendant à étendre une mesure d'expertise doit être pertinente au regard du litige principal susceptible d'être initié, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

- en outre, la demande de la société SNB n'est pas utile dès lors que cette société a déjà chiffré son préjudice dans son mémoire en réclamation  et que l'analyse du bien-fondé de sa demande indemnitaire pose des questions de droit insusceptibles d'être confiées à un expert judiciaire ;

- enfin, l'extension de la mission sollicitée par la société SNB est dépourvue d'utilité dès lors qu'elle est en lien direct avec le litige dont elle a déjà saisi le juge du fond lequel dispose, dans l'exercice de ses pouvoirs de direction de l'instruction, du pouvoir d'ordonner une expertise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2022, la commune d'Antony, représentée par Me Pezin et Me Cabanes, avocats, demande à la cour :

1° de rejeter la requête ;

2° d'ordonner que la décision à intervenir soit opposable et commune aux sociétés Tempeol, Francis Klein, Audatis, Savoie et Ajassociés ;

3° de mettre à la charge de la société Dietmar Feichtinger Architectes la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Elle soutient que :

- la société requérante ne peut utilement se prévaloir d'une éventuelle dénaturation par le juge des référés des conclusions de la commune exposante ; au demeurant, dès lors qu'elle avait demandé que l'expert, " d'une manière générale ", fasse " toutes constatations qui apparaitraient utiles dans la perspective d'un litige au fond " et qu'un litige au fond est pendant devant le tribunal administratif s'agissant du règlement du marché, le juge des référés du tribunal administratif a correctement interprété sa demande ;

- la demande de la société SNB est utile dès lors, d'une part, que la commune exposante a tout autant intérêt que la société SNB à voir identifier les causes des retards et leurs conséquences et, d'autre part, que la circonstance que le juge du fond est saisi ne prive pas d'utilité la mesure sollicitée et qu'il n'y a pas de raison d'attendre la fin de l'instruction de l'affaire au fond pour confier à un expert le second élément de mission ;

- la mise en cause, d'une part, de la société Tempeol, en charge de la cellule de synthèse, des sociétés Francis Klein et Audatis, titulaires de la mission ordonnancement, pilotage et coordination, et de la société Savoie, co-traitant de la société SNB, qui sont mises en cause dans le litige au fond pendant devant le tribunal administratif ou parties à ce litige, et, d'autre part, de la SELARL Ajassociés, administrateur judiciaire de la société Arcalia dont la responsabilité est susceptible d'être retenue, est utile à la réalisation de l'expertise.

Par un mémoire enregistré le 18 août 2022, la société Risk Control, représentée par Me Marié, demande à la cour :

1° d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle confie à l'expert le chef de mission relatif au règlement du marché et de supprimer cet élément de mission ;

2° de condamner les sociétés Arcalia, Dietmar Feichtinger Architectes, SNB, Belliard et l'entreprise Addima Karim à la garantir indemne. 

Elle soutient que :

- elle s'associe à l'argumentation de la requérante tendant à la limitation du champ de l'expertise, la cause des retards faisant partie de la procédure initiée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant au fond, qui seul sera éventuellement compétent pour ordonner une expertise  ;

- dans l'hypothèse où sa responsabilité serait recherchée, elle sollicite d'ores et déjà la garantie des sociétés Arcalia, Dietmar Feichtinger Architectes, SNB, Belliard et l'entreprise Addima Karim. 

La requête a été communiquée à la société SNB, à la société Arcalia, à l'entreprise Addima Karim, à la société Belliard qui n'ont pas produit de mémoire et à M. A, expert.

Par une décision du 1er septembre 2022, le président de la cour a désigné Mme Signerin-Icre, présidente de la 5ème chambre, pour statuer en qualité de juge des référés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement  du 6 octobre 2014, la commune d'Antony a confié à un groupement, dont la société Dietmar Feichtinger Architectes est mandataire, la maîtrise d'œuvre de la construction d'un groupe scolaire et d'un centre municipal de loisirs. Le macro-lot n°1 du marché de travaux, portant notamment sur le clos et couvert, a été confié au groupement constitué de la société SNB et de la société Savoie. Constatant que des désordres affectaient certaines parties de l'ouvrage relevant du lot n°1, la commune d'Antony a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'ordonner une expertise  en présence de la société SNB, de la société Dietmar Feichtinger Architectes et de la société Risk Control qui avait été chargée du contrôle technique. Par une ordonnance du 8 juin 2022, le premier vice-président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, a prescrit une expertise  portant, d'une part, sur les désordres affectant l'ouvrage et, d'autre part, sur le règlement du marché  de la société SNB. La société Dietmar Feichtinger Architectes fait appel de cette ordonnance en tant que le juge des référés a confié à l'expert ce second chef de mission. La commune d'Antony conclut au rejet de la requête et demande la mise en cause des sociétés Tempéol, Francis Klein, Audatis, Savoie et Ajassociés. La société Risk Control conclut aux mêmes fins que la requérante et demande, en outre, que les sociétés Arcalia, Dietmar Feichtinger Architectes, SNB, Belliard et l'entreprise Addima Karim soient condamnées à la garantir.

Sur les conclusions des sociétés Dietmar Feichtinger Architectes et Risk Control tendant à la réduction de la mission de l'expert : 

2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. () ".

3. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher.

4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a confié à l'expert deux chefs de mission distincts, le premier relatif aux désordres affectant les ouvrages réalisés par le groupement SNB-Savoie et consistant notamment à décrire ces désordres, à donner un avis sur leurs causes et origines et à indiquer la nature et le coût des travaux nécessaires pour y remédier, le second relatif au règlement du marché  conclu avec ce groupement et consistant à fournir tous éléments permettant d'établir les comptes entre les parties, y incluant notamment la rémunération de travaux supplémentaires  effectués par les entreprises et l'application éventuelle de pénalités de retard.

5. Il résulte de l'examen de la demande de première instance de la commune d'Antony que, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés du tribunal administratif et à ce qu'elle soutient en appel, cette collectivité a demandé au juge des référés de prescrire une expertise  portant uniquement sur les désordres affectant les ouvrages réalisés par le groupement constitué de la société SNB et de la société Savoie et consistant pour l'expert à décrire ces désordres, à en déterminer l'origine et les causes et à donner un avis sur les travaux nécessaires pour y remédier et sur le coût de ces travaux. Il résulte, en revanche, du mémoire produit en première instance par la société SNB que celle-ci a présenté des conclusions tendant à ce que la mission confiée à l'expert porte également sur les causes des retards rencontrés par le chantier et leurs conséquences pour elle. Toutefois, le chef de mission confié en conséquence à l'expert et portant sur le règlement financier du marché se rapporte à un litige distinct de celui auquel l'expertise sollicitée par la commune d'Antony est susceptible de se rattacher et n'est pas utile au bon accomplissement du premier chef de mission confié à l'expert relatif au seul examen des désordres affectant les ouvrages. La circonstance que la société SNB a saisi le juge du fond d'une demande relative au décompte du marché est sans incidence à cet égard. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, la société requérante et la société Risk Control sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif a fait droit aux conclusions de la société SNB et à demander la réformation de cette ordonnance dans cette mesure.

Sur les conclusions de la commune d'Antony tendant à la mise en cause des sociétés Tempeol, Klein, Audatis, Savoie et Ajassociés :

6. En premier lieu, la commune d'Antony demande que soient attraites à l'expertise la société Tempeol, la société Francis Klein, la société Audatis et la société Savoie au motif qu'elles sont mises en cause ou parties au litige pendant devant le tribunal administratif et relatif au décompte du marché de la société SNB. Dans ces conditions, par voie de conséquence de ce qui a été au point 5, ces conclusions, au demeurant nouvelles en appel, doivent être rejetées.

7. En second lieu, l'ordonnance en litige prescrivant que l'expertise aura lieu au contradictoire de la société Arcalia, les conclusions de la commune d'Antony tendant à ce que l'administrateur judiciaire de cette société soit attrait à cette expertise  sont sans objet et ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'appel en garantie présentées par la société Risk Control :

8. Il n'appartient pas au juge du référé-expertise de se prononcer sur des conclusions tendant à ce qu'une société soit garantie indemne d'une éventuelle condamnation au fond. Par suite, les conclusions de la société Risk Control tendant à cette fin doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige : 

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Dietmar Feichtinger Architectes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Par suite, les conclusions de la commune d'Antony tendant à cette fin doivent être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2115816 du premier vice-président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, juge des référés, du 8 juin 2022 est annulée en tant qu'elle charge l'expert du chef de mission relatif au règlement du marché  de la société SNB.

Article 2 : Les conclusions présentées en première instance par la SNB tendant à ce que l'expertise sollicitée par la commune d'Antony porte également sur les retards de chantier sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Dietmar Feichtinger Architectes, à la commune d'Antony, à la société SNB, à la société Risk Control, à la société Arcalia, à la société Belliard, à l'entreprise Addima Karim et à M. B A, expert.

Fait à Versailles le 20 septembre 2022.

La présidente de la 5ème chambre,

Juge des référés

Corinne SIGNERIN-ICRE 

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

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