TA Cergy-P, 01/12/2022, n°1914055

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 5 novembre 2019, la société par actions simplifiée (SAS) Sicatel, venant aux droits et obligations de la SAS Sidetel 92, représentée par Me Boyer, demande au tribunal :

1°) de condamner l'office public de l'habitat (OPH) Hauts-de-Seine Habitat, venant aux droits de l'OPH de Clichy-la-Garenne, à lui verser les sommes, d'une part, de 15 600 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre de prestations exécutées et non réglées dans le cadre du marché n° 2013-TX-11 relatif à l'installation, au remplacement et à l'entretien des systèmes de contrôle d'accès aux immeubles, et, d'autre part, de 142 000 euros hors taxes (HT) en réparation du préjudice né de la perte de chiffre d'affaires liée à la résiliation anticipée du marché, à assortir des intérêts de droit à compter du 4 décembre 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'OPH Hauts-de-Seine Habitat une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité contractuelle de l'OPH de Clichy la Garenne, aux droits et obligations duquel vient l'OPH Hauts-de-Seine Habitat, est engagée à raison de la faute commise dans l'inexécution à concurrence de 15 600 euros TTC du contrat de maintenance pour la période allant du 11 juillet 2016 au 10 juillet 2017 et des travaux non réalisés pour un montant de 295 960,38 euros HT au titre du marché initial ;

- elle a subséquemment subi un préjudice correspondant à un manque à gagner qui doit être réparé à concurrence de 142 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 juillet 2020, le 15 mars 2022 et le 2 mai 2022, l'OPH Hauts-de-Seine Habitat, venant aux droits et obligations de l'OPH Clichy-La Garenne, représenté par Me Palmier, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal au rejet de la requête,

2°) à titre reconventionnel à la condamnation de la SAS Sicatel à lui verser la somme de 39 844,08 euros TTC au titre d'un trop-versé ;

3°) en tout état de cause à la mise à la charge de l'OPH Hauts-de-Seine Habitat de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la SAS Sicatel n'a pas fait parvenir à l'OPH Hauts-de-Seine Habitat un mémoire en réclamation préalablement à la saisine du juge, en méconnaissance des stipulations de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux) ;

- la référence par la SAS Sicatel à un montant de 15 600 euros HT dans ses conclusions doit être regardée comme une référence à un montant de 15 600 euros TTC ;

- la SAS Sicatel n'a pas apporté de justifications suffisantes de l'exécution des prestations au titre desquelles elle demande le paiement de la somme de 15 600 euros TTC, en méconnaissance de l'article 5.1 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) ;

- le marché est arrivé à expiration le 11 juillet 2017, trente-six mois après le commencement des travaux le 11 juillet 2014 ;

- les ordres de service qu'il a signés en mars 2017 ne traduisaient pas sa volonté de prolonger le marché au-delà du 11 juillet 2017 ;

- à titre subsidiaire, si le marché devait être regardé comme résilié, cette résiliation serait justifiée par un motif d'intérêt général lié à la réorganisation de ses services ;

- la SAS Sicatel ne justifie pas du montant de 142 000 euros HT qu'elle demande en réparation du prétendu manque à gagner né de la résiliation du marché ;

- la SAS Sicatel a bénéficié d'un trop perçu d'un montant de 39 844,08 euros TTC.

Par un courrier du 10 février 2020, le tribunal a proposé aux parties de régler leur litige par une médiation.

Par un courrier du 20 juillet 2020, le médiateur a informé les parties qu'aucun accord n'avait pu être trouvé et qu'il était mis fin à la médiation.

Par un courrier en date du 6 octobre 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions reconventionnelles présentées par l'OPH Hauts-de-Seine Habitat aux fins d'indemnisation en raison de l'irrecevabilité des conclusions principales.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Moinecourt, conseillère ;

- les conclusions de M. Camguilhem, rapporteur public ;

- et les observations de Me Gaubert substituant Me Palmier, représentant l'OPH Hauts-de-Seine Habitat.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement du 17 juin 2014, l'OPH (office public de l'habitat) de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), aux droits et obligations duquel vient l'OPH Hauts-de-Seine Habitat, a confié à la société par actions simplifiée (SAS) Sidetel 92, aux droits et obligations de laquelle vient la SAS Sicatel, un marché mixte à prix forfaitaires et à bons de commande, ayant pour objet la fourniture, la pose, l'entretien et la mise en exploitation du système d'interphone et de contrôle d'accès aux immeubles. Par la présente requête, la SAS Sicatel demande au tribunal de condamner l'OPH Hauts-de-Seine Habitat à lui verser les sommes, d'une part, de 15 600 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre de prestations exécutées et non réglées, et, d'autre part, de 142 000 euros hors taxes (HT) en réparation du préjudice né de la perte de chiffre d'affaires liée à la résiliation anticipée du marché, à assortir des intérêts de droit à compter du 4 décembre 2017.

Sur les conclusions indemnitaires présentées par la SAS Sicatel :

En ce qui concerne la recevabilité contractuelle de la demande :

2. Aux termes de l'article 50.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux), applicable au présent marché en vertu de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : "Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre.". Selon son article 50.2 : "Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6". Enfin, l'article 50.3 du même cahier stipule que : "A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation.".

3. L'apparition d'un différend, au sens de ces stipulations, entre le titulaire du marché et l'acheteur, résulte, en principe, d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l'acheteur et faisant apparaître le désaccord. Elle peut également résulter du silence gardé par l'acheteur à la suite d'une mise en demeure adressée par le titulaire du marché l'invitant à prendre position sur le désaccord dans un certain délai. Par ailleurs, un mémoire du titulaire d'un marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens de l'article 50.1 du CCAG-Travaux que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose de façon précise et détaillée les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées.

4. Il résulte de l'instruction que la SAS Sicatel a mis en demeure l'OPH Hauts-de-Seine Habitat, par un courrier recommandé du 4 décembre 2017, de régler les sommes de 57 816,35 euros TTC au titre de prestations réalisées et non réglées, et de 142 233,93 euros HT en réparation du manque à gagner né des fautes commises par l'OPH, sous un délai d'un mois. L'absence de règlement de l'OPH au terme de ce délai a ainsi fait naître un différend au sens des stipulations précitées de l'article 50.1 du CCAG-Travaux, le 4 janvier 2018. Toutefois, la SAS Sicatel n'établit, ni même n'allègue, avoir adressé de mémoire en réclamation à l'OPH Hauts-de-Seine Habitat postérieurement à la naissance de ce différend. Ainsi, postérieurement à cette date, la SAS Sicatel s'est bornée à adresser à nouveau ce même courrier à l'OPH Hauts-de-Seine Habitat par voie électronique, les 28 février 2018 et 14 mars 2018, par des messages ayant pour objet "demande d'entretien avant procédure", laissant ainsi entendre son souhait de s'inscrire dans une démarche non contentieuse, intention d'ailleurs confirmée par le courriel du 23 avril 2018 adressé à l'OPH Hauts-de-Seine Habitat, par lequel le conseil de la requérante a notamment indiqué qu'il était "possible de concevoir" que sa demande "nécessite un temps d'examen supplémentaire". Par un courrier recommandé du 8 août 2018, l'OPH Hauts-de-Seine Habitat a explicitement indiqué à la SAS Sicatel, d'une part, que "le contrat de maintenance pour l'année 2017 n'a pas été réalisé", et, d'autre part, n'être "en mesure de déclencher aucun règlement autre que celui des prestations exécutées", lui signifiant ainsi son refus de l'indemniser d'un éventuel manque à gagner. Toutefois, si, dans son courrier du 19 octobre 2018, la SAS Sicatel a réitéré sa demande de paiement de 15 600 euros TTC au titre de prestations non réglées, elle s'est cependant bornée, s'agissant de la somme de 142 000 euros demandée au titre de son manque à gagner, à promettre de revenir vers les services de l'OPH Hauts-de-Seine Habitat "avec tous les éléments justificatifs complémentaires". Ultérieurement, dans son courriel du 2 juillet 2019 à l'OPH Hauts-de-Seine Habitat, la SAS Sicatel a d'ailleurs réaffirmé être toujours dans l'attente d'une "proposition de règlement transactionnel" de sa part. Aucune de ces communications ne présente le caractère d'un mémoire en réclamation au sens des stipulations précitées. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir soulevée par l'OPH Hauts-de-Seine Habitat en défense, tirée de ce que la saisine du juge administratif des contrats par la SAS Sicatel n'a pas été précédée de l'envoi d'un mémoire en réclamation avant la saisine du tribunal, en méconnaissance des stipulations de l'article 50 du CCAG-Travaux.

En ce qui concerne les conclusions reconventionnelles formulées par l'OPH Hauts-de-Seine Habitat :

5. L'irrecevabilité de la demande principale entraîne par voie de conséquence l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point 4 du présent jugement que les conclusions formulées par l'OPH Hauts-de-Seine Habitat tendant à ce que la SAS Sicatel soit condamnée à lui verser la somme de 39 844,08 euros TTC au titre du double paiement d'une prestation dans le cadre du contrat objet du marché sont irrecevables.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OPH Hauts-de-Seine Habitat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de la SAS Sicatel sur le même fondement.

Par ces motifs, le tribunal décide :

Article 1 : La requête de la SAS Sicatel est rejetée.

Article 2 : Les conclusions reconventionnelles présentées par l'OPH Hauts-de-Seine Habitat sont rejetées.

Article 3 : La SAS Sicatel versera à l'OPH Hauts-de-Seine Habitat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Sicatel et à l'OPH Hauts-de-Seine Habitat.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Oriol, présidente,

Mme A et M. Sitbon, conseillers,

Assistés de Mme Ricaud, greffière.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

La rapporteure,

Signé

L. A

La présidente,

Signé

C. OriolLa greffière,

Signé

V. Ricaud

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour ampliation,

La greffière

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