TA Lille, 24/01/2023, n°2005110

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 juillet 2020, 8 mars 2021, 26 août 2022 et 12 septembre 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Ingerop Conseil et Ingénierie et la société d'exercice libéral par actions simplifiée (Selas) Urbanica, représentées par Me Jeambon, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler la décision implicite en date du 4 mai 2020 portant rejet de leurs réclamations ;

2°) de condamner le syndicat mixte des transports du Douaisis (SMTD) à leur verser la somme de 1 545 824, 21 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre du solde de leur marché de maîtrise d'œuvre n° 2008-44, assortie des intérêts légaux courant à compter du 4 mai 2020 ;

3°) de condamner ce syndicat mixte au versement de la somme de 608 660, 87 euros TTC au titre du solde de leur marché de maîtrise d'œuvre n° 2009-91, assortie des intérêts légaux courant à compter du 4 mai 2020 ;

4°) de mettre à la charge dudit syndicat mixte la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête est suffisamment motivée et donc recevable ;

- la requête est recevable dès lors qu'elles ont présenté, dans les conditions prévues à l'article 40.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG PI), des mémoires en réclamation le 2 mars 2020 puis le 2 juillet 2020 à l'encontre des décomptes généraux lesquels ne sont pas devenus définitifs ; la requête dirigée contre la décision implicite du 4 mai 2020 emporte automatiquement contestation des décomptes généraux du 15 juin 2020 et des décisions implicites du 2 septembre 2020 portant rejet des mémoires en réclamation présentés le 2 juillet qui précède ;

- le SMTD a commis des fautes ayant conduit à l'allongement des délais d'exécution du marché n° 2008-44 de 32 mois, pour avoir tardé à réaliser la déclaration de projet, à signer les conventions avec les riverains et les concessionnaires ainsi que l'acte d'acquisition des parcelles destinées à la création de poches de stationnement, et pour avoir fait évoluer le projet ;

- le marché n° 2009-91 étant lié à l'exécution du marché n° 2008-44, son délai d'exécution a également été prolongé de 32 mois justifiant une indemnisation supplémentaire ;

- le SMTD doit régler les prestations complémentaires réalisées en phase d'assistance aux opérations de réception (AOR) imputables à son refus de réceptionner certains travaux ;

- les préjudices en résultant peuvent être évalués à la somme de 1 545 824, 21 euros TTC au titre du solde du marché n° 2008-44 et à la celle de 608 660,87 euros TTC au titre du solde du marché n° 2009-91 ;

- elles sont fondées à obtenir le versement des intérêts moratoires sur ces sommes à compter du 4 mai 2020.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 janvier 2021, 16 mai 2022, 12 septembre 2022 et 6 octobre 2022, le SMTD, représenté par la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Genesis Avocats, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société Ingerop Conseil et Ingénierie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors qu'elle ne contient aucun moyen en méconnaissance des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et n'a pas été régularisée avant l'expiration du délai de recours ;

- la requête est irrecevable, dès lors que les décomptes généraux des deux marchés sont devenus définitifs en l'absence de tout mémoire en réclamation présenté conformément à l'article 12.32 du CCAG PI ; aucune conclusion n'a été présentée contre ces décomptes ou, dans l'hypothèse où les courriers du 2 juillet 2020 seraient considérés comme des mémoires en réclamation, contre la décision implicite du 2 septembre suivant portant rejet de ceux-ci ;

- s'agissant de marchés à prix forfaitaires, en l'absence de modification de la masse des travaux et eu égard aux stipulations de l'article 4.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché n° 2008-44, les requérantes ne peuvent prétendre à un supplément de rémunération ;

- les requérantes n'établissent l'existence d'aucune faute qui lui serait imputable ; le " doublement " de la mission dite " AOR " est la conséquence de leur défaillance lors du suivi d'exécution des travaux et lors des opérations de réception ; l'allongement des délais est dû tant aux entreprises qu'à la maitrise d'œuvre qui a failli dans le suivi d'exécution du chantier ;

- elles n'établissent ni l'existence de leur préjudice, ni le quantum demandé qui correspondrait à une mobilisation totale de leurs équipes sur toute la période de prolongation du chantier ; elles n'établissent pas que le prix déjà versé n'aurait pas couvert les éventuels frais exposés en sus ni que leurs équipes n'ont pu être réaffectées sur d'autres chantiers ; en tout état de cause, elles ne pourraient prétendre qu'au montant de leur préjudice réel et non au paiement d'un complément de prix établi au vu de la décomposition du prix global et forfaitaire.

En application des articles R. 611-11-1 et R.613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée à effet immédiat par une ordonnance du 3 novembre 2022.

Les sociétés Ingerop Conseil et Ingenierie et Urbanica ont produit une pièce, enregistrée le 12 décembre 2022, produite à la demande du tribunal et communiquée sur le fondement des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 approuvant le cahier des clauses générales administratives applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de M. Even, rapporteur public,

- les observations de Me Daudet, substituant Me Jeambon, représentant les sociétés Ingerop Conseil et Ingénierie et Urbanica,

- et celles de Me Liebeaux, représentant le SMTD.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de la réalisation de la deuxième phase de construction de lignes de transports collectifs par véhicules sur pneus à moteur hybride et à guidage immatériel, le SMTD a conclu avec un groupement solidaire, composé de la société Ingerop Conseil et Ingénierie, mandataire, et de la société Urbanica, un marché de maitrise d'œuvre n° 2008-44 le 16 juin 2008 portant sur la réalisation de ces travaux sur le territoire des communes de Lewarde, Masny, Ecaillon, Auberchicourt et Douai puis un marché complémentaire n° 2009-91 le 22 octobre 2009 relatif aux travaux à réaliser sur le territoire de la seule commune d'Aniche. Par courrier du 2 mars 2020, reçu le 4 mars suivant, la société Ingerop Conseil et ingénierie a adressé au SMTD les projets de décomptes finaux de ces deux marchés accompagnés chacun d'un document intitulé "mémoire en réclamation". Le 4 mai suivant, en l'absence de réponse du syndicat mixte, ces demandes ont été implicitement rejetées. Par courrier du 15 juin 2020, le SMTD a expressément rejeté ces réclamations et transmis à la société Ingerop les décomptes généraux des deux marchés, lesquels ont été retournés signés, accompagnés d'un courrier du 2 juillet 2020 faisant mention du maintien des réclamations précédemment adressées. Par la présente requête, les sociétés Ingerop Conseil et Ingénierie et Urbanica demandent au tribunal d'annuler la décision implicite du 4 mai 2020 et de condamner le SMTD au versement d'une somme de 1 545 824,21 euros TTC au titre du solde du marché n° 2008-44 ainsi que d'une somme de 608 660,87 euros TTC au titre du solde du marché n° 2009-91, assorties des intérêts légaux à compter du 4 mai 2020.

2. Si les requérantes présentent des conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite portant rejet de leur demande en date du 2 mars 2020, au demeurant irrecevables devant le juge du contrat qui n'a pas en principe le pouvoir de prononcer à la demande de l'une des parties l'annulation des mesures prises par son cocontractant, la légalité de cette décision est sans incidence sur la solution du présent litige introduit par ces sociétés en vue d'obtenir la condamnation du SMTD au versement du solde du marché qu'elles estiment leur être dû. Par suite, il appartient au tribunal de se prononcer directement sur les conclusions indemnitaires dont il est saisi.

Sur la recevabilité des conclusions tendant au versement du solde des marchés :

3. Aux termes de l'article 12.3 du CCAG PI intitulé " paiement pour solde et paiements partiels définitif ", dans sa version applicable au litige : " 12.31. Après réception, selon les stipulations du chapitre V, des prestations faisant l'objet du marché ou, si le marché est fractionné, d'une phase assortie d'un paiement partiel définitif, le titulaire doit adresser à la personne responsable du marché le projet de décompte correspondant aux prestations fournies. / Le montant du décompte est arrêté par la personne responsable du marché ; si celle-ci modifie le projet de décompte présenté par le titulaire, elle lui notifie le décompte retenu. / Si le projet de décompte, malgré une mise en demeure formulée par la personne responsable du marché, n'a pas été produit dans un délai de trois mois à partir de la réception des prestations, la personne publique est fondée à procéder à la liquidation sur la base d'un décompte établi par ses soins. Celui-ci est notifié au titulaire. / 12.32. Toute réclamation sur un décompte doit être présentée par le titulaire à la personne publique dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte. / Passé ce délai, le titulaire est réputé avoir accepté le décompte. / () ". Et, aux termes de l'article 40.1 du même CCAG dans sa version applicable au marché : " Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation qui doit être remis à la personne responsable du marché. La personne publique dispose d'un délai de deux mois compté à partir de la réception du mémoire de réclamation pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ".

4. Un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s'il comporte l'énoncé d'un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d'une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d'autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. Si ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d'œuvre sans le joindre à son mémoire.

5. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au 1er point, que la société Ingerop Conseil et Ingénierie, mandataire du groupement de maîtrise, a adressé au SMTD les projets de décompte final de chacun des deux marchés en cause par courrier du 2 mars 2020, accompagnés chacun d'un document intitulé " mémoire en réclamation ". Toutefois, à cette date, le maitre d'ouvrage n'avait pas établi les décomptes généraux des marchés. Ainsi, l'envoi prématuré de ces mémoires en date du 2 mars 2020 ne peut être regardé comme constitutif d'une réclamation au sens des stipulations de l'article 12.32 du précité du CCAG PI. Par ailleurs, le courrier adressé par les requérantes au SMTD en date du 2 juillet 2020 qui se borne à faire état du maintien de l'ensemble des réclamations émises dans leurs précédents courriers du 2 mars 2020, non joints, et des sommes dont elles revendiquent le paiement ne constitue pas, au sens des stipulations précitées, des mémoires en réclamation, faute de toute précision notamment sur les bases de calcul des sommes réclamées. Dans ces conditions, faute d'avoir présenté dans le délai de 45 jours suivant la notification des décomptes généraux des marchés n° 2008-44 et 2009-91, intervenue le 2 juillet 2020 soit antérieurement à l'introduction de la requête, de mémoire en réclamation, ceux-ci sont devenus définitifs.

6. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Urbanica et Ingerop Conseil et Ingénierie ne sont pas recevables à demander au tribunal le règlement de sommes supplémentaires au titre du solde de ces marchés.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ingerop Conseil et Ingénierie la somme de 3 000 euros à verser au SMTD au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de ce dernier, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Ingerop Conseil et Ingénierie et de la société Urbanica est rejetée.

Article 2 : La société Ingerop Conseil et Ingénierie versera au SMTD la somme de 3 000 (trois mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Ingerop Conseil et ingénierie, à la société Urbanica et au syndicat mixte des transports du Douaisis.

Délibéré après l'audience du 3 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Fabre, président,

Mme Monteil, première conseillère,

Mme Piou, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.

La rapporteure,

Signé

C. A

Le président,

Signé

X. FABRE

La greffière,

Signé

A. DOUVRY

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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